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vendredi 24 novembre 2017

Emmanuel Régniez : Notre château


" Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître… "  C’est le cas d’Emmanuel Regniez dont le premier livre Notre château paru aux éditions Tripode me laisse un peu étonnée voire soufflée. C’est que je ne m’attendais pas à un tel récit ! En abordant ce petit roman a l’air inoffensif, je ne savais pas que l’allais être catapultée dans une histoire sombre qui atteint parfaitement son but : surprendre et secouer. Mais attention n’allez pas penser qu’en entrant dans ce livre vous allez être abreuvé de détails gore ou de descriptions spectaculaires. Ne vous laissez pas abuser par le terme de « gothique » que lui a affublé la critique.

Non, rien n’est moins sage, moins rangée que la vie de ce couple, frère et soeur,  Octave et Véra  - c’est le frère qui est narrateur - . Ils vivent ensemble dans une belle maison qu’ils ont appelée « notre château » (importance du possessif), héritée de leurs parents morts dans un accident. Après leur disparition, anéantis par le chagrin, ils se sont repliés sur eux-mêmes, obéissant à des règles de vie strictes et immuables, réunis par leur amour commun de la littérature.  Jusqu’au jour où allant à la bibliothèque, son seul jour de sortie, le jeudi, le narrateur aperçoit sa soeur dans un bus. Sa soeur !  qui ne sort jamais, sa soeur qui a en horreur les bus et non sans raison, nous l’apprendrons plus tard. C’est cet événement qui, même s’il paraît dérisoire au lecteur, va bouleverser la vie du couple. Le récit d’Octave va peu à peu nous entraîner bien loin.

Le style est curieux aussi car il épouse les émotions du narrateur. Il peut être classique et sage puis prendre un rythme rapide, désordonnée comme un coeur qui s’emballe sous le coups d’une peur soudaine. Il devient alors répétitif, un peu incohérent comme si Octave ne se souvenait pas de ce qu’il avait dit, avait de la peine à clarifier ses pensées, perdait le contrôle des faits donc de sa vie. Mais peut-être est-ce vrai ? Faut-il croire comme le pensent Véra et Octave que c’est la maison qui décide pour eux ?

Un bon roman que j’ai lu dans la foulée, sans pouvoir le quitter, et qui témoigne de la part de l’auteur de beaucoup de maîtrise.


mercredi 22 novembre 2017

Julien Gracq : Le rivage des Syrtes (2) le style de Julien Gracq (extraits)


Julien Gracq
Des pages d’une grande force poétique

Il y a dans Le rivage des Syrtes, dans le rendu des paysages, des passages d’une grande beauté et d’une puissance très visuelle qui parle à l’imagination et suscite l’émotion. La poésie de ce texte en prose éclate à chaque page. Par exemple, l’arrivée d’Aldo à la forteresse et cette impression d’entrer dans le monde des Morts, ou bien, entre ombre et lumière, la fameuse salle des cartes qui concentre la curiosité d'Aldo désireux d’en savoir plus sur le Fagersthan et où se glisse silencieusement, semblable à un fantôme, l’altière Vanessa Aldobrandi. Ou encore la description du cimetière militaire du rivage des Syrtes, balayé par le vent, où le souvenir même des morts est absorbé dans « l’anonymat des sables, pour égaliser là le lieu du parfait effacement. »

L'arrivée au rivage des Syrtes 

Dessin de Victor Hugo

 "Terres de sommeil" et "terrain vague" et plus loin  "fantômes de bâtiments", "assoupi"," morte", ces caractéristiques  présentent le rivage des Syrtes comme un pays entre rêve et sommeil, entre vie et mort, et ceci dès que le jeune homme arrive à L'Amirauté. Julien Gracq peint un paysage aux tons uniformément gris ( un oiseau gris, la tour grise, la route grise). Aucune note de couleur mais  le brouillard, la brume, même  la glace ne brille pas "terne" et ressemble à "une peau privée de reflets". Mais ce tableau est parfois animé de mouvements vifs, rapides : jaillissait, tressaillant,  Un coup de vent,  lissèrent, qui, cependant, ne durent pas et retombent dans l'immobilisme. Une description  dans laquelle l'ouïe aussi est sollicitée : cri, Une corne de brume, son frôlement mais les bruits semblent assourdis et vite réprimés : monotone , deux tons calmes, triste... Toutes  les notations sensorielles concourent à donner l'impression d'un no man's land flou et irréel où la vie doit être mise entre parenthèses. C'est dans ce pays, aux limites de la civilisation, que notre jeune héros, Aldo, va devoir vivre.

Nous roulâmes pendant des heures à travers ces terres de sommeil. De temps en temps un oiseau gris jaillissait des joncs en flèche et se perdait très haut dans le ciel, tressaillant comme la balle sur le jet d’eau à la cime même de son cri monotone. Une corne de brume échouée sur un haut fond perçait le brouillard sur deux tons calmes, d’un gros soufflet assoupi. Un coup de vent parfois faisait sur les joncs son frôlement triste, un instant l’eau des lagunes évaporait sa buée sur une glace terne, une peau morte privée de reflets. Quelque chose s’étouffait derrière ce brouillard de terrain vague, comme une bouche sur un oreiller. La piste soudain redevint route, une tour grise sortit du brouillard épaissi, les lagunes vinrent de toutes parts à notre rencontre et lissèrent les berges d’une chaussée à fleur d’eau, quelques fantômes de bâtiments prirent consistance; c’était le but de notre voyage, nous arrivions à l’Amirauté.

