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samedi 9 juin 2018

Jean-Marie de Roblès : Là où les tigres sont chez eux (1)



Le roman de Jean-Marie Roblès Là où les tigres sont chez eux attendait patiemment dans ma PAL depuis de nombreuses années lorsque Ingammic  me l’a proposé pour une lecture commune.
Nous avons décidé toutes deux de mener cette LC un peu différemment par rapport à l’habitude. Nous allons consacrer chaque samedi du mois de Juin à un billet donnant nos impressions sur ce livre sous la forme d’un lettre envoyée à l’autre. Nous avons divisé arbitrairement le livre en quatre parties.

La première partie du chapitre I au Chapitre VII.
Alcaranta (source)

J’ai donc commencé ce roman fleuve dont l’action se passe au Brésil et dans biens d’autres lieux, un roman dense et labyrinthique comme la forêt amazonienne où l’écrivain nous entraîne (entre autres ! ), un roman aux multiples entrées, ce qui fait que je ne sais pas encore au moment où j’écris ces lignes sous quel angle l’aborder ! Les personnages sont si nombreux et les récits qui se croisent ne le sont pas moins. Car imbriquées les unes dans les autres, les histoires se déroulent d’un chapitre à l’autre en s’interrompant pour laisser place à une autre. En fait, il me semble lire plusieurs romans en même temps.
Le procédé n’est pas nouveau, certes, mais ce livre plein de ramifications, est malgré tout assez étonnant tant il aborde des thèmes différents et se collette à des genres littéraires divers, du roman d’aventure, à l’essai biographique, au roman historique, au roman social et politique..

 Au moment même où j’écris que je ne sais pas comment aborder ce livre, il m’apparaît que c’est finalement assez aisé si l’on suit les deux personnages conducteurs du récit liés si indissolublement l’un à l’autre qu’ils forment à eux deux le fil d’Ariane du roman.

Athanase Kircher, jésuite allemand, érudit, esprit encyclopédique affamé de savoir, curieux de tout, linguiste et scientifique, savant, inventeur de nombreux instruments, ayant vécu au XVII siècle est le sujet d’une biographie que Eleazard Von Wagau, correspondant franco-allemand au Brésil, installé dans l’ancienne ville coloniale d’Alcantara, doit annoter. A partir d’eux, directement ou indirectement, de près ou de loin, gravitent tous les autres personnages.

Je ne connaissais pas Athanase Kircher. C’est à lui que je consacrerai ce billet parce que le personnage et ses rapports avec Eleazard chargé de lire et d’analyser le personnage me passionnent et m’intriguent.
La curiosité de Kircher, sa mémoire hors du commun, sa culture encyclopédique sont admirables mais le personnage est complexe et plein de contradictions. On pense souvent à Vinci  en lisant ce passionnant récit qui nous amène d’Allemagne pendant la guerre de trente ans où Kircher fuit les persécutions menées contre les jésuites par les protestants en France  jusqu’en Italie, Rome, la Sicile. Il est accompagné dans son périple par son jeune disciple, Kaspar Schott, qui est aussi l’auteur, admiratif et médusé, de la biographie de son maître vénéré. 
Et c'est vrai que Kircher est fascinant, j'aime sa curiosité, même si ses recherches scientifiques  aboutissent très souvent à l’erreur.
Pour donner un exemple, son amour de la science le pousse à escalader l’Etna en éruption afin de s’approcher le plus près possible du cratère. Le savant ne recule devant rien pour étudier l’éruption en cours et ceci au milieu de roches en fusion et des coulées de lave. Le récit est à la fois grandiose et comique vu et raconté par le disciple qui, on le comprend, éprouve une peur bleue et décrit son maître à moitié rôti, inconscient du danger, tout à son étude !  Mais alors que Kircher fonde ainsi une science nouvelle, la volcanologie, il se trompe grossièrement en  concluant devant toutes sortes de bêtes fuyant le volcan, que « certains animaux naissent du feu lui-même, comme les mouches s’engendrent du fumier et les vers de la putréfaction. »

