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samedi 3 novembre 2018

Olivier Adam : Personne ne bouge



Personne ne bouge d’Olivier Adam est un adorable petit livre pour la jeunesse. Ce roman destiné aux jeunes enfants (ma petite-fille de 8 ans est en train de le lire), est bien ancré dans la société et le réel : le narrateur est Antoine, douze ans. Il vit avec sa mère, professeur, son père, chauffeur de taxi, et il  ne nous laisse rien ignorer des difficultés, des disputes du couple, surtout à son sujet ! Le jeune garçon n’aime pas le travail scolaire mais dès qu’il s’agit de surf, de la mer, il s’enthousiasme et sait tout sur son environnement, familier de l’estran, des végétaux et des bêtes qui y vivent.
C’est un enfant qui n’a pas d’ami si ce n’est son voisin qui fait semblant de ne pas le connaître au collège mais joue avec lui à la maison. On sent que le petit garçon est solitaire, un peu à part.  Trop rêveur ? Mais Antoine a un secret, il est amoureux de Léa, la grande soeur de son copain, trois ans de plus que lui, jeune musicienne studieuse et mature qui ne les appelle pas autrement, son frère et lui, que « les nains ». Le dédain le plus complet!
Et dans ce monde bien réel, intervient le fantastique. Un jour, le temps s’arrête pour tous sauf pour Antoine qui contemple avec stupéfaction les gens figés dans leur dernier geste, les machines, appareils ménagers, ordinateurs, automobiles arrêtés, les oiseaux stoppés en plein vol et les vagues de l’océan suspendues en l’air… Antoine oscille entre crainte et émerveillement. Et cet arrêt du temps n’est pas unique. Voilà qu’il se reproduit deux fois, trois fois…  Et un jour arrivera où ce sera la plus belle fois.  Mais chut, je m’arrête là ! 

Certes, l'enfant se pose beaucoup de questions sur le temps. Si nous n’avons aucune réponse pour expliquer ce phénomène surnaturel (et pour cause !), un autre questionnement apparaît : celui du bien et du mal. Antoine prend conscience que tout lui est permis pendant ce laps de temps où il est entièrement seul et il commet quelques actes .. hum ! Mais comme c’est un enfant gentil, cela n’ira pas au-delà de sottises de son âge.
Un petit roman bien écrit, dans un langue simple, poétique avec un personnage qui n’a rien d’un héros, qui n’est pas parfait mais est au demeurant, sympathique…  et donc bien proche des jeunes lecteurs qui le découvrent dans ce récit.

jeudi 1 novembre 2018

Bilan du mois d'Octobre 2018


Pekka Hanolen

Honoré de Balzac : Le Lys dans la vallée et exposition Dilectae Musée de Saché

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019


































 

Alexandra Lapierre : Artémisia

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Hernan Diaz : Au loin

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

Honoré de Balzac : La Bourse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

Honoré de Balzac : Gobsek



 

 

 

  

 

 

 

  

Jean-Luc Aubarbier : Montaigne, le chevalier du soleil / une aventure de monsieur de Montaigne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Policiers : Sandrine Colette/ Hervé Commère/ Ian Rankin/ Pierre Lemaître/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 Théâtre

Marivaux et Marilyn Mattei : Les Préjugés / Le préjugé vaincu et Fake

 

 

 

 

 

 

 

 

 Romans Enfants

Moka : Jusqu'au bout de la peur

 

 

 

 

  Expositions

Pipilotti Rist : Pixel Forest : exposition Luma Arles

Pipilotti Rist :  Parc des Ateliers Luma Pixel Forest exposition Arles 2018
Pipilotti Rist

lundi 29 octobre 2018

Pipilotti Rist : Pixel Forest : exposition Luma Arles

Pipilotti Rist :  Parc des Ateliers Luma Pixel Forest exposition Arles 2018
Pipilotti Rist

 Quand il y a une exposition près de chez moi, je sais que j'ai le temps, alors je traîne et, comme d'habitude, j'ai presque failli raté celle-ci :  Pixel Forest installée à Arles au parc des ateliers ! Presque, car elle finit le 4 Novembre. Mais heureusement, une visite, il y a quelques jours, avec ma petite-fille, nous a permis de découvrir le monde magique de Pipilotti Rist ! La forêt lumineuse dans laquelle on pénètre est un enchantement de couleurs et de sons et l'on est transporté vers un ailleurs où tout paraît possible.

