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lundi 9 janvier 2023

Luis Vaz Camoes : Les Lusiades Les rois du Portugal (2)

Le roi Pierre 1er et Inez de Castro/ Alfonso IV/ Alfonso-Henriques, 1er roi du Portugal

J'avoue que j'ai calé parfois à la lecture de Os Lusiadas, ce long poème (8816 vers) de Luis Vaz Camoes. C'est un peu ardu quand on ne connaît pas l'histoire du Portugal, ses batailles, ses dynasties, ses rois, ses hommes célèbres, qui, parfois, ne sont nommés que par le prénom tant ils étaient célèbres à l'époque. La plupart d'entre eux me sont inconnus et il m'a fallu chercher à tout moment les noms, vérifier l'histoire, la géographie. Je me suis particulièrement intéressée aux chants III et IV dans lesquels Luis Vaz Camoes, toujours en donnant la parole à Vasco de Gama, fait un retour dans le passé pour présenter l'histoire de son pays. Ces chants nous apprennent beaucoup sur les grandes tragédies historiques  du Portugal. Les récits qu'ils présentent sont devenus les mythes fondateurs de l'identité nationale des Portugais et ont souvent inspiré l'art et le littérature.


 

 Un retour dans L'histoire du Portugal

 

Jean 1er du Portugal

 
Dans Aljubarota vois l'intrépide Jean 
Terrassant sous ses coups l'orgueilleux Castillan;
 Vois Alfonse premier, fléau des infidèles, 
Conquérant d'Ourika les palmes immortelles, 
Et trois Alfonse encor, ses vaillants héritiers, 
De leurs lauriers nouveaux accroissant ses lauriers. 
 

En 1139 la Bataille de l'Ourique menée par Alfonso-Henriques contre les Sarrazins marque la naissance du Portugal; Celui-ci se proclama roi sous le nom d'Alfonso 1er  et régna jusqu'à sa mort en 1185.


Le siège de Lisbonne (1147)

Le siège de Lisbonne (qui inspira le titre du roman de Saramago)  a eu lieu en 1147 et chassa de Lisbonne les suzerains mauresques, Almoravides.



Bataille d'Aljubarrota (1385)  permit au Portugal d'assurer son indépendance vis à vis de l'Espagne .

 
 Au cours de la  fameuse bataille d'Aljubarrota (1385) les troupes portugaises aidées par leurs alliés anglais et commandées par le roi Jean 1er du Portugal et son connétable Nuno Alvares Pereira affrontent les troupes espagnoles de Jean 1er de Castille alliées des français. Leur victoire évite au Portugal de passer sous la domination Castillane. En effet, Jean 1er de Castille, en tant qu'époux de Béatrice, fille du roi Ferdinand 1er du Portugal, voulait faire valoir ses droits au trône du Portugal.
 
 
 L'intrépide Alvarès entre tous se signale;
A mille combattants sa vaillance est fatale;
De mourants et de morts il couvre loin ce sol
Où prétendait régner l'insolent Espagnol.
Partout sifflent dans l'air les flèches acérées,
Les dards, les javelot et les piques ferrées;
Le champ, sanglant témoin de ce combat affreux,
tremble sous les sabots des coursiers belliqueux;
Et d'un bruit sourd, pareil aux accents de tonnerre,
L'airain avec l'airain fait retentir la terre

 La description de ce combat avec son grossissement épique, à la manière de la chanson de Roland, est là pour produire un effet de terreur tout en magnifiant la bravoure des héros lusitaniens. Le mouvement doublé par le son prend de l'ampleur :  puissance de la description qui nous fait non seulement voir mais aussi entendre ! Les vers de Camoes sont si évocateurs que des images s'imposent à moi.  Il me renvoie à des  oeuvres picturales, en particulier celle de Paolo Ucello : La bataille de San Romano ( XV siècle)
 
 
La Bataille de San Romano, de Paolo Ucello

 
Le récit le plus célèbre est celui qui relate l'histoire du prince Pedro et de sa maîtresse Inez de Castro qu'il épouse à la mort de sa femme.  Son père, le Roi Alfonso IV, furieux de cette alliance qui ne sert pas ses desseins politiques fait assassiner Inez. Devenu roi à la mort de son père, Pedro 1er exhume le corps de la reine morte, l'assoit sur le trône du Portugal et oblige ses nobles à lui rendre hommage en lui baisant la main. C'est du moins ce que dit la légende qui a été reprise dans de nombreuses oeuvres artistiques ou littéraires : La reine mort de Henri de Monterlhant.Voir ici le billet de Miriam
 
Telle apparaît Inez, froide et décolorée; 
Sous la main de la mort son doux regard s'éteint 
Et la pâleur succède aux roses de son teint. 
Nymphes du Mondégo, longtemps inconsolables, 
Vous pleurâtes d'Inez les destins lamentables; 
Et le flot de vos pleurs forma dans ce Vallon 
La fontaine qu'Amour consacra de son nom. 
Celle source à jamais conserve à la mémoire 
Et les attraits d'Inez et sa tragique histoire; 
En vain ses bords charmants sont émaillés de fleurs; 
Fontaine des Amours, ses ondes sont des pleurs. 
Mais don Pèdre bientôt s'arme pour la vengeance. 

