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vendredi 22 mars 2019

Kalman Mikszath : Le parapluie de Saint Pierre


Le parapluie de Saint Pierre de Kalman Mikszath est un roman plein d’humour, au rythme enlevé, qui m’a amusée du début jusqu’à la fin. Il raconte l’histoire d’un parapluie rouge qui passe de main en main et est à l’origine de grands chamboulements dans la vie des personnages principaux, le curé Janos Bélyi, sa petite soeur Veronka qu’il élève, et la famille Gregorics dont l’avocat Gyuri, un bien sympathique jeune homme. Cet objet miraculeux aurait même sauvé la vie du bébé Veronka, ressuscité un mort et il confère un décorum sans précédent à tous les enterrements des villageois. Bref, depuis que Saint Pierre l’a déposé, on ne peut plus s’en passer à Glogova !
Divisé en cinq parties, le roman se déroule entre 1870 et 1885 en Hongrie, en particulier dans le petit village de Glogova, situé en Slovaquie qui appartient alors à la Hongrie de l’Empire austro-hongrois des Hasbourg. On y parle plusieurs langues et plusieurs nationalités se côtoient.
La première partie intitulée La légende qui fait intervenir Saint Pierre lui-même, pas moins, est un petit chef d’oeuvre d’humour qui n’est pas sans rappeler le ton d’un roman de Pagnol ou d’un conte de Daudet. C’est bon, les miracles qui transforment les pingres Glogovains (oh! ce nom!) en généreux donateurs ! La deuxième est un retour en arrière qui va expliquer la véritable histoire du parapluie mais quand la réalité s’en mêle, c’est pour introduire un autre mystère ! Enfin les trois autres divisions lancent l’avocat Gyuri à la recherche de ce parapluie, dans une quête qui ne se départit jamais de cet humour vif, de ce ton léger et plaisant même s’il se révèle parfois satirique envers les ruraux aussi bien que les bourgeois. Ce voyage dans la Hongrie de l’époque offre une peinture enlevée du pays, de ses paysages, de ses coutumes et  surtout de ses habitants hauts en couleurs. Kalman Mikszath n'est pas en reste quand il s'agit de brosser les portraits des jeunes héros, Veronka et Gyuri, tous les deux naïfs, un peu sots tant ils sont ignorants de leurs propres sentiments, mais gentils et sympathiques. Et bien sûr, un Happy end !

Un récit vraiment très agréable et original.


Kalman Mikszath

  Kálmán Mikszáth (16 janvier 1847 - 28 mai 1910) fut un romancier, journaliste et homme politique hongrois.

Mikszáth est né à Szklabonya (aujourd'hui Sklabiná, située en Slovaquie) dans une famille de la petite noblesse hongroise, sous l'empire des Habsbourg. Il fit des études de droit à l'université de Budapest de 1866 à 1869 sans obtenir de diplôme et écrivit pour de nombreux journaux hongrois, dont le journal de Pest.

Ses premières nouvelles décrivaient la vie de paysans et d'artisans; malgré leur faible popularité, s'y manifestait son talent pour forger des anecdotes humoristiques qu'on allait retrouver dans ses oeuvres ultérieures. Nombre de ses romans commentaient la société, parfois d'un ton satirique, et devinrent de plus en plus critiques envers l'aristocratie, et le fardeau que celle-ci, selon Mikszáth, avait donné à la société hongroise.

Mikszáth fut membre du parti libéral hongrois et fut élu en 1887 à l'Assemblée Nationale de Hongrie.  (Source : Wikipedia)




mardi 19 mars 2019

Gyula Krudy : Sept hiboux



Le roman de Gyula Krudy, grand romancier hongrois, intitulé Sept Hiboux, est paru en 1922. Krudy a 44 ans. Le roman se déroule dans les années 1890, à Budapest, à une époque où il a lui-même 22 ans.
Budapest  : Antal Berkes peintre hongrois

Ce qui m’a frappée d’abord, dès les premières pages, c’est l’accumulation de détails précis, topographiques, sociologiques, ethnographiques que donne l’auteur : les lieux de la ville, rues, places, bâtiments, que l’on peut retrouver avec exactitude (je les chercherai quand j’irai à Budapest au mois de mai) sauf ceux qui ont aujourd’hui disparu; les coutumes selon les saisons et les fêtes, la manière de s’habiller, en particulier des dames, les classes sociales, les petits métiers, les noms de cafés, des tavernes, les noms de tous les écrivains, journalistes, hommes politiques, tout y est consigné comme si l’écrivain avait pris des notes pendant des années ou jouissait d’une mémoire phénoménale pour faire revivre tous les aspects de sa ville de Budapest.
Nous faisons connaissance du milieu des éditeurs, dans des imprimeries où s’activent des ouvriers intoxiqués par les vapeurs du plomb, et avons vu comment les auteurs, sans le sou, sont obligés de faire leur cour, subissant le mépris non déguisé de leur éditeur. Gyula Krudy dénonce un milieu qu’il connaît bien et se livre à une critique féroce de ces grands patrons qui, tout en exploitant leurs ouvriers et leurs auteurs, préfèrent choisir non la qualité des ouvrages qu’ils impriment mais ce qui leur fera gagner le plus d’argent. La satire n’épargne pas les écrivains désargentés, qui cultivent leur malheur, traînent dans les tavernes des mines désespérées et se font nourrir par leur vieille maîtresse qu’ils dédaignent par ailleurs.


Une foule de détails absolument incroyable ! Je suis restée bouche-bée devant la description - quatre pages- sur les sourcils, les cils, les cheveux des femmes, en particulier sur les bouclettes des brunes qui, selon leur forme respective, témoignent de la sensualité de chacune et livrent tout de leur intimité Une page aussi est consacrée aux différentes sortes de baisers ! L’étonnement que j'ai ressenti à la lecture vient bien de la précision des descriptions presque entomologistes qui a la femme, en particulier, mais pas seulement, comme sujet d’étude, alliée pourtant à une certaine poésie.

