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samedi 9 avril 2022

Niko Tackian et Jorn Lier Horst : romans policiers français et norvégiens.

 

Comme je lis plus vite que mon ombre et que j'écris moins vite, il y a beaucoup de mes lectures qui n'ont pas été commentées depuis quelques mois, et, entre autres, des romans policiers. Parmi eux, certains que j'ai lus avec plaisir,  c'est pourquoi je veux en garder la trace dans mon blog, moments de détente ou d'évasion, sans qu'ils soient pour autant des coups de coeur.

 

Niko Tackian Avalanche hôtel

 
 
 Niko Tackian, romancier, scénariste et réalisateur, est devenu en quelques romans une des références du polar français. Après avoir joué avec nos peurs dans un thriller hypnotique (Avalanche Hôtel, Calmann-Lévy, 2019), il nous plonge dans une nouvelle enquête de son commandant Tomar Khan avec un style toujours aussi percutant dans celle qui pleurait sous l’eau..
  (éditeur Calmann-Levy)


 

Janvier 1980. Joshua Auberson est agent de sécurité à l’Avalanche Hôtel, sublime palace des Alpes suisses. Il enquête sur la disparition d’une jeune cliente et ne peut écarter un sentiment d’étrangeté. Quelque chose cloche autour de lui, il en est sûr. Le barman, un géant taciturne, lui demande de le suivre dans la montagne, en pleine tempête de neige. Joshua a si froid qu’il perd connaissance…
… et revient à lui dans une chambre d’hôpital. Il a été pris dans une avalanche, il est resté deux jours dans le coma. Nous ne sommes pas en 1980 mais en 2018. (quatrième de couverture)


Le début du livre m’a beaucoup plu et m’a entraînée dans une histoire fantastique, m’a perdue, à la suite du personnage principal Josua, dans un hôtel aux couloirs labyrinthiques, puis dans paysages de montagnes enneigées en compagnie d’un étrange personnage. Mais lorsque Joshua se réveille du coma, il s’interroge :  Avalanche hôtel existe-t-il ? Qui est le personnage rencontré dans l’hôtel ? A-t-il rêvé pendant son coma ? Ce qu’il a vu a-t-il un rapport avec la réalité ? Que faisait-il dans la montagne quand il a été pris dans une avalanche ?  D’autre part, il découvre qu’il n’est pas agent de sécurité mais policier et il qu'il est en train de mener une enquête sur une jeune femme sans identité, retrouvée sans connaissance, dans le coma.
Nous sommes dans les Alpes Suisses, au bord du lac Léman. Joshua retrouve ses forces et va recommencer à enquêter. Le roman est bien écrit, d’une lecture aisée et agréable et non dépourvu d’humour. C’est aussi une réflexion intéressante sur la mémoire. J’ai bien aimé le jeu entre rêve ou réalité.  Mais j'ai trouvé que les personnages ne sont pas toujours approfondis, leur évolution, en particulier, amoureuse, me paraît trop rapide. Comment croire à l’amour si rapide de la « Crevette » pour la « Géante » alors qu’il ne l’avait jamais regardé en dehors de la nuit où il couche avec elle ! De ce fait, les personnages secondaires bien campés, prennent d’autant plus de relief. Un auteur français de polars qui a des qualités d’écriture. Intéressant ! A suivre !

Niko Tackian Celle qui pleurait sous l’eau


Et j’ai suivi !

Une jeune femme, Clara Delattre, la trentaine, est retrouvée morte dans une piscine. Apparemment, elle s’est ouvert les veines et flotte dans l’eau rougie par son sang. José, le chef des maîtres-nageurs la découvre et n’appelle pas tout de suite la police. Manifestement, il a quelque chose à cacher. Il ne sera pas le seul. L’inspecteur Tomar Khan conclut à un suicide et ne cherche pas plus loin. Il faut dire qu’il a de graves soucis au niveau professionnel et au niveau de sa santé. Il est prêt à clore l’affaire. Rhonda, son adjointe, pourtant s’obstine. Elle s’accroche à une intuition et elle continue à enquêter.
Une double enquête court dans le roman, celle qui concerne Clara, la victime, qui introduit un thème féministe mais je ne peux vous en dire plus pour ne pas dévoiler l’intrigue, et une autre menée par Tomar sur lui-même, pour chercher à résoudre le cauchemar qu’il est en train de vivre. A-t-il tué son collègue, le lieutenant Bokor, qui s'acharnait sur lui et qu’il avait fini par haïr ? Il lui est difficile de répondre à cette inquiétante question car l’épilepsie dont il souffre le prive de pans entiers de sa mémoire.
Encore un livre bien écrit, efficace, ancré à Paris, au 36 qui n’est plus celui du quai des Orfèvres et où les « flics » errent un peu déboussolés. Le roman est intéressant et se lit avec plaisir. 
"Clara, c’était une fille pleine de passion, et très courageuse. Mais il y avait quelque chose d’enfoui… une souffrance. Elle pleurait sous l’eau.
– Comment ça, elle pleurait sous l’eau ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– C’est une expression qu’on utilise en compétition. Quand un nageur vient s’entraîner et qu’il traverse des épreuves dans sa vie privée, on lui dit qu’il n’a qu’à pleurer sous l’eau, là où personne ne pourra le voir. "


Jorn Lier Horst  : L’usurpateur

"Jørn Lier Horst, né le 27 février 1970 à Bamble, dans le comté de Telemark, en Norvège, est un écrivain norvégien, auteur de roman policier et de littérature d'enfance et de jeunesse. Ancien inspecteur de la police, Jorn Lier Horst connaît parfaitement les rouages du système. Vendu à plus de 2 700 000 exemplaires à travers le monde et traduit dans dix-huit langues et 26 pays, il est considéré comme le digne héritier d'Henning Mankell."