La forteresse 


La description de la forteresse vient ensuite corroborer l'impression que donne le paysage dans le texte précédent et introduit l'idée de la mort. La forteresse n'est plus qu'une "épave", "une ruine", impression que viennent renforcer les oxymores ce colosse perclus, cette ruine habitée". 
 Et  si la description de la couleur est toujours la même grise, viennent s'ajouter des détails réalistes et sordides qui ne sont plus liés la Nature mais sont le fait des hommes comme le prouve l'accumulation des objets détériorés, cassés, salis, toute une suite de termes péjoratifs : les décombres, les ferrailles tordues, ces débris de vaisselle, les coulées, les coulures, embourbés. Des hommes ou plutôt de l'absence d'hommes et du manque d'entretien qui en découle car tout dans la description de l'Amirauté met en relief l'absence de vie :  épave abandonnée, une atmosphère de délaissement. L'impression qui domine dans cette visite de la forteresse c'est celle du silence et de la tristesse car contrairement à l'extérieur l'on n'y entend plus aucun son, même pas le pas des sentinelles. Les habitants de ce lieu aussi participent à ce vide par leur absence même de réaction. Nous demeurions silencieux. Ils ont une impression d'accablement mais aussi d'avoir perdu pied, de ne plus être dans le monde réel : le rêve du chagrin, un héritage de songe. 
Ils ont le sens de l'ironie des choses, du contraste vertigineux entre la grandeur de ce qui a été et la déchéance de ce qui est, de l'antithèse entre le passé glorieux de l'Amirauté et le présent dérisoire.


Le silence était celui d’une épave abandonnée; sur les chemins de ronde embourbés, on n’entendait pas même le pas d’une sentinelle; des touffes d’herbe emperlées crevaient çà et là les parapets de lichen gris; aux coulées de décombres qui glissaient aux fossés se mêlaient des ferrailles tordues et des débris de vaisselle.
Une atmosphère de délaissement presque accablante se glissait dans les couloirs vides où le salpêtre mettait de longues coulures. Nous demeurions silencieux, comme roulés dans
le rêve du chagrin de ce colosse perclus, de cette ruine habitée, sur laquelle ce nom, aujourd’hui dérisoire, d’Amirauté, mettait comme l’ironie d’un héritage de songe.

Voir le Rivage des Syrtes billet 1

lundi 20 novembre 2017

Julien Gracq : le rivage des Syrtes (1)




Le héros de Le Rivages de Syrtes de Julien Gracq, Aldo, appartient à une grande famille d’Orsenna, la capitale d’un état en décadence qui vit encore sur son passé glorieux et ses richesses en déliquescence.
 Après une rupture amoureuse, le jeune homme, officier, désire s’éloigner et demande au gouvernement d’Orsenna une mutation pour une autre région. Celui-ci l’envoie comme « observateur », pour ne pas dire espion, dans la province des Syrtes, auprès du capitaine Marino et de ses officiers. Là, dans une forteresse dressée sur le rivage, les hommes surveillent l’approche éventuelle de leurs ennemis. Mais ces derniers, habitants du Fagersthan, pays situé sur la rive opposée, ne viennent jamais et la situation reste immuable de part et d’autre depuis des siècles. Il existe, en effet, un accord tacite entre les deux pays jadis en guerre pour éviter le conflit, celui de respecter les frontières maritimes, et ceci bien que l’armistice n’ait jamais été signée.
La présence du héros dans ce lieu ou rien ne semble pouvoir évoluer, dans ce pays désert, loin de tout, que la sable gagne peu à peu, marquera-t-il la fin de cet immobilisme ? Peut-être et ceci d’autant plus que la belle et noble Vanessa Aldobrandi joue auprès du jeune homme un rôle trouble et mystérieux.

Un pays imaginaire et pourtant reconnaissable

Bien sûr, l’on ne peut s’empêcher de penser à Le désert des Tatares de Dino Buzzati du moins pour la situation initiale mais la ressemblance s'arrête là. 
Si le paysage semble si précis et réaliste, c’est que Julien Gracq est géographe et cartographe et c’est ainsi qu’il cartographie la géographie de son récit en s'inspirant des lieux qu’il connaît bien. 
On le sait aussi amoureux de Stendhal et de l’Italie. Les noms italiens des personnages (Aldo, Fabrizio, Marino, Carlo) et des villes ( Orsenna, Venezano, Maremma ), la description des paysages lagunaires autour de la forteresse des Syrtes, la beauté morbide de Maremma construite sur l’eau évoquent Venise, ses îles et ses environs. De même, la première rencontre de Vanessa dans les jardins à l’italienne d’Orsenna n’est pas sans rappeler le cadre et les héros de La chartreuse de Parme.

Beaucoup d'analystes de ce roman ont cherché tour à tour à cartographier les lieux d'après les descriptions de l'auteur. Et cela donne des résultats intéressants : 


Carte proposée par Philippe Arnaud, du Monde Diplomatique, à partir de l’analyse technique et géographique des indices disséminés dans le roman voir ICI

ou encore

carte réalisée par Yves Lacoste Source : Yves Lacoste, 1987, « Julien Gracq, un écrivain géographe. Le Rivage des Syrtes, un roman géopolitique », Hérodote, n°44 (voir ici)

Pourtant, le paysage est  imaginaire, tout comme ce Fagersthan si éloigné, si peu réactif, que l’on finit par croire qu’il n’existe pas.

