Pages

PAGES

vendredi 3 juin 2011

Lawrence Durell Le Quintette d’Avignon : Monsieur ou le prince des ténèbres

 Avignon : Le Pont et le Rocher-des-Doms

avignon-jpg.1210450786.jpg

Monsieur ou le prince des ténèbres de Lawrence Durrell est le premier des cinq romans que l'auteur a réuni sous le nom de Le Quintette d'Avignon.
Comme le titre l'indique l'action se passe à Avignon qui est le lien entre tous les personnages du roman, la ville natale, l'origine, les racines, même si nous sommes invités au cours du roman à la quitter pour Alexandrie ou Venise.
"Dans un certain sens, nous nous attendions à être repris à chacune de nos absences.. Elle vous hantait bien qu'elle fût rongée de moisissure, décomposée parmi ses gloires passées, presque déliquescente dans ses effluences automnales. Nous l'aimions dans ses moindres recoins."
Grandeur et décadence, "ce pauvre village avait été Rome, avait été toute la Chrétienté. Il s'agissait, après tout, d'Avignon. "
Je me suis donc intéressée à la description de cette ville, ma ville, Avignon, telle qu'elle a été il y a plus de cinquante ans. J'ai bien vite vu qu'elle participait activement à l'action. Au début du roman le héros, Bruce, revient à Avignon pour l'enterrement de son ami Piers dont il a épousé la soeur, Sylvie, devenue folle et retirée à Montfavet. Piers s'est suicidé. Pourquoi? D'autres personnages gravitent autour d'eux, Rob Sutcliffe, un écrivain dont l'inspiration s'est tarie, époux de Pia, la soeur de Bruce.
La petite gare d'Avignon l'accueille "si banale, si impersonnelle, d'un laisser-aller provincial. On ne pourrait jamais en déduire la présence de la ville célèbre et cruelle à la fois." Une ville "endormie" qu'il aborde par une "nuit balayée par le vent" et qui l'accompagne dans ses déambulations, qui épouse ses états d'âme à tel point qu'elle paraît être la représentation matérielle des sentiments les plus intimes du personnage : "Avignon! ses lumières falotes et ses chats errants étaient toujours les mêmes; des poubelles renversées, les reflets des écailles de poisson, de l'huile d'olive, un scorpion mort. Durant tout le temps que nous avions passé à voyager autour du monde, la petite ville était restée amarrée là au confluent de son fleuve et de sa rivière aux eaux glauques. Le passé l'embaumait, le présent ne pouvait l'altérer. Tant d'années, de départs et de retours, de souvenirs et d'oubli. Elle nous avait toujours attendus, flottant parmi ses ténébreux monuments, la rondeur de ses cloches discordantes, la putrescence de ses places." Tout un vocabulaire évoquant la décomposition, la ville devenant la métaphore de la mort...
Cependant si la ville est le reflet "de la fatalité et de la solitude" c'est seulement dans le présent de Bruce. Il n'en est pas de même lorsqu'elle incarne le passé. L'ascension jusqu'aux "merveilleux jardins suspendus du Rocher- des- Doms,", témoins de ses nombreuses promenades avec Sylvie, en faisant ressurgir les souvenirs anciens ouvre à la joie, à la jeunesse, :" Là-haut, le printemps grattait à la porte comme un jeune chiot".
Beauté du paysage, calme, impression de vie, de légèreté : "Dans ce lieu privilégié on peut voir de trois côtés les courbes et les méandres du Rhône creusant les rives de son lit dans les calcaires friables, sculptant en contrebas les paisibles flancs des collines. Un soleil pâle brillait sur le lointain horizon des contreforts des Alpes. Au pied de ce belvédère, une petite île ourlée de glace, comme un canard sauvage pris dans un piège de roseaux chargés de givre. La montagne de la Sainte Victoire se dressait au loin, martyr enchaîné à son poteau de glace"
Sentiments de bonheur qui, cependant restent fragiles, toujours sur le point de se dissiper : "Mais le vent restait coupant comme l'acier, encore qu'un soleil anémié fit s'exhaler dans l'air quelques fugitifs effluves d'orange ou de thym." Une menace imprécise plane, quelques éléments perturbateurs s'immiscent dans la paix de ce lieu , celui de la montagne de la Sainte Victoire au loin, "martyr enchaîné ", celui de la petite île "pris dans un piège"."
Autre intérêt du livre? j'ai apprécié l'exercice de style qui consiste à perdre le lecteur en variant les points de vue, pas seulement en changeant de narrateur mais aussi d'auteur. Le romancier Rob Sutcliffe n'est semble-t-il qu'une création littéraire de Blanford, lui-même devenu personnage sous le nom de Blosford dans un livre de Sutcliffe. Vous me suivez? Non? Je résume donc : un écrivain écrit et crée un personnage, écrivain lui-même, qui met en scène un personnage qui se révèle être celui qui l'a créé si bien que l'on ne sait plus qui est l'écrivain du "réel" et celui de la fiction : Qui a créé l'autre?
Par ce biais Durrell explore les méandres de la création littéraire, s'interroge sur le métier d'écrivain. Celui-ci  nous apparaît comme un anthropophage toujours prêt à déchirer sa propre chair ou celle de ses semblables pour nourrir son inspiration. (L'image à la Musset est un peu trop romantique pour Durrell; elle est pourtant vraie!)
Exercice brillant mais qui s'exerce au détriment des personnages et de l'intrigue sans cesse interrompue par la mise en abyme, une sombre histoire de ménage à trois avec inceste entre frère et soeur, Sylvie et Piers, homosexualité de Piers et de Bruce, tous deux amoureux pourtant de Sylvie, tout ceci lié aux divagations philosophiques d'une secte. Durrel s'intéresse, en effet, au Gnosticisme qui pense que le Mal a triomphé sur Terre et a remplacé le Bien, théorie qui ne peut mener qu'au suicide librement consenti. Le début de l'histoire commence un peu comme une intrigue policière où l'on cherche à savoir si le frère s'est réellement suicidé. On sait que sa soeur qui a sombré dans la folie détient la réponse mais lorsque l'on commence à s'intéresser aux personnages, ils disparaissent, remplacés par l'avatar de l'avatar! Les différents récits s'entrecroisent, l'on se sent perdu, et, même si c'est un plaisir intellectuel, l'on comprend bien vite que l'histoire et les personnages importent peu. D'où un certain ennui car j'aime les romans où les personnages ne sont pas seulement là pour servir des idées mais sont faits de chair et de sang.
Bref! Durrell avait décidé d'écrire un livre qui ne serait pas comme les autres et il y est parvenu mais ....

4 commentaires:

  1. Pour Avignon, ce roman m'aurait bien tentée, mais quant à ce que tu dis des personnages et du reste, je préfère passer ..

    RépondreSupprimer
  2. Durrell, il m'a accompagnée en Égypte et en Grèce, je ferai l'essai malgré tes réserves. Avec certains auteurs je suis très indulgente!

    RépondreSupprimer
  3. @ Aifelle : mais c'est un exercice brillant qui n'est pas à la portée de n'importe quel écrivain!

    RépondreSupprimer
  4. @ miriam : Quand tu l'auras lu, j'aimerais bien savoir ce que tu ne penses?

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.