"Au Parc des Ateliers à Arles, Pipilotti Rist présente pour la première fois en France sa dernière installation audiovisuelle, Pixel Forest. En collaboration avec les architectes zurichois Gabrielle Hachler et Andreas Fuhrimann qui ont conçu un grand caisson de bois brut rectangulaire, Rist déploie un environnement lumineux immersif. Le visiteur est alors invité à explorer cet univers fantastique, où brillent 3000 LED multicolores enveloppées dans des coquilles de résine transparentes fait main, suspendues à des câbles. L’ensemble dessine une forêt magique, chatoyante et cristalline, où l’on déambule comme dans un conte de fée... " Lire la suite

Pipilotti Rist : Pixel Forest exposition Arles 2018 Par ces ateliers jusqu'au 4 Novembre 2018
Pipilotti Rist : Pixel Forest exposition Arles 2018
Pipilotti Rist : Pixel Forest exposition Arles 2018 Parc des Ateliers
Pipilotti Rist : Pixel Forest exposition Arles 2018
"Pipilotti Rist peut être considérée comme une pop star de la scène artistique suisse. Entre 1988 et 1994, elle a d’ailleurs fait partie du groupe « Les Reines Prochaines », avec lequel elle a réalisé des performances, s’est produite en concert et a enregistré quelques albums.
Productrice, réalisatrice et souvent protagoniste de ses vidéos, elle s’attache à développer des problématiques actuelles, comme celles de la différence des sexes, de l’identité, de la féminité et de la culture du divertissement. Elle conçoit ses œuvres comme des clips acidulés, avec autant d’efficacité que les créateurs commerciaux, à la différence qu’elle y introduit des éléments de brouillage, comme des rayures, des couleurs vives et baveuses, des flous et des tremblés, la saturation et des dissonances sonores. Elle manipule ainsi son medium jusqu’à en tirer des effets donnant un statut ambigu à l’image. C’est également elle qui compose ses bandes son, souvent en réinterprétant des airs connus.
Les combinaisons harmonieuses qu’elle produit entre musique douce et rêveries visuelles plongent le spectateur dans des visions oniriques, dont les enchaînements d’images ne comportent pas de structures narratives. "
 (Voir Ici)

Pipilotti Rist : Pixel Forest exposition Arles 2018 Parc des ateliers
Pipilotti Rist : Pixel Forest exposition Arles 2018
Pipilotti Rist Arles luma parc ces ateliers
Pipilotti Rist : Pixel Forest
Pipilotti Rist : Pixel Forest Parc des ateleirs Arles Luma
Pipilotti Rist : Pixel Forest


Pipilotti Rist : Pixel Forest


samedi 27 octobre 2018

Honoré de Balzac : Le Lys dans la vallée

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019
Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché sur Le Lys dans la vallée

Félix de Vendenesse écrit une longue lettre à Nathalie de Manerville, sa fiancée, pour lui faire le récit de sa vie; la jeune femme, en effet, veut apprendre le secret de la mélancolie qui le ronge et qu’elle devine enfoui dans son passé. Cette lettre, c’est  Le Lys dans la vallée. Il lui dévoile alors son amour platonique pour la comtesse de Mortsauf, épouse malheureuse du comte de Mortsauf :  Henriette qu’il a idéalisée et qui a été son Lys, symbole de pureté, Henriette qui s’est refusée à lui  malgré leur amour réciproque, pour respecter les lois du mariage et de la vertu. Lorsque Félix lancé dans le grand monde devient l’amant de Lady Dudley, une femme ardente et libérée, Henriette, folle de jalousie, meurt en proie à une révolte et une colère proches du désespoir.

J’ai lu et relu plusieurs fois, à différents moments de ma vie, Le lys dans la vallée de Balzac et une autre fois, encore, cette année, ma fille Aurélia, photographe, ayant une résidence au château de Saché où Balzac a écrit cette oeuvre… A l'heure actuelle, ce travail photographique a donné lieu à une exposition intitulée Dilectae, jusqu'au 6 Janvier 2019, au château de Saché, musée de Balzac.

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019 d'après Le Lys dans la vallée de Balzac
Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché

Lors de ma première lecture, je devais avoir autour de 15 ans et c’est ce livre qui m’a fait connaître et aimer Balzac. Donc, c'est une lecture importante pour moi. J'avais été séduite, surtout, par cette histoire d’amour impossible, Henriette de Mortsauf tiraillée entre la passion et la vertu, et admirative du beau Félix de Vendenesse, émue par le tragique de la mort de Madame de Mortsauf que je trouvais romantique, au sens impropre et réducteur que l’on donne parfois à ce terme, c’est à dire sentimental. Oui, je n’avais pas tout compris de ce roman, je l’avoue ! 

Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché 2018 jusqu'au 6 janvier 2019
Aurélia Frey : La dilectae Le lys dans la vallée.
Mais je me souviens très bien, que la beauté des descriptions de la vallée et surtout des bouquets que compose Félix pour la jeune femme m’avait transportée. Bien sûr, à l’époque, je n’avais pas vu la portée symbolique et l’érotisme qui émanaient de la description de ces fleurs. Ce qui me frappe maintenant !  Il y a dans le Le lys dans la vallée, de magnifiques et lyriques descriptions de paysages qui, comme d’habitude chez Balzac, sont à lire au second degré. Une prose incantatoire où la métaphore amoureuse se confond avec celle de la mort qui reste étroitement liée à Madame de Mortsauf.

