Pages

PAGES

mardi 9 août 2011

Sofia Tolstoï : A qui la faute? et Léon Tolstoï La sonate à Kreutzer


Sofia Tolstoï : A qui la faute? ou une brillante réponse à La Sonate à Kreutzer

Les éditions des Syrtes ont réuni dans une même publication la très célèbre nouvelle de Léon Tostoï : La sonate à Kreutzer et celle de Sofia Tolstoï : A qui la faute? qui est une réponse directe à son illustre mari.
L'oeuvre de Sofia n'a jamais été publiée en France et a dû attendre ces dernières années pour l'être en Russie. Pourtant, elle ne manque pas de piquant et répond point par point et d'une manière intelligente aux réflexions philosophiques et religieuses du grand écrivain et à sa vision misogyne de la Femme. De plus, elle éclaire d'un jour nouveau La Sonate à Kreutzer qui est une des oeuvres les plus surprenantes et les plus controversées de Léon Tolstoï puisque ce dernier a dû répondre, dans une postface publiée dans cette édition, à ses lecteurs qui lui demandaient des éclaircissements.
Si l'on ajoute à ces deux ouvrages un autre roman de Sofia Tolstoï : Romances sans paroles  et la réponse de Léon Tolstoï fils à La Sonate à Kreutzer sous le titre Le prélude de Chopin, l'on verra que les éditions des Syrtes nous offre une véritable saga de la famille Tolstoï.
Dans La sonate à Kreutzer,  au cours d'un long voyage en train, des voyageurs entament une discussion sur le mariage. La réussite d'un mariage repose-t-elle sur la crainte exercée par le mari sur sa femme, ou au contraire, sur un amour véritable et réciproque entre les deux époux? Un homme prend alors la parole pour nier l'amour que l'on confond, dit-il, avec la sensualité. Il n'y a pas d'amour spirituel, il n'y a  que l'amour charnel, "répugnant", "repoussant et malpropre" et celui-ci ne peut durer qu'un temps. De plus, il donne un pouvoir exorbitant à la femme qui devient pour l'homme "un objet dangereux". Ainsi le  mariage n'est que duperie.  Lui-même  a épousé une jeune femme dont il pensait être amoureux. Mais après le mariage et  la satisfaction de l'acte sexuel, la honte ressentie par "ces excès bestiaux" a fait naître la haine entre les deux époux. Cet homme, Pozdnychev, resté seul avec le narrateur, lui explique alors son histoire et pourquoi il a tué sa femme éprise d'un musicien...
Ce que Tosltoï veut démontrer dans ce récit, c'est que l'acte sexuel est néfaste aussi bien dans le célibat que dans le mariage, qu'en aucun cas c'est un acte naturel et indispensable pour la santé. Le bien ne viendra que de la pureté et de la continence. A ceux qui lui répondent que la race humaine disparaîtrait si l'homme respectait ce précepte, Tolstoï répond que toutes les doctrines religieuses  et scientifiques annoncent la fin du monde et que celle-ci est par conséquent inéluctable. Il ajoute dans sa postface que la chasteté est un idéal voulu par le Christ, vers lequel il faut tendre, mais qui est-  comme tout idéal-  hors d'atteinte.
"La passion sexuelle est un mal terrible qu'il faut combattre et pas encourager comme nous le faisons."
La réponse de Sofia Tolstoï est un récit A qui la faute? qui met en scène une jeune fille intelligente, cultivée et sensible, un peu exaltée, Anna, qui a du mariage une conception idéaliste et pure. Mariée avec un vieil ami de la famille, le Prince Prozorski, un célibataire endurci et débauché, dont elle est amoureuse et qu'elle idéalise, elle va vite déchanter. Le Prince ne s'intéresse à elle que pour l'acte sexuel. Il admire sa beauté et la considère comme un objet de plaisir mais refuse tout partage intellectuel ou spirituel. Il méprise son travail de peintre dans lequel elle met toute son âme. Ses lectures, ses pensées lui sont totalement inconnues. Il se soucie peu de ses sentiments, ne manifeste aucune tendresse envers elle et même envers ses enfants qui lui sont indifférents en dehors du fait qu'ils perpétuent son nom. La rencontre avec son voisin, peintre lui aussi, avec qui elle peut avoir un échange intellectuel et tendre, lui prouve que tous les hommes ne sont pas comme son mari. Cependant, elle met tout son honneur à rester fidèle à son mariage. Le prince, fou de jalousie, ne veut pas croire à son innocence et la tue.
L'habileté de Sofia Tolstoï est de répondre à son mari en créant un récit semblable à celui de La Sonate à Kreutzer  mais raconté du point de vue de la femme.
La thèse qui répond à celle de Léon Tolstoï est la suivante: si les hommes considéraient leur femme comme un être humain et non comme un objet sexuel et acceptaient d'avoir d'autres échanges avec elle, le mariage ne serait pas un échec. A qui la faute, donc?
"Cette façon tendre et désintéressée de se comporter avec une femme était la seule qui pût apporter le bonheur absolu dans sa vie"
Chacune des particularités du récit de La Sonate à Kreutzer est reprise mais transposée : à la rencontre avec le musicien correspond celle du peintre qui dans les deux cas permet une entente intellectuelle et spirituelle. A l'indifférence du mari envers les maladies des enfants, Sofia oppose l'inquiétude de la mère, les nuits sans sommeil, la peur de la mort. A l'obligation de l'allaitement exigé par le mari de La Sonate à Kreutzer (et donc par Tolstoï lui-même) répond le regard que jette Anna dans sa glace qui lui renvoie un image d'elle négligée avec un vieux corsage trop large, des cheveux en désordre. A l'obligation de la procréation comme justification des rapports sexuels correspond la libération d'Anna quand une femme médecin lui donne des conseils pour ne plus avoir d'enfant. Quand on pense que Sofia a eu treize enfants de son mari (dont cinq ont disparu en bas âge) et que Léon Tolstoï est mort loin d'elle en refusant de la revoir, on comprend qu'elle sait de quoi elle parle!
L'analyse des sentiments féminins est bien menée et subtile et si Sofia n'est pas un écrivain à la mesure de Léon Tolstoï, son récit ne manque pas de finesse dans l'étude psychologique complexe qui refuse tout manichéisme et dans la construction du récit.

