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mardi 1 janvier 2019

Bonne année 2019

Lune sur la neige de Hasui Kawase

Bonne année 2019  : Tous mes voeux de bonheur avec ces haïkus choisis pour vous...

 
Le temple Zozo-ji de Hasui Kawase

Lumineuse
Une année toute neuve
Sur la neige

Ito Shou

Un aigle descend
Sur les plaines blanches
De l'année qui monte
Yamaguchi Sodo

Dernier achat du nouvel an
L'instant
Où fleurit la lune
Wanatabe Suiha


Matin du nouvel an
L'an passé brûle encore
Dans le poêle
Hino Sojo


Mont Fuji de Hasui Kawase

samedi 29 décembre 2018

Balzac : Le colonel Chabert




Sorti de l’hospice des Enfants trouvés, il revient mourir à l’hospice de la Vieillesse, après avoir, dans l’intervalle, aidé Napoléon à conquérir l’Egypte et l’Europe ». C’est ainsi qu’à la fin du roman de Balzac, Le Colonel Chabert, l’avoué Maître Derville résume la pitoyable histoire du colonel Chabert.


Ce dernier est un officier d’Empire, fidèle de Napoléon à qui il doit sa fortune. Passé pour mort et jeté dans une fosse commune, il en sort pour trouver sa femme remariée, devenue comtesse, et ses biens spoliés.
L’avocat Maître Derville, personnage récurrent de La Comédie Humaine que nous avons rencontré dans Gobsek quand il n’était encore que clerc, se charge de défendre Chabert, de le faire reconnaître et de recouvrir sa fortune. Il y parviendrait grâce à une transaction (ancien titre du roman) entre les deux partis si le pauvre homme ne tombait dans les filets de son ancienne épouse qui feint de l’aimer toujours pour mieux se débarrasser de lui. Lorsqu’il découvre la duplicité de sa femme, découragé, il abandonne toute idée de lutte et s'abandonne à la déchéance.
le colonel Chabert Fanny Ardant : La comtesse


A travers ce roman, Balzac présente un beau portrait, émouvant, d’un ancien de Napoléon et fustige l’hypocrisie des moeurs de la Restauration. La vision de cet homme déchu, Chabert, un des héros de Iéna et d’Eylau, ayant perdu son identité, sa dignité est bouleversante : « Je ne suis plus un homme, je suis le numéro 164, septième salle.. » comme l’est la diatribe de l’avoué Derville qui dénonce avec violence et émotion les vices de cette société avide, et âpre au gain, prête à tout sacrifier à l’argent et au pouvoir.


"Combien de choses n’ai-je pas apprises en exerçant ma charge ! J’ai vu mourir un père dans un grenier, sans sou ni maille, abandonné par ses deux filles auxquelles il avait donné quarante mille livres de rente ! J’ai vu brûler des testaments ! J’ai vu des mères dépouillant leurs enfants, des maris volant leurs femmes, des femmes tuant leurs maris en se servant de l’amour qu’elles leur inspiraient pour les rendre fous ou imbéciles, afin de vivre avec leur amant. (…) J’ai vu des crimes contre lesquels la justice est impuissante."

La conclusion de Derville : « Enfin, toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité » présente un des thèmes chers au roman dans cette époque de transition entre le romantisme et le réalisme. Nous voyons que pour Balzac le réel dépasse de loin la fiction.
Pourtant on peut voir combien le talent de l’écriture transcende ce réel qui passe toujours par la vision de l’écrivain, le point de vue qu’il choisit. Et pour Balzac, en particulier, très marqué par l’art pictural, le portrait du colonel devient un Rembrandt !
« … un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt sans cadre. Les bords du chapeau qui couvraient le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. »
Mais le colonel est aussi une sculpture, « un beau marbre » « défiguré » « dégradé » par des « gouttes d’eau tombées du ciel », et un des dessins fantaisistes des peintres qui « s’amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques »

Et c’est bien des personnages réels, d'anciens soldats de Napoléon, qui ont inspiré Balzac. Mais là encore l’écriture détourne le réalisme en présentant le blessé comme un spectre échappé à la tombe dans un passage absolument hallucinant qui décrit le moment où Chabert se réveille dans la fosse commune, enseveli sous des cadavres :