Le pays de l’attente, de l’immuabilité et la mort


Dessin de Victor Hugo

Le propre du Le Rivage des Syrtes, c’est de nous plonger dans une atmosphère irréelle, de nous perdre dans une brume qui estompe les formes, enveloppe le paysage comme un suaire, amortit les bruits. C’est le pays du silence, de l’immobilité, de l’attente. Tout concourt à donner l’impression d’un monde qui est entre parenthèses, qui a cessé de vivre vraiment depuis longtemps. D’où le rythme lent du roman où rien ne semble bouger, rien ne semble se passer. 
Quand j’ai essayé de le lire pour la première fois, il y a de cela bien longtemps, j’ai abandonné ma lecture. Je m’ennuyais. Il faut une certaine patience pour lire Gracq, il faut accepter de se laisser engluer, de plonger dans un monde où la frontière entre le réel et l’irréel reste floue, où la vie et la mort semblent se côtoyer. Mais si on se laisse aller, le style de Gracq produit une sorte d’envoûtement, des images naissent, la beauté surgit; puis l’on s’aperçoit que oui, le récit se met en mouvement, d’abord insensiblement et puis inéluctablement. Car l’action d’Aldo est irréversible,  il ne pourra jamais revenir en arrière et rien ne pourra être comme avant.

Il faut voir là, comme dans Un balcon en forêt que je commence à lire, une métaphore de la France, attendant passivement la guerre, incapable d’agir face à la menace pourtant grandissante de l’Allemagne nazie.  Voilà ce qu’écrivait Julien Gracq à propos de Le Rivage de Syrtes dans  En lisant en écrivant :

« Quand l’Histoire bande ses ressorts, comme elle fit, pratiquement sans un moment de répit, de 1929 à 1939, elle dispose sur l’ouïe intérieure de la même agressivité monitrice qu’a sur l’oreille, au bord de la mer, la marée montante dont je distingue si bien la nuit à Sion, du fond de mon lit, et en l’absence de toute notion d’heure, la rumeur spécifique d’alarme, pareille au léger bourdonnement de la fièvre qui s’installe. L’anglais dit qu’elle est alors on the move. C’est cette remise en route de l’Histoire, aussi imperceptible, aussi saisissante dans ses commencements que le premier tressaillement d’une coque qui glisse à la mer, qui m’occupait l’esprit quand j’ai projeté le livre. J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’il est par une longue torpeur imperçue. » 


Le sens de l’histoire

Le sens du récit me semble être dans l’anecdote rapportée par le vieux Carlo juste avant sa mort. Carlo est l’un des propriétaires terriens qui utilisait les soldats de la forteresse pour cultiver les terres, réglant ainsi le problème de leur désoeuvrement et de leur ravitaillement. Il explique à Aldo pourquoi il a refusé de continuer à employer les soldats-paysans, plongeant le capitaine Marino dans l’embarras. 

Ne crois pas que je n’aime pas Marino; c’est mon plus vieil ami. Je vais t’expliquer. Quand j’étais petit, notre vieux serviteur allait se coucher dans le grenier sans lumière. Il était si habitué qu’il marchait dans le noir sans tâter, aussi vite qu’en plein jour. Eh bien ! que veux-tu, à la fin la tentation a été trop forte : il y avait une trappe sur son chemin,  je l’ai ouverte…
Le vieillard sembla réfléchir avec difficulté.
-… je pense que c’est énervant, les gens qui croient trop dur que les choses seront toujours comme elles sont. »
Et il ajoute ensuite :
-… et peut-être que ce n’est pas une bonne chose, que les choses restent toujours comme elles sont. »


Mercredi 22 novembre billet (2) -  Julien Gracq : le rivage des Syrtes  citations



Voir ICI l'article de Philippe Arnaud sur les lieux géographiques du roman

Voir aussi ce point de vue intéressant ICI 

vendredi 17 novembre 2017

Roy Jacobsen : Les invisibles



Les Invisibles de Roy Jacobsen, voilà un magnifique roman comme je les aime, une rencontre entre des personnages issus du peuple humains et courageux et un style poétique mais sobre et retenu, qui magnifie la Nature mais sait en peindre les excès et les rages. Une nature qui abonde en beautés mais se montre avaricieuse de ses dons qu’il faut arracher à une terre aride, battue par les vents, ou à un océan dangereux voire meurtrier. C’est là que vit, au début du XXème siècle, Ingrid, petite fille dont on célèbre le baptême au début du roman, dans une île au nord de la Norvège. Une île si petite qu’elle n’est habitée que par une famille, la sienne. Le roman se termine lorsque Ingrid, devenue l’héritière de son père, reprend la ferme familiale. De l’enfance à la maturité, un roman d’initiation mais quelle initiation ! La fillette dès son plus jeune âge doit apprendre les gestes qui sauvent et qui nourrissent. Car elle sait déjà, malgré ses doutes, que nul ne peut quitter son île :  «Une île, c’est un cosmos en réduction où les étoiles dorment dans l’herbe sous la neige.»!

Les maisons sur Barroy sont placées en diagonale les unes par rapport aux autres. Vues du ciel, elles ressemblent à quatre dés que l’on aurait lancés au hasard, plus une resserre à pommes de terre qui devient un igloo en hiver. On peut marcher sur les dalles qui relient les maisons, il y a des cordes à linge et des chemins qui partent dans toutes les directions, mais en vérité les maisons forment comme une charrue dressée dans l’air afin de ne pas être emportée, même si la mer entière devait s’abattre sur l’île.