« Mais déjà plus haut, quelques roses du Bengale clairsemées parmi les folles dentelles du daucus, les plumes de la linaigrette, les marabous de la reine des prés, les ombellules du cerfeuil sauvage, les blonds cheveux de la clématite en fruits, les mignons sautoirs de la croisette au blanc de lait, les corymbes des millefeuilles, les tiges diffuses de la fumeterre aux fleurs roses et noires, les vrilles de la vigne, les brins tortueux des chèvrefeuilles ; enfin tout ce que ces naïves créatures ont de plus échevelé, de plus déchiré, des flammes et de triples dards, des feuilles lancéolées, déchiquetées, des tiges tourmentées comme les désirs entortillés au fond de l’âme. Du sein de ce prolixe torrent d’amour qui déborde, s’élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s’ouvrir, déployant les flammèches de son incendie au-dessus des jasmins et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans l’air, en reflétant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! Quelle femme enivrée par la senteur d’Aphrodide cachée dans la flouve, ne comprendra ce luxe d’idées soumises, cette blanche tendresse troublée par des mouvements indomptés, et ce rouge désir de l’amour qui demande un bonheur refusé dans les luttes cent fois recommencées de la passion contenue, infatigable, éternelle ? »

Ces passages provoquent toujours mon admiration. Cette nature exaltée par Balzac est celle de la Touraine que l’écrivain aime tant, un écrin verdoyant et vallonné où se déroule une vie rurale paisible, idéalisée, avec ses travaux quotidiens, les vendanges, le ramassage des châtaignes et le gaulage des noyers, les promenades sous les ormes et les peupliers, un pays de châteaux et d’eau. Une véritable déclaration d’amour à cette région   :
« Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine? Je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis en plein désert; je l’aime comme un artiste aime l’art… »

Madame de Mortsauf

Aurélia Frey : La dilectae  exposition au musée de BalzacSaché
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché
Madame de Mortsauf, dont le vrai prénom est Blanche demande à  Félix de l’appeler Henriette. Deux prénoms, témoins de sa dualité.  Le blanc de la pureté et le rouge du désir, le lys et et le pavot :  elle est déchirée entre la passion qu’elle éprouve pour Félix et son devoir d’épouse. Mais elle est aussi et avant tout une mère et ne pourrait se résoudre à quitter ses enfants malades.

Moi! reprit-elle, de quel moi parlez-vous ? Je sens bien des moi en moi? Ces deux enfants, ajouta-t-elle en montrant Madeleine et Jacques, sont des moi, Félix, dit-elle avec un accent déchirant, me croyez-vous donc égoïste ?

A travers elle, Balzac dénonce l’assujettissement de la femme, son manque d’indépendance soumise par les lois à son mari après l’avoir été à son père.

Les hommes font eux-mêmes les évènements de leur vie, et la mienne est à jamais fixée. Aucune puissance ne peut briser cette lourde chaîne à laquelle la femme tient par un anneau d’or, emblème de la pureté des épouses.

Pourtant, Blanche-Henriette n’est pas une faible femme. C’est elle, on l’apprendra, qui gère le domaine de Clochegourde, qui le fait prospérer, qui veille sur la santé de ses enfants malades et de son mari atteint de démence.
C’est elle aussi qui donne à Félix des leçons de conduite dans le Monde et qui le dirige dans sa conquête du pouvoir et de la fortune. Le récit se déroule pendant les cent jours et au moment de la Restauration. Blanche, élevée religieusement, dans une famille monarchiste, légitimiste, très conventionnelle, très infatuée de sa noblesse, dirige le jeune homme avec des conseil bien de sa caste :

« Vous apprendrez combien les principes de liberté sont impuissants à créer le bonheur du peuple. Mon bon sens de paysanne me dit que les Sociétés n’existent que par la hiérarchie. Vous êtes à un moment de la vie où il faut choisir ! Soyez de votre parti. Surtout quand il gagne ! »

L’agonie de madame de Mortsauf atteinte d’une maladie du pylore, nous dit-on, et sa révolte  quand elle s’aperçoit qu’elle n’a jamais connu l’amour, qu’elle s’est sacrifiée en vain aux conventions sociales est d’une terrible violence. Balzac prend alors position, en tout cas c’est ce que on lui a reproché, contre les valeurs hypocrites de la religion, contre la négation du corps, les conventions qui enferment les femmes. Les souffrances physiques et morales de son personnage exacerbées par la jalousie et par l’approche de la mort, sont atroces.

 « … car elle si sainte, si résignée, si faite à mourir, elle jette sur ceux qui sont pleins de vie des regards où, pour la première fois, se peignent des sentiments sombres et envieux. » dit l’abbé de Dominis à son propos

Les lecteurs et critiques de la Restauration ne s’y sont pas trompés et reprochèrent à l'auteur de ne pas avoir conçu un dénouement édifiant qui aurait exalté la vertu de la jeune femme. Balzac avait pourtant édulcoré cette fin et fait entrer Henriette dans une phase de repentir et d'apaisement à la demande de Laure de Berny, la dilecta, sa bien-aimée, qui voulait lui éviter un scandale !

Mais pour comprendre madame de Mortsauf, il faut savoir qui est son mari.