« Mais il y a eu quelque chose de plus horrible que les cris, un silence que je n’ai jamais retrouvé nulle part, le vrai silence du tombeau. Enfin, en levant les mains, en tâtant les morts, je reconnais un vide entre ma tête et le fumier humain supérieur. »
« En furetant avec promptitude, car il ne fallait pas flâner, je rencontrait fort heureusement un bras qui ne tenait à rien, le bras d’un Hercule ! Un bon bras auquel je dus mon salut. Sans ce secours, je périssais ! Mais avec une rage que vous devez concevoir, je me mis à travailler les cadavres qui me séparaient de la couche de terre sans doute jetée sur nous, je dis nous, comme s’il y eût des vivants ! » « Mais je ne sais pas aujourd’hui comment j’ai pu parvenir à percer la couverture de chair qui mettait une barrière entre la vie et moi. Vous me direz que j’avais trois bras ! Ce levier, dont je me servais avec habileté, me procurant toujours un peu de l’air qui se trouvait entre les cadavres que je déplaçais, et je ménageais mes aspirations. Enfin, je vis le jour, mais à travers la neige, monsieur… »
Le récit d’une naissance, de cet homme sorti «du ventre de la fosse aussi nu que de celui de ma mère» et qui se crée un passage de l’intérieur vers l’extérieur, de l’obscurité au jour, du noir au blanc, au milieu des cadavres, paraît être le mythe d’Orphée revisitée par un grognard du XIX siècle, au parler parfois rude et familier.
J’ai pensé en lisant cela au personnage de Pierre Lemaître dans «Au revoir là-haut » enfoui dans un trou d’obus et cherchant sa respiration dans la tête d'un cheval.

Paru dans Les scènes de la vie parisienne puis dans Les scènes de la vie privée, ce court roman de Balzac est un hommage émouvant à la vie d'un grognard de Napoléon et je n'ai jamais autant ressenti dans une autre oeuvre de Balzac, son indignation envers la grande société parisienne et un tel parti pris de sympathie pour un personnage.

Lecture commune avec Maggie, 

Myriam, 

Cléanthe

lundi 17 décembre 2018

Malte : Avec Dominique Fernandez et Daniel Rondeau : La cathédrale Saint Jean à la Valette , Le Caravage, Mattia Preti

Michelangelo  Le Caravage  : cathédrale Saint jean à  lavalette Malte
Michelangelo dit Le Caravage  : cathédrale Saint Jean à Malte (source Wikipedia)
Bien sûr, en allant à Malte, j'avais un rendez-vous. En fait, j'en avais plusieurs, mais le plus important était celui avec Le Caravage et ses deux tableaux de l'oratoire de la co-cathédrale Saint Jean. Aussi quand je me présente devant l'édifice, un dimanche matin, je suis toute déconfite en lisant le panneau "interdit aux masses pendant la messe" ( les masses = nous, les touristes ! ) et, plus loin, "la cathédrale ferme après l'office". Impossible donc d'aller voir les tableaux un dimanche ! C'est noté ! J'y retourne donc le jour suivant.

C'est avec Dominique Fernandez qui raconte dans son roman "La course à l'abîme" le séjour de Le Caravage à Malte et avec Daniel Rondeau et son livre de voyage Malta Hanina que nous visiterons ces lieux. 

La cathédrale Saint-Jean avec Dominique Fernandez

 

La cathédrale Saint-Jean La valette Malte
La cathédrale Saint-Jean (Saint John)
La cathédrale Saint Jean  : "C'est un édifice construit dans le même style austère que le reste de la ville, avec des références plus marquées au classicisme italien. Sa façade dépouillée me rappela certaines églises de Sangallo à Florence. Le rapport entre la hauteur et la largeur reproduit les proportions du projet de Michel Ange pour San Lorenzo à Florence. les deux tours carrées dérivent d'un manuel d'architecture de Serlio. Le seul ornement qui atténue un peu l'austérité de la façade est le balcon soutenu par deux colonnes doriques, inspiré de celui de la villa  Giulia à Rome." (La course à l'abîme Dominique Fernandez).

