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mercredi 1 septembre 2010

Prix Nobel 1904 : Frédéric Mistral

 
Frédéric Mistral : un roi parmi les poètes
Frédéric Mistral (1830-1914), prix Nobel de littérature en 1904 connut une gloire sans égale. Père du Félibrige, ce mouvement occitan qui avait décidé de remettre le provençal à l'honneur en codifiant la langue, en la dotant d'une grammaire, en la faisant vecteur d'une littérature digne de ce nom, il était alors unanimement reconnu non seulement en Provence mais en France et dans le monde entier. En 1909 une foule de près 20 000 personnes vient saluer la statue de Mistral érigée de son vivant devant le Museon Arlaten, musée du Vieux Arles. A Aix-en-Provence pour la fête de Sainte Estelle, les étudiants détellent sa voiture pour avoir l'honneur de la tirer eux-mêmes. Les hommages se multiplient. En 1913, le président de la République, Raymond Poincaré, se fait conduire à Maillane pour saluer le prince des poètes. La réputation du Félibre est internationale et atteint les Etats-Unis, le légendaire Buffalo Bill lui-même lui rend visite.
En Provence, de nos jours, il conserve une place privilégiée dans le coeur des provençaux cultivés et soucieux de conserver leur patrimoine mais ils sont une minorité. Le muséon Arlaten qu'il a fondé avec l'argent de son prix Nobel consacré à l'ethnographie provençale lui rend hommage, des lycées portent son nom, des statues ornent les places.

Qui lit encore Mistral?
Mais qui le lit en France hors du pays d'Oc? Comme c'est le cas de bien des prix Nobel, il est tombé dans l'oubli. Pourquoi? Il y a plusieurs réponses à cette question. Selon ses détracteurs, Mistral a préféré la langue provençale, ce qui est semble-t-il un obstacle infranchissable. C'est vrai que dans un pays centralisé où la littérature régionale même de langue française est considérée comme inférieure, cela joue en sa défaveur. Mais il s'agit d'un faux problème. Nous lisons bien des traductions quand il s'agit de livres étrangers. Pourquoi n'en ferait-on pas de même avec la langue provençale?
D'autres l'accusent d'être régionaliste donc passéiste. Il est vrai que le souci de Mistral de faire oeuvre d'ethnographe en décrivant la Provence, ses paysages, ses coutumes, ses métiers, en rendant compte des croyances, des contes, des chansons populaires, en utilisant le vocabulaire spécifique de cette région peut éloigner de lui certains lecteurs. Mais c'est faire fi de la valeur littéraire de l'oeuvre qui sous-tend cette description, valeur pourtant incontestable comme en témoignent les universités étrangères aux Etats-Unis, au Japon, en Norvège qui, encore de nos jours continuent à étudier le grand Félibre, ce qui est plutôt rare en France tant nos préventions sont grandes..
Un régionaliste et un poète de talent
Non, Mistral n'est pas seulement un ethnographe et s'il s'affirme comme régionaliste et même indépendantiste, il est avant tout un poète, un grand poète! Cependant ses écrits sont tellement riches, tellement foisonnants, qu'ils peuvent dérouter car ils sont à la croisée de diverses influences. Baignés dans la lumière de la civilisation méditerranéenne antique (Mistral était un humaniste, il a étudié et aimé les langues, la littérature, la mythologie de la Grèce et de Rome), son oeuvre est aussi nourrie par la lecture de la Bible, la poésie du livre saint, les grandes figures bibliques. De plus, le poète est marqué par les croyances, les contes populaires de la Provence, les récits sur les êtres surnaturels qui peuplent les eaux des rivières et du Rhône, le paganisme de certaines légendes même quand elles sont récupérées par le christianisme, tout ce qui a imprégné son imaginaire depuis son enfance. C'est à la croisée de ces trois influences qu'il faut chercher Mistral. Ce n'est donc pas une lecture facile mais si l'on fait l'effort d'entrer dans cette oeuvre, la récompense est certaine.