Monsieur de Mortsauf

Aurélia Frey : La dilectae  exposition au musée de Saché
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché
 Monsieur de Mortsauf  est le type même de l’émigré, semblable en cela à toute une noblesse légitimiste qui a refusé de servir l’Empire. Brisé par ses longues années d’exil et de privations, il souffre aussi d’une maladie qui débilite son corps et donne lieu à des crises de démence. Je dois dire qu’il m’a fallu quelques lectures depuis celles de ma jeunesse avant de comprendre de quoi souffrait Monsieur le comte. C’est pourtant bien dit, même si le mot n’est jamais prononcé et si Balzac brouille les pistes en donnant de vagues indications. La syphilis ! On comprend que dans le prude et hypocrite XIX siècle l’écrivain devait nous le faire comprendre d’une autre manière et cela donne :

« Ses amours ensevelis dans le plus profonds de son âme et que moi seul ai découvert, furent des amours de bas étage, qui n’attaquèrent pas seulement sa vie, ils en ruinèrent l’avenir. »
Et lorsqu’il apprend, à la naissance de ses enfants, que ceux-ci sont condamnés :

« Son nom à jamais éteint, une jeune femme pure, irréprochable, malheureuse à ses côtés, vouée aux angoisses de la maternité, sans en avoir les plaisirs; cet humus de son ancienne vie d’où germaient de nouvelles souffrances lui tomba sur le coeur et paracheva sa destruction. »

Aigri, violent, égoïste,  humiliant sa femme en public, et syphilitique, tel nous apparaît le comte. On comprend que Balzac, même s’il proteste de son estime pour eux, se soit attiré des inimitiés auprès des émigrés qui étaient rentrés en France à la restauration de Louis XVIII en peignant ce portrait !
Quant à Blanche, mariée à un homme qu’elle n’aime pas, elle qui ne sait rien de la sexualité si ce n’est qu’il s’agit d’un devoir pénible et dégradant (Monsieur de Mortsauf se plaint auprès de Félix qu’elle le repousse et veut continuer à être « vierge » avec lui), elle a peut-être été, de surcroît, contaminée par son mari et elle sait ses enfants atteints d'une maladie incurable.

« Tout a été mensonge dans ma vie, je les ai comptées depuis quelques jours ces impostures. Est-il possible que je meure, moi qui n’ai jamais vécu? » dit Henriette mourante.

Phrase auquel fait écho une pensée de Félix d’une grande cruauté et qui révèle bien ce que pense Balzac :

"Je me demande si la vertu d’Henriette n’avait pas été de l’ignorance, si j’étais bien coupable de sa mort »

Et il semble qu’il n’ait pas tort puisque la comtesse lui avoue dans son ultime lettre :

« Ah! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m’eussiez prise dans vos bras, je serai morte de bonheur; j’ai parfois désiré de vous quelque violence, mais la prière chassait promptement cette mauvaise pensée. »

Félix de Vendenesse

 
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché Herbier photographique

Personne n’aime Félix de Vendenesse, aucun lecteur, sauf peut-être quand on a quinze ans, à la première lecture, parce qu’il est beau, qu’il a eu une enfance malheureuse et qu’il a l’âme d’un poète.
Non, les lectrices, surtout, le trouvent lâche, égoïste, sans personnalité. Et la réponse de la fiancée Natalie qui le traite de « chevalier à la triste figure » et  lui donne une bonne leçon en rompant avec lui, est réjouissante !

« N’imitez pas les veuves qui parlent toujours de leur première mari, qui jettent toujours à la face du second les vertus du défunt »

Il l’a bien mérité ce grand benêt qui va pleurer dans le giron de sa belle pour se faire consoler de ses amours avec une autre :

« Merci, cher comte, je ne veux de rivale ni au-delà, ni en deçà de la tombe. » « Savez-vous pour qui je suis prise de pitié? pour la quatrième femme que vous aimerez. Celle-là sera nécessairement forcée de lutter avec trois personnes. »

Ah! Voilà une femme qui a du caractère, de l’ironie, et qui change agréablement de l’angélisme (forcé) de madame de Mortsauf et des bêlements transis de son amoureux !
Pourtant, je me sens tout de même obligée de prendre la défense du jeune Félix .

Balzac a mis beaucoup de lui-même dans ce personnage. Comme Félix, il a été mal aimé par sa mère, placé dans une pension qui avait tout du « pénitentiaire », laissé à sa solitude, n’ayant aucune autorisation de sortie et souffrant de privations, deu froid et surtout du manque d’amour. Quand Félix rencontre la comtesse de Mortsauf, il a 21 ans et en paraît 14, elle en a 28 et est mariée et mère. Lui est encore physiquement et psychiquement un enfant; elle, une femme. Il est souffreteux, timide, il n’a jamais vécu, ne connaît rien à la société et encore moins à l’amour. Certes, il se sent frustré par cet amour platonique, essaie parfois d’aller au-delà, est arrêté par la peur de la perdre. Ne lui a -t-elle pas dit qu’elle le chasserait définitivement s’il devenait trop pressant ?
Si vous me demandez, pourquoi, jeune et plein de fougueux vouloirs, je demeurais dans les abusives croyances de l’amour platonique, je vous avouerai que je n’étais pas assez homme encore pour tourmenter cette femme toujours en crainte de quelques catastrophes pour ses enfants.
C’est son inexpérience, son manque de connaissance des femmes, mais aussi son respect et un amour profond et sincère qui provoquent le drame et après tout on ne peut le lui reprocher, pas plus que de prendre une maîtresse, plus tard, pour satisfaire « ses fougueux vouloirs ! »
Cependant je n’aime pas le Félix devenu adulte, homme à succès et courtisan de Louis XVIII, suffisant et  égoïste. Quant à la « lettre » qu’il écrit à Nathalie, elle est d’une goujaterie ou d’une naïveté ! On dirait bien que même à son âge, il n’a rien appris sur les femmes!