Personnellement, j'adore la sobriété des façades des églises de Malte. Même le Baroque, du moins à l'extérieur, reste mesuré et offre la belle couleur dorée de la pierre nue. Il n'en est rien à l'intérieur surchargé de dorures et d'ornements. Dominique Fernandez adore le baroque. On peut donc imaginer qu'il est déçu par le dépouillement et la simplicité de la façade de la cathédrale.

La cathédrale Saint-Jean La valette Malte Intérieur
La cathédrale Saint-Jean La Valette Malte (Intérieur)

"D'original, il n'y a que l'intérieur. La voûte en berceau ne repose pas sur des croisées d'ogive; les cintres enjambent d'un seul mouvement la nef, qui en paraît plus vaste et plus claire.
Huit chapelles latérales abritent les huit langues; La langue d'Italie voisine avec la langue de France et la langue de Provence, du côté gauche. La langue d'Aragon et de Castille occupent deux chapelles du côté droit." (La course à l'abîme Dominique Fernandez)

La cathédrale baroque Saint-Jean La Valette Malte (Intérieur)
La cathédrale Saint-Jean La Valette Malte (Intérieur)

La cathédrale Saint-Jean  : Chapelle de la langue d'Aragon  (Intérieur)

Les tombes des chevaliers de Malte

avec Daniel Rondeau : Malta Hanina



Les chevaliers de Malte ? " Ils sont quatre cents, enterrés dans la nef. Leurs tombes témoignent du défi que fut leur présence sur cette île.

"Malte fut leur refuge, leur accomplissement, leur sésame, leur fin. Les rues, les places, les villes, les palais, les églises, les bastions blessés par le temps, la poussière qui sans cesse tombe des murailles, les tours solitaires du rivage, parlent de leur absence. Et si vous entrez dans Saint John, regardez où vous mettez les pieds, vous marchez sur leurs tombes. Les chevaliers reposent côte à côte sous un patchwork de marbres qui dessine un étrange tapis de prière." Daniel Rondeau  Malta Hanina


"Chaque page fige une page de vie, dans un latin parfois encore médiéval, encore ^proche de l'Antiquité tardive, avec des citations cachées de Cicéron, d'Ovide ou de César, mais truffées d'expressions grecques remises à l'honneur par la Renaissance."


"Les marbres les plus précieux mêlent des gris, des blancs, des noirs, des orangés, des jaunes, des rouges. Porphyres et lapis-lazulis rehaussent l'éclat de la polychromie. Sous ses armoiries, l'épitaphe de chaque défunt, éventuellement sa devise, et une forêt de symboles. Des ancres marines (celles des navigateurs mais aussi la croix cachée des premiers chrétiens)), mais aussi des croix, des anges, des drapeaux, des bougies (reflets de la lumière divine et rappel de la brièveté de la vie), des livres qui, selon qu'ils sont ouverts ou fermés, représentent la sagesse, ou la mort, des cyprès, des palmes, des oreilles de la mer (fleur de l'île gravée sur les pièces de monnaie maltaise avant l'euro), le chêne tutélaire des légions romaines (mais la croix du Christ n'était-elle pas faite de ce bois sacré), des rameaux d'olivier, des roses mariales.....




... et partout des crânes, qui sont parfois des casques, avec les yeux de la Mort qui nous regardent, et une sarabande de squelettes, assis, debout, pensifs ou déterminés, menaçants, certains moqueurs, enveloppés d'une cape ou d'un nuage noir...



L'oratoire : Les deux oeuvres du Caravage

avec  Dominique Fernandez : La course à l'abîme


L'oratoire  de la co-cathédrale Saint Jean (Saint John) : la décollation de Saint Jean Le caravage
L'oratoire : la décollation de Saint Jean Le Caravage
Michelangelo Merisi né  Milan en 1571, et dont la famille était originaire de Carravagio, en Lombardie, est déjà un peintre connu quand il arrive à Malte après avoir été chassé de Rome. Meurtrier, il est obligé, en effet, de gagner Naples pour fuir les soldats du pape qui le poursuivent puis, protégé, entre autres, par Ippolito Malaspina, chevalier survivant du Grand Siège de 1565 qui sert d'intermédiaire entre lui et le grand maître de Wignacourt, il arrive à La Valette le 12 Juillet 1607.