Mireille aux Saintes Marie
Mes trois oeuvres préférées du Félibre
Est-ce à dire que j'aime tout dans l'oeuvre de Frédéric Mistral? Non! et je suis persuadée que tout écrivain, prix Nobel ou non, ne peut pas écrire que des chefs d'oeuvre. Certains vous parleront avec ferveur de Calendal, des Isles d'or... Quant à moi, mes trois oeuvres préférées sont Mireille que j'ai choisi de commenter ici, premier poème publié en 1859, salué par Lamartine comme un chef d'oeuvre, qui a la fraîcheur de la jeunesse, l'éclat de la passion et l'ardente couleur de la terre provençale brûlée par le soleil; les Mémoires et récits où Frédéric Mistral fait revivre le mas de ses parents, paysans aisés, enfance dominée par la figure du père, noble patriarche, et celle de la mère, digne et fière paysanne, figure maternelle pleine de tendresse; enfin Le Poème du Rhône, l'oeuvre testament, un peu alourdie par la volonté de Mistral de rendre compte minutieusement des derniers sursauts de la navigation sur le Rhône supplantée par le chemin de fer mais d'une richesse ethnologique passionnante. Un récit sombre et étrange, mystérieux et tragique, que Mallarmé admirait, oeuvre ultime où le symbolisme et l'obscurité contrastent avec la simplicité et la clarté de Mireille.


Mireille : Je chante une jeune fille de Provence...
Mireille que j'ai lu en français (car, contrairement aux apparences, je ne suis pas provençale) est un long et beau poème divisé en douze chants. On connaît souvent l'histoire de Mireille par l'opéra de Gounod. Si le livret reprend mot à mot certains passages des vers de Mistral, si le musicien a été fidèle à l'intrigue, il n'a pas pu rendre entièrement la poésie, la beauté épique de la description, la fraîcheur des deux amoureux, Mireille et Vincent, Roméo et Juliette de la terre provençale, enfants âgés de quinze ans prêts à mourir plutôt que de consentir à être séparés.
L'histoire est éternelle : Vincent, fils d'un pauvre vannier est amoureux de Mireille, fille d'un riche propriétaire de la Crau, Maître Ramon, au mas de Micocoules. Celui-ci veut donner sa fille à un homme de sa caste, le bouvier Ourrias qui, jaloux et violent, cherche querelle à Vincent et le blesse. Ce dernier, guéri par la sorcière Taven, envoie, selon la coutume, son père demander la main de Mireille. Mais Maître Ramon refuse avec mépris. Mireille, désespérée, entreprend la longue traversée du désert de La Crau pour aller prier les Saintes de fléchir la volonté son père. Mais le soleil de la Crau va avoir raison de la jeune fille qui meurt en arrivant aux Saintes Marie où l'attendent ses parents et Vincent.
Les personnages sont attachants. Mireille déformation de Merahivo qui signifie merveille est pour Mistral un dérivé du prénom Myriam donc de Marie. Ce n'est pas sans raison qu'il donne à son héroïne le prénom de la Vierge dont elle a la pureté, la candeur. L'extrême jeunesse des deux jeunes gens les préserve des préjugés des adultes, des considérations de fortune et de rang social. Leur amour est entier et leurs sentiments définitifs, exacerbés, sans concession. Mistral peint cet âge encore adolescent avec beaucoup de vérité comme une étape douloureuse, une épreuve qui peut conduire aux actes les plus extrêmes. Il se souvient peut-être, lui aussi, qu'il n'a pu épouser la jeune fille qu'il aimait, refusée par son père car elle n'avait pas de biens.