  Pascal disait "l'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange, fait la bête".  Et oui, c'est bien ce que veut montrer Balzac avec la mort si douloureuse, si horrible, de madame de Mortsauf qui prend conscience qu'elle est passée passe à côté de la vie parce qu'elle a obéi aux préceptes de la religion et aux préjugés de la société.  Cependant, l'on sent que l'écrivain s'est pris d'affection pour son Lys et que ce n'est pas elle qu'il met en cause mais une société hypocrite toujours prête à condamner la femme, celle-ci n'ayant d'autre choix que d'être soumise ou perdue. Il nous livre ainsi une critique de la noblesse provinciale au temps de la Restauration.

Quelques images de l'exposition du musée Saché : La dilectae


Dilectae propose un parcours à travers les souvenirs de madame de Mortsauf, un aperçu de ce qu'elle laisse derrière elle, de ses désirs et de ses rêves, des dernières images qu'elle eut avant de fermer les yeux.

Car il n'y a que la trace...

                                                              Aurélia Frey

Aurélia qui imagine les dernières visions de Blanche Henriette de Mortsauf, appelle sa série Dilectae, en référence au grand amour de Balzac, Laure de Berny, baptisée par lui-même Dilecta.


Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché d'après le Lys danla  vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le Lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après le Lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché

Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché d'après Le lys dans la vallée
Aurélia Frey : La dilectae  musée de Balzac Saché


lundi 22 octobre 2018

Moka : Jusqu'au bout de la peur


Moka  a déjà été, avec sa soeur Marie-Aude Murail, une des auteures préférées de ma fille et avec ce roman Jusqu’au bout de la peur paru en 2004 mais republié à L’école des loisirs pour la rentée littéraire 2018, la rencontre avec une autre génération va être assurée.
Je l’ai choisi non seulement pour l'auteure mais aussi pour son titre car j’espère inciter à la lecture de livres pour « grands »,  Léonie, ma petite fille de 8 ans, qui adore se faire peur. 
Après lecture, le roman, me semble-t-il, est encore un peu trop difficile, un peu long pour elle (217 pages),  c’est pourquoi je le présente dès maintenant quitte à y revenir si elle parvient à le lire. En fait, il est destiné aux adolescents de 12-14 ans mais je pense que de bons lecteurs plus jeunes peuvent le lire à condition d’avoir le coeur bien accroché ! Courage Moussaillons !

Quentin, le grand frère, réfléchi et raisonnable, et Garance, la petite soeur intrépide, sont en vacances chez leur père divorcé. Ce dernier est parti faire les courses mais il tarde tellement que les enfants partent à leur recherche sous la pluie, dans l’obscurité. En vain. Cependant quand ils reviennent à leur maison, ils aperçoivent un mystérieux individu qui s’est introduit chez eux et fouille le bureau de leur père. Les enfants s’enfuient en bicyclette poursuivis par l’inconnu. Quand ils aperçoivent le vélo de leur père sur le bas côté, celui-ci ayant manifestement disparu, ils ne doutent pas que leur poursuivant l’ait tué.  La course les mènera jusqu’à une barque qu’ils empruntent, voguant dans le marais poitevin inondé par les pluies torrentielles, l’assassin toujours à leur trousse sous les orages et les éclairs.

La première partie est très bien  menée, c’est une course-poursuite haletante où comme les enfants, le lecteur n’a pas trop le temps de réfléchir et pense seulement à sauver sa peau. Tout en s’attachant aux personnages et en admirant leur courage et leur  débrouillardise, l’on partage leur crainte, leur doute et leur peur.

Le marais Poitevin
La seconde partie en barque prend un autre rythme, forcément plus lent, celui de la barque qui avance, dévoilant, dans la nuit, à la lueur des éclairs, un paysage fantasmagorique envahi par l’eau de toutes parts, dont le silence est seulement interrompu par les bruits des oiseaux dans les arbres et le clapotis voire le grondement de l’eau près de l’écluse. J’ai pensé en lisant cette histoire, la fuite des ces enfants dans une barque, poursuivis par un tueur,  leur rencontre avec une vieille dame protectrice, que Moka s’était inspirée du très beau film de Laugthon, La nuit du chasseur.
Dans cette partie, Moka nous introduit dans ce paysage des marais poitevins si particuliers, nous initie au vocabulaire spécialisé des maraîchers qui y vivent.  Toutes ces descriptions qui créent une ambiance étrange ne gênent par le suspense mais au contraire le rendent de plus en plus inquiétant. On imagine cette barque (la plate) perdue dans cette vaste étendue liquide, l'inondation gagnant aussi bien le marais mouillé que le marais sec, et les dangers que courent les enfants aux prises avec la nature hostile et avec un homme qui ne l’est pas moins. Heureusement la présence d’un petit chat sauvé des eaux vient un peu adoucir l’atmosphère ! Et puis, comme il se doit, le dénouement est heureux. Ouf!
Un bon thriller pour enfants donc, avec, de plus, la description d’une région très particulière qu’il est intéressant de découvrir.