La description de la vie quotidienne, des activités, des coutumes, des mentalités, est passionnante. La pauvreté règne, l’argent est gagné à grand peine par le père Hans Barroy qui part à la pêche dans les Lofoten pendant de longs mois. Pendant son absence, le grand père Martin, la mère Maria et la tante d’Ingrid, Babro qui est simple d’esprit, cherchent à tirer leur subsistance des quelques vaches, brebis et légumes et des poissons de la pêche côtière. L'île offre un cadre à la fois âpre, désolé et d'une grande beauté.
Les personnages malgré la dureté de leur vie restent humains et dignes. L’amour qui les lie entre eux est très fort mais pudique et se passe souvent de paroles. Ces personnages si petits sur une île qui l’est tout autant, ce sont les Invisibles mais ils ont une grandeur qui les rends attachants. Un passage m’a paru proche du Victor Hugo des Pauvres gens quand la famille accueille sous son toit deux orphelins, simplement et sans discussion.
Il y a quelques scènes très fortes dans le roman comme celle ou les parents d’Ingrid cherchent à placer Babro comme bonne dans une famille bourgeoise mais la ramène chez eux parce qu’on lui a manqué de respect ; celle aussi où  le père fait sortir sa fille en pleine tempête en l’attachant de peur qu’elle ne soit pas emportée par le vent, parce que « Un ilien n’a pas peur, sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil. »

"Il lui crie qu’elle doit sentir avec son corps que l’île est immuable, même si elle tremble, même si le ciel et la mer sont chambardés, une île ne disparaît jamais, même si elle vacille, elle reste ferme et éternelle, enchaînée dans le globe lui-même."

Un très beau livre, aux éditions Gallimard,  un coup de coeur qu'il faut lire en s'imprégnant du rythme lent et du passage des saisons.



Roy Jacobsen (né le 26 Décembre 1954) est un norvégien romancier et nouvelliste écrivain.
Né à Oslo, il a fait ses débuts en 1982 avec la publication d'un recueil de nouvelles.
Il est lauréat de prestigieux prix et de deux de ses romans ont été mis en nomination par le Conseil nordique pour le prix de littérature






mercredi 15 novembre 2017

Tarjei Vesaas : Nuit de printemps



Quelle merveille- et ses ombelles qui tournoyaient comme des roues et comme des robes entrées dans la danse.



Quel étrange roman que celui de Tarjei Vesaas :  Nuit de printemps  aux éditions Cambourakis en 2015 !  Etrange, car l’écrivain est le maître de l’indicible et laisse à ses lecteurs le soin d’interpréter !

Dans Nuit de printemps, il en est ainsi car le point de vue est celui de Hallstein, un garçon rêveur, encore crédule et sous influence, qui regarde ce qui se passe autour de lui sans le comprendre vraiment. Et comme tous les personnages sont incapables de communiquer, l'adolescent sera pris dans un noeud de sentiments contradictoires et un enchevêtrement de faits inexplicables.

Le récit

Contrairement à certains de ses romans, Tarjei Vesaas raconte une histoire dans Nuit de printemps.  Hallstein et sa soeur bien-aimée Sissel se retrouvent seuls pour deux jours dans la maison, leurs parents étant partis à un enterrement. Sissel, 18 ans, est bien capable de s’occuper de son frère 14 ans et tous deux sont des enfants raisonnables. Oui, mais rien ne va se passer comme prévu.

D’abord Hallstein surprend sa soeur en train d’échanger un baiser avec Tore, un voisin de son âge, puis le repousser et se disputer avec lui. La scène trouble Hallstein; il ne parvient pas à comprendre les sentiments de Sissel. Il perçoit qu'il y a chez la jeune fille une contradiction entre le langage du corps et celui de la parole. Il comprend que c’est la fin de  leur complicité, Sissel entre dans le monde adulte alors que lui n'est encore qu'un enfant. Heureusement, Hallstein à une amie imaginaire que lui seul peut voir, Gudrun et sa franche blonde, qui le réconforte avec son franc parler quand il ne va pas bien !

Et puis survient un évènement qui entraîne le chaos : une voiture tombe en panne devant chez eux. On leur demande l’hospitalité pour Grete, une jeune femme sur le point d’accoucher. Son mari Karl est nerveux, ce qui se comprend, mais aussi violent et agressif. Et qui est cette vieille femme Kristine oubliée dans la voiture? Elle est muette et impotente mais elle parle à Hallstein, et lui fait promettre son aide; et pourquoi le mari de cette dernière se comporte-t-il aussi follement, pourquoi semble-t-il avoir peur ? Enfin, quelle surprise, quel bonheur, au milieu de cette famille impossible, Hallstein découvre Gudrun, sa Gudrun avec sa frange blonde !

 Je ne vous en dis pas plus mais sachez que tout semble déraper, n’avoir aucun sens. Il  n'y a, entre tous ces êtres, aucune possibilité de se parler, de s’écouter et donc de s’entendre. Hallstein est pris dans un tourbillon d’urgence et de folie, balloté de l’un à l’autre. L’amoureux de Sissel, Tore, quant à lui, n’est pas plus raisonnable, il erre toute la nuit dans la forêt.

Une  nuit de printemps

Une nuit de printemps, pas celle de Shakespeare, non, mais celle de Tarjei Vesaas ! Une nuit ou l’amour, la haine, la mort mais aussi avec la naissance du bébé, la vie, sont au rendez-vous !
Une nuit de printemps - et c'est aussi ce qui me fait penser à Shakespeare- où la nature est présente, où elle offre un refuge à ceux qui en ont besoin, où sa beauté lumineuse, en cette saison en Norvège,  est enivrante.

L'incommunicabilité entre les êtres

Ce que j’admire dans Tareji Vesaas, c’est cet art de ne pas dire les choses, de les suggérer, de les faire sentir à travers un geste, un début de phrase qui s’interrompt, un regard, un pli du visage. Il y a quelque chose de douloureux dans cette incommunicabilité entre les êtres.
L'adolescent qui se trouve pris dans cet engrenage a une innocence qui devrait le disposer à souffrir. Mais il a Gudrun, l'incarnation de ses rêves dans la réalité,  et sa propre force qui lui donnent la sensation d’avancer et l’on sent qu’il en sort plus mûr, plus fort. Nul doute que cette nuit de printemps ouvre pour lui une brèche d'où échapper au monde de l'enfance. Elle lui laissera un souvenir indélébile.