 

Dans la petite ville de Larvik, à deux pas de la maison de l'inspecteur Wisting, un homme mort depuis quatre mois est retrouvé chez lui, devant sa télé allumée. La fille de l'enquêteur, Line, décide d'écrire un article sur ce voisin disparu dans l'indifférence générale en pleine période des fêtes. Pendant ce temps, Wisting apprend la découverte d'un autre cadavre dans une forêt de sapins avec, dans la poche, un papier portant les empreintes d'un tueur en série recherché par le FBI. À quelques jours de Noël, par moins quinze... (quatrième de couverture)

William Wisting et sa fille Lina sont des personnages récurrents des romans policiers de Jorn Lier Horst. Je les avais déjà rencontrés dans Fermé pour l’hiver. C’est pourquoi j’aime bien les retrouver. L’enquête menée par le policier sur les meurtres est animée et pleine de rebondissements avant la résolution de  l'intrigue. Mais ce que j’ai préféré c’est l’enquête de Line, la journaliste, tout en demi-teinte, en finesse, car elle explore le côté humain du drame policier. Elle écrit sur la solitude des personnes âgées. Par son observation attentionnée du vieil homme, Viggo Hansen, elle parvient à recréer le personnage, ses goûts, ses habitudes et  les derniers moments de sa vie. Le titre, d’ailleurs, est une allusion à ceux qui, inaperçus, traversent la vie en solitaire et sont effacés de la surface de la terre sans que personne ne s’en aperçoive. Une certaine tristesse naît de cette constatation et donne une coloration nostalgique. Un bon roman  bien écrit malgré quelques faiblesses au niveau scénarique !

Jorn Lier Horst  : Fermé pour l’hiver


Puisque je ne l’avais pas commenté en temps voulu, voici quelques mots sur Fermé pour l’Hiver.

"Les chalets du comté de Vestfold, qui servent de résidence estivale aux Norvégiens aisés, sont fermés pour la morte saison, et ont été la cible d’une série de cambriolages… Lorsqu’un homme cagoulé est retrouvé assassiné dans le chalet d’un célèbre présentateur de télévision, William Wisting, inspecteur de la police criminelle de Larvik, une ville moyenne située à une centaine de kilomètres au sud-ouest d’Oslo, est chargé de l’enquête. Mais la disparition du corps avant son autopsie et l’incendie d’un appartement, détruisant des indices essentiels, risquent d'anéantir tous ses efforts. La situation se complique encore puisque la propre fille de Wisting se voit mêlée malgré elle à cette affaire." (quatrième de couverture )

Fermé pour l’hiver est un roman qui m’avait bien plu quand je l'ai lu il y a quelques mois.  Pourquoi ?  Et bien, pour la Norvège : je me souviens de ces petits chalets au bord des lacs, résidences d’été, que le gens de la ville ferment pour l’hiver. Leur évocation me parle et fait naître des images très précises. J’aime la description de la nature, ces paysages automnaux de pluie et de brouillard. Le roman est bien écrit et de même l’intrigue est bien conduite et intéressante. L'auteur sait créer des ambiances. Une lecture que j'ai aimée et qui m'a donné envie de retrouver les personnages.
 

mercredi 6 avril 2022

Festival In Avignon : 76 ème édition annonce du programme



Olivier Py dont c'est la dernière année en tant que directeur du festival à présenté le programme du Festival In composé d'oeuvres et d'artistes venus du monde entier, avec des spectacles en langue originale surtitré. Une  lettre d'information du mois d'Avril 2022 nous en donne le détail. L'année prochaine, Tiago Rodriguez prendra la relève.

Dans cette lettre, on annonce 18 spectacles et 1 exposition mais j'en ai vu plus dans la présentation d'Olivier Py publiée  par le Monde.

  • Le Moine Noir de Kirill Serebrennikov
  • First but not Last Time in America de Kubra Khademi
  • ONE SONG de Miet Warlop
  • Lady Magma de Oona Doherty
  • MILK de Bashar Murkus
  • Via Injabulo de la compagnie Via Katlehong avec Amala Dianor et Marco da Silva Ferreira
  • Et la terre se transmet comme la langue de Franck Tortiller et Elias Sanbar
  • Solitaire de Sofia Adrian Jupither
  • Le projet Shaeirat avec Henri jules Julien et les quatre poétesses Carole Sansour, Asmaa Azaizeh, Soukaina Habiballah et Rasha Omran
  • La Tempesta de Alessandro Serra
  • Flesh de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola
  • Le Sacrifice de Dada Masilo
  • Le Septième Jour de Meng Jinghui
  • Futur proche de Jan Martens
  • Una imagen interior de El Conde de Torrefiel
  • Jogging de Hanane Hajj Ali
  • Du temps où ma mère racontait de Ali Chahrour
  • The Line is a Curve de Kae Tempest
 

 
Je ne sais pas encore grand chose de tous ces spectacles si ce n'est ce que j'ai lu dans un article du Monde  :
" C’est le metteur en scène et cinéaste russe Kirill Serebrennikov qui aura les honneurs du spectacle d’ouverture dans la Cour d’honneur du Palais des papes – un choix décidé bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Il y offrira sa vision puissante du Moine noir, adaptation d’une nouvelle d’Anton Tchekhov, qu’il a pu créer début mars au Théâtre Thalia de Hambourg (Allemagne)."
 
 Pourquoi tient-on à nous faire savoir que le choix a été fait avant la guerre en Ukraine ? Parce que sinon, les metteurs en scène russes n'auraient plus droit de cité en France ? Et pourquoi pas nous interdire aussi  de lire les livres des auteurs russes ? Pourquoi ne pas faire un autodafé de toute la culture russe  ?  S'attaquer à la culture d'un pays, c'est s'attaquer à ce qu'il y a de meilleur dans ce pays !
 

