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mardi 25 mai 2021

Honoré de Balzac : La fausse maîtresse

 

La fausse maîtresse est une courte nouvelle de Balzac parue en 1842.

 Clémentine de Rouvre, riche héritière, épouse un noble polonais, Adam Laginski,  réfugié en France après les évènements qui ont bouleversé son pays. C’est un homme du monde, aux belles manières, toujours prêt à satisfaire les caprices de son épouse mais il est laid, faible devant les tentations, le jeu, le luxe, les femmes … Son ami,  le comte Paz, noble désargenté, lui sert d’intendant et lui évite de se ruiner en gérant au mieux sa fortune et ses dettes.  Mais si Paz est d’un dévouement sans limite pour son ami Adam, il n’en est pas moins amoureux de Clémentine. Pour échapper à la tentation et ne pas trahir son ami, il s’invente une fausse maîtresse en la personne d’une artiste de cirque nommée Malaga. La comtesse Laginsky une instant attirée par cet homme beau, au caractère fort et sérieux, et jusqu’alors paré d’une aura mystérieuse, méprise cette passion pour une fille du peuple, et se détourne de lui.

La peinture de la noblesse parisienne est toujours aussi bien décrite dans cette nouvelle quoique rapidement et brossée à grands traits. Clémentine est le portrait de la parisienne fortunée, courtisée, brillante en société mais légère, capricieuse et sans profondeur. Elle ne pense qu’à paraître, à être entourée, fêtée et à écraser ses rivales, au bal, à l’opéra, dans les salons, partout où l’on peut se montrer. Elle et son mari qui est lui aussi l’homme du monde dans toute sa superficialité (sauf qu’il paie ses dettes, ce qui est rare et paraît étonnant dans ce milieu) sont en lutte perpétuelle pour être les premiers partout et dépensent une fortune qu’ils sont obligés de renflouer en allant passer six mois à la campagne chez un oncle de la jeune femme. Une société oisive, inutile, factice, arrogante, sûre de sa prétendue supériorité. L’on comprend pourquoi elle est appelée à disparaître.

A côté de ces personnages, le comte Pazz est idéalisé. C'est un homme qui consacre son bonheur à assurer celui de l’homme qui est son ami et de la femme qu’il aime. Ce désintéressement, ce dévouement, cette abstinence sexuelle (il entretient une maîtresse mais n’a pas de relation avec elle !), font de lui un pur esprit (malgré ses quelques faiblesses). Mais j'ai vraiment eu du mal à croire à ce personnage. Je sais bien que Balzac cherchait à prouver à madame Hanska, jalouse, qu’il était fidèle et que les  maîtresses qu’on lui attribuait n’étaient là que pour sauver sa réputation, il n’en reste pas moins que, lui, couchait avec ses fausses, (vraies), maîtresses.

Bon, il y a  des éléments intéressants et riches dans cette nouvelle de Balzac et il est de mauvais ton de dire qu'elle est légère. Un Balzac, quelle hérésie !  Et pourtant c’est ce que j'en ai pensé !

LC avec Maggie   Rachel
 

samedi 15 mai 2021

Honoré de Balzac : la cousine Bette


La cousine Bette et Le cousin Pons, sont deux romans qui constituent un  ensemble intitulé Les cousins pauvres,  inséré dans Les scènes de la vie parisienne de La Comédie humaine.
Publié en 1846 en feuilleton, c’est un long roman, plein de rebondissements, dans lequel Balzac cherche à surpasser les feuilletonistes à la mode et surtout Eugène Sue qui connaissait alors un grand succès.

La cousine Bette, "la Nonne sanglante"

 Lisbeth Fisher, appelée Bette, est la cousine d’Adeline Fisher, toutes deux d’origine paysanne. Mais Adeline fait un beau mariage en épousant le Baron Hector Hulot. Elle accède ainsi à la noblesse et à la richesse. Bette qui a toujours été jalouse de la beauté de sa cousine, lui voue une haine implacable et décide de tout faire pour détruire son bonheur ainsi que celui de sa fille Hortense, trop jolie, elle aussi, et trop heureuse en mariage. Elle n'a de cesse de pousser la famille à la ruine. Elle y parviendra d’autant plus que le baron Hulot est un séducteur impénitent mais déjà sur le retour. Attiré par les courtisanes et les petites filles pauvres, mais vieillissant, il doit dépenser de plus en plus d’argent pour les séduire et les retenir jusqu’à se ruiner et commettre des malversations. La cousine Bette se lie d’amitié avec Valérie Marneffe, une femme mariée qui assure l’avancement professionnel de son mari par ses charmes et sa propre fortune en mettant en concurrence ses amants.
 
La cousine Bette présente la société parisienne et ses différentes classes sociales et politiques. Balzac décrit une noblesse en pleine déliquescence. En effet, même si certains membres de la noblesse d'empire obéit encore a des valeurs morales d'honnêteté et de courage comme le général Hulot, son frère le baron se déshonore en ruinant sa famille et en volant dans les caisses de l'état. La noblesse de la restauration ne vaut pas mieux, qui entretient des  courtisanes, se ruinent dans des plaisirs dispendieux, sans aucune utilité sociale. Face à eux une classe montante, la bourgeoisie d'argent, incarnée par Clevel, riche marchand, successeur de César Birotteau, un homme que sa fortune place en position de force. Il marie sa fille avec le fils Hulot pour faire d'elle une baronne. Il a le pouvoir de marier ou non Hortense, de corrompre, s'il le souhaite, une femme vertueuse. Dans cette société l'argent fait tout et l'on n'est considéré, dit Balzac, qu'à partir de cinquante mille francs de rente !

Quant aux artistes, la vision de l'écrivain est tout aussi pessimiste.  Les comédiennes de théâtre  se font entretenir par de riches amants et ne peuvent vivre de leur art. Wenceslas, sculpteur, le mari d’Hortense, est trop paresseux, trop veule,  pour pouvoir créer.
"Le travail constant est la loi de l'art comme celle de la vie ; car l'art, c'est la création idéalisée. Aussi les grands artistes, les poètes complets, n'attendent-ils ni les commandes, ni les chalands, ils enfantent aujourd'hui, demain, toujours."
A côté de cette société le peuple et sa misère, en particulier la prostitution des petites filles pour pouvoir manger.
La peinture que l’écrivain donne de cette société parisienne et donc extrêmement critique et même féroce et corrobore les propos du critique Pierre Barbéris : "Chacun sait que ce gros homme entendait faire une oeuvre de défense sociale, voire de l'ordre moral, et qu'il a dressé, en fait, le plus formidable acte d'accusation qui ait jamais été lancé contre une civilisation."