Cette propension à se tromper expliquerait-elle l’animosité que lui témoigne Eléazard ? Celui-ci s'interroge lui-même, troublé par les sentiments qu’il éprouve, ce mélange de fascination, répulsion :
« A mieux considérer les choses, il avait, en effet, du ressentiment dans sa façon de dénigrer le jésuite en permanence. Quelque chose comme la réaction haineuse d’un amant bafoué ou celle d’un disciple incapable d’assumer la stature de son maître. »
 Peut-être est-il déçu par ces erreurs monumentales qui pourtant accompagnent  des observations justes et des intuitions de génie ?
Ce serait injuste car la conquête du savoir se fait par étapes, et si Kircher a permis d’aller plus loin, il a donc oeuvré pour l’humanité même s’il n’a pas abouti à la vérité. De très grands savants se sont trompés avant lui.  Ou peut-être lui en veut-il de gaspiller son savoir pour servir les fêtes des grands, et se poser, en illusionniste, en magicien en utilisant les instruments de son invention. Il est d’ailleurs assez génial comme metteur en scène !
On a déjà, il me semble, à ce stade du roman,  un embryon de réponse :  quand Kircher arrive à Rome au moment ou Galilée est condamné. Loin de partager la colère de Peiresc, grand savant,  astronome, contre les inquisiteurs et leur obscurantisme, il défend ses frères jésuites et adopte une façon de penser qui ne lui créera pas d'ennui même s'il avoue par ailleurs qu'il tient pour vrai l'avis de Galilée et de Copernic. Lâcheté ? Eléazard va plus loin.  Il parle même d'escroquerie à son propos.
 Il faut dire qu'il a consacré 15 ans de sa vie à Kircher pour une thèse qu'il a fini par abandonner. Pourquoi ? On comprend alors qu'il puisse éprouver un sentiment d'échec cuisant. Il faut dire aussi que c'est un homme revenu de tout,  d'un pessimisme absolu.
Pourtant et c'est pourquoi il est attachant, il est capable d'amour envers sa femme Elaine qui le quitte, envers sa fille Moema, qui fait des études -si l'on peut dire-  à Fortaleza et abuse de sa gentillesse. Il a du respect et de l'indulgence pour Soledade, sa femme de ménage brésilienne, et s'il constate que Loredana, la belle italienne dont il fait connaissance dans le restaurant d'Alfredo, a un un "cul très intelligent", il ne lui saute pas dessus !

Voilà, je trouve ces deux personnages passionnants et à la fin du cette première partie, déjà très riches et complexes. Un autre personnage me plaît beaucoup, c'est Elaine qui part à la recherche de fossiles dans le Matto Grosso avec une équipe de chercheurs.  Mais son personnage demande à être étoffé. Je me pose aussi beaucoup de questions sur Loradana. Que fait-elle dans cette ville hors du monde ? Quel secret porte-t-elle ? Et puis il y aussi Nelson, un handicapé qui vit dans la favela de Pirambu à Fortaleza. Il s'est promis de venger son père mort dans une aciérie qui appartient au colonel José Moreira de la Roche , un personnage que nous découvrons odieux dès qu'il apparaît.

Enfin, autre personnage et non des moindres, le Brésil.  Jean Marie Blas de Roblès nous le fait voir - et c'est envoûtant- dès les premières pages à travers la description d'Alcantara, une ancienne ville baroque abandonnée, à moitié en ruines. Mais il ne s'agit pas d'une visite touristique ! Dès cette première partie, nous sommes confrontés à l'affreuse disparité qui règne entre les puissants corrompus à la fortune colossale, aux propriétés immenses (la fazenda du colonel Moreira à Sao Luis)  et la misère du peuple brésilien qui lutte pour la survie.

Je conclus ce billet par ce texte sur Alcaranta

Eléazard laissa errer son regard à travers la grande fenêtre qui lui faisait face. Elle s'ouvrait directement sur le jungle, ou plus exactement sur la mata, cette luxuriance de grands arbres, de lianes torses et de feuillages qui avait repris possession de la ville sans que nul n'y trouve à redire. Cette ancienne ville baroque, le fleuron de l'architecture du XVIII siècle, tombait en ruine. Abandonnée par l'histoire depuis la chute du marquis de Plombal, phagocytée par la forêt, les insectes et l'humidité, elle n'était plus habitée que par une infime population de pêcheurs, trop pauvres pour vivre ailleurs, que dans des cabanes de tôles, d'argile et de bidons, ou des taudis à moitié écroulés.