Homère portrait imaginaire Louvre

Une épopée : Humble écolier du grand Homère
En se proclamant au début du premier chant de Mireille, "humble écolier du grand Homère", Frédéric Mistral compose une épopée, certes, mais pastorale qui se déroule dans un mas provençal.
L'odyssée
Ainsi l'odyssée de Mireille, ce n'est pas la navigation périlleuse d'Ulysse qui essuie les tempêtes les plus terribles, poursuivi par la vindicte des Dieux, c'est la traversée du désert de La Crau, l'épreuve du feu du soleil, la souffrance de la soif, la mort. L'exploit de Mireille n'est pas celui d'un héros terrassant des monstres mais le courage dune petite fille obstinée, dévouée, amoureuse, qui continue à avancer vers le but qu'elle veut atteindre malgré la solitude et la douleur.
Les Héros guerriers
Les héros ne sont pas des rois mais de riches paysans, maîtres de grands domaines; les guerriers sont les farouches bouviers de Camargue, peuple fier et arrogant dont les chevauchées sauvages sur leurs petits chevaux camarguais endurants et fougueux à la poursuite des taureaux sont des faits de bravoure. Les prétendants de Mireille- car semblable à Penélope, elle doit repousser les amoureux qui veulent l'épouser - sont Alari, le berger, Véran, le gardien de cavales, Ourrias, le toucheur de boeufs. J'aime beaucoup ces paysans provençaux devenus sous la plume du poète, fier de ses origines, semblables à des princes, beaux ou redoutables, puissants dans leur humilité, dignes dans leur maintien même dans les occupations les plus quotidiennes.
 Ourrias. Né dans le troupeau, élévé avec les boeufs, des boeufs il avait la structure, et l'oeil sauvage et la noirceur, et l'air revêche et l'âme dure... Combien de bouvillons et de génisses dans les ferrades camarguaises n'avait-il pas renversé par les cornes. Ainsi en gardait-il entre les sourcils, une balafre pareille à la nuée que la foudre déchire; et les salicornes et les trainasses, de son sang, s'étaient teintes jadis. (chant IV)
 Ourrias,tel un héros grec (Achille?) bouillant, coléreux, orgueilleux, qui n'accepte pas l'échec et veut soumettre la femme qu'il a choisie. Tous sont dépeints dans un style ample, lyrique, avec un grandissement épique qui les transfigure, qui permet à notre imagination de s'envoler vers ce pays d'eau, de salins et de mer, la Camargue où la liberté, le souffle du mistral, les grands espaces s'offrent à nous, où se déroulent les exploits de ces hommes proches de la nature, en accord avec les éléments.
Véran : il avait cent cavales blanches épointant les hauts roseaux des marécages. (..) Jamais on ne les vit soumises car cette race sauvage, son élément c'est la mer; du char de Neptune échappée sans doute, elle est encore teinte d'écume ; et quand la mer souffle et s'assombrit, quand des vaisseaux rompent les câbles, les étalons de Camargue hennissent de bonheur et font claquer comme la ficelle d'un fouet leur longue queue traînante... (chant IV)
 Les Dieux
Une épopée donc, où les Divinités sont le Drac, le Dieu du Rhône qui entraîne ses victimes au fond de ses eaux sombres, les Trèves, lutins qui dansent sur les eaux quand le soleil ou la lune les fait miroiter. C'est ainsi que Ourrias trouvera le châtiment de sa cruauté envers Vincent en cherchant à traverser le Rhône dans une scène hallucinante où les Noyés du fleuve viennent le réclamer :
Les voilà! pauvres âmes éplorées! les voilà! sur la rive pierreuse ils montent, pieds nus : de leurs vêtements limoneux, de leur chevelure feutrée coule à grosses gouttes l'eau trouble. Dans l'ombre sous les peupliers ils cheminent par files, un cierge allumé à la main. (Chant V)
 Vision infernale de ces ombres glacées qui rappellent celles entraperçues par Ulysse lors de sa descente aux Enfers, une épreuve qui est celle aussi de Vincent succombant à l'attaque d'Ourias dans un lieu nommé Le Val d'Enfer, aux Baux. Ce site bien réel (on voit comment Mistral utilise les paysages de sa région comme décor) ) est constitué d'un amas de rocs tourmentés, d'un chaos sauvage où au fond de son antre appelé la grotte des Fées, vit Taven la sorcière. Taven, la magicienne, autre Circé avec ses filtres guérisseurs.
Le fantastique de ce chant VI est un étonnant mélange entre paganisme et christianisme. L'invocation du Christ et de Laurent le saint martyr, les farces des "follets", lutins tour à tour malicieux ou méchants, l'apparition de La Lavandière qui assemble les nuées, la mandragore dont se pare Taven, les sorciers de Fanfarigoule, La Garamaude et le Gripet, la Vieille de Février qui ramène le Froid, tous les êtres surnaturels du Pays d'Oc ... se rassemblent pour former un creuset bouillonnant de toutes ces croyances, scène irréelle, à couper le souffle où l'imagination du Poète ne connaît plus de limite et nous entraîne dans une danse haletante qui ne cesse de s'accélérer.
Quel vacarme!.. ô lune, ô lune, quel malencontre te courrouce pour descendre ainsi, rouge et large, sur les Baux!... Prends garde au chien qui aboie, ô lune folle! S'iI te happe, il t'engoulera comme un gâteau, car le chien qui te guette est le Chien de Cambal" (chant VI)
eglise.1283331218.jpgMais le Merveilleux chrétien reprend bien vite ses droits avec la figure des Saintes Marie à qui Mireille adresse ses prières et qui viendront l'encourager dans sa marche et l'accueillir en leur paradis.
O saintes qui pouvez en fleurs changer nos larmes, inclinez vite l'oreille devers ma douleur! Donnez-moi Vincent.
Mon père s'oppose à cet accord : de toucher son coeur, ce vous est peu de chose, belles saintes d'or!
bien que dure soit l'olive, le vent qui souffle à l'Avent, néanmoins la mûrit au point qui convient..(chant X)
Eglise des Saintes Marie