La cousine Bette est donc un roman noir  : par ses personnages d’abord, la cousine Bette, noire y compris par son physique, jalouse, haineuse, hypocrite, cette "Nonne sanglante" ne pardonne jamais et meurt dans le désespoir en croyant qu’elle a échoué dans sa vengeance.
"Paysanne des Vosges, dans toute l'extension du mot, maigre, brune, les cheveux d'un noir luisant, les sourcils épais et réunis par un bouquet, les bras longs et forts, les pieds épais, quelques verrues dans la face longue et simiesque, tel est le portrait concis ce cette vierge.
Mais l'envie resta cachée dans le fond du coeur, comme un germe de peste qui peut éclore et ravager une ville, si l"on ouvre le fatal ballot de laine où il est comprimé"


Le Baron Hulot est un gentilhomme dépravé et déshonoré dont le vice est finalement triomphant, Valérie ressemble à ces anges "au doux sourire, à l'air rêveur, à figures candides, dont le coeur est un coffre-fort", Valérie machiavélique, cupide, sans morale. Et que dire de madame d’Estève qui est l'image même du Méchant dans le roman gothique, l'empoisonneuse, cette "affreuse sorcière devinée par Shakespeare" ?
Noir aussi par l’actionle roman nous plonge dans la vie mensongère et cupide des courtisanes, des lorettes, en particulier de Valérie, et nous assistons aux intrigues de chacune, aux rivalités, aux coups bas. Les entremetteuses sont encore pires, elles livrent des fillettes aux vieillards libidineux. Les rebondissements sont nombreux comme la disparition du Baron Hulot qui se soustrait à la prison et qui nous introduit dans les bas-fonds parisiens. Là, où sa femme Adeline va le retrouver. Avec l’apparition de Madame d’Estève, le roman devient encore plus noir, introduisant la tentation du crime et la mort violente dans l’intrigue.

Adeline retrouve le baron

La cousine Bette est aussi un roman sur la condition féminine. Face au mal incarné par la cousine Bette et les femmes entretenues, Balzac peint le portrait de la femme vertueuse, qui incarne le Bien mais avec des nuances entre Adeline et sa fille Hortense.
Adeline incarne la femme vertueuse, en admiration totale devant son mari et résignée à souffrir et à être trompée, humiliée, ruinée. Pour conserver l'amour de son mari, elle est prête à tous les sacrifices.

"Elle jouissait toujours de cette affection invétérée que les maris portent à leurs femmes quand elles sont résignées au rôle de douces et vertueuses compagnes, elle savait qu'aucune rivale ne tiendrait deux heures contre un mot de reproche, mais elle fermait les yeux, elle se bouchait les oreilles, elle voulait ignorer la conduite de son mari au dehors."
Hortense est elle aussi l'image de la jeune fille vertueuse mais avec du caractère puisque c'est elle qui choisira son mari, le comte polonais Wenceslas Steinbock, l'arrachant même aux griffes de la cousine Bette, et amènera son père à l'approuver. Quand son mari est infidèle, elle retourne chez sa mère car elle sait qu'elle ne pourra supporter cette situation patiemment. Plus tard, elle pardonne mais désormais son mari est tenu en laisse, non par l’amour de son épouse mais par le manque d'argent ; il ne  peut entretenir une maîtresse. On voit combien Balzac a une vision pessimiste du mariage, lui qui a une position très en avance sur son temps puisqu'il conseille aux hommes de prendre plutôt leur femme pour maîtresse en les initiant avec douceur à l'amour et condamne le viol dans le mariage.

Un livre très riche et dont il est difficile de de rendre compte entièrement. Il faut dire que j’ai ressenti quelque impatience devant le caractère de la baronne Hulot. Je l’ai trouvée, geignarde, soumise, sans caractère et les scènes où elle intervient souvent trop larmoyantes !  Même quand le vieux pervers, son mari,  la ruine sans se soucier de son avenir ni de celui des ses enfants, quand il vole, exploite la misère des filles pauvres, elle lui pardonne tout et le traite comme si c’était lui la victime. Il me semble qu'elle aussi n'a aucune morale.  Il a fallu pour la supporter que je me rappelle le principe de base absolu quand on lit un livre, celui de ne pas le juger avec la mentalité de son siècle au risque de ne pas le comprendre. 

Heureusement, Balzac m’a réconciliée en posant cette question de moraliste :  Mais l'indulgence qu’Adeline manifeste envers « son » Hector,  n’est-elle pas coupable quand elle est poussée à ce point ? Elle ne peut qu’entretenir le vice. Et effectivement, c’est ce qui arrive.


Voir La cousine Bette chez Maggie

mardi 11 mai 2021

Titiou Lecoq : Honoré et moi

 

Titiou Lecoq annonce la couleur avec le titre de sa biographie Honoré et moi. Oui, elle va vous parler de Balzac mais attention, ce sera d’une manière très personnelle et elle aura son mot à dire. Et pas qu’un peu ! Auteur d’une livre féministe qui incite les femmes à ne plus assumer toute seule les tâches ménagères en plus de leur horaire professionnel, elle commence par une défense de la mère de Balzac! C’est vrai ça ! Tout le monde la traite de mauvaise mère, de « mégère hystérique », à commencer par son fils à qui ses biographes, Stefan Zweig en tête, emboîtent allègrement le pas !
Mais qui Honoré appelle-t-il quand il ne peut payer ses créanciers ? C’est maman ! Qui doit gérer ses affaires, ses démêlés avec les éditeurs, régler son loyer quand Honoré part à l’étranger ? C’est maman ! Et qui se retrouve sur la paille dans sa vieillesse, ruinée par son fils prodigue, obligée de quémander une pension à ce même fils ? Non, ce n’est pas le père Goriot, c’est maman ! Quand au papa Balzac, il ne s’occupe pas de ses enfants puis il meurt, donc il n’est responsable de rien.


 T Lecoq nous livre les détails de la vie de Balzac acharné à devenir écrivain, à acquérir gloire et  fortune qui toutes deux tardent à venir. Ce qui entraînera des catastrophes financières. Balzac se croyant doué pour les affaires investit des sommes colossales et aboutit toujours à un fiasco. Il apprend à fuir les créanciers, à emprunter à ses amis et même quand le succès vient il continue à dépenser plus qu’il ne gagne; ce qui l’oblige à devenir un forçat de l’écriture mais seulement la nuit car les journées et les soirées sont consacrées à paraître dans le monde. Si Balzac aime tant l’argent, ce n’est pas en avare mais en amateur dispendieux, passionné des belles choses, de bonne chère, amoureux du raffinement des étoffes, des vêtements. Il est incapable de résister à des objets précieux comme sa fameuse canne ornée de turquoises, à des meubles luxueux. Il aime le Beau et il veut paraître dans le monde, être reconnu par la noblesse qu’il admire.
L’écrivain montre combien Balzac incarne l’antithèse de l’artiste maudit. Pour lui écrire un chef d’oeuvre et gagner de l’argent n’est pas incompatible  : « Pour défendre les droits des écrivains, il imaginera même en 1840 un Code Littéraire, projet dont il donne lecture à la Société des gens de Lettres - sans succès ». Ce qui rappelle les difficultés rencontrées de nos jours pour les gens de lettres et la difficulté qu’il y a toujours à gagner sa vie quand on écrit.