Le portrait  d'Olof de Wignacourt lui assure les bonnes grâces du Grand Maître et la renommée dans l'île; peu après la confrérie de la Miséricorde commande un tableau pour l'oratoire de la cathédrale Saint Jean sur le thème très répandu de la décollation de Saint Jean Baptiste.
Le Caravage, bien qu'il soit roturier et sur les recommandations du grand maître qui admire l'artiste, est ensuite admis dans l'Ordre avec le titre de chevalier d'Obédience magistrale (un des grades inférieurs de l'ordre). Mais Le Caravage est à nouveau pris dans une rixe. Il est jeté dans un cachot de Saint Angelo d'où il s'évade en Octobre 1608. Il mourra non loin de Rome, à Porto Ercole, assassiné sur une plage, en Juillet 1610.
Le saint Jérôme est une commande de Malespina que Le Caravage réalise entre 1607 et 1608. Après avoir figuré dans la collection privée du  vieux chevalier, le tableau eut une vie mouvementée et se trouve à présent à l'oratoire de la cathédrale Saint Jean.

Le caravage : Olof de Wignacourt avec un page, Musée du Louvre

 Dans La course à l'abîme, Dominique Fernandez analyse le tableau  de la décollation de Saint Jean. C'est Le Caravage lui-même qui parle  :

 Tout de suite à droite, en entrant dans la nef, se trouve l'oratoire des novices, auquel était destiné mon tableau. De dimensions exceptionnelles, (plus de dix-sept pieds (5 m 17) de largeur sur plus de onze (3m30  ) de hauteur !), la toile couvrirait le mur du fond. Je devais représenter la mort de Baptiste, J'étais libre de traiter le sujet à ma guise, sous une seule réserve : montrer qu'il n'avait pas été décapité du premier coup, mais qu'il avait fallu l'achever au moyen d'un couteau. Ce couteau est appelé, quand il est placé dans la main d'un bourreau, misericordia. Cette "Miséricorde" rappellerait que ce tableau était une commande de la confrérie de la Miséricorde. A Malte, île animée d'un esprit mythique, on aime communiquer par signes secrets. Autre jeu de mots qui renforçait la portée symbolique de cette mise en scène, le bourreau empoigne son couteau pour donner "le coup de grâce". Quelle avait été la mission de Saint Jean ? Distribuer, par le baptême, la grâce.  Donner des "coups de grâce".
(Dominique Fernandez La course à l'abîme)

cathédarle Saint jean de Malte L'oratoire : la décollation de Saint Jean de  Le Caravage
L'oratoire : la décollation de Saint Jean de  Le Caravage
"Bourreau j'attends de ta miséricorde le coup de grâce qui va me délivrer. Mais nous savons, tous les deux, n'est-ce pas ? qu'il ne faut pas entendre ces mots de miséricorde et de coup de grâce et dans le sens que leur donnent les pieux docteurs de l'Eglise. J'aime ta force et ta violence, comme tu aimes ma docilité et ma soumission. Je n'ai jamais voulu mourir que d'une mort indigne, et dans les conditions sordides qui se trouvent remplies aujourd'hui : une pénombre crapuleuse, des témoins réunis  par hasard."...

"Nulle tragédie sacrée ici : un simple homicide, comme il en arrive parfois dans les bas-fonds d'une ville au cours des heures nocturnes où ne restent à rôder que ceux qui ont un compte à régler avec le destin."


"Je m'identifiais à Jean, je rêvais au bonheur de mourir de la main d'un bourreau aussi beau et aussi radieux que celui que j'étais en train de peindre mais, peu à peu, aussi, à cet assassinat imaginé, se superposait un autre meurtre, un meurtre qui s'était produit réellement, la mort de mon père poignardé par des tueurs dans les rues de Milan."