 Tarjei Vesaas est né à Vinje dans le Télémark, au sud de la Norvège, en 1897, et mort en 1970, à quelques kilomètres de la ferme familiale. Le chant de la terre, de la vie paysanne, l’exaltation de la vie, l’enfance et sa psychologie, comptent parmi les thèmes majeurs de son œuvre. Le Palais de Glace a reçu en 1963 le grand prix du Conseil Nordique et il est, avec Les Oiseaux, l’un des romans les plus emblématiques de l’art de Vesaas. Avec Nuit de printemps, publié en 1954, Tarjei Vesaas rompt avec cette ambiance romanesque que certains critiques contemporains lui ont souvent reprochée : des récits à la temporalité suspendue et dépourvue d’action. Texte éditions Cambourakis ici


Lecture commune avec Margotte dans le cadre du challenge littéraire nordique



Voir le beau billet, très complet de :  Erik 35 dans Babelio   ici

mardi 14 novembre 2017

Christian Bobin : citation Un bruit de balançoire

Christian Constantin Hansen, peintre damois

J'ai "pioché" cette belle citation dans un billet de Violette, extrait du nouveau Christian Bobin  : Un bruit de balançoire. Je pense que cette description de la lecture parlera à toutes ceux et celles, qui ont aimé la lecture dès leur plus jeune âge et y sont tombés dedans comme dans la potion magique d'Obélix et y sont restés pour la vie !

« Lire quand on est enfant, c’est quitter sa famille et devenir jeune mendiant, tendre la main aux princes de passage. C’est aller en Sibérie, avec loups et cris de neige, si loin que votre mère ne vous retrouvera plus, criant « à table » dans le désert, loin, très loin du petit contemplatif aux yeux brun-vert gelés comme un lac. La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde. »



J'avoue qu'après avoir beaucoup aimé Christain Bobin (son Autoportrait au radiateur !) je m'étais un peu éloignée de lui trouvant son style trop précieux, trop ampoulé, et pour tout dire trop "joli"! Ce billet de Violette me donne envie de le redécouvrir. voir ICI

dimanche 12 novembre 2017

Bruno Heitz
 : Jojo sans peur



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 La dernière fiche d'Apolline réalisée pendant les vacances.
Apolline a 7 ans et demi et est en CE1. Elle sait maintenant bien lire. Les livres qu'elle  présente, parfois c'est maman qui les lit, selon leur difficulté, parfois ils sont découverts à deux voix et puis elle les relit tout seule.





Titre du livre :
 Jojo sans peur

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Illustration : Bruno Heitz


Auteur du livre : Bruno Heitz

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Edition Circonflexe
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Résumé de la quatrième de couverture 



Jojo n'avait peur de rien et le regrettait : « La peur donne des ailes... quelle chance ont les trouillards »




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J’ai trouvé l’histoire : 

Passionnante, amusante et qui fait peur !!!


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Mon passage préféré est  : en fait j'en ai plein
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"Quand Jojo arriva le soir, ces deux guignols ne l'effrayèrent point "
J'aime ce passage parce que il y a le mot de "guignols" et c'est un mot rigolo.



Mon autre passage préféré, c'est quand les parents enlèvent leurs déguisements et l'auteur a dit : "Dracula se dédraculassa et la sorcière se désorciérisa".
C'est très dur à dire mais en même temps ça me fait hurler de rire.




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J’ai aimé l’illustration : A la folie

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J'ai aimé histoire :

  A la folie

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J'ai demandé à maman de le lire trois fois d'affilée parce qu'en fait c'était rigolo parce que le petit n'a peur de rien, et qu'il dit : c'est bien d'être trouillard parce que la peur donne des ailes. J'ai appris des mots amusants : pistoche, pétoche, guignols, des expressions rigolotes : la peur donne des ailes, il gardait son sang froid, jojo n'avait pas froid aux yeux.

 L'auteur a fait plein de livres que j'aimerais lire : Jojo pas le temps / Jojo pas de bol, Jojo la magie : en fait tous.



L'avis de la grand-mère :

Quand on aime un livre "à la folie", ce peut être dangereux! Heureusement, Apolline et sa maman ont trouvé tous les livres de Jojo à la médiathèque mais il a fallu les réserver car les enfants se les arrachent!

C'est une lecture facile avec des images accompagnées d'un texte court. A mon avis il peut être lu dès le CP quand les enfants commencent à se débrouiller en lecture.

Si vous me demandez ce que je pense ? Je répondrai : Euh !...
 De prime à bord je ne vois pas comment expliquer cet engouement.  Mais si je me penche sur les raisons que me donne ma petite-fille pour a-do-rer Jojo je finis par comprendre.

Apolline est sensible au côté humoristique du livre : comique de mots, une  piscine devient une "pistoche" , la sorcière se "désorciérise" et puis on y rencontre  des mots familiers qu'elle ne trouve pas toujours dans les  autres livres et qui lui donnent un sentiment de transgression : La "pétoche" au lieu de la peur, avouez que c'est osé ! Des quiproquos aussi car Jojo quand on lui dit que la peur donne des ailes prend l'expression au pied de la lettre et croit que les "trouillards" (encore un mot osé ) peuvent voler comme des oiseaux.
Et puis Apolline s'intéresse au langage et elle a aimé apprendre toutes les expressions imagées sur la peur : "n'avoir pas froid aux yeux", "garder son sang froid". etc... Enfin, un petit garçon qui n'a jamais peur alors que soi-même on a toujours peur, cela en impose !