Par simple observation des cheveux, leur épaisseur, leur longueur, les ondulations, il perçait à jour l’intimité des femmes qui lui étaient complètement inconnues, ce qui lui causait des émotions dont il se serait bien passé. 
Au départ, j’ai été accablée par cette somme d’érudition, cette profusion de détails précis, j’ai vraiment eu peur de m’ennuyer et ceci d’autant plus que toutes ces allusions à des personnages célèbres ne me parlent pas! Je ne les connais absolument pas ! Et puis je me suis laissée prendre par le style, sa vigueur qui transmet les sensations les plus diverses, les odeurs, les bruits, le froid de l’hiver bleuté, les flocons de neige brûlants comme des baisers sur les voilettes des dames, le passage du vent : j’aime c’est cette façon de passer du détail le plus infime pour tendre vers ce qui est plus large, plus général, comme si la vision s’élevait et permettait de voir plus loin, toujours plus loin, bien au-delà de la ville.


… à la période de Noël où les fêtes des saints patrons se disposent en cercle autour de la naissance du petit Jésus, l’odeur du vent était particulière, comme s’il concassait, lui-même les noix et le pavot des gâteaux, comme s’il portait sur ses ailes, même là où l’on ne célèbre pas les fêtes, l’odeur des bougies que l’on moule. Mais le vent pouvait avoir un parfum sauvage, à la fin de l’automne par exemple, lorsqu’il répandait dans le monde les clameurs des rabatteurs de gibier, les histoires contées par les usagers des moulins, les cris des garde champêtres, les chansons égayées par le vin nouveau, les gémissements des épouvantails dans les champs. »

Cette période « fin de siècle » si finement décrite introduit le personnage de l’avocat Szomjas Guszt, un homme distingué, d’un âge avancé qui arrive à Budapest pour se loger au Sept Hiboux, un immeuble de location où il a vécu pendant sa jeunesse estudiantine. Il veut revivre sa jeunesse en ressuscitant les souvenirs enfuis. C’est un vieillard (près de 70 ans), passé de mode, mais qui prône une certaine sagesse, une philosophie bonhomme qu’il a acquise avec l’expérience. Un personnage curieux, un peu ridicule parfois, mais finalement attachant.
L’autre personne principal masculin est Joszias, écrivain encore peu connu mais qui a pourtant publié plusieurs ouvrages. Cette courte renommée fait de lui un Dom Juan irrésistible auprès des dames mariées et romantiques, qui cherchent un peu de changement, de piment et de poésie dans leur vie réglée d’épouses de vieux bourgeois prosaïques. Il est amoureux de Szofia, jeune femme mariée, avant de le devenir d’Aldaska, jeune fille innocente. De plus, il cherche à se débarrasser de son ancienne conquête, trop vieille (44 ans) Leonora : une belle page sur les sentiments de la femme de quarante ans qui a peur de vieillir, de ne plus être aimée !

Peu à peu le ton devient grave, la mort s’introduit dans le récit et donne lieu à des pages d’une noirceur extrême sur les ramasseurs de cadavres des suicidés, ressemblant eux-mêmes à des morts vivants, et la visite à la morgue nous fait pénétrer dans un monde au-delà du réel. Passages glaçants, d’un réalisme qui touche au fantastique et qui culmine lors de la promenade sur l’île Marguerite, où Joszias et Szofias découvrent le Danube gelé, hérissé de blocs de glace, les arbres couverts de givre, au milieu d’une blancheur qui convoque les âmes des suicidés. Magnifiques pages! La promenade sur le Danube en débâcle au milieu des spectres est impressionnante mais fait ressortir d'autant plus le ton de farce qui suit cette épisode. Curieux contraste qui met le lecteur sens dessus dessous ! On est sans cesse pris entre le comique, la satire ironique, voire cruelle et désabusée de la société, et la tragédie.


Multiplication des registres, richesse des descriptions, richesse des thèmes, ce livre est donc extrêmement dense et touffu. J’ai parfois éprouvé de l’impatience à la lecture, et j'ai eu du mal à y entrer au début, mais j’ai toujours été retenue par ce talent littéraire très particulier qui parvient à créer une atmosphère, qui nous transporte dans une société dont on sent qu’elle est très loin de nous, désuète, entièrement disparue et pour cela précieuse. Une vision qui est à la fois très critique et poétique et qui passe de la nostalgie à l’amertume et à la tragédie. On y sent la griffe d’un grand écrivain !