Virgile

L'influence de Virgile
Il y a un autre maître dont Mistral se réclame aussi : Virgile! Comme lui, Mistral célèbre la nature pastorale, les travaux des champs. Comme lui, il chante la terre Méditerranéenne, éternelle, à l'ombre de l'olivier, l'arbre symbolique de ce pays éclaboussé de soleil, saturé de couleurs et d'odeurs. Le lecteur est baigné dans cette atmosphère particulière aux pays méditerranéens et pris par le charme de cette description, de cette langue poétique qui célèbre les joies humbles des travailleurs et qui magnifie le travail champêtre : cueillette des feuilles de mûriers, dépouillement des cocons, fenaison, labourage, moisson...
Dans une terre labourable quand la culture se fait en temps propice, j'ai vu parfois attelées à la charrue six bêtes grasses et nerveuses; c'était un merveilleux spectacle! La terre friable, lentement devant le soc au soleil s'entrouvrait. Le fin laboureur, l'oeil sur la raie, la chanson sur les lèvres, y allait à pas tranquilles, en tenant le droit. Ainsi allait le ténement qu'ensemençait Maître Ramon, magnifique, tel qu'un roi dans son royaume.

Costume d'Arles: une Mireille


Mireille est un très beau poème injustement méconnu, une oeuvre riche et généreuse dont le personnage principal devenu un mythe a donné lieu en Provence à un type, celui d'une jeune fille portant le costume arlésien, doté de qualités de fraîcheur, de simplicité, de courage, jeune personne que l'on appelle : " une Mireille".
J'ajouterai que je suis assez amère quand je vois, par exemple, que le poème de Longfellow, chantant l'amour d'Evangeline, jeune acadienne déportée, figure devenue mythique en Acadie, est unanimement et justement reconnue et célébrée dans la littérature anglo-saxonne; alors que les français passent à côté d'une oeuvre qui, bien qu'elle ait la force d'un mythe, est rejetée seulement parce que l'auteur s'est affirmé comme provençal.


Cet article est écrit dans le cadre du blogoclub créé par Silyre et Lisa

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