 
Inez de Castro supplie Alfonso IV d'épargner ses enfants;
 
 

Le style et la traduction


Le texte rend compte des questions que soulève (déjà!) la traduction dès le XIX siècle :  faut-il  être fidèle à l'original au mot près ou, au contraire, faut-il garder l'esprit du texte quitte à s'en éloigner si besoin est ? Et surtout dans le cas de la poésie faut-il passer à la prose pour ne pas trahir l'auteur ou bien le vers est-il le seul moyen de conserver l'essence du texte ? 
Le traducteur François-Félix Ragon, écrivain et historien du XIX siècle, a choisi. Il conserve le vers mais passe de l'octosyllabe à l'alexandrin.
Pourquoi pas ? Ce que j'apprécie moins, c'est lorsqu'il se permet de supprimer des strophes, les jugeant peu intéressantes ou de mauvais goût ! Il se sent souvent supérieur au créateur qu'il traduit. Les traducteurs n'auraient pas cette outrecuidance de nos jours. 
Donc, il est très possible qu'il ait trahi l'auteur mais ceci dit (et comme je suis incapable de juger l'original) je dois dire que je suis sensible dans cette traduction au rythme, aux sonorités, aux images. Il y a de l'élan, de la musique... Une érudition qui baigne dans l'Antiquité et la Renaissance, deux périodes que j'aime beaucoup, et l'on sent toutes les références qui donnent une densité, une richesse aux vers. De belles descriptions qui parlent à l'imagination. Mais des moments aussi où je me suis mortellement ennuyée et où j'ai couru sur les pages en attendant d'être à nouveau happée ! N'aurais-je pas la fibre épique ? Enfin, je suis tout de même heureuse d'avoir lu - bien qu'imparfaitement - ce poème qui est, pour le Portugal, ce que La Divine Comédie est pour l'Italie, et Don Quichotte pour L'Espagne. Ceci dit j'ai de beaucoup préféré Dante et Cervantès !


Benezzo Gozzoli  Renaissance italienne : Les Rois mages

Ainsi les descriptions des foules lors d'une bataille ou d'une fête sont toujours très réussies. Les personnages, leur habillement, leur maintien, les sentiments qui les animent, angoisse, orgueil, fierté, férocité ou allégresse, composent des scènes vivantes,  évocatrices, comme si elles se déroulaient devant nos yeux, et donnent vie à l'épopée. Dans les strophes suivantes, le poète a l'art de mettre en marche la multitude, joyeuse et solennelle à la fois, et d'en montrer le mouvement irrésistible, de nuancer les couleurs, de jouer avec la lumière ; et par dessus tout, l'introduction du bruit, chants, intruments de musique, cris ou vacarme, nous place au coeur de la foule, à l'intérieur de la scène.  Les couleurs dans la description des habits somptueux, le mouvement, celui d'une foule qui avance, et le bruit qui achève la description sont d'une telle précision que l'on a l'impression de voir un tableau, raffiné et éclatant, d'un peintre de la Renaissance dans lequel, de nos jours, le cinéma permettrait d'intégrer le son des trompettes et le tonnerre du canon.

Le prince de Mélinde*, en appareil royal,
 Descendit sur la plage, où se pressait d'avance 
D'un peuple curieux la multitude immense. 
Au loin étincelaient les pompeux vêtements,
Les longs manteaux de pourpre et les beaux dolimans;
(...)
Dans son habillement tissu d'or et de soie 
Du faste oriental tout l'orgueil se déploie; 
Un superbe turban sur son front s'arrondit; 
Des couleurs de Sidon son manteau resplendit;
De son collier d'or pur la beauté singulière
Joint le fini de l'art au prix de la matière;
(...)
 Cependant, sur la proue, aux flots retentissants 
La trompette mauresque envoyait ses accents, 
Dur et bruyant concert, dont l'oreille s'offense, 
Mais qu'anime une vive et joyeuse cadence. 
Tandis qu'ainsi voguait le monarque africain, 
 Gama, pour recevoir l'auguste souverain,
 Sur un léger bateau sillonnant Amphitrite, 
S'avance, environné d'un cortège d'élite. 
 La France a préparé sa tunique de lin ;
 Son habit espagnol est d'un riche satin 
Dont Venise a fourni l'étoffe renommée 
Qu'empourpre du kermès la teinture enflammée. 
 Aux manches, des boutons d'un or pur et vermeil 
Brillent, réfléchissant les rayons du soleil. 
 