 
Il y aura deux Shakespeare dans ce festival !  Je m'en réjouis à l'avance mais avant de crier victoire il faudra voir comment les metteurs en scène vont monter ses pièces. 
Quand je vois cette annonce : La tempête d'Alessandro Serra  sans que William Shakespeare soit cité, cela me fait peur  ! Bien sûr, cela ne met pas en cause le metteur en scène Alessandro Serra  (metteur en scène  italien) qui n'y est pour rien mais plutôt ceux qui ont rédigé l'article et l'ont publiée ainsi   : La tempête d'Alessandro Serra !  Comme si La Tempête était du metteur en scène  !
 
Or c'est parfois ce que croient trop de metteurs en scène mégalomanes. Et j'en ai marre d'eux, de ceux qui se croient l'auteur des pièces et ne respectent pas l'auteur ! Le metteur en scène n'est pas, ne sera jamais l'auteur de la pièce ou alors il en écrit une, à lui, s'il en est capable ! Par contre, il doit, bien sûr en présenter sa lecture personnelle et Alessandro Serra interprètera le texte comme une critique du colonialisme nous dit-on.  Ce qui me paraît intéressant, à priori ! J'espère qu'il saura aussi en conserver la poésie de la langue et le côté onirique de la pièce proche de la nature, avec l'intervention des éléments que Prospéro, croit pouvoir dominer.

Le roi Richard II

Et Christophe Rauck, le directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers, présentera Richard II de WILLIAM SHAKESPEARE avec Micha Lescot dans le rôle-titre Je ne connais pas les mises en scène de Christophe Rauck mais je vois qu'il aime Jean-Pierre Vincent (vu de ce dernier un Dom Juan inoubliable à la maison de la culture de  Reims) et Patrice Chéreau. Alors, il y a de l'espoir ! Ce qui est bien avec Olivier Py, c'est qu'il a tenu, pendant tout son mandat, à faire venir à Avignon des metteurs en scène des grandes théâtres français, ce qui n'a pas toujours été le cas. Par contre les auteurs classiques français sont très peu à l'honneur au festival d'Avignon.

 Les thématiques féminines et les artistes femmes seront nombreux. Le Moyen-Orient et l'Afrique seront aussi à l'honneur.
Olivier Py présentera un spectacle de 10 heures intitulé :  Ma jeunesse exaltée 
 
" Portrait d’une jeunesse indomptable dont Arlequin est le personnage central. Vingt-sept ans après La Servante, Olivier Py convoque des compagnons de toujours et une nouvelle génération d’interprètes pour une épopée de 10h oscillant entre manifeste, célébration et pèlerinage."
 
et Simon Falguières signera un marathon de 13 Heures :  Le Nid de cendre.
 
 "Avec son Nid de Cendres, Simon Falguières nous entraîne dans non pas un, mais dans deux mondes vertigineux. Dans deux contes épiques qui avancent en parallèle pour finir par s’entrelacer. Et les histoires, et le théâtre vécurent heureux et eurent de nombreuses autres histoires." Voir suite Ici

 Exposition de Christophe Raynaud de Lage
L'oeil présent, photographier le festival d'Avignon 
Au risque de l'instant suspendu
 
"Plongée sensorielle dans la mémoire récente du Festival d’Avignon, l’exposition-déambulation fait renaître dix-sept ans d’émotions collectives.
Photographe officiel du Festival d’Avignon depuis 2005, il y poursuit avec constance une quête de la captation de l’instant fugace, du jeu des ombres et de l’indicible émotion.
"

Une belle affiche pour ce 76 ième festival !
 
 
 

samedi 2 avril 2022

Evgueni Vodolaskine : Les quatre vies d’Arseni

 

Je ne perçois plus l'unité de ma vie dit Lavr. Je fus Arseni, Oustine, Amvrossi et voilà que je suis Lavr. Ma vie a été vécue par quatre personnes qui ne se ressemblent pas, avec des corps différents et des noms différents. Qu'y a-t-il de commun entre moi et le petit garçon blond du bourg de Roukino ? La mémoire ? Mais plus je vis et plus mes souvenirs me semblent inventés. Je n'y crois plus alors ils ne peuvent plus me relier à ceux qui furent moi à différentes époques. Ma vie me rappelle une mosaïque et se fragmente en petits morceaux.

Etre une mosaïque ne signifie pas être fragmenté, répondit le starets Innokenti. C'est seulement quand on est tout près qu'on a l'impression que chaque petit morceau de pierre n'a aucun lien avec les autres. Dans chacune d'entre eux, Lavr, il y a quelque chose de plus important : ils visent celui qui les regarde de loin. Celui qui est capable de voir toutes les petites pierres à la fois.

Ingammic me l’avait dit ( voir son billet ici) : « ce livre est fait pour toi ». Donc, autant vous le dire tout de suite, Les quatre vies d’Arseni d'Evgueni Vodolaskine est un coup de coeur et je le trouve tellement riche que je ne sais comment en rendre compte ici.

 

Alors, puisqu’il faut bien se lancer, dans ce livre, il y a le Moyen-âge, cette époque fabuleuse, terrifiante, bouleversante, ou règne l’ignorance, l’obscurantisme, mais où, paradoxalement, la spiritualité, l’intelligence et le savoir-faire les plus élevés, font sortir de terre les cathédrales, les arts et la littérature. Cette période me fascine depuis toujours.
 Avec Les quatre vies d’Arseni, nous sommes plongés dans l’Ancienne Russie du XVème siècle, nous voyageons dans le temps mais aussi dans l’espace accompagnant l’errance du personnage toujours en mouvement, toujours fuyant, toujours à la recherche de la rédemption au milieu de paysages enneigés, de lacs gelés, de villages dévastés par la peste.
L’auteur Evgueni Vodolaskine est non seulement un médiéviste érudit mais aussi un écrivain de talent et il fait revivre magnifiquement ces moments de l’Histoire, dominés par la peur et par quelque chose de plus grand que l’homme qui le pousse à aller de l’avant. On vit les grandes épidémies, les famines, les guerres, les croyances en un surnaturel inquiétant, démons, fantômes, esprits des morts qui ont toujours tendance à se mêler aux vivants… Une période où l’amour de Dieu est toujours en balance avec la crainte du diable, où l’attrait du Paradis le dispute à la terreur de l’Enfer, ou le combat entre le Bien et le Mal ne semble pas avoir de répit. Le livre nous plonge dans une immersion passionnante de cette période de l’humanité.