Gyula Krudy

Nationalité : Hongrie
Né(e) à : Nyiregyhaza , le 21/10/1878
Mort(e) à : Budapest , le 12/05/1933
Biographie :
Né d'un père avocat issu de la petite noblesse, dont il tient le nom et le prénom, et d'une mère issue du monde rural, Julianna Csákányi, Gyula Krúdy est le premier-né parmi les 7 enfants que compte sa famille. Il étudie au lycée de Szatmárnémeti (auj. Satu Mare) (1887-1888), puis à Podolin (auj. Podolínec) (1888-1891), puis de nouveau à Nyíregyháza (1891-1895), où il passe son baccalauréat en juin 1895. Il devient ensuite journaliste, travaillant d'abord à Debrecen, puis à Nagyvárad (auj. Oradea). Krúdy publie sa première nouvelle à l’âge de quinze ans. En 1896, quand il s'installe à Budapest, il a déjà une centaine de publications à son actif. Il connaît rapidement le succès et devient très populaire grâce à "Sindbad". Il gagne l’estime des milieux littéraires qui le saluent pour ses innovations littéraires. Il écrit dans la plupart des grands journaux et des revues de son époque comme le célèbre Nyugat (Occident) dont il est l’un des principaux rédacteurs dans les années 1920. En 1899, il se marie avec une institutrice nommée Bella Spiegler (de son nom d'écrivain Satanella). Plus tard, il la quitte pour Zsuzsa Rózsa. Son apparence seule a suscité une foison de légendes : « Prince de la Nuit », joueur, coureur de jupons invétéré… Amateur de vin et fin gourmet, il aimait passer son temps dans les restaurants et les cafés, mais aussi dans les tavernes des quartiers populaires. Il a néanmoins écrit près de 90 romans, plus de 2500 nouvelles et plusieurs milliers d’articles de journaux. La situation politique trouble après la Première guerre mondiale et les conséquences du Traité de Trianon (1920) ont causé de graves problèmes existentiels à beaucoup de Hongrois. Krúdy a passé les dernières années de sa vie dans une pauvreté extrême, aggravée par des problèmes de santé, parce qu’il ne pouvait plus travailler suffisamment. Le prix Baumgarten (1930) et le prix Rothermere (1932), reçu grâce à Kosztolányi, alors Président du Pen club hongrois, l’ont un peu aidé, mais il était déjà trop endetté. Il s'est éteint seul dans sa maison du Vieux-Buda où l’électricité avait été coupée. Il avait 55 ans. Les journaux ont publié la nouvelle de sa mort sur leurs unes. À son enterrement où l'orchestre tzigane de sa ville natale a joué sa chanson préférée, une foule s’est rendue composée d’écrivains, d’éditeurs, de jockeys, d’anciennes maîtresses, de garçons de café, de filles de rue… La Hongrie officielle n’a pas souhaité de s'y faire représenter. (voir bio babelio)

samedi 16 mars 2019

Magda Szabo : Abigael



Le livre de Magda Szabo, Abigaël, est un roman d’initiation. C’est l’histoire de Gina, jeune fille de la bourgeoisie aisée, élevée par un père aimant, attentif et indulgent et par une gouvernante française intelligente et affectueuse. Tout sourit à la jeune fille lorsque son père l’envoie en pension loin de la capitale dans un monde austère d’où les plaisirs et la beauté sont exclus, loin du luxe et de la vie plaisante qu’elle menait à Budapest. La souffrance d’être séparée de son père adoré et admiré ajoute à la révolte de Gina.
Dans cette institution calviniste, les jeunes filles doivent obéir à une discipline quasi militaire et consacrer leur vie à Dieu et à leurs études, sachant que leur conduite - qu’elle soit bonne ou mauvaise- ne les sauvera pas si Dieu ne l’a pas décidé ainsi à leur naissance ! Un déterminisme d’autant plus difficile à supporter que Gina avait l’habitude de la liberté, de la discussion, des plaisirs culturels, des divertissements, bals, théâtre… La description de l’établissement, de ses règles qui en brimant la spontanéité détruisent aussi toute sincérité, la présentation de cette philosophie religieuse, puritaine, qui refuse tous les plaisirs de la vie est un des grands intérêts du roman.

Dure initiation donc pour cette charmante jeune fille et ceci d’autant plus que nous sommes en 1943 et la Hongrie, alliée à l’Allemagne nazie, va bientôt subir ses premiers revers. Mais alors que la guerre avec ses privations, ses alertes aériennes, son couvre-feu, est au centre du roman, elle apparaît comme secondaire tant les jeunes filles enfermées dans cet établissement aux règles religieuses strictes semblent vivre dans un monde à part, occupées seulement par des soucis de collégiennes. Peu à peu, l’intrusion de la vie réelle bouscule leur existence. L’antisémistisme sévit, les lois raciales s’étendent jusqu’à elles et pénètrent dans l’établissement, menaçant certaines d’entre elles. La Résistance s’organise pour lutter contre l'armée allemande qui occupe le pays. La menace qui plane finit par rejoindre Gina elle-même dans une terrible et effrayante sortie de l’enfance.

Le récit est fait à la troisième personne, selon le point de vue de Gina, et bien qu’elle soit intelligente et mature pour ses quinze ans, le ton ne se départit pas d’une certaine naïveté et d’une fraîcheur de l’enfance qui fait que l’on se sent proche d’elle, que l’on partage ses chagrins, ses révoltes, ses peurs aussi. Le lecteur adulte ne peut s’empêcher de sourire de son manque de clairvoyance à propos de la statue d’Abigaël, la confidente et la protectrice de toutes les élèves en difficulté. Son aveuglement, lié à ses partis pris envers ses professeurs et les gens qui l’entourent, nous la rendent plus proche ! Alors même qu’elle est dotée d’un grand sens de l’observation, elle ne cesse de faire des erreurs de jugement qui lui font très mal. Une façon de grandir parfois bien douloureuse. Le personnage avec ses défauts et ses qualités est donc très attachant et, de plus, Magda Szabo peint avec dextérité et sans manichéisme toute une galerie de portraits bien campés et complexes, des adultes aux enfants, compagnes de Gina.

Un livre passionnant, une tranche de vie individuelle inscrite dans un moment  tragique de l’histoire de la Hongrie.


Voir aussi l’excellent roman de Magda Szabo : La Porte ICI

 Magda Szabo

Né(e) à : Debrecen , le 05/10/1917
Mort(e) à : Kerepes , le 19/11/2007
Biographie :  Babelio

Magda Szabo est née en Hongrie. Ses premiers écrits sont publiés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale mais, après 1948, pour des raisons politiques, elle disparaît de la scène littéraire.  Lorsque ses livres ressortent en librairie à la fin des années 50, l'accueil est enthousiaste.

