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vendredi 17 novembre 2017

Roy Jacobsen : Les invisibles



Les Invisibles de Roy Jacobsen, voilà un magnifique roman comme je les aime, une rencontre entre des personnages issus du peuple humains et courageux et un style poétique mais sobre et retenu, qui magnifie la Nature mais sait en peindre les excès et les rages. Une nature qui abonde en beautés mais se montre avaricieuse de ses dons qu’il faut arracher à une terre aride, battue par les vents, ou à un océan dangereux voire meurtrier. C’est là que vit, au début du XXème siècle, Ingrid, petite fille dont on célèbre le baptême au début du roman, dans une île au nord de la Norvège. Une île si petite qu’elle n’est habitée que par une famille, la sienne. Le roman se termine lorsque Ingrid, devenue l’héritière de son père, reprend la ferme familiale. De l’enfance à la maturité, un roman d’initiation mais quelle initiation ! La fillette dès son plus jeune âge doit apprendre les gestes qui sauvent et qui nourrissent. Car elle sait déjà, malgré ses doutes, que nul ne peut quitter son île :  «Une île, c’est un cosmos en réduction où les étoiles dorment dans l’herbe sous la neige.»!

Les maisons sur Barroy sont placées en diagonale les unes par rapport aux autres. Vues du ciel, elles ressemblent à quatre dés que l’on aurait lancés au hasard, plus une resserre à pommes de terre qui devient un igloo en hiver. On peut marcher sur les dalles qui relient les maisons, il y a des cordes à linge et des chemins qui partent dans toutes les directions, mais en vérité les maisons forment comme une charrue dressée dans l’air afin de ne pas être emportée, même si la mer entière devait s’abattre sur l’île.

La description de la vie quotidienne, des activités, des coutumes, des mentalités, est passionnante. La pauvreté règne, l’argent est gagné à grand peine par le père Hans Barroy qui part à la pêche dans les Lofoten pendant de longs mois. Pendant son absence, le grand père Martin, la mère Maria et la tante d’Ingrid, Babro qui est simple d’esprit, cherchent à tirer leur subsistance des quelques vaches, brebis et légumes et des poissons de la pêche côtière. L'île offre un cadre à la fois âpre, désolé et d'une grande beauté.
Les personnages malgré la dureté de leur vie restent humains et dignes. L’amour qui les lie entre eux est très fort mais pudique et se passe souvent de paroles. Ces personnages si petits sur une île qui l’est tout autant, ce sont les Invisibles mais ils ont une grandeur qui les rends attachants. Un passage m’a paru proche du Victor Hugo des Pauvres gens quand la famille accueille sous son toit deux orphelins, simplement et sans discussion.
Il y a quelques scènes très fortes dans le roman comme celle ou les parents d’Ingrid cherchent à placer Babro comme bonne dans une famille bourgeoise mais la ramène chez eux parce qu’on lui a manqué de respect ; celle aussi où  le père fait sortir sa fille en pleine tempête en l’attachant de peur qu’elle ne soit pas emportée par le vent, parce que « Un ilien n’a pas peur, sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil. »

"Il lui crie qu’elle doit sentir avec son corps que l’île est immuable, même si elle tremble, même si le ciel et la mer sont chambardés, une île ne disparaît jamais, même si elle vacille, elle reste ferme et éternelle, enchaînée dans le globe lui-même."

Un très beau livre, aux éditions Gallimard,  un coup de coeur qu'il faut lire en s'imprégnant du rythme lent et du passage des saisons.



Roy Jacobsen (né le 26 Décembre 1954) est un norvégien romancier et nouvelliste écrivain.
Né à Oslo, il a fait ses débuts en 1982 avec la publication d'un recueil de nouvelles.
Il est lauréat de prestigieux prix et de deux de ses romans ont été mis en nomination par le Conseil nordique pour le prix de littérature






18 commentaires:

  1. Hé hé il est maintenant sur mon étagère.... Vivement de le lire !

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  2. Hé hé et qui me l'avait prêté ! Je pense que tu vas l'aimer !

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  3. Oh là là, un coup de cœur qui pourrait bien me convenir. En plus la couverture est belle. Ma bibliothèque ne l'a pas (je vais leur en parler) mais je vois qu'ils ont "Les bûcherons" qui m'ont l'air tout aussi intéressants. A suivre ...

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    1. Je ne peux te dire pour Les bûcherons. Oui, je pense qu'il pourrait te plaire ! Hélas ! je ne peux te le prêter, il est déjà reparti.

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  4. Je croyais avoir déjà lu cet auteur, mais je confonds avec Per Petterson (très bien aussi). Je note ce livre, il semble avoir tout pour me plaire.

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    1. Pas encore lu Per Petterson mais cela devrait venir pour le challenge nordique.

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  5. très belle couverture! la Nrvège vous inspire toujours autant, je reconnais la démarche....rester encore en voyage des mois après le retour!

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    1. ET oui, c'est exactement ça! On vit son voyage longtemps après le retour à travers les livres.

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  6. je n'ai pas lu celui là mais j'en ai lu un excellent aussi, un auteur vraiment intéressant tu trouveras le billet sur mon blog : les bûcherons

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    1. Je viens le lire . Les bûcherons ? Je retiens le titre pour faire plus ample connaissance avec cet auteur.

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  7. Bonjour Claudialucia, le sujet pourrait me plaire et tu donnes envie. Je note le titre pour l'emprunter en bibliothèque. Je trouve que la collection Gallimard "du monde entier" édite des ouvrages de qualité. Bon dimanche.

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  8. Quel billet tentateur ! et quelle écriture... Le tout me semble très poétique. Encore un à ajouter sur mes étagères (enfin, en ce moment, plutôt dans mes cartons...). Je note ce billet pour le challenge. Bon dimanche à toi :-)

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  9. Merci pour avoir présenté ce livre, j'ai tellement aimé. On avance dans ce livre avec un grand respect, un livre très pur et une prose inoubliable. Le dernier paragraphe, avec le brouillard, résume le tout.

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  10. Aifelle m'a rappelé ton beau billet (j'avais noté ce livre) mais je n'avais pu commenter, alors comme ça a l'air de marcher aujourd'hui j'en profite pour te dire tout le bien que je pense de tes choix de lectures qui correspondent souvent aux miens ! Je vous embrasse Wensounet et toi, je pense souvent à vous malgré mon silence :( ♥

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    1. Merci pour ce gentil message. Nous aussi nous t'embrassons.

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  11. Je viens de terminer "Mer blanche" où l'on retrouve Ingrid à 35 ans pendant près d'une année de sa vie : c'est tout aussi magnifique, d'une intensité constante sur 260 pages, vous retrouverez l'atmosphère unique des "Invisibles".

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