un Iourodivy : un fou de dieu

Et puis, il y a les personnages sans lesquels il ne pourrait pas y avoir de bons romans, en particulier le personnage éponyme, Arseni, attachant, émouvant : Arseni, enfant et son affection pour son grand père le bon Kristofor, médecin herboriste qui lui dévoile le monde, Arseni et ses lectures - la vie d’Alexandre- qui l’ouvrent à l’imagination et à d’autre horizons, Arseni et son bel amour Oustina, Arseni coupable d’un péché impardonnable et qui part sur les routes pour expier, Arseni le Médecin et son combat contre la maladie, Arseni, l’ascète, le saint, Arseni et ses quatre vies, ses quatre noms, ses terribles souffrances, ses désespoirs illuminés pourtant par la foi. Capable du don de soi, il vit comme un saint et pourtant nous le sentons proche de nous avec ses fragilités et ses doutes.
 
Les autres personnages du livre sont nombreux et si divers qu’ils donnent une image du peuple russe et de toutes les classes sociales, mendiants, paysans, marchands, artisans, religieux, possadniks, princes... toute une galerie de portraits typiques de l’ancienne Russie que l’on rencontre encore au XIX siècle dans les oeuvres de Tolstoï ou de Dostoiewsky.

Certains sont dotés de sagesse et représentent la voix de Dieu comme les starets, vieux moines possédant la sagesse. D’autres sont étonnants, truculents parfois, pittoresques, carrément fous ou prétendant l’être comme les Iourodivy, ( ce mot signifie en russe les fous de Dieu ). Dans le roman, ils introduisent parfois une note humour. Et oui, car le roman n’en est pas dépourvu, bien au contraire. Pour ne citer qu’un exemple, les Iourodivy Karp et Foma qui se disputent le territoire à grands coups de gifle marchent sur l’eau maladroitement (mais comme le Christ tout de même, excusez du peu !). Loin d’émerveiller les habitants, ils s’attirent leurs critiques blasées :
« Sur l’eau ils ne peuvent que marcher. Ils ne savent pas encore courir. »

 

La porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti

Enfin, il y a l’ami d’Arseni, Ambrogio, que j’aime beaucoup, d’abord parce qu’il est italien et nous fait visiter Florence, Venise, et puis que, doté d’un pouvoir visionnaire, tel Cassandre, il prédit l’avenir des siècles à l'avance. Evidemment, personne ne se souvient de ses nombreuses prédictions et n’en tient compte. Ainsi, il prédit la fameuse inondation de Florence de 1966, catastrophe dont je me souviens très bien. Elle avait même emporté la porte du Paradis de Ghiberti à mon grand désespoir ! C’est ainsi qu’entre l’avenir (pour Ambrogio qui vit au dans la deuxième moitié du XV siècle) et le passé (pour le lecteur qui évoque un souvenir de la deuxième moitié du XX siècle), se poursuit le jeu avec le temps engagé par l'auteur ! Et l’on s’aperçoit que très souvent le passé, le présent et le futur se télescopent dans le roman et que nous sommes amenés à voir ce qui est, ce qui fut et ce qui sera et parfois tout en même temps. Ce n’est pas étonnant qu'Ambrogio soit celui qui cherche le plus à déterminer la date de la fin du Monde que tout le monde attend pour bientôt ! Et pour Arseni vieillissant, le temps devient source d'inquiétude, d'interrogation :

A partir de ce moment-là Lavr perdit le compte du temps linéaire. A présent, il ne percevait plus que le temps cyclique, refermé sur lui-même, le temps de la journée, de l’année de la semaine et de l’année. Il avait perdu sans retour le compte des saisons.

Dans sa mémoire les évènements n’étaient plus corrélés au temps. Ils coulaient  librement dans sa vie, adoptant un ordre particulier, intemporel.

De toutes les expressions  qui indique le temps, celle qui lui venait le plus souvent à l’esprit était « une fois ». Elle lui plaisait parce qu’elle surmontait la malédiction du temps. Elle soulignait le caractère unique et irreproductible de tout ce qui avait lieu « une fois ». « Une fois », il se rendit compte que cette indication était largement suffisante.

Le temps est le plus grand thème du livre, on peut même dire le principal ! En effet, il faut noter le sous-titre que Evgueni Vodolaskine donne à son livre  : roman non historique. Une manière de nous avertir que le Moyen-âge qu’il décrit questionne aussi bien le passé, le présent, et pourquoi pas le futur ? Une manière de s'interroger sur ce qu’est le temps.

Le chemin des vivants, Amvrossi, ne peut pas être un cercle. Le chemin des vivants, même s’ils sont moines, est ouvert, car sans la possibilité de sortir du cercle, que deviendrait le libre arbitre, on se le demande ? (…)
Tu penses que le temps ici n’est pas un cercle mais une figure ouverte, demanda Mavrossi au starets.
Tout juste, répondit le starets. Comme j’aime la géométrie, j’assimilerai le mouvement du temps à une spirale. C’est une répétition, mais sur un autre niveau plus élevé. Ou, si tu veux, on vit quelque chose de nouveau, mais pas à partir d’une feuille blanche. Avec le souvenir de ce qu’on vécu auparavant.


Roman historique non historique passionnant,  roman  d'amour intense et touchant, roman d'aventures mouvementé, tragique et tumultueux, roman philosophique, Les quatre vies d'Arseni  fait entendre une voix originale et  poignante qui parle du Moyen-âge avec intelligence, en nous ramenant à nous-mêmes.