Depuis, récompenses et traductions à l'étranger se succèdent, notamment le prix Pro Urbe Budapest en 1983, le prix Csokonai en 1987, le prix Getz en 1992, le prix Betz Corporation en 1992 et le prix Femina étranger en 2003 pour "La porte". Magda Szabo est devenue une figure majeure des lettres hongroises.

 




C'est  avec un peu de retard que je rejoins Eva, Patrice et Goran mais il est encore temps - et pour vous aussi- de les rejoindre pour ce mois de Mars dédié à la littérature de L'Europe de l'Est.

 Souvenez-vous, c’est l’an dernier qu’est né Le mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran. Et ce dernier revient, toujours en mars. Voici en quoi celui-ci consiste.
Vous l’aurez compris, lors de ce mois de mars, il va être question de littérature, tout genre confondu (roman, essai, poème, BD, livre jeunesse, etc.), d’Europe de l’Est. Lorsque vous aurez rédigé votre critique, comme vous le faites avec n’importe quel autre texte, il ne vous restera plus qu’à préciser que celle-ci a été rédigée dans le cadre du célébrissime mois de mars. Enfin, n’oubliez pas de venir partager votre article chez Goran ou bien chez Eva et Patrice. Si vous le préférez, vous pouvez aussi utiliser nos contacts via ces liens (ici et ici.). Début avril nous rédigerons un article récapitulatif. Par ordre alphabétique voici la liste des pays acceptés :
– Albanie
– Biélorussie
– Bosnie-Herzégovine
– Bulgarie
– Croatie
– Estonie
– Hongrie
– Lettonie
– Lituanie
– Moldavie
– Monténégro
– Pologne
– République de Macédoine
– République tchèque
– Roumanie
– Russie
– Serbie
– Slovaquie
– Slovénie
– Ukraine
Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous les poser. Toujours est-il que nous vous espérons tout aussi passionnés et passionnants que l’an dernier ! Et surtout que ce Mois de l’Europe de l’Est vous apportera de merveilleuses découvertes littéraires. Enfin, nous rappelons que vous pouvez utiliser notre visuel afin d’illustrer vos articles. Par avance, merci de faire vivre ce mois de mars qui ne serait pas possible sans votre participation.
Voici pour rappel le lien vers le bilan du Mois de l’Europe de l’Est 2018 qui avait rassemblé 22 blogueurs et 99 billets !
A très bientôt
Eva, Patrice & Goran

jeudi 14 mars 2019

Sibilla Aleramo : Le passage


 Le Passage

Dans une nouvelle intitulée Le Passage, paru en 1919, Sibilla Aleramo reprend le récit de sa vie dans un texte lyrique, d’une grande beauté poétique.  
Je rappelle que l'écrivaine, mariée à 16 ans à l'homme qui l'avait violée,  écrit son premier roman Une femme, en 1906, après avoir quitté son mari et son enfant qu'elle n'a jamais revu. Le livre qui connaît immédiatement un grand succès, est traduit en plusieurs langues et Sibilla Aleramo devient une icône du féminisme dans le monde. (voir le billet  : Une femme Ici)
 
 Son fils

Mary Casatt

Ô mon enfant, mais de ce sombre rêve, tu étais pourtant sorti, vivante réalité de chair, mon enfant, passion profonde de mon sang…
Pourquoi t’ont-ils arraché de moi ?
Tu étais à moi, tu étais avec mon âme la seule chose vivante de ma sombre jeunesse ; je t’avais fait grandir comme je grandissais moi-même, non pour ce jour-là, mais pour d’autres qui devaient venir… Mon enfant, et j’ai pu sauver mon âme de ce cauchemar, et toi, je n’ai pas pu te sauver ! Ils ne t’ont pas rendu à moi, bien que je te réclamasse en hurlant… Ils n’ont pas voulu, tu es resté loin de moi, loin de moi. Resté pour toujours le petit qui avait déjà presque sept ans. J’ai essayé, ma créature, j’ai essayé de te deviner autre, d’imaginer comment pouvaient être tes yeux quand tu avais huit ans, quand tu avais dix ans et douze ans… Je cherchais à me représenter ta taille, mois par mois, et ton sourire et tes cheveux… Mais ta voix, mon fils, je ne la pouvais savoir ! Tu venais dans mon sommeil, rêve d’un rêve. Et rien d’autre, plus jamais.

Son père et sa mère 

Le père de Sibilla Aleramo a abandonné ses enfants et sa mère qui a progressivement sombré dans la folie. Plus tard, elle se souvient d'eux et de leur amour disparu.
Le baiser Klimt
Cette nuit-là, comme j’écoutais la voix du fleuve gronder durement sous les arches du pont et contemplais dans mon cœur une douleur déjà indurée, déjà prête à devenir pierre, je me surpris à songer à ce qui avait uni mon père et ma mère, à leur amour. Je pensai à leurs deux jeunesses. J’avais été conçue dans l’extase et le délire par ces deux créatures alors neuves, belles, victorieuses pour moi de toute tristesse, en ce premier instant de moi-même.
Baiser d’où je suis née, tu étais un chant qu’exprimaient pour moi deux amoureux, tu étais un chant total, et je t’ai emporté dans mes veines, écho que rien n’a jamais pu étouffer. Moi, la première-née, fruit de joie, fusion de deux flammes. Ils s’aimaient parce qu’ils ne se ressemblaient pas, parce que tout de l’un émerveillait l’autre. Et leurs existences se jetaient l’une vers l’autre pour moi, pour former une créature unique, qui vivrait la vie intégrale, la vie si diverse en eux deux, l’accepterait et l’aimerait dans sa totalité. Ils ne le savaient pas. S’ils l’avaient su, peut-être, après m’avoir vue naître, se seraient-ils séparés, peut-être n’auraient-ils pas voulu créer ensemble d’autres enfants avec un élan moindre, pour un destin moins puissant. En moi seule s’est transmis vraiment ce qui les accoupla : la force d’amour qui éternellement dissout tout mal en moi.

