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lundi 13 octobre 2008

Laurent Cantet : Entre les murs (1)


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Si j'en juge par les réactions autour de moi à propos de "Entre les murs" le film ne fait pas l'unanimité chez les enseignants.
C'est que ce film a un drôle de statut. Il se présente comme un documentaire et comme tel entraîne la question légitime de son rapport avec le réel. Selon l'angle pris par le réalisateur, le choix des images et du montage, il n'y a jamais, en effet, une réalité mais plusieurs et encore ne peut-elle être objective.
Ici, la question se complique du fait que le film est en fait une fiction puisqu'il est l'adaption du livre de François Bégaudeau qui y consigne sa propre expérience, il est aussi le résultat d'une improvisation théâtrale menée par les élèves qui sont ici des acteurs de même que les parents, les professeurs, l'administration. L'ambiguité du film se renforce encore du fait que si tous sont acteurs, tous interprètent pourtant leur propre rôle, ils sont dans la vie réelle élèves, parents,  professeurs. Si bien que l'on ne sait plus où s'arrête la fiction, où est la réalité et les deux sont tellement bien  imbriquées l'une dans l'autre que bien souvent, le spectateur surtout s'il est professeur, réagit épidermiquement comme s'il se trouvait devant une réalité incontestable. Et selon, sa propre expérience, sa propre conception de l'enseignement, la vision qu'on lui renvoie de son métier le fâche, l'irrite, le décourage...
J'ai rarement entendu des enseignants satisfaits du film même s'il y en a, je pense. Et le spectateur-enseignant a raison de réagir ainsi car même s'il s'agit d'une fiction, le regard qui est porté est le reflet d'une réalité et celle-ci n'est pas obligatoirement positive. En même temps il a tort parce qu'il ne devrait pas perdre de vue  que si, dans la fiction le professeur est en échec, dans "la réalité" ces élèves ont  été valorisés par leur expérience, sont allés jusqu'au bout du tournage, ont fait preuve de persévérance et de talent et ont remporté la palme d'or, ce qui n'est pas rien, tout de même!
J'ai lu dans le Télérama du 11 au 17 Octobre le témoignage d'une lectrice. Je la cite :
"Les deux films Entre les Murs et La Belle Personne même si l'un se passe en ZEP et l'autre dans les beaux quartiers, exposent et transmettent la même pensée aujourd'hui couramment répandue : les profs sont des gens minables, un peu débiles (mais tourmentés), en pleine dépression et crise de vocation. Ils font face à des élèves toniques, rigolos ou charmants, à l'égo surdimensionné, qui sont là non pas pour apprendre ou échanger, mais bien évidemment pour mater ou séduire les dits profs, c'est-à-dire les écraser de leur supériorité évidente. Qui peut encore parler de transmission de savoir? Personne n'en a envie. L'inversion des valeurs, c'est très tendance."
On peut se demander pourquoi cette image renvoyée par le film est si négative. J'ai quelques éléments de réponse même si certainement il y a d'autres explications. L'enseignement est ici présenté comme un rapport de force, une sorte de joute verbale où l'on ne sait qui de l'enseignant et de l'élève aura le dessus; l'étude des textes en français n'est pas d'un niveau de quatrième (un échec donc!) puisque il faut expliquer le vocabulaire de base comme s'il s'agissait d'un cours pour étranger (ce qui est le cas de certains de ces élèves mais pas de la majorité qui est française et est passée par l'école primaire, un  autre échec encore!), le "prof" paraît souvent laxiste envers les élèves, démagogique (en conseil de classe), il fait des erreurs et dérape lui aussi au niveau du langage ce qui le dégrade par rapport aux élèves...
Pourtant on pourrait avoir aussi un autre point de vue : L'enseignant est courageux, patient, habile : il essaie de tirer le maximum des enfants dont il a la charge, il continue sans désespérer à enseigner sa matière malgré les difficultés, il ne  cède pas sur les questions qu'il juge importantes par exemple sur la politesse des garçons envers les filles, sur l'homophobie (même s'il cède sur d'autres), il s'efforce de s'intéresser à ses élèves en tant qu'êtres humains, bref,  il ne cesse pas d'exercer avec foi un métier où le plaisir d'enseigner n'est pas toujours présent!
Le film suscite encore d'autres réflexions. Après l'avoir vu on peut se demander si l'on pourra jamais résoudre le problème de fracture entre les classes privilégiés et celles qui ne le sont pas. Comment lutter contre l'échec scolaire quand il y a un tel retard par rapport à la langue, à la culture, malgré l'intelligence évidente de ces enfants? L'école ne pourra jamais remplacer la famille, alors que faire si les parents ne parlent pas le français, s'ils ne comprennent pas l'importance de l'école, s'ils n'apprennent pas à leurs enfants les bases élémentaires de la politesse pour vivre en société? Comment faire aussi si les enfants eux-mêmes qui auraient besoin de travailler plus pour rattraper leur retard, perdent du temps à chaque début d'heure ou pour des problèmes de discipline. Bref! les questions que pose ce film sont nombreuses, importantes et essentielles  : l'enseignement est l'avenir de notre pays et, dans un pays idéal, l'école devrait permettre de corriger les inégalités sociales, ce en quoi elle échoue trop souvent..
Quand le film de Nicolas Philibert Etre et Avoir est sorti sur les écrans il a obtenu l'unanimité. Il reflétait une réalité satisfaisante pour chacun de nous, professeurs ou parents :  un enseignant parfait face à des petits élèves qui étaient tous adorables et attachants même si certains avaient quelques difficultés scolaires. De quoi satisfaire l'ego des profs et rassurer les parents. Ce n'est évidemment pas le cas de Entre les Murs

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