Il y a donc toujours dans cette biographie de fréquents allers-retours entre le XIX siècle et le nôtre, entre les personnages de Balzac et les spécimens du XXI siècle  toujours avec beaucoup d’humour.
Car si la société a changé à bien des égards, les hommes non ! J’aime la comparaison qu’elle établit entre Emmanuel Macron et les héros (jeunes loups) de Balzac !  Parti de Province, (scènes de la vie de Province), follement amoureux  d'une femme plus âgée (Le lys dans la vallée), il "monte" à la capitale, vit dans une chambre de bonne, se rêve romancier (Les illusions perdues) abandonne ses ambitions littéraires, se lance dans la finance ( Le bal de Sceaux, La maison Nucingen), devient ministre (Le député d'Arcis  )...

" La France a élu Rastignac comme président de la République, et c'est peut-être le plus grand fait balzacien de notre société",  écrit-elle ! Et ce n'est pas un compliment aux yeux de cette écrivaine !

Mais la faiblesse de Balzac envers l’argent, son goût du luxe et ses problèmes financiers constituent une source qui enrichit son oeuvre car cela le rend à même de comprendre la société de son temps, le triomphe de cette bourgeoisie d’argent qui est en train de modifier une société fondée jusqu’alors sur les valeurs de la noblesse, il connaît les rouages du système bancaire, des taux d’intérêts, de la spéculation (Le banquier Nucingen), il peut décrire les « magouilles du Père Grandet dans Eugénie Grandet »  ou encore les malversations du baron Hulot dans La Cousine Bette.

« Balzac s’intéresse également au rapport individuel à l’argent, à ce qu’il représente pour chacun… Pour Pons et Rastignac, l’argent est un moyen mais ils ne tendent pas vers la même fin. Rastignac veut le signifié, le signe extérieur de richesse qui lui permet d’en être. Pour Pons, il est le moyen d’acquérir les oeuvres d’art sans laquelle la vie est moche. A leur opposé Grandet aime l’argent en soi. Il ne dépense rien... Enfin le baron Nucingen aime jouer. Spéculer et gagner la partie, c’est être le maître du monde, le plus fort. »

et de conclure

« Balzac fait donc entrer l’argent en littérature sous les formes le plus diverses et cela valait sans doute bien une faillite »

 Le but de Titiou Lecoq n’est pas d’analyser chaque oeuvre en universitaire ni en biographe objectif mais de nous montrer, tout en présentant les grands thèmes de l’oeuvre de Balzac, les femmes, la religion, le mariage, la politique… combien celui-ci a porté sur sa société un regard perspicace, intelligent et même génial et en quoi cette société et les personnages qu’il a créés sont un miroir qu’il nous tend à travers les siècles.

Finalement, l’écrivaine a dressé un portrait de l’homme avec ses qualités, sa gentillesse, son beau regard, sa gaieté , son don pour l'amitié mais aussi ses faiblesses. Et j’apprécie la conclusion qui casse le mythe du Grand Homme, de l’Homme supérieur, providentiel.

« Personne n’aurait été capable d’écrire La comédie humaine. Mais celui qui l’a fait n’est qu’un simple être humain, pas meilleur que vous et moi »


Cette biographie est donc non seulement agréable à lire mais introduit des idées originales.

 LC Voir Maggie

J'ai beaucoup de retard pour cette LC (désolée Maggie) mais enfin, voici mon billet !
 

vendredi 23 avril 2021

Michel Piquemal : Le jobard

 

 Ma petite-fille (11 ans)  est venue passer ses vacances chez moi cette semaine. Voici le compte rendu du roman qu'elle avait à lire pour la classe pendant les vacances.

 
Mosaïque avec des tessons d' assiettes de Raymond Isidore dit Picassiette
 

Le point de vue de la petite fille : son pseudo  Apolline

 Jobard est un roman de Michel Piquemal paru aux éditions Zanzibar et illustré par Jean-Luc Serrano.

La narrateur est un petit garçon Brice. Ses amis s'appellent Jean-Luc, Garcia, Michel, Pierre, Mouloud, Philippe. Il y a aussi des filles, Cécile, Lou et  Katia, la forte en maths. 

Brice est un petit garçon qui embête Jobard avec toute sa bande. Jobard est appelé comme cela car tout le monde le trouve fou. Il veut construire un moulin dans son terrain vague avec des bouteilles de verre qu'il ramasse dans la rue. En vérité, il se nomme Monsieur Julien. Brice devient ami avec le vieil homme quand celui-ci soigne son chien qui s'était pris la patte dans des barbelés. Il va l'aider, avec tous ses copains, mais un jour une catastrophe arrive...

J'ai trouvé ce livre intéressant, court (153 pages) et facile à lire. L'histoire est agréable et les personnages sont attachants : Jobard est gentil avec les enfants et il est attentionné. 

J'ai aimé les thèmes du roman : La solidarité et l'amitié entre les enfants et le vieil homme qui permettent de réaliser la tour de verre pour faire un manège. Si Monsieur Julien veut construire un manège de toutes les couleurs, c'est pour apporter un peu de joie dans la ville toute grise.

Le manège de Pierre Avezard

Le point de vue de la Grand-mère

Jobard de Pierre Piquemal est un roman qui a obtenu le grand prix du roman pour la jeunesse en 1989. Et c'est effectivement un bon roman qui part d'une réalité assez triste, la grisaille et l'inhumanité de certains quartiers de Marseille saccagés par une urbanisation sauvage d'où la Nature a été bannie et remplacée par des barres de béton sordides ! Je connais bien, les quartiers Nord de Marseille ! Je m'y suis promenée, enfant, dans des lieux enchanteurs, la Cerisaie, les Marronniers ...  avec ses vergers, ses arbres du même nom, ses prés, ses champs, quelques fermes où l'on allait acheter le lait... Tout cela détruit dans les années 60/70 pour ne conserver de nos jours et très ironiquement que le joli nom. Au milieu de ses immeubles tristes, vous y chercheriez un arbre  en vain ! Et c'est contre cette horreur que Jobard, - monsieur Julien- s'obstine, d'abord en refusant de vendre son terrain, puis en essayant d'élever  au milieu de ces cités sans joie, une tour de verre qui constituera le début d'un manège enchanté multicolore. Pas étonnant que les adultes comme les enfants le surnomment Jobard dans le parler marseillais, autrement dit le fou.