 Le silence
Hammershoi

Le silence attend. Le silence, la plus fidèle chose qui m’ait enlacée dans la vie.
Plus grand que moi, au fur et à mesure de ma croissance, il croissait, lui aussi, semblait toujours vouloir m’écouter ; nous nous taisions ensemble, et je me retrouvais toujours la même entre ses bras, sans stature, sans âge, créée par le silence même, peut-être par un sien désir immuable, ou peut-être non encore née, larve qu’il protégeait.
Une fois encore, je suis seule, je suis loin, et autour de moi tout se tait.

 L'humilité

Chagall

 L’Humilité m’environne. Profonde comme les ombres violettes dans la vallée couronnée de nuages d’argent.

Je suis née au milieu d’août, dans le Piémont. Mais peut-être au ciel, en ce mien premier matin, se tenaient suspendus de grands fantômes blancs et, dans la campagne d’Assise, où ma mère avait passé jeune épousée dans le clair vallon fleuri où je voudrais mourir, peut-être toute la suavité de la terre se vêtait de violettes. 



mardi 12 mars 2019

Sibilla Aleramo : Une femme


Dans Une femme (Una Donna) publié en 1906, Sibilla Aleramo publie une autobiographie romancée et raconte un fait inouï pour l’époque : Comment elle a quitté son mari et a dû pour cela abandonner son fils.
Sibilla Aleramo, de son vrai nom Rina Faccio, commence son récit avec son enfance, petite fille déchirée entre un père qu’elle admire et une mère effacée, qui ne supporte pas les infidélités de son mari. La fillette est d’une grande intelligence et son père adoré dirige son éducation, lui donnant lui-même des cours, l’incitant à lire, développant en elle des connaissances précoces. A 13 ans, l’enfant travaille dans l’usine de son père comme comptable et l’aide à la gestion. Mais celui-ci se désintéresse de sa famille pour s’installer avec une autre femme et l’adolescente souffre beaucoup de cet abandon qui la laisse seule avec ses frères et soeurs, sa mère sombrant progressivement dans la folie. Aussi quand elle est violée à l’âge de 15 ans par un employé de son père, elle ne peut se confier à personne et se persuade qu’elle doit l’épouser. C’est le début d’une vie conjugale horrible où la jeune femme -elle a 16 ans- doit abdiquer toute personnalité, se fondre dans son rôle d’épouse, face à un mari jaloux et violent qui l’humilie et la bat. La société conformiste et étriquée de province accentue son isolement. Seule la naissance de son fils lui apporte la joie et l’amour. Pour lui, elle accepte encore des années de souffrance mais après sa tentative de suicide, elle comprend qu’elle ne peut plus continuer ainsi, c’est une question de survie ! Pour être libre, retrouver sa dignité et aussi pour avoir le droit d’écrire, de devenir l’écrivain qu’elle porte en elle, elle s’enfuit de son foyer en laissant son enfant derrière elle. Elle n’obtiendra jamais le droit de le revoir. Un geste si douloureux qu’elle en portera la blessure toute sa vie. 

J’ai aimé ce récit écrit dans un style simple, limpide et sobre. Ce témoignage émouvant et douloureux montre toute l’horreur de la condition féminine la fin du XIX siècle et au début du XX ème en Italie. Au XVII ème siècle la peintre, Artemisia Gentileschi, était elle aussi prête à épouser son violeur pour « réparer » la faute. On voit que la situation féminine n’a pas beaucoup évolué tant de siècles après ! Sibilla Aleramo mène une réflexion intéressante et intelligente sur les grands problèmes liés au statut de la femme. Elle y répond à sa manière en montrant que oui, la femme peut gagner sa liberté.
Si ce récit a fait scandale à sa parution auprès de la bonne société italienne catholique et pratiquante, il a placé Sibilla Aleramo au rang d’icône du féminisme, à l’époque et encore de nos jours …

 Extraits de Une femme   

Sibilla Aleramo réfléchit  à la condition de la femme et en particulier lorsque celle-ci devient mère. Mais qu’est ce qu’une « bonne mère » ?

Mais la bonne mère ne doit pas être comme la mienne une pauvre créature à sacrifier : elle doit être une femme, une personne humaine.
Et comment peut-elle devenir une femme si ses parents la donnent, innocente, fille, incomplète, à un homme qui ne la regarde pas comme son égale, mais qui en use comme d’un objet dont il est le propriétaire….


Sibilla Aleramo écrit ses impressions, ses notes s’accumulent :
 
Une ardeur secrète courait dans ces feuillets que je commençais à aimer comme quelque chose qui serait le meilleur de moi-même, comme s’ils m’assuraient que je pourrais vivre intensément et utilement. Vivre ! je voulais désormais non plus seulement pour mon fils, mais pour moi, pour tous.
 

La liberté
Penser, penser ! Comment avais-je pu vivre tant de jours sans penser ? Les personnes, les choses, les livres, les paysages, tout provoquait chez moi désormais d’interminables réflexions.

Mon prochain billet présentera une autre oeuvre de Sibilla Aleramo : Le Passage

Sibilla Aleramo


 Sibilla Aleramo, pseudonyme de Rina Faccio, est une écrivaine italienne, née à Alexandrie dans le Piémont le 14 août 1876 et morte à Rome le 13 janvier 1960.
Mariée à 16 ans à l'homme qui l'avait violée, elle écrit son premier roman Une femme, en 1906 après avoir quitté son mari et son enfant. Le livre, qui connaît immédiatement un grand succès, est traduit en plusieurs langues. Féministe, militante communiste, Sibilla Aleramo a toujours lutté pour la cause des pauvres.

dimanche 24 février 2019

Une pause un peu prolongée mais...



