Pages

PAGES

dimanche 19 juin 2011

Eugenia Fakinou : La septième dépouille ou la femme grecque



J'ai lu La Septième dépouille de Eugénia Fakinou pendant mon séjour à Athènes. J'aime découvrir  les écrivains quand je suis dans le pays pour m'imprégner de sa culture. Et je n'ai pas été déçue! Voilà un livre qui force l'admiration. L'écrivain par le jeu de la construction du roman et les voix de femmes qui se répondent nous livre, en un va et vient incessant, l'Histoire de la Grèce. Il n'y a pourtant que trois femmes qui parlent mais  elles font défiler devant nous une galerie de portraits, d'hommes et de femmes d'aujourd'hui ou d'hier qui reviennent des Enfers comme des spectres convoqués par leurs appels.  Le titre La septième dépouille fait allusion à une tradition grecque qui veut que chaque aîné d'une famille soit représenté par une bannière composée d'un vêtement qu'il a porté (une dépouille) pour assister  aux funérailles de l'aîné de la génération suivante. Si l'un d'eux manque à l'appel, il est impossible à l'âme du nouveau défunt de passer dans l'au-delà. Or la septième dépouille a disparu!

ll y a d'abord La Mère.  C'est elle qui détient la clef du passé lointain  et qui connaît l'histoire de tous les ancêtres; c'est grâce à elle que nous traversons les siècles et prenons part aux déchirements de la Grèce, elle est le trait d'union entre le passé et le présent mais aussi entre la Grèce moderne et la Grèce antique. Car les Dieux anciens se mêlent intimement aux humains  et se fondent avec les saints et les pratiques du christianisme. Démeter, c'est son nom, est la mère nourricière, la terre à qui les arbres parlent comme ils s'entretiendront aussi avec Hélène, sa fille;  elle aussi erre à la recherche de sa fille Perséphone. Immigrée dans son propre pays, la Grèce, elle appartient à cette minorité grecque installée en Asie Mineure, chassée par les Turcs qui décapitent son mari. Elle fuit d'un point à un autre,  ce qui l'amènera dans ce coin reculé de  Grèce où elle se fixera. Hélène, sa fille, incarne la génération intermédiaire, celle qui ne s'est pas encore délivrée des coutumes et du poids de la tradition, enfin Roula sa petite fille représente  la jeunesse contemporaine, qui plus est, citadine. Sa vie à Athènes ressemble beaucoup à celle de tout habitant d'une capitale, travail, bus, dodo, une vie difficile  où elle a appris, après la mort de sa mère, à se débrouiller tant bien que mal et à se défendre des avances des hommes.
Parfois le roman, avec ses voix qui se répondent et leurs accents de tragédie antique, résonnent comme une pièce de théâtre. Je le verrai bien facilement transposable à la scène tant le style parlé est évocateur d'images, la parole tour à tour élégiaque et épique devient récit. Un récit jamais linéaire, fragmenté, disloqué mais qui peu à peu, comme un puzzle, acquiert une cohérence.

Mais au-delà de la virtuosité de la forme, ce roman nous touche par les personnages auxquels nous nous attachons : la Mère et son passé tragique et son bel amour pour Andronic, son mari, les sévices qu'elle subit de la part d'une brute sans qu'elle ait aucun recours pour lui échapper, son incarnation du mythe de Démeter qui la fait gardienne des traditions et des rites funèbres; Hélène, qui sacrifie sa vie de femme, en véritable prêtresse de l'arbre dans l'attente de l'oracle, Roula dont les réactions face  aux croyances de sa grand mère et de sa tante  sont  amusantes car elle a le franc parler populaire et  l'esprit rationnel des jeunes générations .. même si on la sent pourtant  vaciller  dans ses convictions quand s'introduit le surnaturel. Toutes incarnent la Femme grecque, trop souvent victime des hommes. Pourtant sous leur apparente fragilité, l'arbre, autre personnage du roman discerne leur force :

 Les femmes ont les grandes passions. Elles écrivent l'Histoire et portent sur leurs épaules le poids des instants décisifs 

Les femmes. Nous nous sommes toujours aimés. Même quand les grandes fêtes ont cessé et que les blanches prêtresses ont revêtu le noir. Il y a toujours quelque femme pour arriver jusqu'ici haletante, une question aux lèvres. Et moi je répondrai....
Parce que j'aime les femmes et les fleurs sauvages. Les grandes passions des femmes et les couleurs des fleurs. Le blanc, le jaune et le mauve.

2 commentaires:

  1. j'attendais avec impatience des échos de ton séjour athénien. Après le tsunami des transferts, le ressac et une pépite.

    RépondreSupprimer
  2. @ miriam : et oui, je me suis mise aux commentaires des derniers livres lus! c'est vrai que celui-ci est une pépite!

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.