LC  avec Ingammic ICI

jeudi 31 mai 2018

Marie Redonnet : Héritières


Héritières de Marie Redonnet  ( Le Tripode. J’adore cette édition) regroupe trois livres parus dans les années 80  qui forment une trilogie. J’ai envie de dire un triptyque en référence aux images féminines qui naissent sous la plume de l’auteure, trois portraits de femmes qui ne sont liées ni par l’unité du lieu ou de l’époque, ni par la parenté ou l’amitié, elles ne se connaissent pas, mais sont réunies par une cohérence interne, inhérente au manque de sens de leur vie.
Ada, la propriétaire de Splendid hôtel, l’héroïne sans nom de Forever Valley et Mélie qui n’a pour nom de famille qu’un numéro dans Rose Mélie Rose  sont les trois personnages que nous allons suivre d’un livre à l’autre. La première a une famille, ses deux  soeurs,  mais c’est pour mieux ressentir combien elles lui sont étrangères; les deux autres ont été abandonnées à la naissance et élevées par une tierce personne. 
Et ces femmes sans identité vont avoir à lutter contre un environnement qui se délite, un monde qui disparaît et semble se dissoudre sous leurs pieds. Splendid Hôtel s’enfonce dans le marais à côté duquel il a été construit, Forever Valley sera englouti sous l’eau d’un barrage et l’île de Mélie est peu à peu désertée par les habitants qui partent sur le continent.
Pour ces trois femmes, et deux d’entre elles sont de très jeunes filles, qui tentent de survivre, la lutte est inégale. Elles sont la proie sexuelle de ceux qui profitent de leur simplicité et les victimes de ceux qui abusent de leur travail sans rien leur donner en échange. Et quand elles rencontrent l’amour, la mort est là, la Mort omniprésente, d’ailleurs, qui rôde autour d’elles. Malgré l’absurdité d’un monde qui paraît ne plus avoir de sens, elles s’obstinent à accomplir ce que l’on attend d’elles.. Il n’y a aucune révolte de leur part.

Vous allez dire que ces récits sont bien sombres et c’est vrai ! Mais ces personnage sont tellement attachants que l’on aime jusqu’à leur tristesse.
Le style de Marie Redonnet m’a surprise, au début, ces petites phrases courtes et sèches, cette économie de mots, cette sobriété et puis toutes ces répétitions... On comprend vite qu'elles reflètent les obsessions et les peurs des trois héroïnes qui racontent leur histoire à la première personne. Mais peu à peu le rythme de la phrase agit comme une antienne, lancinante et en même temps engourdissante,  de sorte que l'on ne peut plus se libérer. J'ai lu les trois livres en une nuit. Impossible de décrocher. Dans les trois récits, l’eau sournoise, inquiétante, l’eau qui sape et qui noie envahit la conscience. On se sent englué dans ces paysages, prisonnier de ces lieux en déliquescence, enfermé dans l’échec et le manque de sens de ces vies sacrifiées.
Triste, violent, absurde, l’univers des trois romans de Marie Redonnet, oui, mais envoûtants ces paysages de brouillards et de lagunes, de ruines et de tombes abandonnées, émouvantes ces fragiles silhouettes de femmes obstinées ! Une belle lecture et qui ne peut laisser indifférent !

mardi 29 mai 2018

Sophie Noël : Le projet Ours blanc


Le projet Ours blanc de Sophie Noël illustré par Anbleizdu est un roman d’une centaine de pages, à lire à partir de 9 ans. Je découvre avec ce livre cette petite maison d’édition si joliment nommée Vert Pomme qui s’adresse à la jeunesse. Basée en Normandie, elle propose aux enfants des thèmes liés à la nature et au développement durable. Des livres écolos, donc, BD, romans, pour les tout-petits de maternelle mais aussi pour les plus grands du primaire. Les livres sont suivis de petits dossiers très bien faits sur le thème abordé.



Dans Le projet Ours blanc, le récit aborde le réchauffement climatique responsable des maux dont souffrent la planète mais pas seulement puisqu’il participe à l’extinction des espèces animales et, en Arctique, de l’Ours polaire.



Le personnage principal de l’histoire est une petite fille Suzanne qui vit dans la baie d’Hudson, près du cercle polaire. Elle a deux amis, un petit garçon Sam et Vieux Jo, le conteur Inuit, magicien ou chaman qui connaît bien toutes les légendes du Nord et a gardé un contact étroit avec la nature et les animaux, un respect et un amour que les hommes ont oubliés depuis longtemps. Suzanne et Sam s’aperçoivent un jour que les ours affamés ont envahi leur ville au lieu de la traverser comme d’habitude pour se rendre à leur terrain de chasse, la banquise. La cause en est imputable au réchauffement qui empêche la glace de se former. Suzanne remarque alors une ourse blanche aux yeux verts, Wayuk, qui semble vouloir l’approcher et la désigner pour une mission particulière.  Qui est cette ourse extraordinaire ? Que demande-t-elle à la petite fille et à Sam ? Et quel est le projet scientifique mené par les parents des enfants?



