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mardi 23 septembre 2014

Sandor Marai : L'héritage d'Esther




Je pars le 1er Octobre à Budapest et j'ai commencé à lire la littérature  hongroise que je connais peu. Pour l'instant je n'ai commenté que deux livres d'écrivains hongrois dans ce blog :

Magda Szarbo : La Porte
Gitta Sereny :  Au fond des ténèbres



Sándor Márai est né le 11 avril 1900 à Kosice (Slovaquie) qui s'appelait Kassa à l'époque et était une ville hongroise. Elle  fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois. Il est mort le 22 février 1989 à San Diego aux États-Unis.

Pour le découvrir, je  vous renvoie à cet article dont je cite ici  le début :
On le dit l’égal de Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler ou Robert Musil. Longtemps, toutefois, Sándor Márai n’aura pas existé. Quoique. Dès avant les noces douteuses avec l’Allemagne nazie, il était parvenu à engranger quelques chefs-d’œuvre dont on retiendra principalement les merveilleuses "Confessions d’un bourgeois" en 1934. Tandis que suivront notamment, en 1942, "Les Braises". Précisément courageux pendant la Deuxième Guerre, il devra quitter Budapest pour masquer les origines juives de sa femme Ilona, mais ne sera pas autrement inquiété pour ses livres. Quelques années plus tard en revanche, sous un régime désormais communiste qu’il fuira en 1948, "l’ennemi de classe" sera rayé des librairies et bibliothèques.  Suite ICI

L'héritage d'Esther

Dans L'héritage d'Esther (1939) le personnage qui sent la mort approcher narre son histoire. Elle a revu Lajos, l'homme qu'elle a aimé mais qui lui a préféré sa soeur Vilma. Lajos, séducteur, charismatique, celui à qui personne ne résiste, qui tient les femmes et les hommes sous son charme, est aussi un arriviste, un escroc, qui trompe ses amis et les dépouille : "Lajos, le faussaire, le menteur incorrigible, la lie de l'humanité". L'analyse montre un Lajos toujours calculateur même dans ses sentiments amoureux, incapable de passion et de désintéressement, et explore aussi les sentiments de haine qui existait entre  Vilma et Esther. Cette dernière a toujours été lucide et avec le recul elle ne souffre plus de cet abandon même si elle a toujours refusé de se marier. Mais lorsqu'elle  vingt ans après elle revoit Lajos pour la dernière fois, elle sait que sa visite n'est pas gratuite. Et lorsqu'il lui demande de lui céder la maison familiale qui appartient à Esther maintenant que sa soeur est morte, elle va le faire. Pourquoi? Parce que nul ne résiste à Lajos? Ou parce qu'elle obéit à un "commandement plus fort que les règles du monde et de la raison", "parce qu'il existe dans la vie un ordre invisible qui veut que l'on achève ce que l'on a commencé".

L'analyse menée par Esther se fait sur plusieurs "couches" psychologiques comparables aux strates d'un sous-sol. Il y a Esther jeune fille, puis vingt ans après, mûrie et guérie, elle  revoit Lajos et enfin  elle écrit son histoire et tout est en flash-back. L'introspection qu'elle mène la renvoie dans le passé lorsque jeune fille, elle n'a pas eu le courage  de suivre Lajos qui  lui demandait dans ses lettres,  à quelques jours de son mariage avec Vilma,  de partir avec lui. Qu'elle n'ait pas eu connaissance de ces lettres dérobées par sa soeur importe peu, elle a été lâche,  elle a fui. Il y a un inachèvement de sa part qui doit donc trouver son aboutissement. De là à dire que le dépouillement consenti par Esther est un châtiment ou une auto-flagellation il n'y a qu'un pas que je franchis! Tant pis! Je me rends compte que je prends le contre-pied de tout ce qui a été dit sur ce roman et sur les motivations d'Esther car je ne vois absolument pas, dans son renoncement à la maison, à tous ses biens, l'abnégation de l'amour, la fatalité de l'amoureuse qui aime quelqu'un indigne de l'être. Pour moi, Esther a mûri, elle n'aime plus le séducteur, elle le voit tel qu'il est et c'est donc plutôt vis à vis d'elle-même qu'elle agit, vis à vis de ce qu'elle a été, parce qu'elle se sent coupable, et non pour Lajos.
C'est comme cela que j'analyse le livre et  il provoque en moi, envers les personnages, non seulement aucune empathie mais une répulsion  :  envers Lajos, cela coule de source, mais aussi envers Esther! Ce qu'elle nomme son "devoir" au début du livre me paraît de l'orgueil, de la complaisance envers elle-même murée dans le deuil de son amour. Elle en est d'ailleurs consciente sinon pourquoi dirait-elle : "j'accomplis mon devoir"- quelle violence! quelle théâtralité dans l'expression." ? J'ai lu que ce roman était une belle histoire d'amour, je n'y vois que l'affrontement de deux consciences, l'un égoïste, menteur, escroc minable, l'autre pétrie d'orgueil qui répare sa faute "originelle".

