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lundi 14 juin 2010

Arthur Schnitzler : mademoiselle Else




Arthur Schnitzler (1862-1931) est un écrivain autrichien que je découvre avec ce court mais dense roman : Mademoiselle Else (1924).  Arthur Schnitzler qui écrit à la fin du XIXème- début du XXème siècle eut une réputation sulfureuse. Un pièce écrite en 1897, La Ronde, jugée obscène, a dû attendre un quart de siècle pour être jouée à Vienne. Son premier livre, Le lieutenant Gustel, paru en 1900, lui a valu d'être dégradé de son rang d'officier supérieur pour atteinte à l'honneur de l'armée austro-hongroise.  Deux ans après sa mort survenue en 1931, les nazis brûleront les livres de "cet auteur juif" dont les nouvelles "désagrègent et anéantissent le sens des responsabilités".

Else est une belle jeune fille de la bourgeoisie viennoise, en villégiature à la montagne avec sa riche tante et Paul, son séduisant cousin. Si le jeune homme se montre très empressé auprès de Cissy Mohr, une femme mariée, Else, quant à elle, est invariablement attirée par les mauvais garçons et se juge très "dévergondée". Pourtant, elle repousse par son attitude "altière" tous les hommes qui lui font la cour. Une lettre de sa mère va bouleverser sa vie. Celle-ci lui apprend que son père, brillant avocat, qui a détourné de l'argent pour boursicoter, est menacé de prison s'il ne rembourse pas immédiatement la somme dérobée. Ce n'est pas la première fois que le père d'Else vole et perd au jeu et Else peut encore le sauver en demandant l'argent à un ami de la famille, le vicomte Von Dorsday, en villégiature dans le même hôtel qu'elle. Cependant, si le vieil homme accède à cette requête, ce ne sera pas sans contrepartie.

Le personnage d'Else est fascinant. Son extrême beauté mais aussi son intelligence, son indépendance de caractère, sa fierté, son refus de se plier au conformisme de la société en font un personnage peu conventionnel. Est-elle, comme l'affirme dans la préface Roland Jaccard, contemporain de Snichtzler, une "ingénue hystérique"  - Sa tante veut même la faire enfermer dans un asile-  ou tout simplement une jeune fille très consciente de sa séduction, qui se plaît à fantasmer? Bref! les fantasmes sont-ils synonymes d'hystérie? Ce qui est certain, c'est que Else supporte mal l'hypocrisie (on pratique l'adultère autour d'elle avec légèreté pourvu que cela reste caché) et le carcan où l'enferme la bonne société viennoise dès lors qu'il s'agit de sexualité. Cet enfermement moral l'amène à une exarcerbation de ses sentiments hallucinante.

L'originalité de cette oeuvre tient au fait qu'elle est entièrement composée d'un monologue intérieur coupé seulement par les phrases des dialogues mises en italique. Nous voyons avec les yeux de la jeune fille, nous ressentons avec ses sens, nous jugeons avec sa raison. C'est dire que jamais le lecteur n'a été aussi impliqué que dans ce roman. L'identification avec le personnage est totale puis nous sommes au coeur de sa conscience; nous ne faisons qu'un avec Else... Nous ne pouvons nous dégager de cette pensée qui d'abord assez lente, va en s'accélérant. Nous sommes pris dans un tourbillon vertigineux, emporté avec elle dans une sorte de fièvre qui tourne au délire,  va jusqu'à la folie. L'amour qu'elle ressent pour son père (on comprend pourquoi Freud admirait autant l'oeuvre de Schnitzler) livre combat avec sa fierté, le dégoût et la répulsion qu'elle éprouve. Le comportement du père de la jeune fille est tellement ambigu et méprisable et Else est si lucide à son sujet que l'on peut comprendre pourquoi elle est saisie par une violence qu'elle va exercer contre elle-même.

Les phrases exclamatives, interrogatives trahissent la force du désarroi qui s'empare d'Else; elles deviennent brèves, hachées, syncopées, à la mesure des sentiments de la jeune fille. Le rythme haletant ne nous laisse aucun répit jusqu'au dénouement final.  Un roman passionnant qui donne envie de lire les autres oeuvres de l'écrivain!

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