 



vendredi 1 avril 2022

Cracovie : Mine de sel de Wieliczka

Cracovie : Mine de sel de Wieliczka :  Lac salin

Il est très facile de se rendre à la mine de sel de Wieliczka située à une dizaine de kilomètres de Cracovie. Le touriste n'a que l'embarras du choix : une excursion organisée ou transport en mini-bus avec chauffeur. Plusieurs circuits sont proposés à l'entrée, selon votre forme physique. Les sportifs feront le parcours long. Mais pour parcourir la mine entièrement, il paraît qu'il faudrait une semaine.

La mine est exploitée depuis le XIII siècle mais le sel est récolté depuis cinq millénaires. Il fut la plus grande richesse des rois polonais d'où sa taille gigantesque, neuf niveaux, 30 km de galeries.

Ce que vous ne pouvez éviter, c'est la plongée aux Enfers, toute une volée d'escaliers, 390 marches pour atteindre - 64 m, dans laquelle vous perdez votre libre arbitre  ( S'arrêter ? Renoncer ? impossible !),  on a l'impression que c'est interminable,  descente qui vous plonge dans les entrailles de la terre. Heureusement, un défibrillateur vous attend à l'arrivée ( Je plaisante ... oui, le défibrillateur existe mais on y échappe en général !). Sachez, cependant que vous remonterez en ascenseur (ouf!) enfin si vous en trouvez un qui marche. (Je plaisante ! oui, il y en avait plusieurs en panne, mais, ça va, je suis là !)

En fait, la galerie la plus profonde descend jusqu'à - 327 m, mais le visiteur se contente de passer de - 64 à -135m sur trois niveaux et c'est bien suffisant ! Je m'attendais à un univers blanc, éclatant de gemmes irisées, je me suis retrouvée dans un monde noir (la terre colore le sel), perdue dans des longs couloirs interminables, étayés de rondins, et des passages en clair-obscur, persuadée de me retrouver nez à nez, à un moment ou à un autre, avec l'araignée du Seigneur des anneaux.  Mais non, ce n'est pas allé jusque-là !

Les différents niveaux : une idée de la profondeur (oui, je sais, cela ne rend pas)

La Chapelle Sainte Kinga : 54m de long, 18m de large, 12m de hauteur

Bref, après cette "légère" atteinte de claustrophobie, j'ai pu admirer ces lieux uniques, grandioses, fruits de la nature et du travail de l'homme. Car celui-ci ne s'est pas contenté de creuser des puits et des galeries mais il a façonné d'immenses salles, cathédrale illuminée de lustres salins, autels, il a sculpté des statues, des bas-reliefs, des scènes religieuses, historiques. On peut aussi voir, au passage, des scènes  retraçant le travail des mineurs.

 La chapelle de Sainte Kinga (Cunégonde), dédiée à la patronne des mineurs, est impressionnante par ses dimensions, sa longueur, sa hauteur de plafond, son pavage de dalles taillées dans le sel. Le dimanche, les mineurs et leur famille venaient assister à la messe. Des messes y sont toujours célébrées en particulier à la Noël et on peut assister à des concerts, l'acoustique étant excellente.

Chapelle Sainte Kinga (détail)

 La fuite en Egypte

Autel sculpté : Dieu , La Vierge






Les noces de Cana


La cène d'après Léonard de Vinci sculptée par le mineur Antoni Wyrobek (source)

Soutènement de bois : on a l'impression de voir un temple, vestige d'une civilisation antique

Le soutènement de bois n'est pas seulement utile mais témoigne d'une recherche esthétique

Transport de sel par l'homme


Le travail du cheval : écurie


Mécanisme pour transporter le sel à l'étage supérieur


jeudi 31 mars 2022

Isaac Bashevis Singer : Shosha

 

Varsovie 1939

Dans son roman Shosha, Isaac Bashevis Singer, écrivain né en Pologne et naturalisé américain, met beaucoup de lui-même dans son personnage principal  Arele (Aaron) Greidinger.

Le roman commence par la description de son enfance dans le quartier juif de Varsovie où a vécu l’écrivain, quartier pauvre mais plein de vie, où règne une joyeuse animation les jours de marché et dans les cours intérieures des immeubles, là tout le monde se connaît. Comme Isaac, Arele a un père rabbin, une mère, fille de rabbin, qui voit d’un mauvais oeil son fils fréquenter leurs voisins juifs d’un milieu social inférieur. Cette famille est pourtant un havre de paix et de joie pour l’enfant. Il se fait dorloter par la mère Bashele, femme au grand coeur, et aime d’un amour pur et intense la petite Shosha, une blondinette, simple d’esprit, souffreteuse, qui a du mal à apprendre à lire et qui voue au petit garçon une admiration sans bornes. Lorsque ses parents déménagent, pendant la guerre de 1914, Arele, est séparé de Shosha. Même s’il ne l’oublie pas, il ne la reverra pas avant cette promenade dans le quartier de son enfance en 1939. Il est accompagné de Betty, une actrice américaine pour qui il écrit une pièce. Le jeune écrivain, journaliste, philosophe, érudit, qui a étudié dès son enfance la Torah, fréquente les milieux intellectuels juifs de Varsovie. Nous savons que Isaac Singer, lui, a émigré dès 1935 aux Etats-Unis mais son personnage vit ces moments crépusculaires, dans l’attente de l’invasion de la Pologne, sous  l'ombre menaçante d’Hitler, sachant très bien que la mort se rapproche. Arele et ses amis, Haiml et Célia, Morris Feitelzohn ont de longues conversations philosophiques mais ils sont incapables d'agir. Certains, dont Aaron, auraient l’occasion de partir en Amérique, mais aucun ne s’y résout. Déni de la réalité ? Résignation devant la mort ? fatalisme ?  Pessimisme fondamental qui ne donne pas envie de lutter pour la vie ?

