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vendredi 1 juillet 2011

Thomas H. Cook : Les leçons du Mal

Je viens de terminer Les leçons du Mal de Thomas H.Cook, le premier livre que je lis de cet auteur et j'avoue que c'est une agréable surprise. Les leçons du Mal  est classé dans le genre policier aux éditions du Seuil. Mais même si un meurtre a eu lieu dans le passé et a toujours des retentissements dans le présent, je dirai plutôt qu'il s'agit d'un roman psychologique et social, très intéressant, qui explore les zones sombres de la conscience et révèle en chaque être les motivations intérieures soigneusement cachées, parfois même à l'intéressé lui-même. Ainsi Nora, l'amie de Jack  Branch, lui déclare  :  Tu n'es pas celui que tu imaginais être et il découvrira combien elle a raison. En cela le livre mérite bien son titre!
L'action du roman  a lieu dans la petite ville de Lakeland, Mississipi, état encore bien marqué, près d'un siècle plus tard, par la guerre de Sécession. Nous sommes en 1954. Jack Branch est le fils d'une grande famille de planteurs. Il a reçu la bonne éducation d'un riche fils du Sud, a vécu dans une maison, Great Oaks, qui n'a rien à envier à celle de Scarlett O'Hara. Il est en admiration devant son père, parfait gentleman du Sud, un érudit aux manières raffinées, à qui il s'efforce de plaire. C'est peut-être pour cela qu'il choisit, comme lui, de devenir professeur au lycée de Lakeland fréquenté par des élèves modestes. Le cours thématique qu'il donne sur le Mal doit amener, pense-t-il, ces jeunes gens défavorisés à se définir par rapport à cette notion et à se sentir revaloriser. Jack Branch va s'intéresser particulièrement à un de ses élèves, Eddie Miller, rejeté par les autres parce que son père est le meurtrier d'une jeune étudiante, fait divers particulièrement atroce survenu il y a une douzaine d'années qui hante la mémoire collective de la petite ville. Quand le professeur donne à ses élèves un sujet sur le Mal, il conseille à Eddie d'écrire sur son père pour illustrer le devoir. Il pense ainsi lui permettre de surmonter son traumatisme et peut-être d'obtenir une réponse la question angoissante de l'hérédité du Mal. Pourtant tout ne va pas se passer comme il l'avait prévu!

Le roman, et c'est là un de ses grands centres d'intérêt, a le mérite de dénoncer le racisme, la misère, l'inégalité sociale, l'injustice qui règnent dans une société qui a peu évolué depuis la guerre de Sécession. Les grandes familles sont toujours accrochées à leurs privilèges avec le regret de ce qui a été. Quant à la ville, elle est divisée en zones. A côté du splendide secteur des plantations,  s'étend un quartier plus modeste de commerçants et d'artisans,  puis un autre plus pauvre  habité par les ouvriers et enfin la "région damné des Nègres", l'extrémité de la ville, connue sous le nom de Ponts, sordide et misérable. Certains des élèves de Jack portent en eux les stigmates de l'échec, persuadés de n'avoir aucune chance de s'en sortir dans cette société. En particulier Dirk Littlefield qui manifeste envers son professeur et Eddie une hostilité croissante surtout quand  sa petite amie, Sheila, le quitte pour Eddie.

Les personnages sont complexes. Jack Branch est un être brillant qui a une haute opinion de lui-même non seulement en tant que professeur mais en tant qu'être humain. Il est vrai qu'il embrasse par idéalisme une carrière bien modeste pour quelqu'un qui pouvait prétendre à un avenir brillant. Il exerce ce métier avec passion et enseigne à ces enfants pour :  "rendre service à ceux-là mêmes que ma famille, de connivence avec quelques autres tout aussi bien nées, avait maintenu sous une longue domination, ce qui leur avait permis de prospérer avant et après la guerre de Sécession."  Mais est-ce entièrement par altruisme qu'il se préoccupe du sort d'Eddie, n'agit-il pas aussi un peu par orgueil, mu par une sorte de  complexe de Pygmalion?  Ses sentiments vont se révéler parfois bien ambigus :  dépit,  jalousie envers Eddie quand il le voit se rapprocher de son père.  Et Eddie, quel jeu joue-t-il en s'insinuant dans les bonnes grâces du vieux monsieur de Great Oaks? Aucun des personnages n'est entièrement du côté du Bien et du Mal mais chacun se situe dans une zone intermédiaire. Même Dirk, antipathique et violent, est aussi une victime  de cette  société qui broie les individus et lorsqu'il crie sa haine des riches, il a de bonnes raisons de le faire! Nora, pourtant, la jeune femme qu'aime Jack, une fille du Ponts devenu professeur, échappe à cette ambiguïté par sa droiture, son franc parler, et l'amour qu'elle porte à son frère handicapé mental.

Thomas Cook  manifeste une grande habileté dans la  construction du roman. Le narrateur est Jack, âgé, faisant un retour vers le passé. Mais la chronologie n'est pas respectée. Le vieux Jack présente des faits qui se chevauchent dans le temps. Toutes les époques se mélangent  et forment comme les petites pièces d'un puzzle que le lecteur ne peut comprendre mais qui formera bientôt un tout. Ainsi le lecteur est tenu en haleine jusqu'au dernier moment, le narrateur apparaissant comme un démiurge qui détient toutes les clefs, ayant la connaissance du passé, du présent et du futur des personnages. Le récit se referme sur la note nostalgique de toutes ces vies brisées.
Un roman passionnant.


Merci à Dialogues croisés et aux éditions du Seuil

Voir aussi le billet de Soukee

10 commentaires:

  1. Un bon livre oui, il m'a bien plu aussi. As-tu lu Pete Dexter ? Il devrait te plaire.

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  2. Le titre ne me dit rien (chez les Américains le mal est trop souvent invoqué mal à propos) mais puisque tu le recommandes!cela se lit aussi facilement qu'un polar?

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  3. Je n'ai pas lu celui là mais je le lirai quand il sortira en poche
    j'ai fait un billet sur un roman précédent excellent, passionnant de bout bout où on retrouve tout ce que tu aimes ici : des personnages riches, une dénonciation du racisme, de la pauvreté
    le roman se passe au moment des émeutes dans le sud lors des premières manifestations pour les droits civiques
    les rues de feu et c'est chez folio noir

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  4. Je l'ai lu et apprécié ! L''ambiance qu'il s'en dégage m'a plu. Mais je n'ai toujours pas rédigé mon billet....

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  5. j'en entends parler... et tu confirmes ce que je pensais : à noter et à lire !

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  6. @ ys : et oui, j'ai aimé ce roman par ce qu'il nous fait découvrir de la société américaine..

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  7. @ miriam : c'est très facile à lire; ce n'est pas un livre philosophique malgré le sujet. C'est le style de roman qui tient en haleine, que l'on n'a pas envie de lâcher; j'ai apprécié le savoir-faire de l'écrivain et surtout l'ancrage dans la société.

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  8. @ Dominique : je vais aller voir ton billet. Je lirai certainement un second livre de lui.

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  9. @ clara : c'est vrai, on n'a pas toujours envie de rédiger. J'en sais quelque chose en ce moment! Je lis mais je n'ai plus du tout envie d'écrire!

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  10. @ Lystig : j'espère que le livre te plaira!

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