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lundi 9 juillet 2012

Festival In Avignon 2012 : Le Maître et la Marguerite de Boulgakov et Simon McBurney


La ville de Moscou sur le mur du Palais des Papes (source le Nouvel Obs)


La Cour d'Honneur est un lieu magique où se déroule sous les étoiles et entre les hautes murailles et les tours médiévales du Palais des Papes la  grande messe théâtrale du festival d'Avignon. Samedi 7 juillet 2012, c'est la première de la pièce Le maître et la Marguerite, grand roman de Boulgakov adapté au théâtre et mis en scène par Simon MCBurney. Un éblouissement! Un splendide, un magistral spectacle où le spectateur est emporté non seulement dans la Russie des années 1930 sous le regard de Staline mais aussi dans la Jérusalem de Ponce Pilate, dans l'Allemagne nazie ou à l'époque actuelle, là où fleurissent les dictatures ou encore au royaume de Satan entraîné dans un sabbat échevelé. Réalisme, fantastique, passé, présent, futur, tout se mêle et se bouscule dans une extraordinaire fantasmagorie dont le Diable ... ou plutôt Simon McBurney règle le bal!

Simon Mc Burney réussit l'exploit de mettre en scène une oeuvre aussi capitale que Le Maître et la Marguerite de Boulgakov qui s'inspire du Faust de Goethe en conservant la complexité du roman, complexité structurelle d'abord en entremêlant avec habileté trois récits : 
Le premier a Moscou en 1930 dans lequel apparaît  un personnage étrange nommé Woland  qui n'est autre que Satan accompagné de ses serviteurs, Fagotto, Hella et le chat noir Béhémoth. Tout ce petit groupe va semer le désordre chez les bureaucrates chargés de la publication des livres et de la censure, hommes corrompus, aux idées étroites, soumis au dictateur. Un pauvre poète, Ivan  Biezdomny, assiste à ces scènes étranges mais lorsqu'il révèle la vérité il est envoyé dans un asile de fous où il retrouvera le Maître, un écrivain tourmenté, qui a jeté au feu le roman qu'il écrivait sur Ponce Pilate, interdit par la censure.

Le second récit se passe à Jérusalem où  Ponce Pilate pourtant attiré par les paroles d'amour de Jésus accepte de le sacrifier. Il s'agit du roman écrit par le Maître dont la narration entrecoupe habilement  la première action.

Le troisième est celui où Marguerite qui aime d'un amour passionné le Maître (de son coeur) vend son âme au diable pour sauver son amour.

Complexité aussi des tonalités si variées du roman de Boulgakov très bien rendus par la mise en scène et par les excellents comédiens de Simon McBurney. On est dans la farce, l'humour, puis dans le tragique (j'ai adoré la voix de tragédienne antique, chaude, rauque, sensuelle, de l'actrice qui incarne Marguerite). On rit, on s'émeut, on s'émerveille...

Complexité du sens : Le Maître et la Marguerite est avant tout une réflexion sur le Bien et le Mal non seulement collectif comme dans les dictatures mais aussi individuel. Quand Satan se demande si l'homme a changé au cours des millénaires, il interroge le public de 1930 mais aussi celui de 2012, nous, spectateurs dont l'image projetée sur le mur nous met face à nous-mêmes. Et Satan conclut que non! Les hommes et les femmes sont toujours régis par la soif de l'argent, du pouvoir politique et celui de la séduction. Satan n'a pas de crainte à avoir, son travail n'est pas terminé sur la Terre. Et pourtant certains lui échappent et Marguerite, quant à elle, n'a pas fini de l'étonner avec l'amour qu'elle éprouve pour le Maître! L'amour, quel mot puissant et dangereux!
Le maître et le Marguerite interroge aussi sur la création littéraire et sur la liberté de l'artiste. Dans une dictature, l'écrivain, le Maître, et le Poète, Ivan Sans-Logis (c'est la traduction du nom russe), n'ont de place que dans un asile de fous. La vérité fait peur, on l'emprisonne. Pourtant la force de la littérature existe et c'est le diable lui-même qui l'affirme : "les manuscrits ne brûlent pas!" Car Satan finalement est une créature plutôt sympathique, il introduit dans cet univers sans fantaisie des idées subversives qui bousculent les consciences, il provoque le scandale et le désordre qui sont les bienvenus dans un monde où la liberté est muselée, où la vérité fait peur.

La scénographie est splendide : peu de décors pourtant en dehors d'un lit et d'une paroi mobile figurant l'hôpital, d'une  guérite qui est tour à tour un tramway, un lieu de péage, une entrée, tout est dans la lumière qui circonscrit l'espace sur la scène, tout est dans les vidéos qui martèlent le bruit des bottes et défilent au pas de l'oie sur les trois murs de la Cour d'Honneur. Les personnages filmés sur la scène s'envolent à l'assaut des murs du palais. Celui-ci devient un écran géant, il est alors un personnage à part entière, il est la ville de Moscou, il est le ciel où roule la planète Terre ravagée par la guerre, il est l'immense salle de bal de Satan que celui-ci démultiplie à l'infini car Simon McBurney, réussit l'exploit, et oui, d'agrandir l'imposante cour d'Honneur trop exiguë pour lui ... je veux dire pour le Maître des Enfers !

Il y a de grands moments, des moments magiques dans cette mise en scène : Lorsque Marguerite vole, lorsqu'elle chevauche avec son amant un cheval de lumière qui s'élève vers le ciel, lorsque Satan et sa cour infernale transforment de simples chaises en coursiers de l'Enfer... Des moments grandioses aussi lorsque la façade du Palais se fissure devant nous, ébranlée par la compassion ressentie par Marguerite, la compassion, un sentiment que Satan hait, contre lequel il est impuissant et qui fait voler en éclats son pouvoir! La fissure s'élargit, on se dit "non! il n'osera pas!" (il, c'est Simon McBurney) et il ose : le palais des papes s'écroule devant les spectateurs en une avalanche de pierres qui s'entassent sur la scène en un violent fracas! Sublime!

Voir le billet de Wens dans En effeuillant le chrysanthème ICI