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lundi 8 décembre 2008

Le discours du prix Nobel : JMG Le Clezio et Pierre Assouline



Pour avoir entendu JMG Le Clézio s'exprimer en public, l'avoir vu répondre aux questions des journalistes, je sais qu'il n'est pas un bon orateur et qu'il supporte mal de paraître. Il aime la solitude, il se sent plus à l'aise avec des gens modestes dit-on de lui. Voilà qui le rend sympathique. Et n'est-ce pas bien ainsi ? Pourquoi lui reprocher ses silences? Il est écrivain, pas orateur.
Ceci dit, j'ai aimé le discours prononcé à Stockholm par Jean-Marie G. Le Clezio à la remise du prix Nobel de littérature et ceci quoi qu'en pense Pierre Assouline. Voir  La République du livre  .
Je l'ai aimé  parce qu'il est angoissé, sincère et modeste, quand il s'interroge sur le rôle de l'écrivain et de la littérature dans le monde actuel. Pour Le Clézio, l'écrivain sait désormais, contrairement à ses prédécesseurs "engagés" dans une lutte qu'ils croyaient utile, qu'il n'a pas le pouvoir de changer le monde. Alors pourquoi écrire? C'est la question qu'il se pose et à laquelle il répond avec honnêteté. Il y de très belles pages dans ce discours, dignes de ce grand écrivain, ce que Pierre Assouline lui-même reconnaît.
C'est pourquoi j'ai été désagréablement surprise par le ton condescendant que ce dernier emploie à son égard:
 "Le Clézio a donc fait du Le Clézio, ce dont on ne saurait le blâmer. Mais du Le Clézio dernière manière, même si l’on retrouvait dans ces douze pages intitulées “Dans la forêt des paradoxes”, quelques lueurs de l’auteur du Procès-verbal, de L’Extase matérielle et de La Guerre. Appliqué, didactique, aussi boutonné que son auditoire et par moment inspiré."
Libre à lui de ne pas aimer ce texte, encore faut-il le traiter avec respect.  En effet, quand j'ai lu le discours complet de Le Clézio, je me suis aperçue que le procédé employé par P.Assouline qui consiste à isoler des phrases afin d'en montrer la platitude ou le ridicule pour dévaloriser l'écrivain est loin d'être fair play. Séparée de son contexte, une idée peut paraître incohérente, voire ridicule, alors qu'elle ne l'est pas dans son développement. D'autre part, sur un discours de douze pages, il est facile de trouver quelques passages qui ne soient pas au même niveau. C'est vraiment vouloir s'acharner que de guetter ces quelques faiblesses dans un texte qui présente par ailleurs des moments forts.
"L’incipit est banal" dit Pierre Assouline  en citant le texte de Le Clézio :
Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas. Que l’on se sent en difficulté devant la réalité, que l’on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion.
Ne pourrait-on pas dire que l'incipit est simple, clair et sans prétention? Mais passons sur cette différence d'appréciation qui est liée à la seule subjectivité..
Ce qui n'est pas le cas lorsque Pierre Assouline parle "des lapalissades" de Le Clezio en citant  :
D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit.
Et certes, séparée de ce qui précède et de ce qui suit, cette phrase apparaît comme un évidence voire comme une lapalissade. Mais replacez-la dans le discours et elle prend tout son sens et son importance.
Jugez plutôt : Conférence de J.M.G. Le Clézio 
7 décembre 2008
"La littérature – c’est là que je voulais en venir – n’est pas une survivance archaïque à laquelle devrait se substituer logiquement les arts de l’audiovisuel, et particulièrement le cinéma. Elle est une voie complexe, difficile, mais que je crois encore plus nécessaire aujourd’hui qu’au temps de Byron ou de Victor Hugo. (...)
D’abord, parce que la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit. En France, le mot roman désigne ces écrits en prose qui utilisaient pour la première fois depuis le Moyen Age la langue nouvelle que chacun parlait, la langue romane. La nouvelle vient aussi de cette idée de la nouveauté. A peu près à la même époque, en France, l’on a cessé d’utiliser le mot rimeur (de rime) pour parler de poésie et de poètes – du verbe grec poiein, créer. L’écrivain, le poète, le romancier, sont des créateurs . Cela ne veut pas dire qu’ils inventent le langage, cela veut dire qu’ils l’utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l’image. C’est pourquoi l’on ne saurait se passer d’eux. Le langage est l’invention la plus extraordinaire de l’humanité, celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage, pas de sciences, pas de technique, pas de lois, pas d’art, pas d’amour. Mais cette invention, sans l’apport des locuteurs, devient virtuelle. Elle peut s’anémier, se réduire, disparaître. Les écrivains, dans une certaine mesure, en sont les gardiens. Quand ils écrivent leurs romans, leurs poèmes, leur théâtre, ils font vivre le langage. Ils n’utilisent pas les mots, mais au contraire ils sont au service du langage. Ils le célèbrent, l’aiguisent, le transforment, parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur époque."
Pierre Assouline dénonce "les contradictions" de Le Clézio  :
La culture à l’échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c’est-à-dire celle des éditeurs.
Encore une fois lisons la suite du texte et l'on verra pourquoi, si la littérature est l'affaire de tous, elle est aussi celle des éditeurs et des lecteurs. Rien de contradictoire dans cette affirmation si on prend le soin de lire le paragraphe où l'auteur explicite sa pensée.