Merci à toutes celles qui demandent de mes nouvelles ! Voilà qui fait chaud au coeur et me force à sortir de mon silence.
Oui, je n'ai pas écrit depuis longtemps pour des raisons familiales mais je n'ai pas abandonné mon blog et je reviendrai bientôt parmi vous. 

A bientôt donc et et un grand bonjour d'Avignon ...







mardi 15 janvier 2019

Julio Llamazares : Lune de loups



Quatre jeunes gens traqués par la haine fratricide tâchent de survivre dans la montagne, cachés dans les cavernes et les bois. La guerre civile passe au fond de ce récit avec sa cohorte de détresse, de violence et de mort. Mais au fond seulement. L’histoire de ces hommes, de ces animaux nocturnes et solitaires, est plutôt celle d’un mauvais rêve, celle d’un voyage intérieur vers les sources mêmes du lyrisme et de la transfiguration poétique du réel. Loin de nous enfermer dans la nuit sans issue d’un maquis condamné, le récit ouvre sur un autre monde, moins visible et plus incarné à la fois, plus élémentaire et plus dense. (Quatrième de couverture)Lune de loups Julio LamazJ

Depuis toujours, me semble-il, je me suis intéressée à la guerre civile espagnole. Mon premier film  sur ce sujet, quand j’étais enfant, a été Pour qui sonne le glas et j’ai, par la suite, lu le beau  roman d’Ernest Hemingway. Il y eut aussi Tanguy de Michel del Castillo et puis Javier Cercas et les soldats de Salamine et actuellement Le Monarque des ombres, et  Le crayon du charpentier de Manuel Rivas, Faut pas pleurer de Lydie Salvayre et maintenant Lune de loups de Julio Llamazares. Tous de très beaux livres que j'ai beaucoup aimés ! Et toujours la même émotion vis à vis de cette terrible histoire de meurtres et de sang qui divise un peuple, toujours le même sentiment de solidarité envers les républicains. Pourquoi ce sentiment si fort, naissant de ce moment si complexe de l’Histoire d’Espagne? Peut-être est-ce par ce que ceux qui représentaient la liberté ont été vaincus et que leur peine ne s’est pas arrêtée à la fin de la guerre mais a perduré : des années de franquisme, des années de dictature, de privation de liberté, de domination des valeurs fascistes sous la férule d’une église hypocrite et puritaine, mise au service du pouvoir et des riches, des années d’exil, de délation et de mort. Peut-être aussi parce que la guerre d’Espagne nous fait comprendre combien la démocratie est faible et combien il est difficile de la défendre.
Mais revenons au livre de Julio Llamazares. Lune de loups  raconte l’histoire de quatre jeunes républicains, réfugiés dans les montagnes de Cantabrique, poursuivis par les fascistes qui les traquent  jusque dans leurs ultimes refuges, dans les grottes où ils se réfugient, les cabanes de berger abandonnées, dans les maisons du village qui entrouvrent (rarement) leur porte pour leur donner une aide. La délation règne, les familles des maquisards subissent de dures représailles.  La justice est expéditive, un coup de mitraillette règle tout, pas besoin de  jugement !
Le narrateur est Angel, l’instituteur, et ses compagnons d’infortune sont Ramiro, Juan et son jeune frère Gildo.
Le roman est assez différent de ceux que j’ai lus jusqu’à maintenant. Il s’attarde moins à l’Histoire elle-même et parle plus largement des conditions de vie des quatre jeunes gens, réduits à l’état de bêtes, de leurs souffrances morales et physiques dans une nature belle mais hostile à l’homme.

La nuit a éclaté comme un baril de poudre. Elle s’est changée en un tourbillon dévastateur et glacial. La neige, le vent, le crépitement des armes, les cris des gardes civils se fondent sous le manteau de la nuit pour dessiner une estampe floue et incompréhensible.

Le récit pourrait se dérouler n’importe où, dans un noman’s land de forêts, de neige et de froid,  lors d’une errance qui déshumanise et préfigure l’antichambre de la mort, la porte des Enfers.

Une lumière grise, de lune très lointaine – « Regarde, Ángel, regarde la lune : c’est le soleil des morts » – éclaire légèrement la ligne des montagnes et le frisson ému des arbres.

 Et cette errance va durer environ dix ans. En effet, le récit commence en 1937 et se termine en 1946.

C’est avec poésie et émotion que Julio Llamazares décrit les affres de la solitude,  l’aliénation de l’homme privé de sa famille, de  ses semblables,  la souffrance qui érode, qui sape chaque jour d’avantage ce qui le fait humain.

Cet homme à qui le miroir de la pluie, dans la montagne, rend cependant la mémoire de ce qu’il a toujours été : un être pourchassé et solitaire. Un homme traqué par la peur et par la vengeance, par la faim et par le froid. Un homme à qui l’on refuse même le droit d’enterrer le souvenir des siens.

Le style imagé et lyrique donne un ton particulier au récit, entre rêve et réalisme, et la lune brille sans cesse dans la nuit de ces hommes sur laquelle pèse la menace de la Mort, omniprésente.   Celle-ci s’incarne parfois comme dans ce passage où Angel prend la faux, dissimulé par l’obscurité, dans le pré de son père :

Toute la nuit millénaire de l’herbe et du fer, le zigzag vert et noir de la mort devant mes pieds et l’éclat solitaire de la lune d’Illarga. Toute la nuit, incliné sur le pré, la faux dans les mains et la mitraillette en bandoulière, afin que ma famille le trouve fauché quand le jour se lèvera.

