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mardi 16 août 2011

Gens de Dublin : James Joyce et John Huston

Le  film de John Huston : Gens de Dublin est l'adaptation de la célèbre nouvelle de James Joyce, la dernière du recueil, dont le titre anglais est : The Dead, Les Morts.
Dans leur vieille maison, deux vieilles dames, tante Kate, tante Julia et leur nièce Marie Jane, professeur de piano, reçoivent leurs parents, amis et élèves pour la fête de l'Epiphanie. La soirée en apparence festive, au cours de laquelle bals, musique, chants, repas, propos mondains se succèdent joyeusement, laisse pourtant dès le début entrevoir quelques fêlures révélant la fin d'une époque, la disparition d'un monde qui refuse d'évoluer.
En effet, dans cette société policée où les conversations sont superficielles et convenues, Freddy Malins, alcoolique, dont tous redoutent les éclats, introduit une note dissonante avec des propos jugés de mauvais goût. Il y aussi Miss Ivors, patriote irlandaise, farouche indépendantiste, qui part avant le repas pour assister à une réunion politique. Et puis Gabriel, le neveu, l'homme de la maison, chargé de découper l'oie, de prononcer le discours d'usage, apparemment en accord avec cette société, mais que l'on sent brimé dans ses aspirations, étouffé dans ses désirs d'un ailleurs. Enfin, sa femme, Gretta, qui semble traîner une mélancolie et une insatisfaction inavouées. A l'issue de cette soirée pourtant réussie, une chanson traditionnelle irlandaise The Lass of Aughrim La fille d'Aughrim, chantée par un des visiteurs, ténor lyrique, va être révélatrice des sentiments que Gretta n'a cessé d'éprouver pour un jeune homme mort à dix sept ans par amour pour elle.  Gabriel prend conscience  alors qu'il est passé à côté de sa femme sans la comprendre, à côté de l'amour aussi, que sa vie n'a été que convention. Suit une méditation sur la mort au rythme de la neige qui tombe sans cesse et semble s'épandre faiblement sur tout l'univers comme à la venue de la dernière heure sur tous les vivants et les morts.
Notons pourtant que cette méditation sur la mort n'est pas exempte d'humour sous la satire et malgré la tristesse. Huston, comme Joyce, éprouve de l'amour pour ces personnages, une tendresse qui nous met en empathie avec eux et nous fait sourire, amusés. La scène où tante Kate, par exemple, s'énerve contre le pape qui a interdit aux femmes de participer aux choeurs dans les églises, celle où les deux vieilles dames et leur nièce, émues, pleurent en écoutant le discours de leur neveu sont réussies. Tous les acteurs principaux et secondaires sont par ailleurs excellents.


Film de John Huston


Huston, amateur de littérature, grand admirateur de Joyce, apporte à la nouvelle son point de vue, sa parfaite maîtrise cinématographique et son talent dans un film où l'image, le mouvement, le son, ne sont jamais purement esthétiques mais porteurs de sens.
Si cette adaptation brillante est très fidèle à l'auteur, elle est pourtant très personnelle. En effet,  le cinéaste a porté cette oeuvre très longtemps en lui, toute sa vie, il a voulu l'adapter. Or, c'est juste avant sa mort, en Février 1987, quand il se sait condamné, sous respiration artificielle et en fauteuil roulant, qu'il va réaliser ce qui sera son dernier film. Et il signe ici une oeuvre admirable.
Admirable d'abord dans la présentation des personnages, dans l'art de la caméra de nous révéler la vérité de chacun sous les apparences et ceci avec finesse, sans jamais appuyer, par un regard, une expression, un geste de la main. Par le mouvement aussi : les personnages passent d'un pièce à l'autre comme s'ils ne voulaient pas se laisser saisir, pour échapper aux conventions, au regard de l'autre; au cours d'une danse, d'une quadrille, ils se fuient et se rejoignent échangeant des propos aigre-doux par dessus la tête des autres danseurs; enfin, moment sublime entre tous, la caméra quitte le visage de la tante Julia en train de chanter un air de Bellini :  Parée pour les noces, monte les escaliers, pénètre dans la chambre de la vieille dame, effleure les objets qui s'y trouvent, vieilles photographies, bible et rosaire, bibelots de porcelaine fragiles, qui résument la vie de la vieille dame. L'air surannée chantée par cette voix chevrotante accompagne la vision de ces images du passé annonçant la mort prochaine.
A plusieurs reprises, le cinéaste nous surprend et provoque une émotion profonde en jouant sur le son et l'image. Je pense à la voix off qui chante The Lass of Aughrim; la caméra se fixe alors sur Gretta qui descend l'escalier lentement, subjuguée par la chanson, elle oscille entre la jeune femme et Gabriel au pied de l'escalier : regard triste de Gretta vers l'étage supérieur d'où provient la voix du ténor, regard de Gabriel sur sa femme figée dans l'attente, regards qui ne se rencontrent jamais et  montrent l'incompréhension entre les deux époux. Enfin et surtout au dénouement lorsque la voix off  de Gabriel exprimant ses pensées intérieures s'élève et se déroule (le texte est magnifiquement dit) sur les images de paysages noyés dans la nuit, de ruines et de cimetières lentement recouverts par la neige.

10 commentaires:

  1. J'ai depuis un moment les gens de dublin, pensant que ce serait une meilleure intro à la lecture de Joyce que son Ulysse....
    Je ne l'ai pas encore ouvert mais je ne saurai tarder à la lecture de ce billet. (description d'une société doublée d'une satire...)
    Quant aux trois dernières lignes, elle me donne envie de voir ce film...

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  2. J'ai adoré la nouvelle avec cette fin tellement magnifique et poétique ! Tout le recueil est d'ailleurs bien. Du coup, il y a longtemps que je cherche à voir le film mais impossible d'en trouver le DVD (en bibliothèque du moins). Merci pour ce billet.

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  3. oui maggie, j'ai adoré le film autant que le livre. Il est vraiment très beau, intelligent et plein de nostalgie.
    Je passe très peu de temps sur internet car je n'y ai accès que de temps en temps; je suis encore en vacances. Mais au début septembre, je vais bientôt revenir lire les blogs amis

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  4. @ lewerenz : J'aime bien toutes les nouvelles du recueil mais celle-ci est ma préférée.Dans le film la fin est tout aussi belle. C'est vraiment une adaptation réussie.

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  5. Très bon souvenir de lecture des "Gens de Dublin", et après ce billet, envie également de voir le film. Merci.

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  6. j'ai découvert le film très tardivement, n'aimant pas du tout et n'ayant jamais pu terminer Ulysse, j'ai longtemps hésité avant de lire Gens de Dublin et j'ai été comblé lors de ma lecture
    Des années plus tard ce film m'a enthousiasmé, j'ai tout aimé, la mise en scène, les acteurs, l'intelligence émotionnelle (si je peux le dire comme ça) un film vraiment splendide

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  7. Ce film est une merveille.Je l'ai vu dix fois,l'ai présenté et commenté aussi.Pour Ulysse j'ai calé page 42 et je l'ai écrit aussi.C'est intéressant chez Claudialucia.

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  8. @ lire au jardin : je découvre aujourd'hui ce mot (et celui de Dominique). Très souvent les avertissements pour les commentaires ne fonctionnent pas si bien qu'il doit m'arriver d'en rater.
    Très beau film effectivement.

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  9. Comme toi Ulysse n'est pas passé! Il faudra que je m'y remette un jour mais Gens de Dublin, oui, beaucoup.

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  10. Merci!
    C'est un film qui me touche chaque fois. Tu le présentes à des élèves? à un cinéclub?

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