Sandor Marai se révèle donc un fin connaisseur de l'âme humaine et a l'art de ramener au grand jour les sédiments enfouies au plus profond de l'être. Il met au jour les choses cachées. C'est certainement un maître dans cet art; un grand écrivain de la complexité de la conscience mais le roman ne m'a pas touchée. Je n'arrive pas à comprendre ces personnages; ils ont une mentalité tellement rigide, un tel manque de sincérité, de spontanéité que je n'ai aucune empathie envers eux ni envers cette société moribonde dans laquelle ils évoluent. Je peux donc admirer l'art du romancier mais je n'aime pas ce qu'il me raconte!

26 commentaires:

  1. "Esther est un châtiment ou une auto-flagellation..." combien malheureusement semblent choisir de passer leur purgatoire sur terre pour semble t'il avoir une chance supplementaire d'aller directement au ciel?
    Definitement sur ma liste de lectures. Bon voyage bien sur!

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    1. Je me demande quelle est la place de la religion dans les idées de Sandor Marai.

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  2. J'aime beaucoup la littérature des pays de l'est par ce qu'elle a de définitif et de dramatique en effet ! Et Sandor Marai est un des plus éblouissants ! profite de ton voyage, Budapest est une ville magique :)

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    1. Tu fais donc partie des admiratrices de Sandor Marai. Je peux le comprendre mais je reste très réticente. Il faudrait peut-être en lire d'autres?

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  3. Je me retrouve dans ce que vous ressentez, Dominique et toi... Mon expérience avec Sandor Marai (et Magda Szabo m'a fait le même effet) a été très mitigée... effectivement, les personnages ne sont pas attachants, on ne comprend pas leurs réactions bien souvent... Par contre, je peux te recommander Epépé de Ferenc Karinthy mais il ne se passe pas en Hongrie (et pour cause !)

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    1. Oui, c'est ce qui me frappe : c'est que je comprends pas bien les personnages et que je ne suis pas d'accord (peut-être à tort) avec les analyses qu'en font les autres! Je note Epépé.

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  4. "On le dit l’égal de Stefan Zweig, Joseph Roth, Arthur Schnitzler ou Robert Musil."
    C'est aussi mon avis. Je n'ai pas lu L'héritage d'Esther mais j'en ai lu sept autres, souvent éblouissants. Bon voyage là-bas.

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    1. Je n'ai pas lu les autres mais je dois dire que je ne comprends pas les personnages. je n'ai pas la même interprétation que les autres lecteurs; c'est très gênant!

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  5. voilà un roman qui m'avait laissée bien perplexe et je suis contente de lire ton avis, car tu as quelques explications à proposer ! la façon dont Esther parle de Lajos montre bien que c'est un escroc qui a ruiné toute la famille, et si l'on peut comprendre que les jeunes filles se soient laissé charmer autrefois, comment a-t-il fait pour "envoûter " aussi les parents? c'est bizarre...bizarre aussi qu' Esther lui abandonne encore tout. Sans doute la culpabilité, en effet...

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  6. Merci pour l'adresse, je vais aller voir. Il faudra que je lise Braises.

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  7. Des personnages très difficiles à cerner effectivement! Je propose cet avis mais je ne suis sûre de rien.

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  8. J'ai toujours reculé devant Sandor Maraï. Il m'apparaît comme très rigide et et ce que tu dis n'est pas fait pour m'inciter à le lire. Reste le style d'écriture et peut-être aussi la description de la société hongroise de l'époque. Ton départ approche rapidement ..

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    1. Et l'analyse psychologique.; je me demande s'il ne croyait pas à la prédestination?

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  9. Bon voyage à toi ( je garde de très bon souvenir d'un séjour en Hongrie :) ). Plongée aussi depuis quelques temps dans la littérature hongroise (mais toujours pas lu Magda Szabo ). Un seule lecture de S.Maraï ( " La Soeur " ), que j'ai apprécié, plus pour l'écriture, j'en envisage une seconde bientôt ( tu me rends curieuse de cet Héritage d'Esther mais je crois que je vais choisir un autre titre )

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    1. J'ai trouvé Un chien de caractère à la bibliothèque; ce sera donc ma prochaine lecture Sandor Marai.