Voilà, vous avez compris qu'il y a en a des raisons pour aimer Jojo sans peur quand on a 7 ans !


Encore une expression imagée!



dimanche 5 novembre 2017

Anna Milbourne et Louie Stowell : Les mythes grecs



Logo d'Apolline
Avec les vacances, voici le retour d'Apolline et de ses fiches de lecture. Apolline a 7 ans et demi et est en CE1. Elle sait maintenant bien lire. Mais renoncer aux moments de complicité de la lecture du soir, dans le lit douillet, avec sa maman ? Jamais ! Alors les livres qu'elle vous présente, parfois c'est maman qui les lit, parfois ils sont découverts à deux voix et puis elle les relit tout seule.






Titre du livre : Les mythes grecs

Editions Usborne

Auteurs (adaptation des contes) : Anna Milbourne et Louie Stowell

Illustrations : Simona Bursi Elena Temporin Petra Brown



Résumé de la quatrième de couverture :


Les mythes grecs est un ouvrage superbement illustré, à lire en famille. Partagez ensemble la vie des héros, des héroïnes , des divinités toutes puissantes et des monstres effrayants de cette époque. Un chapitre est par ailleurs consacré aux personnages de la mythologie grecque et au monde de l'antiquité.


 Résumé par Appoline :


Je vais vous raconter un mythe qui s'appelle :


 Echo et Narcisse.


Echo, c’est une fille qui bavarde beaucoup et Héra la déesse la punit, et elle ne pourra plus que répéter la parole des autres comme un écho. Elle rencontre Narcisse et elle en tombe amoureuse. Et Narcisse ne veut pas d'elle car il tombe amoureux de lui-même. De tristesse, Echo disparaît et il ne reste que son écho. Et Narcisse devient la fleur.

 J’ai trouvé l’histoire mélancolique avec beaucoup d'émotion.


Mon passage préféré est  : 


 


C'est quand Narcisse se regarde dans l'eau en pensant qu'il est le plus beau. Et il se fait un bisou.


J’ai aimé l’histoire : 

A la folie


J’ai aimé l’illustration :

  A la folie

Ce que j’ai aimé dans l’histoire / 

le sens de l’histoire



Echo

J'ai aimé ce conte parce que c'est poétique quand Echo disparaît et devient une voix... Ça me fait penser à Grizac en Lozère quand on crie dans la montagne, on entend l'écho de notre voix, on s'arrête de parler et on entend...  Près de l'eau il y a toujours un peu de narcisses.

Narcisse a la tête « comme une citrouille » car il se trouve trop beau. Je ne connaissais pas le mot narcissique et maintenant je le connais. Et j'aime pas les gens narcissiques qui ont la grosse tête.

 L'avis de la grand -mère : 

 Apolline a deux livres sur les mythes grecs parus aux Editions Usborne en direction des enfants.



L'un intitulé : mythes grecs pour les petits adaptation de Heather Amery, illustrations de Linda Edward est de petite taille : 18 sur 14 cm et il a 128 pages. Il s'adresse aux enfants à partir de 3 ans bien que je le trouve un peu difficile et pas assez illustré pour cet âge (mais les illustrations sont jolies). Il présente les mythes en deux ou trois pages et a le mérite d'inciter les jeunes lecteurs à aller de l'avant. C'est ce qui s'est passé avec Apolline, elle a aimé les récits et a voulu en savoir plus. D'où le livre suivant :


 
Les mythes grecs de Anna Milbourne et Louie Stowell est un très beau livre de grande taille  (21 sur 28)  et épais (300 pages) qui peut être une belle idée de cadeau pour Noël. Bien qu'il soit noté  pour les 3-5 ans, lui aussi, je peux vous assurer qu'il s'adresse aussi et peut être surtout à des petits lecteurs plus âgés. 






 Apolline l'a adoré, moi aussi, et il peut accompagner les enfants pendant de nombreuses années, et même en classe de sixième, lu d'abord par les parents, puis par ceux qui ont un bon niveau de lecture. 
Chaque mythe est agréablement illustré et raconté simplement et d'une manière vivante. A la fin du livre se trouvent un glossaire pour expliquer les mots difficiles, des cartes pour suivre les aventures et une présentation complète des différents dieux et déesses, des créatures mythiques, des esprits des bois et de la nature, des héros  de la guerre de Troie, des Argonautes...  et une équivalence des noms grecs et des noms romains.















Il y a encore d'autres livre sur les mythes grecs chez Usborne mais je ne les connais pas.


vendredi 3 novembre 2017

Anaïs Vaugelade : Le déjeuner de la petite ogresse



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Avec les vacances, voici le retour d'Apolline et de ses fiches de lecture. Apolline a 7 ans et demi et est en CE1. Elle sait maintenant bien lire. Mais renoncer aux moments de complicité de la lecture du soir, dans le lit douillet, avec sa maman ? Jamais ! Alors les livres qu'elle vous présente, parfois c'est maman qui les lit, parfois ils sont découverts à deux voix et puis elle les relit tout seule.



Titre du livre :

Le déjeuner de la petite ogresse
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Auteur du livre :

Anaïs Vaugelade

Illustrateur :

 Anaïs Vaugelade
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Edition : L’école des loisirs

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Résumé par Apolline

C’est une petite ogresse qui veut chasser des enfants pour les manger. Elle attire un petit garçon avec un gâteau dans la cage. Mais le petit garçon n’a pas peur et après ils deviennent amis étant petits et plus grands ils deviennent amoureux et ont 12 enfants.