La lune de loups, la lune des bêtes sauvages, rendues féroces comme eux par les mauvais traitements et qui sont, comme eux, solitaires et pourchassées.

Dans ces contrées, ils chassent encore les loups comme des hommes primitifs en les encerclant. (…) Ils le prennent vivant et, durant plusieurs jours le promènent à travers les villages afin que les gens puissent l’insulter et lui cracher dessus avant de le mettre à mort.

Un beau livre qui éclaire d’une manière émouvante, brillante et poétique, un moment de la guerre civile espagnole.

Merci à Dominique de m'avoir fait découvrir ce livre : ICI

dimanche 13 janvier 2019

Patricia MacLachlan et Marc Boutavant : Barkus



Barkus de Patricia MacLachlan, illustré par Marc Boutavant, traduit en français par Nathalie Pelletier, est paru aux éditions Little Urban, collection Premiers romans.

L’oncle Alfred arrive à la maison de Lilou avec un cadeau pour elle et ce cadeau, c’est Barkus, « le chien le plus intelligent du monde » ! Entre la petite fille et Barkus, naît une belle histoire  d’amitié.
Le livre est divisé en petits chapitres qui portent un titre différent : Barkus file à l’anglaise,  Joyeux anniversaire Barkus, Barkus et Robinson, l’heure des histoires.



Histoires charmantes, proches de l’univers de l’enfant : l’amitié avec un chien et les joies qu’elle procure, l’école, l’arrivée d’un petit chat, une nuit sous la tente, toutes sont simples et respirent le bonheur.
Ma petite fille qui a neuf ans l’a bien aimé mais le trouve un peu « bébé ». Par contre, le livre me paraît convenir parfaitement aux enfants de CP qui savent lire mais peut être lu aussi aux plus petits. Les illustrations sont sympathiques et joyeuses. Un livre agréable et plaisant.


Merci à Masse Critique et  aux Editions Little Urban  premiers romans.

mardi 8 janvier 2019

Tim Willock : La Religion et Malte


« La Religion », c'est le nom que se donne l'ordre des Hospitaliers, mais c'est aussi la bannière sous laquelle se rallie parfois la folie des hommes. En 1565, claustrés sur leur petit archipel au sud de la Sicile, les chevaliers de Malte s'apprêtent à recevoir les furieux assauts de l'armée ottomane. A un contre cinq, les chrétiens tiennent le siège au prix de combats effroyables. un déchaînement de violence dans lequel se trouve entraîné Mattias Tannhauser, un ancien janissaire qui a connu les deux camps. Pour les beaux yeux de la comtesse Carla La Penautier, le trafiquant d'armes et d'opium embarque pour l'enfer. (Quatrième de couverture)

Dans son roman La Religion, Tim Willock s’attache à nous relater le terrible siège de Malte qui eut lieu en 1565 et fut l’une des plus terribles et spectaculaires batailles du siècle. Elle oppose les armées turques de Soleyman le Magnifique aux chevaliers hospitaliers de Saint-Jean. Malte, sous la domination des chevaliers, est un lieu  stratégique qui  permettrait aux Ottomans l'invasion de toute la chrétienté, via la Sicile et l’Italie.
Le Grand Maître, La Valette, va tenir tête avec ses 500 chevaliers et ses 7000 combattants, à une armée puissante, bien organisée, possédant une flotte navale impressionnante et dotée de quarante mille guerriers, janissaires, soldats, esclaves, alliée à des pirates. Les chevaliers, eux, attendent du renfort de la part du Pape et des nations chrétiennes mais il n’arrivera que bien tard, après leur victoire !
 Des deux côtés le fanatisme est le même. On se bat au nom de la foi, en opposant avec violence les figures du Christ et d’Allah, la Croix et le Croissant. Mais aux yeux des chevaliers de Malte, La Religion, c’est évidemment la religion chrétienne et elle ne peut être vaincue. Commence alors un siège sanglant, cruel, sans merci, un combat de titans, tant il ne paraît plus être à l’échelle humaine. C’est cette impression que nous laisse le style de Tim Willock, visionnaire, qui conte ici à travers des personnages historiques et aussi fictifs, un moment de l’histoire que l’auteur hisse au niveau de l’épopée. Les chevaliers et les habitants de Malte développent une résistance à toute épreuve contre leurs assaillants allant jusqu’au dernier degré de l’épuisement, de la faim, du sacrifice de leur vie, soutenue par une foi qui n’admet aucune faiblesse. Il faut dire que La Valette est là pour rallumer la flamme des défaillants ou mettre à mort ceux qui veulent se rendre !

On ne peut pas aller à Malte sans avoir lu ce livre. Il nous fait voir d’un autre oeil les lieux dont nous foulons le sol, il nous fait chercher à travers le présent, les vestiges où s’est déroulée l’histoire !  C’est avec jubilation que l’on retrouve tel site, le fort Saint Elme, Le fort saint Angelo, les auberges des huit langues du moins celles qui ne sont pas détruites, le palais de l’Inquisition, les trois cités face à la Valette (ville qui n’existait pas encore en 1565). La Valette qui prit le nom du plus vaillant défenseur de Malte fut construite sur le mont Sciberras après le siège grâce à l’argent envoyé de toute la chrétienté éblouie par la victoire si improbable et si prestigieuse des chevaliers.
Quant à ceux qui ne vont pas à Malte, ils trouveront, j’en suis sûre, de l’intérêt à suivre la petite histoire - dans la Grande- de Mattias Tannhauser*, et de la comtesse Carla La Penautier*, personnages de caractère, tout en s’initiant à ce fabuleux récit racontée par un écrivain qui sait de quoi il parle et dont le style a un pouvoir évocateur impressionnant. L’idée d’avoir fait de Matthias un enfant chrétien devenu janissaire après avoir été enlevé à sa famille décimée par les turcs permet de voir et de comprendre la mentalité, les moeurs, la religion des deux partis ennemis et de montrer, à travers leurs ressemblances, l’inanité de la guerre  et  l'horreur du fanatisme religieux quel qu'il soit, au cours d'une réflexion intelligente qui permet de donner de l'étoffe à son personnage..