Merci à Dialogues croisés et  L'école des Loisirs

vendredi 19 octobre 2018

Marivaux et Marilyn Mattei : Les Préjugés / Le préjugé vaincu et Fake


Cette année, j’ai suivi le festival d’Avignon de Juillet 2018 avec autant de plaisir que les années précédentes mais je n’ai pas eu le temps d’écrire des billets. J’ai tout de même envie de parler ici de quelques spectacles, ce que je ferai sporadiquement, ne serait-ce que pour m’en souvenir et vous parler d’auteurs, d’acteurs, de metteur en scène qui méritent bien que l’on aille les voir. Si je le peux, je vous donnerai les dates des représentations en France en 2019. 
Les préjugés, pièce composée de deux textes courts, un de Marivaux Le préjugé vaincu, un autre contemporain Fake de Marylin Mattei, est un spectacle proposé aux adultes mais aussi aux adolescents à partir de 13 ans.
Qu’ils se nomment Angélique, Lisette, Dorante Lépine ou bien Théo, Hector, Léna et  Mina, ils sont amoureux et même si trois siècles les séparent, ils se ressemblent, ô combien ! Et c’est ce qu’il y a de plus bluffant dans cette confrontation, le sentiment amoureux est toujours le même chez de très jeunes gens et procurent les mêmes délices et surtout les mêmes affres, les mêmes questions, les mêmes troubles et angoisses, entre peur et désir, consentement et refus, d’une époque à l’autre… Quant aux préjugés, s’ils sont différents, ils sont pourtant toujours présents.

Marylin Mattei et Marie Normand : l'auteure et la metteuse en scène
Dans le texte contemporaine qui commence le spectacle, la langue est proche de celle des adolescents du XXI siècle et de leurs préoccupations. Les préjugés sont là aussi, moins avoués, plus complexes, subordonnés aux réseaux sociaux, aux SMS, à Facebook, qui propagent les fausses nouvelles, qui décident de la réputation d’une fille, de l’exclusion de l’un ou de l’autre. Il y a les jeunes branchés, qui dominent, qui sont populaires, et les autres, les marginaux, ceux dont on se moque. La société n’est pas plus tendre que celle du XVIII et si les raisons sont différentes, ceux qui n’entrent pas dans le moule sont exclus. La conclusion de cette comédie à la fois vraie et légère provoque un éclat de rire. L’auteure Marylin Mattei connaît bien les adolescents si l’on en juge par la justesse du ton et des sentiments. Nul doute que les potaches de France et de Navarre ne s’y retrouvent et ne s’identifient à leurs semblables !


Le texte de Marivaux qui suit, nous le connaissons, avec cette belle langue du XVIII, si élégante quand ce sont les maîtres qui la parlent, et la finesse de l’analyse des sentiments. Angélique refuse d’épouser Dorante qu’elle aime mais qui n’est pas noble. Son père, le marquis, bien loin de s’opposer au mariage, serait fort aise d’accueillir Dorante, riche bourgeois et jeune homme brillant et prometteur mais le préjugé nobiliaire est trop fort pour Angélique. Il faudra toute la ruse et la malice des serviteurs Lisette et Lépine qui, amoureux eux aussi, ont tout intérêt à ce que leurs maîtres s’accordent.
Le décor reste le même, représentant d’abord le lycée, le CDI, la cour de l’école où se rencontrent les élèves, puis, avec Marivaux, l’intérieur du château d’Angélique. Les jeunes comédiens s’habillent sur scène dans une joyeuse et tumultueuse chorégraphie, endossant les costumes du XVIII. Ils rendent sympathiques et attachants leurs personnages qu’ils interprètent avec entrain dans l’un et l’autre texte. La mise en scène de Marie Normand est pleine d’énergie, de vivacité et d’empathie envers les amoureux et souligne le propos avec beaucoup d’humour. Elle met en évidence par la similitude de la gestuelle et des rapports amoureux, l’universalité de la nature humaine à travers les âges.

Les Préjugés : Fake de Marilyn Mattei  et le préjugé vaincu de  Marivaux

 Créé à Mirecourt en mai 2016, ce spectacle a été déjà représenté soixante-quinze fois et emporté l’adhésion enthousiaste de plus de 10 000 spectateurs en ville, en banlieue, et dans les territoires ruraux. Avec ce spectacle, la compagnie "Rêve général ! " est pour la première fois présente à Avignon.