Le thème écologique est bien mis à la portée des jeunes lecteurs car ils peuvent le découvrir à travers les aventures des enfants de leur âge. L’auteure part de la réalité concernant les dangers encourus par notre planète et les ours blancs en voie d’extinction puis elle emprunte à la magie et la poésie avec cette ourse blanche si belle née de l’aurore boréale, enfin elle finit sur une note optimiste. Elle fait appel aussi à la science-fiction mais comme il nous est dit dans le dossier qui suit le roman : de la science-fiction ? Plus pour très longtemps !
La première de couverture et les illustrations en noir et blanc  sont très agréables. Un bon roman pour la jeunesse qui traite d’un sujet sérieux tout en ménageant l’aventure et la magie.


Merci à Masse critique et aux éditions Vert Pomme 


samedi 26 mai 2018

Rudyard Kipling : La lumière qui s'éteint


L'auteur des mois d'Avril-Mai dans le blog Lecture-Ecriture était Rudyard Kipling. j'ai voulu choisir un roman que je n'avais pas lu et j'ai trouvé dans ebooks libre et gratuit celui-ci, dont je ne connaissais même pas le titre; Alors adjugé !

La lumière qui s’éteint publié en 1890 est le premier roman de Rudyard Kipling après la parution de plusieurs recueils de nouvelles.

William Barnes Wollen : Soudan  bataille d'Ondurman (1898)
Le personnage principal, Dick Heldar, est peintre tout comme son amie Maisie, mais l’un à du talent, l’autre n’en a pas. Dans leur enfance, tous les deux ont été pensionnaires de l’horrible madame Jenkins et l'amour de Dick pour Maisie lui permettait de supporter les brimades. Lorsqu’il la retrouve à Londres en revenant du Soudan où il a participé comme peintre à la guerre des Mahdistes contre les forces anglo-égytiennes, il lui avoue son amour auquel elle ne répond pas. Par contre, elle cherche à exploiter le talent du jeune homme et à obtenir des conseils, son ambition étant de réussir et  son but d'être exposée. Quand elle part en France étudier chez un professeur français, Dick, amoureux transi, l’attend. Mais il devient aveugle à cause d’une blessure reçue sur le champ de bataille. Il ne peut y avoir pire catastrophe pour un peintre ! Comment le jeune homme pourra-t-il survivre à une telle catastrophe et que va faire Maisie ? 

Kipling a mis beaucoup de lui-même dans cet écrit. Comme son personnage Dick Heldar, il a été envoyé en pension en Angleterre (il est né en Inde) où il a vécu une enfance malheureuse; comme Torpenhow, l’ami de Dick, il est journaliste et comme eux il a une idée de la grandeur de son pays qui passe par la guerre de conquête, le colonialisme. C’est un des aspects de l’oeuvre que ne m’a pas plu même si je ne pouvais m'attendre, je le reconnais, à autre chose de la part de Kipling. Comment s’intéresser à ces jeunes gens qui ne rêvent que bataille, expansionisme, que l’odeur de la poudre fait rêver…Comment supporter Dick, en particulier, qui affiche avec insolence sa prétention à la supériorité personnelle, de classe et de "race" ? De plus, ils (ou plutôt Kipling) sont misogynes, en particulier envers les femmes de classe inférieure mais pas seulement. Tous les personnages féminins ou presque ont le mauvais rôle dans ce roman, à part, peut-être la peintre, "l’impressionniste", nommée aussi cavalièrement "Cheveux rouges", à qui Kipling ne daignera pas donner de nom mais c'est parce qu'elle n'a pas d'importance et elle disparaîtra brusquement du roman. Je me demande même si Maisie ne nous est pas présentée comme antipathique parce qu’elle refuse de se fondre dans un moule, de se marier, d’être la femme dévouée (à l’homme !) telle qu’on l’attendait au XIX siècle ! Il faut dire qu'elle est d'une froideur et d'une insensibilité peu communes !
Toujours est-il que Dick et Maisie sont tous deux égoïstes, orgueilleux, entêtés, ambitieux dans leur quête, de l’argent pour l’un, de la gloire pour l’autre. Un aspect plus positif, pourtant, l’amour sincère et désintéressé de Dick pour Maisie et l’amitié profonde et dévouée qui unit les deux héros masculins.

Le roman est prétexte à une réflexion sur l’art, qui pour Dick/Kipling doit correspondre à un sentiment profond, à une urgence et non à une mode.
«Mais à partir du moment où nous nous mettons à penser aux applaudissements attendus, et à jouer notre rôle en regardant la galerie du coin de l’oeil, nous perdons toute valeur, toute force, toute habileté. »
« Dès que nous traitons légèrement notre art, en le faisant servir à nos propres fins, il nous trahit à son tour, et nous ne pouvons plus rien sans lui. »

Les conseils de Dick sont ceux d’un coloriste et son sens des couleurs qui refuse la réalité et voit au-delà, me rappellent - à tort ou à raison - les théories Nabis, de même que son dernier tableau qui a pour thème La Mélancolie
"Ce fut une joie pour Dick que Maisie pût voir les couleurs comme il les voyait lui-même, qu’elle distinguât le bleu dans le blanc du brouillard, le violet dans les palissades grises, toutes les choses enfin autrement qu’elles paraissent aux yeux non prévenus."