 La Valette avait décrété qu'un musulman serait pendu chaque jour que durerait le siège. Tannhauser trouvait le stratagème brillant, pas seulement parce que son horreur était une parfaite réplique à la splendeur du Turc, mais aussi parce qu'il affirmait aux deux armées que ce conflit n'aurait d'autre issue que l'extinction complète de l'une ou de l'autre.

Puis, en sombrant dans le sommeil, il se remémora qu'il ne faillait pas se laisser séduire par la fraternité rare et noble des chevaliers car, en fin de compte, c'était un culte de la mort, et il avait eu plus que son content de telles amitiés.

*Je dois ajouter pour ceux que cela effraierait que c'est un pavé de 900 pages mais qui se lit très bien.

*Personnages que l’on peut retrouver dans deux autres romans de la Trilogie, La Religion étant le premier tome.


La bataille du fort Saint Elme

La Valette sur le mont Sciberras : Le fort Saint Elme à la pointe

La deuxième partie du roman qui a pour titre L'illiade maltaise raconte comment les chevaliers ont tenu le fort Saint Elme face à l'assaut des ennemis pendant plus de 21 jours, exploit qui paraissait irréalisable. Le Fort était construit à l'entrée du Grand Port, sur la pointe du Mont Sciberras qui était nu à cette époque. 



Sur son avancée rocheuse, Saint-Elme était enserré dans un cercle de feu crépitant. De temps à autre, la fumée se soulevait et révélait les échelles jetées contre les murs.


Le fort Saint Elme : fortification Est

Quand l’aube se leva sur les fortifications de l’Est, sa lumière incertaine prêta aux bancs huileux de fumée une nuance de jaune, et quelque part au-delà de cette lueur ocre, les cuivres turcs sonnèrent la retraite, et les restes vaincus d’une dizaine d’orta* de janissaires dérivèrent dans la brume comme des spectres flagellés, puis ils disparurent. Le long de la crête couverte de sang, les soldats de la croix, en lambeaux, regardaient avec une indifférence abrutie l’ennemi disparaître, trop épuisés pour vraiment comprendre que la nuit était leur et que leur bannière verrait un autre jour. 

* régiment
L'intérieur du Fort Saint Elme : place des manoeuvres

Le fort Saint Elme : deuxième enceinte

L’air était malsain et devenait putride à respirer.

Au-delà des remparts dévastés sur lesquels il (Tannhauser) se tenait et s’enfonçait, - dans une marinade fétide de sang, de détritus, membres, organes, cervelles et des contenus évacués de milliers de vessies et d’entrailles-  s’étendaient le corps de quinze cents musulmans. Ils débordaient de la douve gémissante et s’étalait en travers du no man’s land souillé et pestilentiel comme les traces de quelque catastrophe contre nature. Et Tannhauser se sentit honteux. Puis il eut honte de sa honte, car c’était mensonge, et tuer au moins était honnête.

Après la chute du Fort Saint Elme, les Turcs donneront l'assaut au Fort Saint Angelo,  dans le quartier du Borgo.

Malte :  Les Trois cités

Les Trois cités : A gauche Birgu/ Vittorioso avec le fort San Angelo ; A droite Isla Sanglae ; les deux cités sont séparés par le Dockyard creek. A droite, à l'arrière plan, la cité Bormia ou Cospicua


Les Trois Cités font face à La Valette. Comme elles portent plusieurs noms, il est bien difficile de s'y retrouver.

 A gauche, Birgu (Borgo) nommé aussi Vittoriosa après le siège de 1565; elle était déjà là quand les chevaliers sont arrivés à Malte en 1530.


Birgu Vittorioso Fort San Angelo
 
Birgu (Borgo) Vittorioso


A droite, Isla qui porte aussi le nom de Senglea du nom du Grand maître qui en est le fondateur : Claude de la Senglé. Elle a reçu le surnom de Citta Invicta (invincible ) après le siège. A l'extrêmité se trouvait le Fort Saint Michel qui fut détruit par les turcs.


Sanglea

La troisième cité est Bormia aussi appelé Citta Cospicua ou Cité remarquable.

Les Trois Cités sont maintenant désignées sous le nom global de Cottonera du nom du grand Maître Cottoner y de Oleza qui a réalisé en 1670 les fortifications qui les encerclent, 4km 500 de remparts qui protégaient les villes, les champs, et pouvaient rassembler, en cas de nouveau siège, 40 000 habitants et le bétail...  siège qui n'a jamais eu lieu!


Birgu ou  Borgo Citta Vittorioso

Je n'ai pu voir que la cité de Borgo et me suis promenée dans le quartier du Collachio où se trouvent encore les auberges des chevaliers, d'adorables petites rues pavées et des maison en pierres aux tons dorés, flanquées d'oriels de toutes les couleurs.

Birgu ou Borgo San Angelo

Birgu : Rue et oriels
 
Birgu De jolies petites rue fleuries
 
La Maison d'Angleterre

Birgu (Borgo)La Maison d'Angleterre

La Maison d'Angleterre  : le chevalier Olivier Starkey vécut ici pendant le siège de 1565.  Il était le seul chevalier de sa langue


Birgu : Oriel (détail)

De son passé, Malte garde un attachement profond à la foi catholique

Birgu (détail)

Borgo Auberge de France

Auberge de France

 
Birgu (détail)

Auberge d'Auvergne Provence