(...)

 Les barques de Mélinde au loin couvrent la mer;
 Leurs pavillons flottants rasent le flot amer. 
Dans le bronze tonnant le salpêtre s'allume 
 Et par noirs tourbillons dans l'air éclate et fume. 
 La formidable voix de cent bouches d'airain
 Ebranle les échos du rivage africain, 
Et le Maure, au fracas des bombes résonnantes,
 Presse en vain de ses mains ses oreilles tremblantes.


il y a aussi de beaux portraits pleins de sensualité comme celui de Vénus secondée par Mars, suppliant Jupiter de venir en aide aux Portugais poursuivis par le courroux de Bacchus....  La déesse semble être sortie du cadre d'un tableau de la Renaissance, je vois Boticelli, Le Tintoret, le Titien.
 
 
Le Tintoret Vénus


Le sein tout palpitant de son rapide essor, 
Elle apparaît plus belle et plus aimable encor.
 Un doux frémissement agite l'Empyrée 
Et chaque étoile aux cieux d'amour est enivrée. 
 Foyer des passions, ses yeux éblouissants 
 Lancent des traits de feu qui pénètrent les sens 
Et qui d'émotions puissantes et profondes 
Font transir et brûler les astres et les mondes. 
Chère dans tous les temps au souverain des dieux, 
 Pour le mieux captiver, elle s'offre à ses yeux, 
 
 
Boticelli : Vénus

 
 Autour de son beau col aux contours amoureux 
En longues tresses d'or flottent ses blonds cheveux;
 De son sein aussi blanc que la neige et l'albâtre 
Les globes, où l'amour invisible folâtre 
 Et prépare en jouant ses traits victorieux, 
Tremblent au mouvement de ses pas gracieux.


Le Titien : Vénus

Padrao dos Decobrimentos : le monument des Découvertes

Le monument des Découvertes ou Padrao des Decobrimentos 1 (image Wikipédia)

 

Le monument des Découvertes a été érigé sur les  rives du Tage, non loin de la tour de Bélem, sur l'ordre du dictateur Salazar en 1960.  Henri le Navigateur se tient fièrement sur la proue, tenant dans ses mains une caravelle. Il est suivi de tous les grands navigateurs et rois des Découvertes, personnages qui figurent dans Les Lusiades et je trouve passionnant de les retrouver ici.
Le monument ne fait pas l'unanimité puisqu'il est le symbole de la dictature et aussi du colonialisme mais il est le témoin de l'Histoire du Portugal et, à ce titre, très intéressant.

 
Le monument des Découvertes ou Padrao des Decobrimentos  (image Wikipédia)







vendredi 15 janvier 2021

Joseph O'Connor : le bal des ombres

 

Voilà encore un livre que j’ai adoré ! Merci à Kathel de me l’avoir fait connaître :  son billet est  ici

Joseph O’Connor place l’action de son livre Le bal des ombres dans la ville de Londres en 1878 et dans le cadre du théâtre Lyceum, alors en très mauvais état, acheté et rénové par Sir Henry Irving, célèbre acteur de l’époque. Celui-ci va prendre pour directeur financier un écrivain sans succès, lui-même persuadé d’être un raté, Bram Stoker qui est pourtant le père d’un des personnages les plus célèbres du monde, être fantastique devenu un mythe : Dracula. Une femme vient rejoindre ces deux hommes, actrice aussi célèbre en Angleterre que Sarah Bernhardt en France, Ellen Terry. Cette dernière forme avec eux un trio à l’intérieur duquel l’amitié et l’amour le disputent parfois à la colère et la trahison mais parviennent toujours à triompher.

Les personnages

Ellen Terry dans Catherine d'Aragon

Le bal des ombres rappelle à la vie des personnages historiques  fascinants.
 