Nabisme : Sérusier, Eve bretonne ou la Mélancolie
Mais Dick illustre aussi, avec ses oeuvres ramenées du Soudan, le goût de l’orientalisme, de même que l’attrait des îles exotiques évoque l’oeuvre d’un Gauguin.

Paul Gauguin

 J’ai eu un peu de difficultés au début à entrer dans ce roman non seulement parce que je n’aimais pas les personnages mais aussi, parce que le récit me paraissait superficiel avec des personnages peu épais, et un style composé en grande partie de dialogues, ce qui me donnait l’impression un peu factice ne pas être dans la vraie vie mais sur une scène de théâtre.

Pourtant, je me suis laissée séduire peu à peu par les descriptions des pays exotiques que Dick, exalté, fait à Maisie. Elles ne manquent pas de beauté, jouent sur les contrastes de couleurs et sont très visuelles. Peut-être sont-elles le reflet des oeuvres picturales de Dick?
« Quand vous parvenez à votre île, vous la trouvez peuplée de molles et chaudes orchidées, de fleurs étranges et merveilleuses qui retrouvent leurs corolles comme des lèvres de femmes... Il y a une chute d’eau de trois cents pieds de hauteur, et c’est comme un colossal morceau de jade vert brodé d’argent."

"Que penseriez-vous d’une grande ville morte* bâtie en grès rouge avec des aloès poussant entre les pierres descellées. Cette métropole abandonnée s'étend sur des sables couleur de miel. Il y a quarante rois qui reposent dans ses hypogées, et chacun d’eux, Maisie, dort dans un tombeau plus splendide que ses prédécesseurs. Quand on voit ces palais, ces rues, ces maisons, ces réservoirs, on cherche des yeux les habitants; on se demande quels sont les hommes qui vivent au milieu de tant de merveilles, et l’on finit par apercevoir un être vivant, un seul : un tout petit écureuil gris, se frottant le nez avec sa patte au milieu de la place du marché."

*Fatehpur Sikri, ville du nord de l’Inde abandonnée en 1605 (source)
 
J’ai aussi été amusée par les rapports que les jeunes gens entretiennent entre eux et leurs jeux avec leur adorable petit chien, c’est bien vu et léger et nous fait rire même si les personnages apparaissent un peu comme des potaches immatures.

Puis, j’ai été prise par cette histoire quand elle devient tragique, tant Kipling, qui avait lui aussi peur de perdre la vue, rend palpable l’angoisse du peintre. Celui-ci, en devenant aveugle, perd aussi sa raison de vivre. La déréliction du jeune homme, le tragique de sa solitude, sa déchéance, son évolution cher payée vers un peu plus d’humanité et d’humilité, tout est décrit avec justesse et précision. Les personnages de Dick et de Maisie aussi, prennent alors plus de chair et de complexité et le récit baigne dans une atmosphère lourde que l’obscurité envahit peu à peu. J’ai donc fini par apprécier La lumière qui s’éteint mais je pense que ce n’est pas le meilleur roman de l’auteur.


jeudi 24 mai 2018

R.J. Ellory : Papillon de nuit



Si un thriller est, selon la définition du dictionnaire Larousse « un roman policier ou d’épouvante, à suspense et qui procure des sensations fortes », je ne placerai pas Papillon de nuit de R.J. Ellory dans ce genre - sauf peut-être par la surprise que révèle le dénouement- car ce serait réducteur.

« Papillon de nuit »  peut avoir plusieurs entrées et c’est pour cela qu’il se révèle riche et intéressant.  Il tient du roman historique puisqu’il se passe en 1982 avec un retour dans les années soixante aux Etats-Unis. On assiste à l’assassinat de Kennedy, à la lutte des noirs et de Martin Luther King pour conquérir les droits civiques et à la guerre du Vietnam et à son impact sur la jeunesse des années 60 et 70.
Il y a meurtre et, en ce sens, il est aussi policier :   Daniel est accusé d’avoir tué son meilleur ami, Nathan. Condamné, il est enfermé dans le couloir de la mort en Caroline du Sud, attend son exécution depuis des années et sait qu’elle est désormais imminente. Un prêtre qui est là pour l’aider devient son confident. C’est à lui qu’il va raconter sa vie et le drame qui l’a conduit là.