 Brice et ses copains vont d'abord le prendre pour cible, lui lançant des pierres, brisant les bouteilles, avant d'être ses amis et de l'aider dans son rêve... "fou", oui, construire un manège avec des bouteilles de verre ! Cela ne se fera pas sans quelques difficultés !

Comme ma petite-fille, j'ai été sensible à cette histoire d'amitié, de solidarité, qui va permettre de mettre de la couleur dans un monde bien gris. Brice est un enfant sans père et il trouve dans le vieil homme un grand-père affectueux qui va lui apprendre un métier.

L'auteur Michel Piquemale a créé avec Monsieur Julien un personnage fictif en s'inspirant de constructeurs désormais célèbres, des rêveurs, qui, en leur temps, furent considérés, eux aussi, comme des "jobards " : Le facteur Cheval, Raymond Isidore dit Picassiette, Robert Tatin,  Pierre Avezard...

Le musée palais de Robert Tatin

Le palais idéal du Facteur Cheval

Logo : Apolline


vendredi 16 avril 2021

Une petite pause... Avignon

 

Le pont d'Avignon et le palais des papes

 

Petite pause, petits-enfants ! 

A bientôt !

vendredi 9 avril 2021

Tracy Chevalier : A l'orée du verger

 

Le roman de Tracy Chevalier A l’orée des vergers est composé de quatre parties où se chevauchent les périodes chronologiques de 1838 à 1856 et fait entendre plusieurs voix, celles de James et Salie Goodenough, puis celles de Robert leur fils, et de Martha, leur fille : Black Swamp Printemps 1838/ Amérique 1840-1856 / Black Swamp Automne 1838 / Ohio 1844-1856 / 1856 Californie.

Black Swamp
 

James Goodenough et sa femme Salie ont dû quitter l’exploitation familiale du Connecticut, trop petite pour nourrir toute la famille, et s’installer avec leurs enfants dans le Black Swamp, terrain marécageux, de l’Ohio. Une « Terre promise » qui ressemble plutôt à un enfer ! Ils y sont installés depuis neuf ans. La propriété est peu propice à la culture des pommiers que cultive la famille. Il faut travailler dans la boue du matin jusqu’au soir, arracher sans cesse les repousses des arbres ennemis qui se développent en peu de temps, lutter contre les maladies des arbres, les protéger sinon les récoltes sont perdues.
"A ce moment-là, toutes nos affaires étaient couvertes de boue. On avait tellement pataugé dedans qu’il n’y avait plus moyen de décrasser nos bottes, nos habits ou nos ongles de pied. Les garçons se déculottaient le soir, et le matin, leurs pantalons avec la croûte séchée, tenaient debout tout seuls. Fallait en prendre son parti et se laver dans la rivière.
J’entendais des nouveaux colons se plaindre de la boue et je me disais : Y a pire que la Boue. Attendez un peu, vous verrez."


La chaleur malsaine de l’été, les moustiques, les fièvres font le reste. Chaque année la famille de James et de Sadie doit payer un tribut à la mort, chaque année un de leurs enfants meurt !

Un querelle va naître entre Sallie et James : « Ils se disputaient encore à propos des pommes. Lui voulait cultiver davantage de pommes de table, pour les manger ; elle voulait des pommes à cidre, pour les boire. »  Un différend qui va s’amplifier avec le temps, et qui va tourner à l’obsession : James protège les pommiers de sa femme qui cherche à les "assassiner", comme s’il s’agissait d’êtres vivants. Les deuils répétés, la dureté de la vie, la pauvreté, la fatigue, l’usure de l’amour, la perte du respect mutuel,  exacerbent la haine de Sallie et la méfiance de son époux envers les actes sournois de sa femme contre les arbres, c’est à dire contre lui-même. Il faut dire que pour James, les pommes sucrées sont plus encore que des fruits, c’est le rappel de son enfance, des quelques moments de bonheur qu’il a pu vivre. Les pommiers sont sa raison de vivre, moyen aussi de gagner sa vie mais, plus encore, symbole d’un travail bien fait, de sa compétence, de sa propre valeur, de sa réussite. Il aime ses arbres d’amour comme s’il s’agissait de ses enfants.  Cette haine ne peut que se terminer en drame.
  Ce sont les lettres de Robert, leur fils, qui nous content la suite de l’histoire et nous le suivons à travers ses déplacements en Amérique jusqu’au Canada, Wisconsin, Texas, Californie pour y chercher un or introuvable… Jusqu’au moment où le jeune homme rencontre le botaniste William Lobb (1809-1864) dont il va devenir le second pour récolter des graines et des plantes de séquoia à envoyer en Angleterre. Car Robert, a hérité de son père l’amour des arbres et le savoir-faire pour le soigner. L’admiration, le respect pour les arbres géants remplacent alors les sentiments que  son père, James, éprouvaient pour les pommiers. Le récit se termine après l'arrivée de Martha qui a retrouvé son frère.

Séquoïa

Le roman de Tracy Chevalier est d’abord et avant tout agréable à lire et nous y apprenons beaucoup sur les colons de l’Ohio et les terribles conditions de vie de ces gens pour défricher un terre ingrate, récalcitrante, insalubre. Comme d’habitude cette « leçon » d’histoire chez Tracy Chevalier se fait à travers la vie de personnages dont nous partageons les souffrances, les pensées intimes, les deuils et les haines; ce qui nous permet de « vivre » de l’intérieur l’histoire de la colonisation. Ce qui est aussi passionnant dans ce roman et qui se transmet au lecteur, c’est cette amour-admiration pour les arbres, pommiers, redwoods ou séquoias, et nous aimons en apprendre plus sur eux, sur la manière de le cultiver, de les greffer.
La prose de l’écrivaine est toujours simple, limpide, et sait faire sentir la beauté de la nature, sa puissance immense quand il s’agit des Géants, ou sa ténacité silencieuse et opiniâtre qui triomphe de la mort comme celle des pommiers. Les arbres ne sont pas neutres ici, ils ont une vie sous-jacente à celle des hommes, ils participent à leur lutte et sont eux-mêmes des être vivants luttant pour la survie.  

J'aime beaucoup, par exemple, la portée symbolique de cette phrase et comment, sous prétexte de "leçon de choses", Tracy Chevalier nous fait réfléchir sur nous-mêmes !

"Une graine doit atterrir loin de sa mère pour pousser, sinon elle restera à l'ombre et ne se développera pas."