Dans la prison, les témoins assistent passifs à mon exécution


"Sous le couvert d'un épisode emprunté à la Bible, je n'ai voulu peindre qu'un fait divers, la beauté nue d'un assassinat perpétré en pleine rue, par le hasard d'un mauvais coup dans la vie. Le personnage qui se penche en tendant le plat n'est qu'une domestique de la prison*: on voit assez à sa robe noire modeste nouée à l a taille par un linge blanc, qu'elle n'est pas une princesse. Une autre servante, plus âgée, en robe brune et coiffe blanche, se prend la tête dans les mains, par compassion."

* "et nullement Salomé"


Co- cathédrale Saint (Saint John)  Malte : Le Caravage Saint Jérôme Le caravage
Maichelangelo Merisi dit Le Caravage  : Saint Jérôme

Le Caravage Saint Jérôme (détail)

 la vie de Saint Jean par Mattia Preti


Mattia Preti est né à Taverna en Calabre, alors dans le royaume de Naples sous  la domination espagnole. Il fait ses études de peinture auprès d'un maître caravagesque Battistello Caracciolo. Mattia Preti exerce son art à Rome puis à Naples où il devient un des grands peintres de l'école napolitaine. C'est en 1661 qu'il se rend à Malte invité par le grand maître Rafale Cottoner y de Oleza. Il devient alors le peintre officiel de l'ordre des chevaliers. On  peut retrouver ses oeuvres dans toute l'île. On estime qu'il aurait peint plus de 400 oeuvres dans sa période maltaise dont les fresques de la nef de la cathédrale Saint jean à La Valette qui représente la vie de Saint Jean Baptiste.







Mattia Pretti Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ voûte de la cathédrale baroque de La Valette
Mattia Preti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ


oratoire de cathédrale Saint-jean (saint John) Mattia Pretti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)
Mattia Pretti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)

Oratoire de la co-cathédrale Saint jean à Malte : Mattia Pretti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)
Mattia Preti  : la vie de Saint Jean Baptiste : Le baptême du Christ(détail)





jeudi 6 décembre 2018

Malte : Promenade avec Daniel Rondeau, auteur de Malta Hanina,

Les falaises de Dingli

Il est agréable de quitter la ville et les routes à la circulation intense et folle pour aller vers le sud de l'île, au bord de la mer, des falaises de Dingli, en passant par la grotte bleue jusqu'à Marsaxlokk, petit port de pêcheur.  La promenade se fait avec le livre de Daniel Rondeau, Malta Hanina, (Malte l'Aimée, la Généreuse)

 Malte est cette île mystérieuse, habitée et bâtie depuis le printemps de l'humanité, posée sur la route du milieu  (celle des audacieux, les prudents préféraient le cabotage), à égale distance de Tanger et de Beyrouth, entre la Sicile et le rivage Libyen. Il ne faut jamais sous-estimer la géographie. Elle assigne souvent notre rôle dans l'histoire. Bouton de la rose des vents méditerranéens, nombril de la mer, l'île s'est toujours montrée à la fois fermée et ouverte, avec ses remparts de falaise battus par les flots, ses à-pic taillés dans le vif d'une roche d'un seul tenant, et sa dentelle de criques et de baies d'eau profonde, faites pour le mouillage et les aiguades, où viennent mourir des cultures en terrasses, entourées de bas murs de pierres sèches, de haies de lauriers ou de figuiers de barbarie.

Les figuiers de barbarie débordent des murets le long des petites routes


 Je laisse donc à Daniel Rondeau,  le soin de décrire ces murs de pierre si typiques du pays et ces champs dont certains plein de pierres ne sont pas encore gagnés à la culture.

Des deux côtés de la route, des murs de pierre, parfois solidement assis sur la roche structurent le paysage. Tous signes d'une vieille ordonnance humaine, protection des jardins et retenues de soutien pour les maigres parcelles cultivées, ils ont été arrachés à la roche, comme l'humus des terrasses, mélange de pierres concassées, de sable et de terre, parfois importée de Sicile. En contrebas, la mer éblouissante, déroule son immense nappe de lumière.