Roman psychologique, il est d’abord l’histoire d’une amitié qui naît dès l’enfance entre Daniel et Nathan, entre un blanc et un noir, dans une Amérique où le racisme s’exacerbe, le Ku Kux Klan  étend son pouvoir et fait régner la terreur. Tout en décrivant les hiérarchies sociales, les hiérarchies de race dans ces états du Sud corrodés par la haine, il montre l’évolution des jeunes enfants qui grandissent dans des milieux modestes et dont l’amitié perdure à l’adolescence et à l’âge adulte. Il analyse l’éveil de la sexualité, les émotions amoureuses, mais aussi les sentiments complexes qui les unissent, Daniel toujours un peu sous la domination de Nathan, la rivalité qui va naître entre les deux garçons, la jalousie éprouvée par Daniel à propos d’une jeune fille. 
Roman politique, social, il présente une critique virulente du racisme organisé en crime, de la guerre en général et de celle du Vietnam, en particulier. Il dénonce la responsabilité politique des dirigeants, corrompus, sans morale, qui envoient les jeunes se faire tuer pour rien. C’est aussi un vibrant réquisitoire contre la peine de mort et les pages qui racontent la vie des condamnés comme de ceux qui les surveillent, leurs gardiens, dans le couloir de la mort, en décrivent toute l’horreur et tiennent le lecteur en haleine.

Papillon de nuit, est de plus très bien écrit, il est addictif, et l’on a envie de ne pas le lâcher avant d’en savoir la fin.  Une bonne lecture.


mercredi 23 mai 2018

Clare Mackintosh : Je te vois



Comme des milliers de Londoniens, Zoe Walker emprunte quotidiennement le métro et feuillette le journal distribué sur le quai. Un matin, elle y découvre sa photo dans les petites annonces, sous l'adresse d'un site Internet. Qui a pris ce cliché à son insu ? Dans quel but ? Et puis, est-ce bien elle ? Sa famille n'en est guère convaincue. Zoe ne trouve qu'une oreille attentive : celle de Kelly Swift, un agent de la police du métro. Car une succession d'incidents étranges, puis le meurtre d’une femme qui avait également découvert sa propre photo dans le journal persuadent Kelly que quelqu'un surveille les moindres faits et gestes des passagères. Chacune de leur côté, Zoe et Kelly vont lutter contre cet ennemi invisible et omniprésent. (résumé quatrième de couverture)

Pour me reposer un peu des lectures graves et des sujets noirs traités par la littérature des pays de l’Est, lors du challenge du mois d’Avril d’Eva, Patrice et Goran, j’ai commencé début mai par lire un thriller que je ne vous présente que maintenant, faute de temps !
C’est  « Je te vois » de Clare Macintosh, auteure anglaise, dont j’ai déjà lu l’intéressant Te laisser partir.

C’est le genre de livre à l’intrigue bien construite et bien écrite qui relance sans cesse le suspense et nous fait partager l’angoisse des personnages. On a peine à interrompre sa lecture tellement l’on veut savoir ce qui va se passer, si les femmes traquées vont s’en sortir et bien sûr, quel est le pervers particulièrement intelligent et machiavélique qui est derrière ce cauchemar.
Les personnages féminins surtout, sont très intéressants et nous nous attachons à elles, Zoé et sa fille Kathie, l’agent de police Kelly. Nous les voyons dans leur vie quotidienne, pas toujours facile, avec leurs problèmes de travail, de patron, de mari et d’enfants. Et cela les rend très proches de nous. C’est une société dans laquelle nous pouvons nous retrouver c’est pourquoi le livre fonctionne si bien. Attention ! comme dans son premier livre, Clare Mackintsh vous réserve une surprise au dénouement !

Nota : Vous allez me dire que chercher à se reposer et à se changer les idées en lisant un thriller -surtout s’il est réussi - c’est une bien mauvaise idée. Et bien non ! Un livre comme celui-ci parle, bien sûr, de l’existence du Mal, mais le lecteur sait que si celui-ci existe, il est pour l’instant théorique. D’accord, les personnages sont en danger mais nous sommes bien à l’abri dans notre fauteuil ou notre lit douillet ! C’est comme adorer les lectures qui nous plongent dans le Grand Nord, au milieu des forêts sauvages, du blizzard et des loups affamés, quand on est à côté d’un bon feu ronflant !
Par contre, quand on lit la plupart des livres des pays de l’Est, envahis, occupés, détruits, ravagés par la haine des hommes, là, il n’y a aucun échappatoire !

lundi 21 mai 2018

Emile Zola : La débâcle


La débâcle d’Emile Zola paraît en 1892. C’est le dix-neuvième volume des Rougon Macquart qui commence avec le coup d’état de Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, et raconte l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire.
Si Le docteur Pascal est le vingtième et dernier volume des Rougon Macquart et clôt l’histoire de la famille, on peut dire que La débâcle, clôt l’histoire du second empire puisque le roman conte la défaite de l’armée française à Sedan pendant la guerre franco-allemande de 1870, la chute de Napoléon III et l’avènement de la Troisième république le 4 septembre 1870. Le roman se termine avec la Commune  qui règlera le destin des deux personnages principaux, mais je ne vous en dis pas plus.