La phrase que j’ai préférée : « Dépêchons-nous, les petits, il est bientôt temps d’aller goûter » parce que la maman ogresse  dit à ses douze enfants mi-ogres-mi humains d’aller manger et on ne sait pas ce qu’ils vont manger, ils vont peut-être manger des enfants ?




J’ai trouvé l’histoire :  Intéressante, inventive, imaginaire

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Mon passage préféré est  : 

Quand les deux enfants, la petite ogresse et le petit garçon font de la vinaigrette et fabriquent des échelles, parce que c’est drôle et qu’ils en mettent partout et ça me rappelle maman quand elle remue la pâte du gâteau.

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J’ai aimé l’histoire : Passionnément

J’ai aimé l’illustration : beaucoup




Ce que j’ai aimé dans l’histoire

 Le déjeuner de la petite ogresse m’a beaucoup plu parce c’est très drôle, parce que le petit garçon est très courageux et que la petite ogresse ne fait pas de chichis, parce qu’au début elle paraît un peu méchante quand elle attrape des enfants mais en réalité elle n’est pas méchante. C’est une histoire d’amitié et d’amour et ça finit comme un conte de fée.
La petite ogresse ressemble à un vampire parce qu’elle a des dents très pointues. Les enfants de l’ogresse et du garçon ressemblent soit à leur papa soit à leur maman.

Les enfants,  je vous le conseille !!!!!!!


Avis de la grand-mère :

Le déjeuner de la petite ogresse conte une belle histoire d'amour, joliment illustrée par l'auteure, Anaïs Vaugelade. Le ton est plein de fantaisie et d'humour et Apolline a beaucoup aimé ce petit garçon enfermé dans sa cage (Hansel et Gretel) qui en sort pour faire le ménage et construire des échelles (un don particulier ! ). Ce détournement du conte est très amusant. Il amène aussi à une belle réflexion, c'est que l'amour est assez fort pour changer le mal en bien. La petite ogresse devenue une jeune femme aimée promet de ne plus manger d'enfants.

OUI ! Mais qu'en est-il de sa progéniture ? Soyez attentifs à l'image et vous aurez une réponse sur les lois de l'hérédité !

Le conte s'adresse aux enfants dès l'âge de 4/5 ans. C'est une belle lecture pour les lecteurs débutants de 6/7 ans. Apolline a trouvé la lecture facile et elle s'est bien amusée.


jeudi 2 novembre 2017

Jean Hegland : Dans la forêt


Je suis vouée aux dystopies en ce moment ou aux romans post-apocalyptique si vous préférez. Quelle que soit leur appellation, c’est une rencontre  dont je ne saurais me plaindre car les livres que j’ai lus sont des réussites : Voir  Les buveurs de lumière de Jenni Fagan et Monde sans oiseaux de Karin Serres

C’est le cas de Dans la Forêt de Jean Hegland paru aux éditions Gallmeister qui, outre une dystopie, est aussi un livre de « nature writing ».

  Eva et Nell, sa soeur aînée, se retrouvent seules dans leur maison isolée, en pleine campagne, à l’orée de la forêt, après la mort de leurs parents et une catastrophe planétaire. La situation est  terrible :  plus d’électricité, plus d’approvisionnement, les gens meurent de faim, des épidémies se propagent, les villes se vident faute d’habitants, la pénurie d’essence empêche les déplacements, plus de téléphone, d’internet, de radios, de télévision; toutes les communications avec l’extérieur sont impossibles.  Les causes de la catastrophe sont assez floues, mais l’on sait que le monde est en guerre. Les deux jeunes filles vont devoir apprendre à survivre, d’abord avec l’illusion que tout va redevenir comme Avant, puis en sachant que la situation n’est pas réversible.

Le récit alterne entre plusieurs moments du passé, de leur enfance un peu marginale, avec des parents qui les font vivre dans la nature, à l’écart de la civilisation à laquelle elles aspirent, en rébellion contre ce genre de vie :  Eva est danseuse, Nell veut entrer à Harvard … au présent où il faut trouver le courage de continuer en abandonnant toute illusion. Le danger est partout, la mort, la famine, la maladie, le découragement, l’envie de suicide, l’ours qui rôde dans la forêt; mais de tous, le plus dangereux, c’est l’Homme. Rescapé de l'ancienne civilisation, il abuse de son pouvoir et symbolise le Mal.
Jean Hegland peint avec beaucoup de lucidité les rapports entre les deux soeurs, les alternances amour-répulsion, la désespérance, la peur. Les jeunes filles sont très dissemblables de caractère, de goût et il ne faut pas oublier qu’elles sont très jeunes et vulnérables : Dix sept, dix huit ans.

Séquoïa géant Yosemite Park source
La partie tournée vers le passé est intéressante mais c’est lorsque les personnages doivent affronter la réalité, après la catastrophe, que la lecture se révèle particulièrement passionnante. La nature devient alors mère nourricière, source de vie  et c’est avec exaltation que Nell et, par la suite Eva, découvre toutes ces richesses qu’elles ne soupçonnaient pas jusqu’alors.
Je reste très sceptique sur le dénouement proposé par l’auteure pour qui la survie ne viendrait que du retour à la vie primitive mais j’ai toujours aimé, depuis Robinson Crusoé, ces « robinsonnades », qui montrent l’humain capable de tirer sa subsistance de la terre, de la forêt, de l’eau et de son intelligence. Un retour à la nature assez exaltant, que proposaient aussi les romans de Giono. Le mythe du bon sauvage à la Rousseau est aussi revisité à travers les lectures de Nell qui découvre le destin de deux femmes amérindiennes chassées par les blancs et qui ont réussi à survivre dans la forêt.