« J’avais rejeté quatre mille ans de judaïsme en échange d’une littérature dépourvue de sens, yiddishite, Feitelzhoniste. Il ne restait en tout et pour tout que ma carte de membre du Club des écrivains et quelques manuscrits sans valeur. Je m’arrêtai pour regarder les vitrines. Le massacre pouvait commencer d’un moment à l’autre -mais en attendant, on vous tentait avec des pianos, des voitures, des bijoux, des jolies robes du soir, des livres polonais récemment parus ainsi que que des traductions allemandes.(…)
Les hommes regardaient d’un oeil expert les jambes gainées de nylon, prometteuses de délices inaccessibles. Et moi, condamné comme tous les autres, je regardais aussi les hanches, les mollets, les seins, les gorges. La génération qui viendra après nous, me dis-je, s’imaginera que nous sommes  allés à la mort en nous repentant. On nous considèrera comme de saints martyrs, on récitera le Kaddish pour nous, et le « Dieu plein de miséricorde ». En réalité, chacun de nous mourra avec la même passion qu’il a mis à vivre. »

Arele qui a plusieurs maîtresses à la fois, choisit d’épouser la petite Shosha au grand dam de ses amis et de sa famille. Femme-enfant, Shosha représente pour lui la pureté. Singer veut-il dire que la pureté ne peut exister que si l'on reste un enfant ?  Est-elle l'apanage des simples d'esprit comme l'Idiot de Dostoiewsky ? L’amour d’Aaron est sincère mais celui-ci n’est pas exempt de doute au sujet de son mariage. Pourtant il devient plus responsable, refuse les aventures et veille sur Shosha comme s'il avait charge d'une enfant.

Je venais de commettre la pire folie de toute mon existence, et je n’en éprouvais aucun regret. Il faut dire que je n’en étais pas non plus fou de joie, comme le sont en général les gens amoureux. 

Le roman brasse de grandes idées : l’art, la littérature, la philosophie, l’existence de Dieu, la foi, l’athéisme, le péché, la religion, la politique. D’autres amis d’Aaron, Dora et Wolf, ayant confronté leur idéal communiste à la réalité stalinienne, sont désenchantés et sombrent dans le désespoir.
Arele, lui, s’est éloigné de la religion mais il doute. Il a rompu avec la tradition juive, ne suit pas les rites, mais les respecte quand il est avec des croyants. Et, en même temps, il critique les aspects rigides de sa religion. Il décrit une enfance faite d’interdits :

« Tout ce que j’avais envie de faire était défendu. Il ne m’était pas permis de peindre des personnages, parce que c’était une violation du deuxième commandement. Je ne pouvais pas dire un mot contre un autre petit garçon, c’était de la calomnie. Je ne pouvais pas inventer des histoires, c’étaient des mensonges. »

Et plus tard, Isaac Singer fait, à travers le frère d’Arele, le rabbin Moishe, une critique des règles figées, strictes, suivies par le rabbin, par exemple, celle, assez curieuse, de ne pas s’asseoir sur de la tiretaine (?), ou encore de ne pas s'asseoir à côté des femmes. Il décrit en Moishe un homme si rigide qu’il ne peut tout simplement pas être chaleureux envers les gens qui le reçoivent, toujours en train de redouter que le rite ne soit pas bien observé.

« Bashele avait l’intention d’inviter ma mère et Moishe soit à déjeuner, soit à dîner, mais ma mère me déclara sans détour qu’elle ne mangerait pas chez Bashele, parce que ni elle ni Moishe ne pouvaient être sûrs que ce qu’elle nous donnerait serait casher. »

Sa méfiance extrême envers tout étranger même juif, son intolérance et la conscience de sa prétendue supériorité de classe l’éloignent de son frère Arele.

« … Je crois en Dieu dit Arele à Shosha mais je ne crois pas qu’il se soit révélé et ait donné aux rabbins toutes ces règles mesquines qu’ils se sont empressés de multiplier de génération en génération. »

Dans l’épilogue, treize ans après, nous apprenons ce qui est arrivé à chacun de la bouche d’Arele qui vit à présent à NewYork. De cette conclusion se dégage un pessimisme amer. Et on le comprend ! Le livre a été écrit dans les années 1970, et après l’Holocauste, les millions de victimes de la seconde guerre mondiale, le carnage qui a ravagé toute la planète, Isaac Singer présente une philosophie désabusée, d’une lucidité glaçante  :

"Il m’était parfois arrivé de croire, ne serait-ce qu’une fois au libre arbitre, mais ce matin-là j’eus la certitude que l’homme était aussi libre de choisir que la montre à mon poignet ou la mouche posée sur le bord de ma soucoupe. Les forces qui faisaient agir Hitler et Staline, le pape, le rabbi de Gur, une molécule au centre de la terre, une galaxie à des millions d’années lumière de la Voie Lactée, étaient les mêmes. Des forces aveugles ? Des forces clairvoyantes ? Cela n’avait pas d’importance. Nous étions condamnés à jouer à nos petits jeux - puis à être écrasés."

Un roman riche, prenant, qui questionne et dérange !
 


mercredi 30 mars 2022

Honoré de Balzac : le cousin Pons

 

Le cousin Pons est publié en 1847 et fait partie des Scènes de la vie parisienne. Avec La cousine Bette, roman déjà lu au cours des LC initiées par Maggie, il appartient à la section intitulé Les cousins pauvres.