Le caporal Jean Macquart, dont nous avions fait connaissance dans La Terre et Maurice Levasseur, avocat, sont les deux personnages principaux du roman. Autour d’eux gravitent leurs camarades de combat, la famille et les amis de Maurice. Nous allons suivre pas à pas le combat désastreux qui, sous le commandement d’officiers incompétents, amène l’armée française au fond de la cuvette de Sedan. Un lieu qui deviendra le théâtre de la plus grande boucherie du XIX siècle. Encerclé par les prussiens munis de canons plus puissants que ceux des français, pris au piège, dans l’impossibilité de faire retraite, les soldats français seront décimés.

Emile Zola dresse ici un réquisitoire implacable de la guerre dont il décrit toutes les horreurs, les absurdités et l’inutilité. Rigoureusement documenté, comme toujours, Zola a de plus récolté des témoignages oraux, a suivi pas à pas, lors de son voyage à Sedan, toutes les étapes vécues par l’armée française dans cette marche vers la mort. Il décrit les différents mouvements des troupes sur les ordres d’officiers qui ne connaissent pas le pays, qui se déchirent entre eux et donnent des ordres contradictoires, se révélant incapables de concevoir une stratégie intelligente. La souffrance des soldats est atroce. Peu entraînés, ils ne disposent pas du matériel militaire adéquat. Pire, on ne leur donne pas suffisamment de nourriture et ils doivent marcher et combattre le ventre vide, accumulant les heures sans sommeil, la fatigue, et tout ceci dans la boue, les vêtements rendus encore plus lourds par la pluie !  

Bataille de Sedan source
Je dois avouer que j’ai parfois trouvé fastidieuse la description minutieuse des mouvements de l’armée, des hésitations des chefs, des avancées, des revirements. J’ai essayé de suivre sur la carte mais j’ai fini par abandonner. Mieux vaut se laisser porter par le style de Zola, son ampleur, sa force, lorsqu’il nous plonge au coeur de la tourmente, dans le fracas des obus, le déchirement des chairs, le sang et la douleur. C’est du très grand art, des images fulgurantes, d’une acuité extraordinaire. Et au-dessus de la mêlée l’apparition de l’Empereur à cheval, malade, tel un spectre, conscient qu’il envoie ses soldats à la boucherie pour sauver son trône.
On peut comprendre, après une telle oeuvre (et avant l’affaire Dreyfus), que Zola ne se soit pas fait que des amis dans l’armée et la bourgeoisie française et que, après sa mort, Barrès et Compagnie aient essayé d’interdire à ses cendres l’accès au Panthéon.
Les personnages participent à l’intérêt du roman et lui donne une dimension sociale et politique. Zola oppose Jean, l’homme du peuple illettré, le paysan simple et sans prétentions, à Maurice, le bourgeois cultivé, très imbu de sa position sociale. Entre eux, ennemis de classe à priori, va naître une amitié profonde et sincère. L’un, avec son bon sens populaire, son rationalisme et son expérience de l’armée, va être le protecteur du frêle Maurice, aux nerfs de femme (oui! dixit Zola), en proie à des tourments moraux et philosophiques; Maurice, symbole de la déliquescence de "la race" en comparaison avec la bravoure des soldats de Napoléon Ier, ce qui explique la décadence de la France.
L’amitié est donc possible entre ces deux hommes? Oui, même si plus tard, ils se retrouveront dans des camps opposés.
La soeur de Maurice, Henriette, représente la femme parfaite selon le XIX siècle, dévouée à son frère et son époux et qui, par amour, est toujours prête à se sacrifier. Sylvine et Honoré, ce dernier cousin de Maurice, forment un couple étonnant pour l’époque, dont l’amour triompherait des codes sociaux et moraux si ce n’était la guerre.