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  10. Il faut savoir que Márai Sándor était un grand depressif qui finit d`ailleurs par se suicider. Ses personnages, fatalement, sont le reflet d`une vision du monde maladivement pessimiste. Il est vrai que les hongrois ont souvent tendance a déprimer car ayant une sensibilité et aussi une sensualité qa fleur de peau mais Márai est quand meme un cas extreme. Parmi les auteurs modernes hongrois ayant été traduits en francais, il vaut la peine de lire le "voyage autour de mon crane" de Karinthy Frigyes pour avoir une idée plus juste de la pensée hongroise. Le livre de Mára a été mis sur écran en 2008 avec quelques`uns des meilleurs acteurs hongrois te le film est disponible intégralement (en v.o.) sur youtube: http://youtu.be/DkZ4N70A1Oo

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    1. Merci pour tous ces renseignements qui éclairent ma lecture. je vais voir le film.

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  11. Hier avec des amis on se posait la question... Peut-on aimer un livre sans aimer le caractère des personnages principaux ? Comme pour Emma de Bovary... je salue l'écriture mais je n'ai pas apprécié l'histoire.
    Je ne connais pas cet auteur.
    Bon voyage ! c'est trop super !!!!

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    1. C'est vrai : avoir de l'empathie pour les personnages est très important. Mais il y a aussi pour moi beaucoup d'autres raisons d'aimer un livre en dehors de l'écriture : la vision d'une société, la dénonciation des injustices, la générosité du propos, l'universalité . Mes raisons d'aimer Emma Bovary tiennent à l'universalité des sentiments et du personnage et à la dénonciation du statut de la femme en ce XIX siècle où elle n'a aucun droit. Je ne sais pas si je l'aime mais je me sens solidaire; je la comprends!! (Alors que je ne comprends pas Esther de Sandor Marai. Emma Bovary c'est la soeur de toutes les femmes privées de liberté, qui ont des idéaux mais qui ne peuvent les réaliser parce qu'elles sont brimées par la société.


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  12. De Sándor Márai, je n'ai lu que "Le premier amour" que j'avais beaucoup apprécié mais comme pour les personnages de ce roman que tu as lu, le personnage principal de "Le premier amour" est aussi difficile à cerner. Tu dis dans ton billet "ils ont une mentalité tellement rigide" et ça correspond tout à fait à ce que j'avais ressenti.
    Mais malgré que les personnages puissent m'être incompréhensibles ou antipathiques, je reste sous le charme de la plume de Márai. Je tenterai bien "L'héritage d'Esther" car tu as éveillé ma curiosité !
    Bon voyage ! Profite-bien !

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    1. Oui, très difficile à cerner, en effet.Je voulais lire Les braises mais je ne l'ai pas trouvé en bibliothèque. alors j'ai pris Un chien de caractère! On va voir!

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  13. J'ai découvert ce titre et cet auteur chez Shelbylee cet été. Elle comparait son art de psychologue à Zweig, ce qui était plutôt pour me tenter !
    Je suis aussi peu connaisseuse de littérature hongroise mais j'avais adoré "Le prince et le moine" de Robert Hasz sur l'histoire du peuple magyar. Si cela t'intéresse, mon billet est par ici : http://lapetitemarchandedeprose.hautetfort.com/archive/2012/01/28/le-prince-et-le-moine-de-robert-hasz.html
    Passe d'excellentes vacances en Hongrie !
    Bises à toi

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    1. Merci, je viens d'aller lire ton billet et je suis tout à fait convaincue; Je l'ai chargé dans ma liseuse.

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  14. D’abord je lis un extrait qui m’interpelle: "parce qu'il existe dans la vie un ordre invisible qui veut que l'on achève ce que l'on a commencé". Je lis aussi qu’il s’agit d’un roman introspectif et que l’auteur est un fin connaisseur de l’âme humaine. Ça me plaît… Mais au final, le roman ne t’a pas touché. J’ai du mal aussi avec les mentalités rigides, qui manquent de sincérité. M’étonnerait donc que je sois touchée moi aussi…

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    1. Oui, tu analyses bien ce que j'ai ressenti. De l'admiration mais pas d'émotion! Mais je n'en ai pas fini avec cet auteur.

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