Henry Irving n’est pas seulement un acteur hors norme, démesuré et génial, un metteur en scène illuminé mais aussi un homme colérique, explosif, mégalomane et torturé. Et son ami, le très sérieux et très gentil - malgré sa force herculéenne- Bram Stoker, fait figure, en tant que financier, de rebrousse-poil, d’empêcheur de danser en rond; il est celui qui compte les recettes et les dépenses, celui qui brime et interdit le luxe inconsidéré, d’où une situation explosive entre les deux hommes. Ellen Tracy est une actrice pleine de finesse et d’émotion. Elle est la figure de la femme libre, totalement indépendante, imperméable aux jugements sociaux, qui choisit ses amants comme elle l’entend. Il faut lire sa diatribe contre le mariage ou plutôt contre les maris qui est un modèle du genre.
C’est autour de ce trio mythique que le roman va s’articuler, Bram Stoker en étant le principal narrateur parlant de lui-même, à la fois comme « je » et comme « il », dans une sorte de dédoublement qui sied bien au personnage. En effet, il porte en lui des zones d’ombre. Son image n’est pas aussi lisse et lumineuse qu’elle le paraît. C’est à l’intérieur de son cerveau que vivent et s’ébattent les monstres qui se nourrissent de leur créateur et peuplent ses écrits.
Parmi les personnages secondaires, Florence, l’épouse délaissée de Bram Stoker, est aussi un femme forte, indépendante, qui saura garder une amitié indéfectible à son mari. C’est elle qui obtiendra, après la mort de Stoker, quand paraît Nosfératus, le plagiat de Dracula, que les droits d’auteur de son mari soient reconnus, créant ainsi un précédent qui servira tous les écrivains.

Histoire et Fantastique

Henry Irving

Le roman joue, entre lumière et ombre, sur le réel et le fantastique, un récit hanté, effrayant et surtout enveloppant. Nous déambulons dans l’atmosphère trouble des nuits londoniennes, des rues noyées dans le brouillard où sévit Jack l’éventreur et où erre un Bram Stocker agité, angoissé, en proie à des tourments intérieurs, peut-être habité par ces vampires ? On est transporté dans le grenier du théâtre, devenu le bureau secret de Bram Stocker, décor hors du temps où le fantôme de Mina « vit » sa mort violente et devient l’amie de l’écrivain. On se laisse emporter par ce passage de la vie à la mort, par cet entre-deux qui déstabilise le lecteur et crée un aura de mystère et d’angoisse.

Un hommage au théâtre

Théâtre Lyceum
  

La vie du Lyceum, sa résurrection, ses réussites et ses échecs, ses joies et ses peines, ses tournées dans les pays étrangers font parti des thèmes passionnants et variés du roman.
Le bal des ombres est le lieu où s’élabore le théâtre, où se construisent les mises en scène, où les Hamlet, lady Macbeth, Richard III ou Henry VIII prennent vie et s’incarnent. Les apparitions de ces grands personnages célèbres viennent se mêler à ceux de notre trio mais aussi à d’autres, Oscar Wilde, Bernard Shaw, Walt Whitmann, leurs amis ou détracteurs…  Nous sommes bien sur une scène mais comment distinguer une ombre d'une autre ? Chacun y joue son rôle et s’efface, laisse place à une autre ombre et tout n’est enfin que ombre de l’ombre.

Un bal à la musique triste

Bram Stoker

On est saisi d’une émotion qui naît de la tristesse de cet homme blessé qui n’a jamais su qu’il avait créé un mythe universel et qui s’est éteint dans l’obscurité. On est animé aussi d’une mélancolie nourrie de toutes ces figures fugitives qui reviennent du passé pour danser autour de nous. Nous sommes entraînés dans un bal dont la musique nostalgique retentit encore doucement bien après que l’on ait fermé le livre.

Remarque : Pourtant je lis, dans une critique sur Babelio, la réflexion suivante, que je cite :

C'est intéressant, mais j'ai eu comme la sensation que Joseph O'Connor avait appuyé par mégarde sur une pédale qui étouffe le son, met tout en sourdine, empêche la musique d'éclater.
Bref, un gros potentiel, mais ça reste un peu timoré, ça ne m'a pas complètement emballée.


Inutile de dire que je ne suis pas du tout d’accord avec cet avis même s’il est intéressant ! Non, Joseph O’Connor n’a pas appuyé par mégarde sur la pédale, il l’a fait exprès ! Nous sommes dans la demi-teinte. Il a sciemment voulu que la musique n’éclate pas, il a mis une sourdine aux sentiments qui naissent en nous à la lecture de ce livre. Il a refusé l’éclat pour mieux nous envelopper dans une brume nostalgique, une douce tristesse, afin de ne pas nous laisser oublier que ce sont des ombres qu’il convoque devant nous et que ces fantômes, comme à la fin de toute pièce de théâtre, vont retourner dans les limbes dont il les a tirés pour nous, l’espace d’un livre.

Et c’est pourquoi j’ai adoré ce très beau roman ! Et c'est pour cela qu'il m'a complètement emballée !