Pages

PAGES

vendredi 17 juin 2011

Les lettres de la Grande Blasket




Les lettres de la Grande Blasket aux éditions Dialogues Croisés ont été écrites de 1931 à 1951 par Eibhlis Ni Shuilleabhain (Elizabeth O'Sullivan), native de cette île située dans le Kerry, au Sud-Ouest de l'Irlande. Elles sont adressées à George Chambers, un anglais qui avait rencontrée la jeune fille en visitant la Grande Blasket et était devenu son ami. Les lettres sont suivies d'un texte de Hervé Jaouen, le traducteur, qui raconte sa visite de l'île désertée par ses habitants.
Seul un tiers des lettres de la jeune femme a été conservé pour des questions de format de l'ouvrage. Et je l'ai un peu regretté, il faut bien le dire, parce que l'on finit par s'attacher à Eibhlis et on aimerait en savoir plus sur elle. A travers ses écrits l'on devine son caractère, son courage, sa patience, sa résignation aux décrets de Dieu, ses peines et ses joies et aussi sa finesse, sa sensibilité à la beauté. Quand on apprend subitement qu'elle est mariée, on aurait aimé savoir comment elle avait choisi son mari, pour ne donner qu'un exemple... Bref! entrer plus encore dans l'intimité de cette voix amie comme si ces messages nous étaient adressés en personne. J'adore ce genre de lettres  rédigées par des gens du peuple qui racontent leur vie quotidienne avec leurs mots, sans recherche esthétique, mais avec une émotion et un sincérité d'où naît la poésie. La langue de Eibhlis est un anglais maladroit, précise le traducteur, avec un vocabulaire et des tournures gaéliques. Eibhlis raconte la beauté de son île et son amour pour cette terre natale si sauvage, si éloignée de tout. Mais elle parle  aussi des privations, des souffrances de ces insulaires qui sont peu à peu obligés de quitter leur île pour s'exiler en Amérique afin de pouvoir survivre.
Classées par ordre chronologique mais choisies pour leur thématique, les lettres conservées ont pour but de nous montrer les aspects essentiels de la vie sur l'île et elles se révèlent passionnantes, peignant une civilisation maintenant disparue qui nous paraît étrange. Le travail d'abord, très dur, très pénible, quand il faut aller chercher la tourbe en haut de la montagne et la redescendre à dos d'âne, ou épandre dans les champs le goémon que les hommes arrachent à la mer, quand il faut transporter un à un, sur le dos, les moutons ou les vaches que l'on va vendre à la ville par un petit sentier escarpé et dangereux jusqu'au bas de la falaise. Elles montrent aussi les pêcheurs privés de leur seul moyen de subsistance par les tempêtes et l'arrivée de l'hiver. En effet, les conditions climatiques sont extrêmes, l'hiver dure jusqu'à fin d'Avril, les vents sont redoutables, la mer trop souvent déchaînée coupe tout lien avec la terre. Les privations, la disette sont le lot de tous. Parfois, certains n'ont plus que quelques pommes de terre pour survivre. Eibhlis raconte aussi les coutumes, les enterrements, la petite bouteille d'eau bénite que les pêcheurs accrochent à leur canot, les superstitions. Ici on a peur des morts et on croit aux fées. Nous partageons aussi les moments de joie, comme la fête de Noël, qui nous paraissent bien modestes mais qui apportent un peu de gaieté dans le coeur de tous. C'est presque un travail d'ethnologue que fait la jeune femme sans le savoir et l'on devine parfois que son correspondant l'y invite en lui posant des questions précises.
J'ai été étonnée aussi d'apprendre que la Grande Blasket fut une pépinière de talents, "une île aux trésors" dit Hervé Jaouen : le livre L'homme des îles écrit par le grand oncle de Eibhlis, Tomas O' Crohan; Vingt ans de jeunesse"de Maurice O' Sullivan  et Peig de Pieg Sayers.  Et je suis curieuse  de lire ces ouvrages maintenant après avoir fait connaissance de la jeune fille des Lettres de la Grande Blasket. Je lui laisse d'ailleurs la parole en guise de conclusion avec ces mots si beaux, si pleins d'émotion :
8 Décembre 1945
Niamh* m'a montré un livre il y a quelques jours avec dessus une photo de la vieille maison, et je pleurais presque en la regardant, cependant que le sable des souvenirs faisait s'écouler à travers ma mémoire ces images perdues de la mer si calme et les mouettes qui crient et les canots revenant de la Grande Terre et la Grève blanche, blanche de sable blanc, et comment les bandes d'entre nous y jouaient ensemble comme une seule famille, tellement éparpillée maintenant et même plus un seul enfant sur ces sables blancs abandonnés.

* Niahm : La fille d'Eibhlis

Lire aussi dans le blog  Mystère jazz

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.