    •    Metteuse en scène : Marie Normand
    •   Interprète(s) : Ulysse Barbry, Bruno Dubois, Martin Lenzoni, Clotilde Maurin, Apolline Roy
    •    Régisseur général : Jean-Luc Malavasi
    •    Régisseur : Paul Laborde-Castex
    •    Responsable billetterie et réseaux sociaux : Elisabeth-Anne Defontaine
    •    Chargé de production / diffusion : Jean-Michel Flagothier


Tournée : Du 1 au 15 décembre 2018, tournée dans la Communauté d’Agglomération d’Épinal (88) 26 janvier 2019, La Courée à Collégien (77) du 19 au 21 mars 2019 (4 représentations), Comédie de l’Est, CDN de Colmar (68)


LA CASERNE DES POMPIERS pendant le festival d'Avignon reçoit les spectacles de l'EST de la France. Voilà les spectacles que j'y ai  vus en 2018.


 Loin et si proche

 Vu avec ma petite fille  
Où vont les objets perdus ?
Nous avons tous vécu ce moment où l’on se demande : « Où a bien pu passer ma deuxième chaussette préférée ? »
Chaque jour, nous perdons quelque chose : des clés, l’équilibre, une dent, la mémoire, la tête parfois…
 







 Romance
Vu avec ma petite fille 
Sur le chemin qui nous mène de l’école à la maison, notre regard s’ouvre sur le monde. Jour après jour, au fil de notre imagination, le quotidien bascule dans la grande aventure. On rencontre un Inconnu au grand cœur, un Oiseau, un Farfadet, une Reine, une Sorcière… Un sort est jeté et le monde se renverse ! Déjouant alors mille embûches, il faudra coûte que coûte retrouver le chemin de la maison pour que le jour puisse à nouveau se lever.
En adaptant Romance, l’imagier étonnant et inventif de Blexbolex (Pépite d'or du salon de Montreuil 2017), la SoupeCie déploie avec effervescence un vaste univers de machineries, d’images découpées et projetées, de marionnettes et de trouvailles visuelles. 





Possession

Possession est une forme marionnettico-magique, où l'on plonge au milieu de ce qui se tapit dans les recoins de nos pensées les plus noires... Un temps suspendu où la folie et l’étrange prennent corps, sous les traits d’Antonin Artaud. Une convocation à rencontrer son fantôme, de l’autre côté du miroir... 









Rêve de printemps

Jeune ressortissant de Platoniun, A est fasciné par la Terre. Il rejoint la France et entame des études universitaires. Le rêve de l’étrange étranger à la peau bleue se frotte à la réalité des terriens.
Métaphore contemporaine, cette fable construite en miroir et imaginée au travers du prisme de la jeunesse aborde des questions essentielles : l’acceptation de l’Autre dans sa différence, l’ouverture aux mondes.








Voir aussi les pièces vues au théâtre ARTEPHILE ICI

mercredi 17 octobre 2018

Alexandra Lapierre : Artémisia


Alexandra Lapierre quand elle se lance sur les traces d’Artémisia Gentileschi (1593_1654), peintre italienne du XVIIème siècle, va vivre une aventure qui durera des années. S’installant à Rome, ce qui lui permet de retrouver les lieux où Artemisia a habité, l’écrivaine consulte les archives de Rome, d’abord, où est née l’enfant, puis de Florence et Naples, où l’artiste a vécu et a travaillé et de même en Angleterre. 

Artemisia Gentileschi : auto portrait
C’est dans l’atelier de son père Orazio Gentileschi, peintre célèbre, ami de Le Caravage dont il était aussi le disciple que la petite fille a appris à peindre. Aucune femme à cette époque n’aurait pu s’initier au métier autrement que par l’intermédiaire de sa famille. Employée d’abord comme apprentie, broyant et préparant elle-même les couleurs, elle apprend peu à peu les ficelles de son art, la technique, la couleur, et elle révèle très vite un don et une passion précoces, influencée elle aussi par le Caravagisme. Déjà, sa beauté et son talent lui valent des inimitiés auprès des autres apprentis qui font courir des rumeurs malveillantes sur elle et sur ses moeurs.
Si  l’on connaît bien la vie de la jeune peintre, c’est d’abord à cause du viol qu’elle a subi de la part d’un ami de son père que celui-ci lui avait donné pour professeur de dessin, Agostino Tassi, lui-même bon peintre, maître de Claude Lorrain ..
 