La culture, je le disais, est notre bien commun, à toute l’humanité. Mais pour que cela soit vrai, il faudrait que les mêmes moyens soient donnés à chacun, d’accéder à la culture. Pour cela, le livre est, dans tout son archaïsme, l’outil idéal. Il est pratique, maniable, économique. Il ne demande aucune prouesse technologique particulière, et peut se conserver sous tous les climats. Son seul défaut – et là je m’adresse particulièrement aux éditeurs – est d’être encore difficile d’accès pour beaucoup de pays. A Maurice le prix d’un roman ou d’un recueil de poèmes correspond à une part importante du budget d’une famille. En Afrique, en Asie du Sud-Est, au Mexique, en Océanie, le livre reste un luxe inaccessible. Ce mal n’est pas sans remède. La coédition avec les pays en voie de développement, la création de fonds pour les bibliothèques de prêt ou les bibliobus, et d’une façon générale une attention accrue apportée à l’égard des demandes et des écritures dans les langues dites minoritaires – très majoritaires en nombre parfois – permettrait à la littérature de continuer d’être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l’autre, d’entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l’humanité.
Pierre Assouline raille aussi ce qu'il appelle (quelle formulation méprisante!) :  "des retards à l’allumage" :
Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle”
"Retards à l'allumage"! Ce que veut souligner Le Clezio par ce "paraît-il" c'est qu'il n'y a qu'une toute petite partie de notre Monde qui vit à cette ère. Il veut mettre en valeur le clivage entre l'apparence et la réalité.
Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle. Cela est bien, mais que valent ces stupéfiantes inventions sans l’enseignement de la langue écrite et sans les livres ? Fournir en écrans à cristaux liquides la plus grande partie de l’humanité relève de l’utopie. Alors ne sommes-nous pas en train de créer une nouvelle élite, de tracer une nouvelle ligne qui divise le monde entre ceux qui ont accès à la communication et au savoir et ceux qui restent les exclus du partage ? De grands peuples, de grandes civilisations ont disparu faute de l’avoir compris. Certes de grandes cultures, que l’on dit minoritaires, ont su résister jusqu’à aujourd’hui, grâce à la transmission orale des savoirs et des mythes. Il est indispensable, il est bénéfique de reconnaître l’apport de ces cultures. Mais que nous le voulions ou non, même si nous ne sommes pas encore à l‘âge du réel, nous ne vivons plus à l’âge du mythe. Il n‘est pas possible de fonder le respect d’autrui et l’égalité sans donner à chaque enfant le bienfait de l’écriture.
On pourrait encore donner d'autres exemples de ces phrases isolées, détournées de leur sens.  Mais comme elles portent sur des points de détails et non sur l'essentiel, on passerait à côté du discours qu'il vaut mieux aller lire dans son intégralité pour se faire une idée :  Dans la forêt des paradoxes
Car finalement ce que reproche Pierre Assouline à Le Clézio et ce qu'il ne peut lui pardonner, c'est tout simplement d'être Le Clézio !  Relisons, en effet, cette phrase d'Assouline  :
" Le Clézio a donc fait du Le Clézio, ce dont on ne saurait le blâmer. Mais du Le Clézio dernière manière, même si l’on retrouvait dans ces douze pages intitulées “Dans la forêt des paradoxes”, quelques lueurs de l’auteur du Procès-verbal, de L’Extase matérielle et de La Guerre."
Qu'il le dise! C'est son droit de critique mais en respectant le texte de l'autre.
Influencé par les cultures orales des peuples parmi lesquels il a vécu, JMG Le Clézio "dernière manière" utilise, en effet, la forme du conte (je viens de lire Poisson d'or) qui, pour paraître moins provocateur, moins tourmenté que le Le CLézio "première manière", n'en est pas moins une façon d'appréhender le monde,  une peinture de la condition humaine. Il explique son évolution vers cette nouvelle forme dans un passage de son discours qui est d'ailleurs très beau :
  Et voilà que les mythes venaient à moi, régulièrement, presque chaque nuit. Près d’un feu de bois construit sur le foyer à trois pierres dans les maisons, dans le ballet des moustiques et des papillons de nuit, la voix des conteurs et des conteuses mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s’ils parlaient de la réalité quotidienne. Le conteur chantait d’une voix aigüe, en frappant sa poitrine, son visage mimait les expressions, les passions, les inquiétudes des personnages. Cela aurait pu être du roman, et non du mythe. Mais une nuit est arrivée une jeune femme. Son nom était Elvira. Dans toute la forêt des Emberas, Elvira était connue pour son art de conter.
(...) Mais il m’est resté beaucoup plus que de la nostalgie, la certitude que la littérature pouvait exister, malgré toute l’usure des conventions et des compromis, malgré l’incapacité dans laquelle les écrivains étaient de changer le monde. Quelque chose de grand et de fort, qui les surpasse, parfois les anime et les transfigure, et leur rend l’harmonie avec la nature. Quelque chose de neuf et de très ancien à la fois, impalpable comme le vent, immatériel comme les nuages, infini comme la mer. 
Et pour finir je ne résiste pas à citer la fin de son discours, une fin vibrante et pleine d'espoir qui prouve que oui, décidément, la littérature peut exister!
Dans tout son pessimisme, la phrase de Stig Dagerman sur le paradoxe fondamental de l’écrivain, insatisfait de ne pouvoir s’adresser à ceux qui ont faim – de nourriture et de savoir – touche à la plus grande vérité. L’alphabétisation et la lutte contre la famine sont liées, étroitement interdépendantes. L’une ne saurait réussir sans l’autre. Toutes deux demandent – exigent aujourd’hui notre action. Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine. À lui la royauté, comme l’a écrit il y a très longtemps le Grec Héraclite.
voir texte sur Poisson d'Or de Le Clézio
Voir texte sur Ritournelle de la faim Le Clézio
* photo press- conference septembre 2008 vue sur wikipedia

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