Séquoïa tombé
 L’écrivaine parvient à donner une puissance poétique à cette thèse à travers la description du tronc creux du séquoia géant tombé à terre, véritable caverne des origines où vont se réfugier les personnages comme dans un utérus maternel. C’est évidemment un symbole fort de cet abandon de la civilisation et du retour à l’essentiel.
C’est très beau et j'en aime le symbolisme et la poésie !
Ceci dit dans un monde réel, je ne parie pas deux sous sur la survie de deux femmes et d’un bébé dans une souche d’arbre pendant un hiver entier ! Je comprends très bien la dénonciation de la technologie abrutissante qui nous envahit, nous rend dépendants, nous éloigne de l’essentiel. Pour le reste, la négation du progrès n’a jamais été mon fort ! Celui-ci n’est en lui-même ni bon, ni mauvais, c’est l’usage qu’en font les humains qui le déterminent.  Et Voilà ! retour à la case départ : Rabelais.

Il n'empêche que ce livre est bon, bien écrit, à la fois poétique et addictif  et que j'ai beaucoup aimé sa lecture.

Et je découvre dans Le Monde une critique de Dans la forêt illustrée par une photographie de Aurélia Frey ICI


Voir Aifelle ICI  ; Dominique ICI

mardi 31 octobre 2017

Julien Gracq : Proust, Nerval, Rimbaud ... Les eaux étroites

Gérard Bertrand : voir son très bel Hommage à Julien Gracq ICI

Les eaux étroites Julien Gracq, "court roman de la rêverie associative", "récit à base de mémoire", selon son auteur, publié en octobre 1976,  invite le lecteur à une promenade en barque sur L’Evre, un affluent de la Loire, petite rivière aux berges plantées de roseaux, promenade qu’il faisait souvent dans son enfance. Il s’agit donc aussi d’un voyage dans le temps, dans ses souvenirs, une sorte de recherche du temps perdu différente pourtant de celle de Marcel Proust. C'est un des aspects de l'oeuvre, et non le seul, qui m'a intéressée.

Julien Gracq et la résurrection du passé

Claude Levêque :  J'ai rêvé d'un autre monde ... 


Pour Julien Gracq la remontée du souvenir ne procède pas, selon ses termes, du "quiétisme de l'illumination proustienne" "lié à la résurrection d'un fragment aboli du passé par l'intermédiaire d'une retrouvaille d'objet.".

Pour lui, au contraire, "... les images chères et longtemps obscurcies -  toutes les images - s’enflamment et vont se rallumant de l’une à l’autre; un tracé pyrotechnique zigzague au travers d’un monde assoupi et le sillonne en éclair en suivant les clivages secrets qui année par année - d’une expérience, d’une lecture d’une rencontre essentielle à une autre - l’ont marqué pour toujours à mon chiffre personnel. "

Au cours de cette promenade, le lecteur rencontre de nombreux exemples de ce processus de la mémoire chez Julien Gracq qui libère le souvenir  par un glissement d’une image à l’autre, une "fugue allègre et enfiévrée"  liée à la  poésie, la peinture, la musique, à tout ce qui est la marque de son univers intérieur et compose les strates de sa mémoire. 

Vermeer : Jeune fille au Virginal

J’ai choisi, parce que l’on s'y trouve en très bonne compagnie avec Nerval, Vermeer et Rimbaud, ce passage où  Julien Gracq, passant devant le manoir de la Guérinière situé au bord de l’Evre, ne peut s’empêcher de redire à mi-voix les vers de Gérard de Nerval; ce petit château qui n'a rien d'exceptionnel se trouvant anobli par le souvenir poétique.



Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;




"Ils (ces vers) sont de la veine mineure, celle des odelettes, où rien encore ne fait pressentir les miraculeux sonnets orphiques de la fin, mais leur charme sur moi est puissant; leur son grêle et frileux est celui des instruments à clavier très anciens : l’épinette, le virginal élisabéthain surtout, qui ensorcelle un des plus mystérieux tableaux de Vermeer, tout vibrant encore, on dirait, de la sonorité liquide d’une touche que le doigt suspendu vient de quitter. A leur appel, une faible vapeur, claire et pourtant nocturne, monte de la rivière et vient flotter sur la prairie, ainsi que dans la scène de Sylvie ou chante Adrienne, et voici qu’un poème de Rimbaud, sans effort, enchaîne ici dans ma mémoire et vient prendre le relais de cette magie blanche, champêtre et toute naïve : «  la main d’un maître anime le clavecin des prés; on joue aux cartes au fond de l’étang, miroir évocateur des reines et des mignonnes; on a les saintes, les voiles, les fils d’harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant »

August Malmström : peintre suédois La ronde des fées
"Mon esprit est ainsi fait qu’il est sans résistance devant ces agrégats de rencontre, ces précipités adhésifs que le choc d’une image préférée condense autour d’elle anarchiquement ; bizarres stéréotypes poétiques qui coagulent dans notre imagination, autour d’une vision d’enfance, pêle-mêle des fragments de poésie, de peinture ou de musique. De telles constellations fixes (les liens emblématiques qui se nouèrent dès les commencements des anciennes familles entre le nom, les armes, les couleurs et la devise ne seraient pas sans jeter un jour sur leur origine), si arbitraires qu’elles paraissent d’abord, jouent pour l’imagination le rôle de transformateurs d’énergie poétique singuliers : c’est à travers les connexions qui se nouent en elles que l’émotion née d’un spectacle naturel peut se brancher avec liberté sur le réseau — plastique, poétique ou musical — où elle trouvera à voyager le plus loin, avec la moindre perte d’énergie."

Signature de Julien Gracq