J’ai lu dans une critique que le roman de Tracy Chevalier pourrait être reconnu comme un beau roman de Nature writing et c’est vrai.

Reinette dorée

"Quelques minutes plus tard son benjamin lui rapporta une pomme jaune du Black Swamp. D’une forme oblongue inhabituelle, comme si quelqu’un l’avait étirée, elle était assez petite pour tenir confortablement dans sa main. Il la serra entre les doigts, se léchant déjà les babines. Elle était peut-être ridée, un peu molle et plus de première fraîcheur, mais les reinettes dorées conservaient leur saveur, sinon, leur croquant, pendant des mois.

James mordit dedans, et bien qu’il ne sourît pas - les sourires étaient rares dans le Black Swamp - il ferma les yeux un instant pour mieux la savourer. Les reinettes dorées combinaient  des arômes de noix et de miel, avec une acidité finale qui, paraît-il, ressemblait à l’ananas. Il revit sa mère et sa soeur riant à la table de la cuisine dans le connecticut, tandis qu’elles découpaient des rondelles de pommes pour les mettre à sécher. Dans le Back Swamp, les trois arbres en bordure du verger qui produisaient ces pommes sucrées provenaient tous du reinette dorée avec lequel James avait grandi. A peine arrivé dans le Black Swamp, neuf ans auparavant,James y avait greffé des rameaux qu’il avait absolument tenu à emporter dans l’Ohio. Greffés au même moment, les arbres ne faisaient pourtant pas tous la même taille; James était toujours surpris que les arbres se révèlent aussi divers que ses enfants. "

 


Deux arbres énormes se dressaient de chaque côté de la piste, portail naturel vers le bois au-delà. Ils n’étaient pas aussi grands que les redwoods de la côte, mais ils étaient beaucoup plus gros, leur pied aussi large qu’une cabane. Ils vous écrasaient par leur circonférence et le volume de bois qu’ils pointaient vers le ciel. Si vous vous reculiez suffisamment pour en admirer toute la hauteur, vous ne vous rendiez plus compte de l’énormité de leur taille. De près, toutefois, vous n’arriviez pas à discerner leurs branches les plus basses.
S’écartant de son cheval pour gravir le sentier à pied, Robert se sentait rétrécir et devenir un tout petit point à côté des deux arbres. Il posa une main sur le tronc de l’un pour apaiser son vertige. Son écorce rouge était spongieuse et abondamment fissurée, faite d’une matière fibreuse qui se détachait facilement et se transformait en une poussière rouge que Robert retrouva plus tard sur ses vêtements et ses cheveux, mais aussi sous ses ongles, sur sa nuque et dans ses sacoches. Des milliers d’années d’aiguilles décomposées formaient autour de l’arbre un épais tapis élastique qui étouffait les pas. Et le silence régnait, car il n’y avait pas de branche à proximité pour bruire sous le vent. Les branches ne commençaient qu’à partir d’une trentaine de mètres et leur masse se situait tellement plus haut au-dessus de sa tête que les contempler trop longtemps lui donnait un torticolis. Elles étaient petites en comparaison des troncs gigantesques.
Robert n’avait pas de mot pour qualifier cette sensation d’effroi mêlée de respect qui lui creusait le ventre.
 

mardi 6 avril 2021

Hervé Le Corre : Prendre les loups pour des chiens

 

Hervé Le Corre a remporté tous les principaux prix de la littérature noire : le Grand Prix de Littérature Policière, le prix Mystère de la critique par deux fois, le prix du Polar européen du Point, le prix Landerneau, le prix Michel Lebrun et le Trophée 813.

Quant à moi, Prendre les loups pour des chiens est le premier livre que je lis de lui et de prime abord, je suis surprise par la qualité de l’écriture et la noirceur du propos. La critique a dit de lui qu’il était un grand maître du roman noir français, et c’est bien vrai si l’on en juge par la société que nous décrit l’écrivain : une société malade, corrompue, violente, qui ne vit que d’expédients, d’argent sale, vite gagné par le vol ou la drogue.
Le milieu dans lequel va échouer Franck a sa sortie de prison n’est donc pas mieux que celui où il évoluait en prison et peut-être pire… car il y fait figure de naïf et pourtant ce n’est pas un enfant de choeur !

Franck sort de prison après un braquage qui a mal tourné pour lui. Il n’a jamais dénoncé son frère aîné Fabien, son complice, qui a pu échapper à la police. A sa sortie son frère est absent, parti en Espagne pour un travail urgent. A sa demande, c’est la compagne de Fabien, Jessica, qui vient le chercher et l’héberge chez ses parents car le jeune homme n’a personne pour l’accueillir. On apprend, en effet, que Franck et Fabien ont perdu leur mère quand ils étaient jeunes et qu’ils haïssaient leur père alcoolique violent, avec qui ils ont rompu toute relation. Les parents de Jessica, trempent dans des affaires louches qui introduisent Franck dans un réseau de voitures volées où il fait connaissance du Gitan, un Grand Méchant, et de bien d’autres personnages peu recommandables. Ce qui lui fait le plus peur, au début, c’est un énorme chien noir, adopté par Jessica et sa mère, et qui a toujours l’air prêt à le dévorer. Mais il ne faut pas se tromper de chien… je veux dire de loup !

Comme dans tout roman noir, il y a la femme fatale, Jessica, magnifique fruit mais véreux, une fille droguée, malade, en un mot tordue !

Il ne sait pas comment elle (Jessica)  fait. Les voilà en cavale, une gamine sur les bras, coincés. Et elle bavarde, elle rit, comme si tout ça n'était que la suite logique d'une histoire commencée il y a longtemps, comme si la façon dont elle va finir ne l'intéressait pas. En fait, elle continue de courir au-dessus du vide, pareille à ces personnages de dessins animés qui s'aperçoivent trop tard qu'il n'y a plus de chemin ni issue.

 
Comme dans tout grand roman noir, Franck est marqué par une sorte de fatalité qui fait qu’il ne pourra pas s’en sortir. On sent se refermer sur lui un piège qui le retient encore plus prisonnier que lorsqu’il était en prison. L’homme est complexe, rendu méchant par tout ce qu’il a vécu dans son enfance puis en prison et dans le présent. On sent toute la violence prête à exploser en lui, à tout moment. Et pourtant, il y a encore en lui un fond d’honnêteté et une sensibilité qui rendent le personnage sinon attachant du moins intéressant. C’est cette impossibilité qu’il y a en lui, de laisser tomber les plus faibles, Jessica, d’abandonner les plus fragiles, Rachel.
Car au milieu de cette noirceur, il y a Rachel, la fille de Jessica, 8 ans, enfant traumatisée par les scènes auxquelles elle assiste, battue par sa mère qu’elle aime et protège pourtant…  dont on sent qu’elle aura peu de chance de s’en sortir indemne si…
Rachel, en effet, est la part d’humanité de cet homme dont Hervé le Corre nous fait partager la souffrance.
Un roman fort, une lecture addictive où la chaleur suffocante et l’odeur entêtante des pins de la région bordelaise servent de décor au drame et où le soleil possède une aura nocive.

