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vendredi 8 octobre 2010

Richard Price : Frères de sang




Frères de sang est un roman de Richard Price qu'il a écrit dans les années 1970 et qui est resté inédit en France jusqu'à maintenant. Grand romancier américain, auteur notamment de Ville noire, ville blanche, Les Seigneurs, Richard Price est aussi dialoguiste et scénariste au cinéma; il a signé, en particulier, le scénario de La couleur de l'argent réalisé par Martin Scorcese.

Dans Frères de sang Richard Price décrit la vie d'une famille d'origine italienne dans le Bronx, un quartier populaire qu'il connaît bien puisqu'il y est lui-même né en 1949. Tommy et Marie de Coco ont deux fils. L'un Stony, dix-sept ans, qui fait la fierté de ses parents, l'autre Albert, huit ans, anorexique qui laisse son père indifférent et que sa mère poursuit de sa haine. Autour d'eux gravitent une foule de personnages, Chubby, le frère de Tommy et sa femme Phyllis, Butler, le meilleur ami de Stony, Cheri, sa petite amie, le docteur Harris qui soigne Albert, Banion, le patron du bar et bien d'autres, ouvriers électriciens, enfants de l'hôpital...

Stony est le personnage principal de ce roman qui raconte le passage de l'adolescence à l'âge adulte avec ses sentiments exacerbés, ses interrogations, ses choix difficiles, mais chaque personnage a son importance et recevra un double éclairage  -vu de l'extérieur puis de l'intérieur-  par le biais d'un narrateur omniscient qui connaît tout des pensées et du passé de chacun. De là une vision complexe de ces hommes et de ces femmes qui, par bien des côtés, sont des brutes promptes à la bagarre, menées par le sexe et la boisson, et qui, par d'autres, sont des êtres blessés par la vie, déterminés par leur origine sociale et leur naissance. Le Bronx avec sa population mêlée est ici au coeur du récit. Dans ce quartier se côtoient en cherchant à s'éviter des blancs d'origine modeste qui se considèrent comme supérieurs, des noirs, des latinos. Le racisme, l'alcoolisme, la drogue, la prostitution sont quelques-uns des maux du quartier.



J'avoue avoir eu du mal à entrer dans le roman tant le vocabulaire, surtout lorsqu'il est question de sexe, est cru, d'un réalisme violent et l'image de la femme telle que la conçoivent les hommes de la famille de Coco, dégradante. Mais le lecteur se rend bien compte que ce parti pris n'est jamais gratuit. Au contraire, il permet de peindre la mentalité de ces hommes qui croient compenser la médiocrité de leur vie par l'illusion de la puissance que leur confère leur virilité souvent confondue avec vulgarité et brutalité. Si le Dimanche est réservé à la famille, les autres soirs pour Tommy et ses semblables sont consacrés à ces divertissements habituels : se saouler, se bagarrer et tromper leur femme, dérivatifs à l'ennui, au vide de leur existence. Stony, d'ailleurs, dit qu'il ne veut pas devenir comme eux, travailler toute la semaine pour ne vivre que dans l'attente du week end. Leur mode de vie détermine aussi celle de leur épouse qui reste à la maison, délaissée, peu considérée, soumise et éteinte comme Phyllis, ou aigrie et vindicative comme Marie mais toujours victimes comme le montre la fuite avortée de Marie emprisonnée dans ses devoirs de mère qu'elle ne veut ou ne peut plus assumer. Pourtant ces personnages sont plus subtils qu'il n'y paraît aux premiers abords et s'ils paraissent primaires, violents, immatures, ils sont aussi capables d'amour et de dévouement, amour fraternel de Tommy et Chubby,  amour paternel des deux frères pour leur fils et neveu, Stony.
Le thème de la famille est ainsi très présent dans le récit et donne son titre au roman "frères de sang", car outre Tommy et Chubby unis par les liens étroits du sang et de leur éducation, Stony aime son frère Albert et s'occupe de lui. A l'hôpital, quand il travaille auprès des enfants malades ou maltraités par leur famille, il remplace avec humour cette notion par celle de "frères de salive" à défaut de sang, expliquant aux enfants l'importance de la solidarité dans la vie de souffrance qui est la leur..
Ce thème à la fois rassurant quand Stony protège son frère et le maintient en vie par son amour, est inquiétant quand il frappe sa mère pour l'empêcher de harceler l'enfant. Il devient carrément étouffant quand il entrave Stony, l'empêche de choisir l'avenir qu'il désire. Car l'amour familial peut aussi briser les élans, étouffer les aspiration légitimes. Ainsi Stony ne veut pas faire de la peine à son père et son oncle qui font pression sur lui pour le choix de son métier; il ne veut pas laisser Albert seul en quittant sa famille. Ce personnage est par ailleurs très attachant. Il a toutes les outrances de de l'adolescence; il est amoureux de Cheri et devient fou de jalousie mais il est aussi généreux, amusant, plein d'imagination quand il s'agit de distraire son petit frère ou les enfants de l'hôpital.



Le roman présente une succession de scènes si complètes, si précises, si visuelles, que l'on pourrait les isoler les unes des autres, chacune comme un tableau ou une nouvelle dans laquelle l'art de l'écrivain s'exprime avec une puissance et un humour noir qui exercent une fascination sur le lecteur. Leur enchaînement forme un tout cohérent et offre une vision pessimiste de cette société où l'espoir ne semble pas de mise.



Je remercie  Dialogues croisés et les éditions Presses de la Cité qui m'ont fait parvenir ce livre dont la parution est prévue pour le 12 Août .
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