bataille de Bazeilles (source)
J’adore Zola parce que son style me transporte et me touche. Je ne cesserai de noter son habileté à muer le détail en vision épique. Ainsi cette petite corbeille de marguerites située à l’entrée de l’ambulance où l’on opère les blessés et qui se teinte de rouge en recevant les seaux de sang après chaque opération; elle finit par devenir aux yeux du lecteur un océan qui submerge un Monde en train de disparaître.
Zola, grand maître de son art, multiplie les points de vue. J’allais dire les prises de vue - tel un cinéaste - car il a vocation à faire naître des images.. Nous sommes parfois au ras du sol, à rase campagne dans un champ de bataille abandonné :
« Les débris dont le sol était semé disait les épisodes de la lutte. Dans un champ de betteraves des képis épars, semblables à de larges coquelicots, des lambeaux d’uniformes, des épaulettes, des ceinturons, racontaient un contact farouche, un des rares corps à cours du duel d’artillerie qui avait duré douze heures. Mais surtout, ce qu’on heurtait à chaque pas, c’étaient des débris d’armes, de sabres, de baïonnettes, des chassepots, en si grand nombre, qu’ils semblaient être une végétation de la terre, une moisson qui aurait poussé en un jour abominable. »
ou au contraire en hauteur, sur une colline boisée, avec le roi de Prusse, Guillaume, qui contemple le carnage comme s’il s’agissait d’une joyeuse bataille de petits soldats de plomb :
« La Meuse aux lents détours, n’était plus, sous cette lumière frisante, qu’une rivière d’or fin. Et la bataille atroce, souillée de sang, devenait une peinture délicate, vue de si haut, sous l’adieu du soleil; des cavaliers morts, des chevaux éventrés semaient le plateau de Floing de taches gaies; vers la droite du côté de Givonne, les dernières bousculades de la retraite amusaient l’oeil du tourbillon de ces points noirs, courant, se culbutant; tandis que, dans la presqu’île d’Iges, à gauche, une batterie bavaroise, avec ses canons gros comme des allumettes, avait l’air d’un pièce mécanique bien montée, tellement la manoeuvre pouvait se suivre, d’une régularité d’horlogerie. »

La débâcle est donc un grand roman qui, prolixe en détails même les plus infimes, offre aussi une vision d’ensemble grandiose. L’auteur semble s’élever et nous avec lui, au-dessus de ce champ de bataille, pour nous présenter un monde en train de mourir et qui en annonce un autre.


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dimanche 20 mai 2018

Prague : Notre-Dame de Lorette

Notre-Dame de Lorette
Notre-Dame de Lorette est une des grandes églises baroques de Prague. Elle est située près du château et non loin du monastère Strahov sur la place Loretánské (náměstí). Elle a été bâtie en 1626 sur les ordres de la famille Lobkowicz qui voulait faire édifier une réplique de la maison de la Vierge de Loreto, près d'Ancône, en Italie.
La Santa Casa ou maison de la Vierge, selon la légende, fut transportée par des Anges, de la Palestine en Italie, en une seule nuit de décembre 1294.
Notre-Dame de Lorette

Notre-Dame de Lorette (façade)

La Notre-Dame de Lorette de Prague est vite devenue un grand pèlerinage marial.  L'ensemble est administré par l’ordre des Capucins et comprend l’église de la Nativité achevée par l’architecte baroque Kilian Ignac Dientzenhofer vers 1735, le monastère, les cloîtres et les chapelles. Les fresques de Václav Vavřinec Rainer sont une copie fidèle de la Lorette italienne.
Installée dans le cloître, la maison de la Vierge, aux murs intérieurs très simples, décorés de fresques en partie effacées, est enchassée dans des murs extérieur richement décorés.

Le cloître

Le cloître  : La maison de la Vierge (extérieur)

La Maison de la Vierge (intérieur)

Fresques de la Maison de la Vierge

Le cloître : fresques

Tableau du cloître : jeux de reflets

Fresque du cloître :
La maison transportée en bateau est une autre version plus réaliste (les Anges n'y sont pour rien) du voyage de la Palestine en Italie !

Eglise baroque de la Nativité

Eglise baroque de la Nativité (détail)

Eglise baroque de la Nativité

L'église de la Nativité : les orgues

L'église de la Nativité : la coupole


L'église de la Nativité (détail)


Maison de la Vierge, Eglise de la Nativité, cloître, vus du premier étage

Vue sur une chapelle
Le trésor de l'église  situé au premier étage est célèbre car il comprend un ostensoir de la fin du XVII siècle connu sous le nom de Le soleil de Prague. Il est orné de 6222 diamants provenant de la robe de mariage de la comtesse Kolowrat qui les a ensuite consacrés à la décoration de l'ostensoir.
Je n'ai pas entendu le fameux carillon composé  de 27 cloches !


Le soleil de Prague (source)