 Il avait dix, quinze ans de moins, mais les barreaux de l'échelle par laquelle il remontait le temps craquaient souvent et le ramenaient au présent alors qu'il aurait aimé rester prisonnier de ce passé et refaire le chemin en sachant ce qu'il savait, comme il l'avait vu dans des films à la télévision. Il s'était surpris à murmurer les prénoms de tous ceux qui lui manquaient. Quand il l'a nommée, la silhouette de sa mère s'est formée sur l'écran surchargé de sa mémoire mais son visage restait flou, dont il ne distinguait que le sourire triste qu'elle avait si souvent, vers la fin.

Il s'est levé, le coeur gros, seul comme jamais il ne l'avait été, et il s'en voulait de ce chagrin de gosse, de ce désarroi d'enfant perdu et il détestait l'espace étroit de la caravane, se demandant comment il avait pu se sentir libre dans les premiers jours, comment sa solitude même avait pu lui sembler une étendue idéale sans murs ni frontière.




jeudi 1 avril 2021

Bilan : La littérature des pays de l'Est

 

Et voilà ! Le mois de mars 2021 est terminé ! Voici, déjà quatre ans, depuis 2018, que je participe au mois des pays de l'Europe de l'Est initié par Eve, Patrice et Goran. Merci à eux ! L'occasion pour moi de lire ou relire mes classiques russes bien-aimés mais aussi de découvrir de nouveaux écrivains.

 Albanie


Ismail Kadaré : le général de l'armée morte (mars 2021)

Ismail Kadaré : L'entravée  (mars 2021)

 Estonie 


   (Anciennement, La Livonie regroupait une partie de l'Estonie et de la Lettonie)

Andrus Kivirâhk : Le papillon (mars 2020)  
 
Andrus Kivirähk : L’homme qui savait la langue des serpents (Mars 2018)
 

Hongrie


 
György Dragoman : Le bûcher (mars 2019)
 
Kalman Mikszath : Le parapluie de Saint Pierre (mars 2019)
 
Gyula Krudy : Sept hiboux (mars 2019)
 
Sandor Marai et Michel-Ange dans La nuit du bûcher (mars 2018)
 
Sandor Marai : La nuit du bûcher (mars 2018)

Magda Szabo : Abigael (mars 2019)

Voir aussi d'autres titres littérature hongroise

 

Lettonie  


( Anciennement, La Livonie regroupait une partie de l'Estonie et de la Lettonie)

 

Moldavie


 

Pologne


Olga Tokarczuk : Les enfants verts (mars 2021)

Olga Tokarczuk : Sur les ossements des morts (mars 2020)

 Esther Hautzig : La steppe infinie (mars 2021)

Andrzej Stasiuk : Pourquoi je suis devenu écrivain  (mars 2018)
 

Russie : 


 Ivan Tourgueniev : Premier amour  (mars 2021)

Ivan Tourgueniev : Mémoires d'un chasseur (mars 2021)

Ivan Tourgueniev : Terres vierges (mars 2020)

Ivan Tourgueniev : Les eaux printanières (mars 2020)
 
Ivan Tourgueniev : Pères et fils (mars 2018)
 

Léon Tolstoï : Maître et serviteur  (mars 2021)

Leon Tolstoï : Katia (mars 2020)

Anton Tchekhov : La steppe  (mars 2021)

Sophie Kovaleskaïa : une nihiliste  (mars 2020)

Mikhaïl Boulgakov : La garde blanche (mars 2020)

 
Nicolas Leskov : Le vagabond ensorcelé (mars 2018)

voir aussi d'autres titres de littérature russe lus antérieurement

Tchéquie 


Karel Capek : La guerre des salamandres (mars 2018)


Rainer Maria Rilke : Vergers, le printemps des poètes (mars 2018)


VOIR LE BILAN du mois de mars 2021 chez Eva et Patrice


mercredi 31 mars 2021

Anton Tchekhov : La Steppe


C’est au cours de l’année 1887 que Tchekhov, partant de Moscou, revient dans sa ville natale Taganrog, en Crimée, au bord de la mer Noire. Il retrouve, émerveillé, les paysages et les souvenirs de son enfance chez son grand-père Igor, régisseur de la comtesse Platov dans un domaine situé entre Taganrog et Rostov sur-le-Don. 

Aussi, il met beaucoup de lui-même dans le jeune garçon de La Steppe, Iégorouchka, qui, à neuf ans, doit quitter sa mère, veuve d’un officier, pour aller étudier… Il est accompagné par son oncle Ivan Kousmitchov, négociant, et le père Christophe Siriiski, tous deux en déplacement pour leurs affaires.
C’est le début d’un long voyage de Taganrog à Rostov à travers la steppe, immense espace d’une beauté à couper le souffle, étendues sans fin coupées par les bosses des kourganes, petits tumulus préhistoriques, les réservoirs d’eau, et chaumières blanches, la steppe avec ses lointains couleur de lilas. Le lyrisme mais aussi la limpidité du style de Tchekhov, très sobre, animent ces somptueux paysages peuplés d'une vie sauvage, corbeaux, pluviers, milans, gerboises, grillons... qui ajoutent aux splendides couleurs du tableau, le mouvement et le son.  Mais la présence humaine se fait toujours sentir, bergers avec ses moutons et ses chiens bruyants, faucheurs qui brandissent leur faux, femmes qui lient les gerbes... De plus, Tchékhov n'oublie jamais que c'est un petit garçon sensible et imaginatif qui découvre ce paysage et il se place toujours à hauteur d'enfant. Ce point de vue donne une fraîcheur et une émotion toute particulière à la description!

La steppe  : Arkhip Kuindzhi

"Mais voilà les blés rapidement dépassés eux aussi. C'est de nouveau la plaine brûlée qui s'étire, les collines hâlées, le ciel torride, de nouveau le milan qui survole la terre de-ci de-là. Au loin, le moulin agite ses ailes comme plus tôt et ressemble toujours à un petit homme gesticulant avec ses bras. On était fatigué de le regarder et on avait l'impression que l'on ne l'atteindrait jamais, qu'il fuyait devant la calèche."