Au pied des falaises de Dingli,  les petits jardins entretenus.


au pied des falaises de Dingli
Falaise de Wield Babu en face de la Grotte bleue de Wied Iz-Zurrieq
Agave : ils sont très nombreux à Malte
Falaise de Wield Babu
La grotte bleue
La grotte bleue
 La grotte bleue avec son va-et-vient de bateaux emplis de touristes. Je ne l'ai pas visitée, j'ai préféré aller voir les sites mégalithiques de Hagar Qim et de Mnajdra Temples dont je vous parlerai longuement plus tard.

Le site de Mnajdra Temples
Végétation typique de l'île
La tour de guet
Au loin la petite île de Fifla


 Béni Catana, retraité du Corinthia Hotel, vient quotidiennement de Siggiewi, pour pêcher ou pour regarder la mer. Il parle de l'île de Fifla, au large de la côte, aujourd'hui réserve naturelle dont l'accès est interdit, et où les pêcheurs allaient autrefois suivre la messe le dimanche, avant que les artilleurs britanniques ne la prennent comme cible pour leurs entraînements et la réduisent de moitié.
Une centaine d'hommes continue de pêcher dans cette échancrure de la côte. Béni me fait les honneurs de sa cave à bateaux. Vus de l'extérieur, ces trous dans la roche sont de proportions insoupçonnables. Son hangar abrite deux grosses barques et du matériel de pêche, mais aussi une table et des chaises. Et peut servir de dortoir pendant les nuits d'été.

La petite île de Fifla

Fifla et ses variations incessantes de lumière

 En l'espace de quelques minutes la mer et le ciel varient de couleurs, les jeux de lumière sont intenses et changent  sans cesse. C' est ce que remarque Daniel Rondeau.

 Cet automne, lumineux et doux dure longtemps. Nous allons parfois marcher sur la côte à la nuit tombante. Les eaux paraissent jaunes, violettes, puis virent au bleu sombre. La route suit le lit d'un oued toujours à sec et longe une succession d'échancrures, serties dans les falaises bleues, grises, noires, parfois ceinturées par de modestes baraquements qui servent de garages aux bateaux et de maisons aux pêcheurs.... Pendant quelques jours , le ciel reste sans nuage, la mer sans ride, claire et transparente. Il arrive que quelques tempêtes passent. Embruns, gerbes d'eau, couleurs vives, ciel breton où filent les nuages. Tout s'apaise toujours très vite. Grand soleil et nuits étoilées, parfums de campagne chaude, l'automne n'existe pas.

Le port de Marsaxlokk est toujours un port de pêche traditionnel. On y pêche le thon, la dorade et l'espadon.

Des palmes fraîchement coupées sont rangées dans le bas de d'une étagère. Béni va les tresser pour en faire une sorte de radeau (appelé cima) qui sert de piège aux lampukas (dorades coryphènes) le poisson favori des Maltais. Les pêcheurs posent ces radeaux sur l'eau. Les premières dorades de Septembre se rassemblent sous leur ombre, et les patrons de barques n'ont plus qu'à jeter leurs filets. La saisons des lampukas dure plusieurs semaines, puis les cimas finissent par sombrer. Leurs palmes imputrescibles tapissent les fonds des bords de l'île.





Le port de Marsaxlokk




Marsaxlokk est célèbre pour la beauté des barques vivement colorées. Certaines sont décorées d'un oeil, l'oculus, héritage des dieux Horus ou Osiris, et sont censés éloigner le mauvais sort.

 Malte a tenu tous les rôles du théâtre méditerranéen. Sous son masque pierre, dans ses robes de soleil et de mer, elle fut la convoitée, l'oubliée, la disputée, la cruelle, la fervente, la débauchée, l'île refuge, l'île citadelle, l'île prison, plateforme pour tous les commerces (le blé, les oranges, le vin, les esclaves) et pour la guerre, base navale depuis les Phéniciens, grande infirmerie de la première grande guerre mondiale, bunker essentiel des Alliés pendant la seconde, toujours grenier à rêves variés et contradictoires. Les chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ont fait la gloire de son nom.