Le cousin Pons dans les rues de Paris

Le roman commence par un portrait de Sylvain Pons qui souligne à la fois sa laideur grotesque - qui explique qu’il n’ait jamais été aimé d’aucune femme même pas de sa mère- et son habillement, fidèle aux modes de l’an 1806, c’est à dire de l’Empire, donc inadapté à son temps. Quant au portrait moral, Pons est aussi bon, naïf et franc que la cousine Bette était méchante, menteuse et jalouse.
C’est aussi un homme aux goûts raffinés qui a une grande connaissance de l’art et qui, malgré son manque de fortune, en chinant chez les antiquaires durant toute sa vie, est parvenu à amasser, à petits prix, une belle collection de peintures et d’objets anciens précieux. Ce goût des beaux objets et de l’art, il le partage avec Balzac, qui n’a cessé toute au cours de sa vie, de s’endetter pour vivre dans le luxe.
Pourtant, le cousin Pons pourrait être heureux depuis qu’il a rencontré un ami, allemand, un homme simple et chaleureux, bon jusqu’à la crédulité, Schmucke. Les deux hommes s’aiment beaucoup. Ils partagent le même petit appartement. Ils sont musiciens et tous les deux travaillent dans le même théâtre mais Sylvain Pons a une faiblesse. Il est gourmand ou mieux encore gourmet ! Il apprécie la bonne chère et le vin goûteux, ce qui est, hélas, trop onéreux pour sa bourse, et qu’il ne peut trouver qu’à la table de riches bourgeois. Petite compensation à sa laideur et au manque d'amour qu'il a connu? Mais qui fera son malheur !
C’est pourquoi il se fait inviter par ses cousins éloignés, entre autres les Camusot de Marville, bourgeois anoblis, parvenus ambitieux, ignorants et peu instruits, qui le couvrent de sarcasmes et le traitent de « pique-assiette », le livrant ainsi à la risée de leurs domestiques. Le pauvre homme en souffre beaucoup et tombe malade.
Mais tout va changer quand on va apprendre que la collection de Pons fait de lui un homme riche. Tous ceux qui tournent autour de lui, logeuse, médecin, avocat, riche collectionneur, cousins qui se voient bien en héritiers, tous vont comploter contre lui pour hâter sa mort et mettre le grappin sur sa fortune.

La logeuse, madame Cibot et Pons

Ce roman de Balzac est particulièrement pessimiste, plus encore, je crois, que la cousine Bette. La pauvreté alliée à la laideur fait du personnage principal un paria dans une société âpre, avide au gain, sans idéaux. Les  pauvres ou les riches sont guidés par un intérêt commun, l’argent. Ils ne reculent devant aucun mensonge, aucune vilenie, aucune trahison et vont même jusqu’au crime, les uns pour ou contre les autres, pour arriver à leur fin.
D’habitude, Balzac dénonçait la corruption de l’argent et la soif d’honneurs et de dignité qui amènent aux pires compromissions dans la bourgeoise. Il le fait cette fois-ci aussi mais l’on s’aperçoit que toutes les classes sociales se comportent de la même manière et chacun à son niveau, espérant grimper dans l’échelle sociale. Hypocrisie, malhonnêteté, cruauté, rapacité ...  C’est finalement un portrait négatif et noir de tout le genre humain que nous présente Balzac.
Ce récit illustre le pouvoir de l’argent puisque dans cette société ce sont les gens qui n’ont ni l’intelligence du coeur, ni celle de l’esprit, qui surpassent ceux qui possèdent ces qualités. Les deux pauvres victimes, Pons surtout et Schmucke aussi, semblent livrés à leurs bourreaux pieds et poings liés et si Pons, a un sursaut de révolte, il est bien vite réprimé. J’avoue que j’ai éprouvé parfois de l’angoisse en lisant un roman aussi noir où nul espoir ne semble permis.
 

Madame Camusot de Marville

 

LC avec Maggie 

lundi 28 mars 2022

Kveta Legatova : La Belle de Joza


Eliska achève ses études en chirurgie, à Brno, en Moravie. Elle devient la maîtresse de Richard, son professeur d’université, marié et père de deux enfants, qui l’a prise comme stagiaire à l’hôpital. Jusque-là rien que de banal. Mais nous sommes en guerre et le pays est occupé par les Allemands aussi lorsque Richard lui propose de transmettre du courrier clandestin à des résistants, elle accepte. Bientôt, menacée elle-même par la Gestapo, elle est obligée de fuir. Son ami Slavek lui propose de disparaître en épousant Joza, ( Joseph Janda), un patient qu’elle a soigné à l’hôpital et qui repart dans ses montagnes. Il vit dans un petit village reculé, Zelary, ignoré par la guerre, du moins momentanément. Manifestement Joza  est amoureux d’elle, ébloui par cette jolie et brillante médecin ! Il n’en est pas de même d’Eliska qui le juge laid, frustre, inculte, et pour tout dire un peu demeuré mais elle accepte car elle n’a pas le choix.

La découverte de sa nouvelle vie est d’abord pour Eliska devenue Hanna, une épreuve assez rude.  Se retrouver dans une maison sans eau et sans électricité pour une citadine est assez éprouvant. C’est ainsi qu’était la Lozère quand j’étais enfant, et, effectivement, c’était assez perturbant quand on venait de la ville. Observer les moeurs de la campagne, les femmes battues ou celle en train d’accoucher, abandonnée, toute seule, dans l’étable, les ivrognes du samedi qui se tapent dessus, est un choc. Le paysage aussi est parfois sinistre et lui fait peur surtout quand elle se perd dans la nuit.  On est loin du retour à la Nature idyllique et à l’idéalisation du milieu rural de Giono et pourtant…
Et pourtant, elle découvre aussi beaucoup de points positifs qu’elle ne pourra apprécier qu’en se défaisant peu à peu de ses habitudes de vie et de pensée et de son sentiment de supériorité.
"Le monde de l'âme humaine, avec ses deux pôles irréconciliables, tournait ici comme une roue de moulin".
Et pourtant… contre tout attente un sentiment complexe, va naître entre Eliska-Hannah et Joza. Elle prend conscience que sous l’aspect frustre se cache un homme tendre, attentionné, paisible, qui ne lui fera jamais du mal mais au contraire écartera d’elle tout désagrément. L’amour naît.

"J’effleurai en pensée la question de notre amour réciproque.
« Amour » est le mot le plus mal considéré du vocabulaire.
On peut presque tout nommer ainsi. Toutes les convoitises, les habitudes égoïstes, l’envie, et même la haine et l’arrogance.
Ma relation à Joza méritait un examen.
Elle était indicible. Du moins elle n’était pas simple. C’était de l’amitié, de la tendresse, de la compassion, mais aussi de l’angoisse et du désespoir.
Tout cela formant une soudure infrangible. »


Elle apprend à se satisfaire de plaisirs simples, du contact avec les animaux, le chien Azor, le chat abandonné, le veau nouvellement né, de la contemplation de la Nature.