capture-d_ecran-2010-05-27-a-10-14-261.1281609365.pngMerci à Dialogues croisés et aux éditions des Syrtes pour l'envoi de ce livre qui paraîtra le 19 août 2010
Article de mon ancien blog

10 commentaires:

  1. je suis bien heureuse que tu aies changé de plateforme comme ça je redécouvre tes anciens billets par le hasard (sinon j'aurai plutôt tendance à me tourner vers ce que je connais déjà)... Je ne savais pas que la femme de Tolstoï écrivait également... ça me rend très curieuse de lire ses textes

    RépondreSupprimer
  2. @ ogresse : c'est une femme extraordinaire. Le roman qu'elle a écrit pour répondre à son mari tient la route. Et si son génie de mari ne l'avait pas eu, je ne sais pas comment il s'en serait sorti dans la vie quotidienne. C'est elle qui gérait la propriété, s'occupait des enfants et recopiait les oeuvres de Tolstoï à chacun de ses brouillons . Recopier plusieurs fois un pavé comme Guerre et paix, il faut le faire!

    RépondreSupprimer
  3. Une curiosité, j'ai commandé le bouquin, j'aimerais en savoir plus sur cette femme, encore une grande femme de l'ombre....

    RépondreSupprimer
  4. @ Océane : ce qui est très intéressant c'est de lire la sonate à Kreutzer juste avant le roman de Sofia Tolstoï pour mieux se rendre compte de l'habileté de la réponse.

    RépondreSupprimer
  5. Relire et compléter avec les vues de Sofia.

    RépondreSupprimer
  6. J'ai cliqué sur le lien que tu indiques et plouf voici ce qui apparaît chez toi... décidément ce n'est pas mon jour.

    RépondreSupprimer
  7. Une grande envie de lire ce livre "A qui la faute?".

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il vaut mieux lire la sonate à Kreutzer avant pour mieux goûter la réponse de Sofia Tolstoï. A qui la faute ? est étonnamment en avance sur son temps au point de vue du féminisme par exemple sur la contraception ou la liberté de choix pour la femme de nourrir l'enfant au sein ou non. Et quelle intelligence cette réponse ! Quand on pense que non seulement c'est elle qui s'occupait des enfants mais aussi qui gérait le domaine et qui servait de secrétaire à son mari en recopiant ses manuscrits à la main après correction du grand homme, on se dit qu'elle ne devait pas être assez soumise et docile pour plaire à son mari. Pour l'anecdote elle a dû recopier plusieurs fois Guerre et Paix !

      Supprimer
  8. Je les ai lus tous les deux, mais ils méritent d'être relus.

    RépondreSupprimer
  9. Lecture terminée hier avec plaisir.
    "Se peut-il que ce soit là tout le destin des femmes, un corps au service de l'enfant, au service du mari ? L'un après l'autre et ainsi de suite, sans qu'on en voit la fin! Où donc est ma propre vie...
    Une incompréhension totale de L. Tolstoï par manque de communication, point essentiel dans toute relation.
    Quand même bien pessimiste ces deux livres même si j'ai préféré l'écriture de Léon Tolstoï.

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.