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lundi 13 février 2012

Metin Arditi : Le Turquetto

Le Titien : L'homme au gant musée du Louvre

Il existe, nous dit Metin Arditi, avant de commencer cette brillante biographie, une oeuvre du Titien exposée au Louvre : L'homme au gant. Elle est signé Ticianus mais des analyses récentes semblent prouver que le Titien n'en est pas vraiment l'auteur. Serions-nous en face d'un tableau du Turquetto,  élève du Titien, un des peintres les plus brillants de son siècle?
Le Turquetto de Metin Arditi nous fait voyager dans l'espace, de Constantinople à Venise, et dans le temps pendant la Renaissance au début du XVI ème siècle. Nous suivons les aventures d'un jeune garçon, Elie Soriano d'origine juive qui vit à Constantinople. Son père et Arsinée qui lui tient lieu de mère sont tous deux des vendeurs d'esclaves. Passionné par le dessin, Elie sait que sa religion lui interdit la représentation figurative. Aussi à la mort de son père, il s'enfuit et gagne Venise où il se fait passer pour chrétien. Ses talents exceptionnels lui permettent d'entrer dans l'atelier du Titien et bien vite d'égaler son maître voire de le surpasser. Elie surnommé le Turquetto devient le peintre le plus couru de Venise et réalise de magnifiques tableaux pleins de sensibilité. Hélas! toutes ces oeuvres seraient promises au bûcher et lui-même condamné à mort si l'on découvrait qu'il est juif!
Le Turquetto se lit d'abord comme un livre d'aventures, un roman picaresque, enlevée, vivant, qui nous promène dans le bazar de Constantinople au milieu de personnages hauts en couleurs puis dans la richissime Venise, toute revêtue d'or où  règnent la corruption, l'envie, la cupidité, la misère et l'intolérance. Les courtisans sont vaniteux et cruels, les juifs sont enfermés dans le ghetto et ne peuvent en sortir le jour qu'affublés d'un béret jaune, les bûchers de l'inquisition sont toujours prêts à s'allumer pour traquer l'hérétique ou pour brûler les oeuvres d'art. Nous apprenons beaucoup sur cette période sans que l'érudition de l'auteur ne vienne alourdir le récit ou le freiner. Metin Arditti nous fait partager ses connaissances de l'art de la Renaissance. Il nous en fait découvrir les aspects techniques mais en parle aussi avec sensibilité. Un artiste est d'abord quelqu'un qui sait regarder, don que possède le Turquetto  qui allie , dans sa peinture, la spiritualité  à la sensualité. C'est donc avec un vif plaisir que l'on suit l'histoire de cette existence parfois triste et douloureuse, consacrée à l'art. 
 Comme presque tous les dessins d'Elie, celui-ci serait "pour la pile". Elie s'asseyait en tailleur, fermait les yeux, cachait son visage de ses mains et, tout à l'intérieur de lui-même, s'imaginait en train de dessiner. Une mine de plomb à la main, il traçait un premier trait, par exemple un ovale de visage ou une ligne d'épaule, puis un deuxième, comme s'il dessinait vraiment, et ainsi de suite jusqu'à ce que le dessin soit en place. Il le regardait alors avec intensité, ajoutait ici une ombre, là un dégradé, fronçait un regard, marquait une tension sur un muscle, exactement comme si tout ce qu'il faisait était réel. Après quoi il regardait le dessin en y mettant toutes ses forces, s'en imprégnait jusqu'au plus infime détail, et le déposait sur le haut d'une pile, imaginaire elle aussi, dans un coin précis de la pièce minuscule qu'il partageait avec son père.
Le plus étrange, lorsqu'il dessinait pour la pile, touchait à la violence des émotions qui le traversaient. Dans de tels instants, un sentiment de suprématie le portait tout entier. Rien ne lui semblait impossible. Il travaillait à la plume, au pinceau, ou à la mine d'argent, utilisait mille couleurs, donnait des effets d'ombre ou de clair-obscur, en un mot, il dessinait selon son bon vouloir. Il était, enfin, maître de sa vie.
 Elie est un personnage intéressant qui tire la leçon de ce qu'il a vécu. Il prend conscience qu'il a toujours été guidé par la vanité, qu'il a trahi tous ceux qui l'aimaient pour sa satisfaction personnelle. Ainsi, il s'est servi de sa peinture pour satisfaire ses désirs, son orgueil, au lieu de s'effacer derrière son art. Enfant, Elie méprisait son père, brisé par la misère, courbé par la maladie et les malheurs, sans énergie pour lutter. Ce n'est qu'à la fin du récit qu'il pourra l'accepter et le peindre : Il l'avait représenté en pauvre bougre, tel qu'il était. La vieillesse apporte à Elie la sagesse et la reconnaissance des véritables valeurs. 
Un roman très agréable donc, qui se lit avec beaucoup de plaisir. Pour les curieux j'ajouterai que, malgré les apparences, le personnage est fictif! Ce peintre n'a pas existé!
Le roman est souvent comparé à celui de Mathias Enard : Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants  mais je préfère nettement celui-ci;

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Metin Arditi : écrivain suisse d'origine turque.

Voir l'article de Hélène Lecturissimo