Agostino Tassi : autoportrait
Le procès intenté à Agostino par Orazio, fut d’une violence inouïe pour la jeune fille âgée de dix-huit ans, accusée de mensonge, de prostitution, soumise à la torture qui, à l’époque, si l’on ne se rétractait pas sous l’effet de la douleur, était la preuve qu’on disait vrai. Elle tient bon et elle révèle ainsi un caractère bien trempé en décidant de se battre, de s’imposer comme peintre et de vivre de son travail. La rivalité entre les peintres étant alors féroce, il lui faudra beaucoup de talent, de courage, de pugnacité et de… bons protecteurs pour pouvoir réussir.  Dans sa vie privée, elle s’affranchira du mari choisi par son père, aura des amants tout en s’occupant de ses filles et en répondant aux commandes des mécènes. Elle fut la seule femme à être admise à la fameuse Accademia delle Arti del Disegno de Florence, dont furent membres Michel-Ange, Cellini, Vasari, Le Titien ou Le Tintoret.  Une vie exceptionnelle, on s’en doute, pour une femme même si elle n’est pas la seule peintre de son temps.
C’est ce portrait de femme libre et de peintre de talent qu'Alexandre Lapierre a voulu mettre en avant dans ce roman historique très documenté et où nous croisons bien des personnages célèbres. Mais elle axe aussi son roman sur le thème de la rivalité entre les deux artistes, le père et la fille, Orazio et Artemisia, une sorte d’amour-répulsion qui a duré toute leur vie.
Orazio Gentilschi : La joueuse de Luth
L'un des premiers tableaux d'Artemisia représente Suzanne et les vieillards. Déjà, la jeune fille de dix huit ans affirme sa personnalité en prêtant à Suzanne une expression de répulsion et un geste défensif tout à fait neufs et originaux par rapport au sujet traité jusqu’alors par des peintres masculins.

Artemisia Gentileschi : Suzanne et les vieillards (1610)
L’intérêt du livre d'Alexandra Lapierre est donc aussi, bien sûr, l'analyse des oeuvres de l'artiste.

Artemisia Gentleschi : autoportrait en Allégorie de la peinture (1630)
 Dans cet autoportrait, Artemisia se présente en Allégorie de la peinture ainsi que l'attestent les attributs qu'elle porte, la robe en velours vert et le collier en or avec un crâne pour pendentif, symbole du temps qui passe, fugitif et aussi du temps emprisonné par la peinture. Le portrait est original car elle ne se ne peint pas de face comme la plupart des portraits de l'époque mais en action, en train de peindre. Elle est de trois quart, ne regarde pas le spectateur qui l'indiffère, indépendante, concentrée sur sa toile. Il y a ici une volonté d'affirmer son statut de femme libre qui gagne sa vie et qui est fière de son art.

Artemisia Gentileschi : Muse de la peinture
Artemisia Gentileschi : Judith et Holopherne
Les détracteurs d’Artemisia pensent que son talent est surfait et n’aurait pas la force qu’on lui prête. Pour eux, seuls le viol, le procès, ces éléments romanesques qui attirent l'attention sur elle, lui ont donné sa notoriété. Peut-être ses oeuvres n'ont-elles pas toutes la même valeur, je ne sais, mais ceci doit être vrai pour la plupart des peintres. Par contre, ce qui est sûr, c'est que nombre de ces tableaux ont une grande puissance. Bien sûr, il faut aimer la peinture baroque et apprécier à sa juste valeur tout ce que le Caravage a apporté de neuf à la peinture. Dans les scènes qui empruntent au Caravage, avec ses clairs-obscurs, sa mise en scène théâtrale, son réalisme, Artemisia Gentileschi ne copie pas le maître mais impose son point de vue, sa personnalité et sa passion.

Artemisia Gentileschi : Judith et Holopherne (1611_1612)
Son tableau le plus célèbre bref, celui de Judith et Holopherne sur un thème récurrent pour l’époque innove par rapport aux tableaux contemporains sur ce thème. Bien sûr, le fait qu'Artemisia se soit peinte sous les traits de Judith et ait représenté Holopherne sous les traits de son violeur ajoute à l’intérêt que l’on porte au tableau qui devient ainsi une représentation de la vengeance, une sorte de catharsis.  Mais il est certain que la violence et le réalisme de la mise en scène, les sentiments qui émanent de ses personnages prouvent qu’il ne s’agit pas d’une pâle imitation du grand Maître.

Le Caravage : Judith et Holopherne (1598)
Artemisia Gentileschi  : Holopherne et Judith  1620
Le réalisme de la scène du Caravage avec le cou tordu d'Holopherne et le flot de sang qui jaillit avait saisi et horrifié les admirateurs du maître.
Mais si l'on compare les tableaux du Caravage et ceux de Gentileschi sur ce même thème, l'on s'aperçoit que Le Caravage peint Judith comme une femme relativement frêle, qui agit seule, n'a pas besoin de l'aide de sa servante et présente une expression un peu ennuyée voire dégoûtée mais sans passion.
 Alors que la Judith d'Artemisia sait qu'il lui faut de la force pour tuer Holpherne-Agostino, elle l'empoigne vigoureusement, on sent qu'elle pèse sur lui, que tous les muscles de ses bras sont bandés; c'est une maîtresse-femme mais elle a appelé sa servante à la rescousse et  toutes les deux ne sont pas de trop pour parvenir à leur fin. Ce n'est pas un acte facile. Le visage d'Artemisia-Judith est animé d'une farouche détermination, surtout dans le deuxième tableau, et d'un sentiment de vengeance implacable,comme si elle égorgeait un porc et non un homme. Le sang coule sur le drap qui est maculé de grosses traînées rouges et noirâtres.  Une vraie boucherie !