" Joza me taillait une louche en bois. Son travail était lent, appliqué, propre.
Une louche en bois.

Mon souhait frivole, somptueux, accessible.
Les chercheurs de trésors commettent une funeste erreur en regardant au loin. C’est là le lieu de la perdition.
(…)
Joza, commençais-je d’une voix à peine audible.
Il interrompit son travail et leva la tête.
-Regarde les feuilles.
Il posa la louche et vint s’asseoir à côté de moi.
Les feuilles ne tournoyaient que pour nous deux.
Nous les avons regardées une bonne heure durant."


Elle se lie d’amitié aussi avec les familles voisines qui l’entourent et même l’adoptent comme une des leurs. Et surtout, la jeune femme cultivée, instruite, s’aperçoit qu’elle peut apprendre beaucoup des autres, de Zéna qui l’initie à la cuisine, aux travaux manuels auxquels elle prend un réel plaisir, de Lucka, la guérisseuse, une vieille femme à priori assez revêche, qui lui apprend beaucoup sur son métier et qui a acquis par empirisme une supériorité sur elle grâce à sa sagacité et à un sens de l’observation particulièrement aiguisé. Tous ses préjugés sociaux tombent et lorsqu’elle revient à la ville, c’est elle qui passe par folle quand elle fait part de sa nouvelle vision des choses

« Plus tard, j’appris en lisant mes dossiers que j’avais traité mes collègues des pseudo-savants et que je leur avais donné en exemple une villageoise qu’ils n’avaient jamais vue de leur vie. Je les avais aussi accusés de mépriser un homme qu’ils ne connaissaient pas non plus, leur avait reproché leur fatuité et leur manque de respect pour l’humanité, sans même expliquer ce que j’entendais pas là et j’avais rappelé à certains qu’ils n’avaient réussi son examen qu’avec justesse. »

Ce petit livre, rapide et court est un grand plaisir de lecture. On se sent concerné et ému par les personnages et leur histoire en le lisant !  La fin est empreinte de mélancolie. Un belle découverte !


Kveta Legatova source

Kveta Legátová, de son vrai nom Vera Hofmanova, est née en Moravie en 1919. Elle étudie le tchèque et l’allemand à Brno avant la guerre, puis les maths et la physique. Devenue enseignante, elle est affectée dans des zones de montagnes par les autorités communistes, qui voient en elle un « cas problématique ». Au lycée, elle écrit déjà de courtes pièces radiophoniques et poursuit cette activité jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, mais c’est avec la parution de La Belle de Joza (Noir sur Blanc, 2008) et de Ceux de Želary (Prix national tchèque de littérature) que Kveta Legátová connaît un succès foudroyant


Aifelle       Marilyn     Kathel


dimanche 27 mars 2022

Cracovie : Le château de Wawel, appartements royaux

Cracovie  : Le château de Wawel (Wiki)



Le château de Wawel (vu de l'esplanade)

La colline de Wawel, son château et sa cathédrale, ont été pendant des siècles le siège du pouvoir royal et religieux de la Pologne, Cracovie étant la capitale.  C'est là que les rois étaient sacrés, c'est là aussi qu'ils étaient inhumés. Lorsque le roi Sigismond III Vasa décide de transférer la capitale à Varsovie en 1596, la famille royale et tous les grands noms qui illustrèrent l'Histoire de la Pologne continuent de se faire enterrer dans la cathédrale du château.


Le château de Wawel et cathédrale

Le premier château médiéval date du XI ème siècle, puis Casimir III le Grand en fit une puissante forteresse gothique au XIV siècle, détruite en partie par un incendie en 1499.  C'est Sigismond I le Vieux de la dynastie des Jagellon et son épouse la reine Bona issue de la puissante famille des ducs de Milan, les Sforza, qui firent édifier le château Renaissance au début du XVI siècle. L’influence de Bona aussi bien au point de vue économique et artistique transforma le château et au-delà, Cracovie et la Pologne.  Elle fit venir les premiers artistes toscans à la cour du roi de Pologne :  les architectes italiens Francesco Florantino et et Bartolomeo Berrecci qui réalisèrent le château de la Renaissance tel qu'on peut l'admirer aujourd'hui. 

Bona Sforza , reine de Pologne, de Matejko

L'aile nord subit un nouvel incendie en 1595 et Sigismond III avant de quitter Varsovie confia la restauration à un autre artiste italien Giovanni Trevano.

Malgré les destructions, les pillages, les ravages dus aux différents occupants du pays au cours des siècles, Russes, Prussiens, Autrichiens, Suédois et nazis, le château a été restauré et a pu retrouver sa splendeur passée. 


Cracovie Château de Wawel : Cour intérieure de style renaissance

Château de Wawel Cour Renaissance : détail (Wikipédia)

Il y a plusieurs musées à visiter dans le château. Entre deux confinements, nous étions en juin 2021,  tous ne semblaient pas ouverts. Je vous amène dans celui des appartements royaux.

Ce sont, avant tout, les tapisseries de Flandres du XVI siècle qui font la richesse de ce château. Sur les  360 pièces acquises par les Jagellon, seules 136 tapisseries ont survécu. Elles sont l'oeuvre de Willem Tons et Michel Van Coxie et illustrent des scènes de l'Ancien testament comme le Déluge, l'arche de Noé, Adam et Eve dans le jardin d'Eden, la construction de la tour de Babel. 


Accès aux appartements royaux


Cracovie : le château de Wawel : la salle du trône


Château de Wawel : salle des oiseaux (wiki)

 
Château de Wawel : chambre de Vasa (wiki)

Tapisserie : thème ancien testament le Déluge


Le Déluge (détail)  


Noé et ses fils construisant l'arche

L'arche de Noé

Le bonheur du Paradis, atelier de Jan de Kempeneers  vers 1555


 

 

Porte Renaissance