"Mais voilà qu'au sommet d'une colline apparaît un peuplier solitaire; qui l'a planté, ce qu'il fait ici, Dieu seul le sait. Difficile de détacher les yeux de sa sveltesse et de sa vêture verte. Est-ce qu'il est heureux ce joli garçon ? La chaleur de l'été, le froid et les tempêtes de neige en hiver, en automne les nuits effrayantes où l'on ne voit que les ténèbres et l'on n'entend rien que le vent débridé qui hurle furieusement, et surtout la solitude..."

Arrêts dans les auberges, rencontres avec des personnages pittoresques, bain dans une rivière glaciale, puis - quand l’enfant quitte la télègue de son oncle - suite du voyage avec un convoi de paysans, dans un char à foin, repas improvisé dans les champs, récits, discussions, disputes autour du feu, le soir, qui provoquent tour à tour l’admiration ou l’indignation de l’enfant sensible et entier, orage  terrifiant, maladie de Iegor trempé par la pluie, soigné par le père Christophe. On rencontre toujours chez les écrivains russes et Tchekhov n'y manque pas, des personnages surprenants, pleins d’humanité et de sagesse malgré leur manque d'instruction, ou, au contraire, excessifs, tourmentés et violents mais jamais inintéressants. Tchekhov excelle dans la peinture de ces portraits de même que dans l’analyse des sentiments d’un tout jeune enfant.
 La Steppe se nourrit de toute la beauté frémissante des paysages, de toute la diversité, l’humanité du peuple de l’ancienne Russie, de toutes les émotions rencontrées par un petit garçon séparé de sa maman et découvrant le vaste monde.

Tchekhov considérait La Steppe comme son chef d’oeuvre et il souhaitait un lecteur qui lise son récit comme « un gourmet mange des bécasses ».

J'adore cette expression ! Un gourmet ! Effectivement, c'est ainsi que j'ai savouré ce livre !

C'est Ingammic qui m'a donné envie de lire La Steppe ICI. Merci à elle !

 


mardi 30 mars 2021

Jules Verne : Un drame en Livonie

 

Et oui, il s’agit bien d’un auteur français pour illustrer  le mois de littérature des pays de l’Est, français, Nantais ou Amiénois  ? selon les dires des uns et des autres… mais ne ranimons pas les vieilles querelles ! Ceux qui sont concernés me comprendront !  


Roman français donc mais qui se passe en Europe de l’Est comme le titre vous l’indique  :  Un Drame en Livonie.

Qu’est-ce que la Livonie à la fin du XIX siècle ? C’est un ensemble qui n’a pas cessé d’évoluer mais qui au XIX siècle  regroupe autour de la Baltique une partie de l’Estonie, de la Lettonie et le duché de  Courlande. Le pays a été germanisé et les Germains tiennent le haut du pavé, nobles, bourgeois richissimes et influents, les Lettons et les Estoniens n’occupant que des postes subalternes. Riga en est la capitale.  C'est la description qu'en fait Jules Verne.
L’écrivain place l’action en 1876  sous le règne du tsar Alexandre II. Aussi quand ce dernier  décide de « slaviser » ces régions, si l’on en croit Jules Verne, les slaves livoniens vont être de tout coeur avec les slaves russes, contre la domination germaine. Dans ce roman, d’ailleurs, les allemands sont antipathiques et les russes tout le contraire !  Et si vous vous demandez pourquoi, sachez que Jules Verne  publie Un Drame en Livonie en 1905  mais l'écrit en 1894, peu après que vient d'être signé le pacte Franco-Russe (de 1892 à 1917), qui unit la Russie et la France autour d’une promesse d’assistance mutuelle en cas d’agression de l’Empire allemand et austro-hongrois. Voilà pour les méchants allemands !

Le kabak de la Croix-rompue

Le récit commence comme un grand roman d’aventure où le Héros enveloppé de mystère traverse des pays enneigés, des lacs gelés, brave des tempêtes, s’arrache aux crocs des loups affamés, se cache des soldats qui le poursuivent le jour et l’obligent à marcher de nuit. Il franchit la frontière de Livonie, son pays, mais il ne pourra y trouver aucun refuge. On sait qu’il s’est échappé des mines de Sibérie et qu’il veut gagner la Baltique pour pouvoir fuir en bateau à Revel ou à Pernau.

D’un autre côté, à Riga, chez les Nicolef, une famille modeste, une jeune fille, Ilka, attend son fiancé, Vladimir Yanof, depuis des années. Celui-ci a été déporté en Sibérie par le tsar pour des raisons politiques. Ils ont promis de s’attendre. Son père Dimitri est professeur.  Elle a un frère, Jean, qui fait des études à l’université de Dorpat. Un jour, son père part en voyage en secret. Pendant ce temps, un horrible crime a lieu dans une auberge sordide, nommée Le kabak de la Croix-rompue.  Un employé de banque est assassiné et l’argent qu’il transportait disparaît. On accuse un voyageur mystérieux dont la chambre jouxte la sienne. Une enquête a lieu. L’on découvre qu’il s’agit de Dimitri Nicolef et que celui-ci ne semble pas vouloir ou pouvoir se défendre. Ainsi, il refuse de dire quelle était sa destination.  Mais ses enfants et ses amis ont foi en son innocence.
Ici, la trame policière prend une tournure très sombre car le roman est aussi politique. Il se trouve que Dimitri Nicolef, Livonien d’origine russe, devait se présenter aux élections contre le banquier Johausen qui est Livonien allemand. Si bien que la population prend fait et cause pour ou contre Dimitri selon qu’elle est allemande ou slave, et non dans un esprit de justice.
 

Le récit est très plaisant et agréable en suivre, l’intrigue policière fait frémir, et Le kabak de la Croix-rompue n’a rien à envier à l’auberge rouge, avec un petit côté désuet que j’aime beaucoup même si le lecteur actuel anticipe et éprouve moins de surprise, je suppose, que le lecteur de l’époque ! Encore que… !  L’action est rondement menée ! 

Mais le ton se fait de plus en plus grave et la narration n’est pas exempte de drames et de souffrances. S’agit-il d’une horrible erreur judiciaire ou Dimitri est-il coupable ?  A Riga, la maison des Nicolef est prise d’assaut par la foule qui veut le lyncher. Les affrontements entre allemands et russes entretiennent une tension énorme partout et dans l’université de Jean Nicolef, la violence entre étudiants des deux camps est toujours prête à éclater.  
Jules Verne en profite pour égratigner, malgré ses prises de position pro-russes, la justice du Tsar qui supprime la peine de mort pour les criminels mais pas pour les opposants politiques. De plus, Il condamne les pratiques barbares de ce pays qui soumet les condamnés à la torture. Il analyse la société de la Livonie en soulignant les inégalités sociales, tout en passant un peu la brosse à reluire en faveur de l’administration russe qui remédiera, suggère-t-il, à ces injustices ! Bref ! il attaque et ménage en même temps le pouvoir du tsar. Il est prudent, ce qui ne l’empêche pas de s’insurger contre la misère des paysans dans un plaidoyer pour ces malheureux.
J’ai aimé aussi découvrir la Livonie, ses paysages (oui, je sais dès qu’on parle neige, lac gelé, embâcle,  loups, je m’y crois ! ) et ses villes Riga, Dorpat, Revel, sous la plume de Jules Verne. J’irai bien me balader par là-bas…  mais pas au kabak de la Croix-rompue !

Université impériale de Dorpat

Dorpat est une ancienne cité universitaire d’Estonie qui porte le nom actuel de Tartu. Jules Verne explique que la bibliothèque de l’université est riche  trente mille volumes, qui font d’elle l’une des plus importantes universités d’Europe.
Dorpat est pittoresquement bâtie sur une colline qui domine le cours de l’Embach. De longues rues desservent ses trois quartiers. Le touristes y visitent son observatoire, sa cathédrale de style grec, les ruines d’une église ogivale.


 Pernau  est un ville d'Estonie nommée Parnu actuellement  C’est là que le fiancé de Ilka doit embarquer pour échapper à la police du tsar.
 

Tallinn, capitale de l'Estonie
 

Il est souvent question de Revel dans le roman. Il s'agit de Tallinn, capitale actuelle de l’Estonie.



Et oui, je suis obligée, en ce début de semaine, de publier chaque jour un livre, lundi, mardi, mercredi,  puisqu'il m'en reste trois pour boucler le mois de l'Europe de l'Est ! Donc, à demain encore!

lundi 29 mars 2021

Tatiana Tibuleac : Le jardin de verre

 

Empilées dans des casiers de fil de fer jusqu’au toit, lorsque la lumière les atteignait, les bouteilles se mettaient à vivre. Leurs couleurs simples se mêlaient et il en naissait d’autres, inattendues.
Un rang couleur cerise, un rang blanc : rose.
Un rang couleur brique, un rang marron : couleur miel.
Un rang vert, un rang blanc : couleur turquoise.
Les blanches seules : couleur argent.
Mon jardin de verre.

Le jardin de verre, c’est le titre du roman de Tatiana Tibuleac, écrivaine moldave.
Ce sont les rayons du soleil jouant avec les verres des bouteilles qu’elle a ramassées et lavées qui transportent la fillette, par la magie de la lumière et du verre, dans un monde coloré, loin de son univers habituel. C’est ce qu’elle appelle son jardin de verre et celui-ci apporte dans la grisaille de sa vie un peu de couleurs. Pas étonnant que, la jeune fille, plus âgée, risque un jour sa vie pour ramasser un kaléidoscope tombé dans la rue, au milieu de la circulation.


Le roman se situe à Chisinau, capitale de la Moldavie soviétique, et court sur une dizaine d’années. On y voit le bouleversement (qui divise les habitants) apporté par Gorbachev à partir de 1985, la déclaration de l’indépendance moldave en 1991 et la narration se poursuit environ jusqu’en 1995.
Le récit est vu par une enfant mais la voix de l’adulte qu’elle est devenue intervient aussi. Se mêlent alors le présent et le passé, sans aucun ordre chronologique, qui nous font entrer peu à peu dans la vie du personnage.  
 Lastochka, surnom que lui a donné sa mère adoptive (hirondelle en russe) n’est pas née sous une bonne étoile. Elle a été adoptée ou plutôt « achetée » à l’orphelinat de Chisinau, capitale de la Moldavie, par Tamara Pavlovna, une vieille dame russe qui exerce le métier de « ramasseuse de bouteilles ». Cette adoption n’est pas une marque d’amour. Tamara veut une aide pour collecter les bouteilles afin de gagner plus d’argent. Son bonheur, c’est compter ses sous, non pour les dépenser, mais pour être riche. La fillette de sept ans travaille comme une adulte, de longues journées. Elle apprend le russe qui est la langue de Tamara et reçoit des coups si elle commet des erreurs. Plus tard quand elle est scolarisée, elle préfère suivre les cours à l'école moldave plutôt que russe. Elle apprend à se méfier des hommes, prédateurs sexuels, et peu à peu, par bribes, tout ce qu’elle a eu à subir depuis son enfance nous est révélé. Nous partageons avec elle le quotidien des classes populaires, moldaves, russes, roumains, qui vivent dans des logements organisés autour d’une cour, lieu de rencontres, de jeux, de disputes ou vivent la fillette et sa mère adoptive.

J’ai beaucoup appris dans ce roman sur la Moldavie et j’ai eu même des surprises tant mon ignorance est grande. Je ne savais pas que la langue moldave était la même que la langue roumaine. Mais dans la période russe, la Moldavie soviétique a été contrainte d’employer l’alphabet cyrillique russe, puis après l’indépendance, les moldaves ont choisi de revenir à l’alphabet latin. D’où les difficultés de Lastochka pour apprendre sa langue maternelle.
La grande Histoire n’est pourtant pas le sujet du roman. Ce qui intéresse l’écrivaine c’est la petite histoire, au niveau des gens. Et en cela, le roman est réussi. Les portraits qu’elle brosse sont complexes : Tamara, par exemple n’est pas entièrement mauvaise d’où les sentiments ambivalents de rejet, d’amour et de pitié que peut éprouver Lastochka pour elle. Mais cette dernière est aussi très dure, cruelle, pleine de haine, façonnée par une enfance sans amour. Parfois, pourtant, le regard et les relations qu’elle noue avec les habitants de la cour qui sont des personnages riches, parfois émouvants, avec leurs faiblesses mais aussi leur générosité,  lui redonnent son humanité.
Un roman bien écrit, dense et intéressant.

 Tatiana Tibuleac


Tatiana Ţîbuleac est un véritable phénomène littéraire. Née à Chisinau en République de Moldavie, elle était une journaliste reconnue dans l’audiovisuel. Elle décide de mettre fin à sa carrière pour s’installer en France. Dans cet anonymat qui est « le plus beau cadeau pour l’écriture », selon ses dires. Paru fin 2016 en roumain, L’Été où maman a eu les yeux verts a été traduit dans plusieurs langues et a reçu de nombreux prix dont le prix de la revue Observateur culturel pour la prose et Observateur des lycéens à Bucarest, ainsi que le prix des libraires en Espagne.

Son deuxième roman, Le Jardin de verre (2020) a reçu le prix de littérature de l’Union européenne en 2019 et est en cours de traduction dans plusieurs pays. (Editions des Syrtes)