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dimanche 11 septembre 2011

Un livre, un film : Pierre Mac Orlan, Le quai des Brumes




La réponse est Le Quai des Brumes de Pierre Mac Orlan et le film : Le quai des Brumes de Marcel Carné. Merci à toutes pour vos participations.
Voici les noms de celles qui ont trouvé la bonne réponse : Aifelle, Gwen, Keisha, Lire au jardin, Jeneen, 32 Octobre, Miriam, Cagire.
Félicitations et à samedi prochain pour l'énigme N° 2.

Pierre Mac Orlan de son vrai nom Pierre Dumarchey est né en Picardie, à Péronne en 1882. Son père était officier d'infanterie et il a été orphelin très jeune. Son tuteur, inspecteur d'académie lui a fait faire ses études à Orléans. A 18 ans, son bac en poche, il part à Paris et connaît la même existence que les héros de Quai des Brumes, la misère, la faim. Il exerce divers métiers et vit dans la précarité jusqu'à la reconnaissance des ses premières oeuvres : Le Rire jaune  et La maison du retour écoeurant. En 1914, il est mobilisé et blessé. Après la guerre, il devient écrivain et grand reporter et sa réputation littéraire s'affirme.
   Le récit se déroule à Paris, à Montmartre, au Cabaret du Lapin Agile chez Frédéric, le patron qui accueille avec générosité les gens en difficulté. Les différents personnages du roman vont se retrouver dans ce lieu avec par ordre d'entrée "en scène" : Jean Rabe, un rêveur asocial et anticonformiste, Michel Kraus, un peintre allemand, Marcel Lenois, un soldat de la coloniale qui a déserté, Nelly, une fille de la rue. Tous ces personnages sont unis par des traits communs, ce sont des marginaux, des êtres à  part, incapables pour différentes raisons de s'intégrer dans la société. Une fusillade éclate qui prend le café pour cible. A l'issue de cette bataille rangée, surgit Isabel, le boucher. Nous avons tous les personnages du roman réunis. A partir de là, chacun va aller vers son destin qui préfigure l'hécatombe de la Grande Guerre, condamnés d'avance par une fatalité implacable.

La Construction du roman

Le  roman, paru en 1927 et dont l'action se déroule à Paris, sur la Butte Montmartre, en particulier au Café Le Lapin Agile tenu par la patron Frédéric, est divisé en deux parties :
Avant la guerre de 1914 et Après-guerre en 1919, année pendant laquelle les "réchappés du massacre" de la Grande Guerre  s'amusent dans un monde neuf fondé sur un charnier.
   
Les personnages du roman et leur destin

Pour caractériser les deux personnages de Rabe et Nelly, une même image, celle de la feuille morte, revient sous la plume de Mac Orlan :
Rabe : L'existence (qui) le balayait, comme le vent une feuille sèche, de-ci, de-là, souvent avec des soubresauts comiques.
Nelly passait à travers l'existence comme une feuille morte, une feuille blonde balayée.

Rabe  Son existence individuelle se confond avec le destin collectif des millions de victimes de l'holocauste : il tire sur un officier et se fait tuer.
Il ne lisait pas les journaux et se laissait aller sans résistance au courant qui l'emportait avec d'autres noyés, ses frères.

Nelly devient prostituée :  c'est une mort symbolique :

L'ancienne jeune fille nommée Nelly venait de mourir elle aussi, des suites de cette nuit qui lui rappellerait toujours sa propre mort.

  L'autre Nelly, Impératrice de la rue, ne peut revivre que sur les ruines de la guerre et son succès a l'odeur doucereuse du sang.

Klaus le peintre allemand se suicide pour échapper à ce don funeste qui lui fait voir le Mal derrière chaque chose

J'ai compris à cette époque que je portais en moi un excellent révélateur de la mort et qu'il ne me serait plus permis de voir sans dénoncer la menace qui se dissimule derrière les choses les plus candides.
Je verrai un crime dans une rose...

Le soldat,  Marcel Launois, change d'état civil puis rejoint la légion : c'est aussi une mort symbolique

Un soldat et rien, pensait Nelly, c'est à peu près pareil"

Le boucher, Isabel, tue un de ses amis, se fait arrêter et est condamné à mort.  Sa vision de la vie ne peut être que pessimiste et sombre car pour lui l'abattoir est l'arrière-boutique de la pensée de l'homme.

 Nous possédons tous, très loin dans la nuit de notre pensée, un abattoir qui pue. Ses désirs de pureté reste à l'état de rêves.

Il mourut sur la guillotine de mort violente, en avance de quelques mois sur un grande partie de ses contemporains.

Frédéric, le patron du Lapin-Agile a réellement existé.

Le cabaret du Lapin-Agile où est située la majeure partie de l'action du Quai des brumes, est un cabaret réel de la Butte Montmartre dont Frédéric Gérard, dit « Frédé » était effectivement le patron dans les années 1910. Pierre Mac Orlan en était un habitué, à cette époque où il « vivait des besognes littéraires les plus décourageantes, composait des chansons qu'il vendait, faubourg Saint-Antoine, au prix des paroliers et dessinait dans de très vagues journaux». (lire suite )

Ressemblances et différences entre le livre et le film






 Le sens : Pierre Mac Orlan décrit dans une langue poétique, par moments visionnaire et fantastique,  la naissance d'un monde nouveau, celui du XXème siècle, qui s'est construit sur les ruines de l'ancien, sur  la mort de millions de personnes.  Les personnages sont des êtres solitaires, qui rencontrent parfois sur leur chemin la solidarité, mais qui ne savent pas aimer. Cette vision pessimiste et sombre de la nature humaine liée à "la boucherie" de la guerre peut être résumée par les propos d'Isabel et par la "maladie" du peintre Klaus qui voit le Mal sous toutes choses.  L'être humain est foncièrement mauvais et même s'il aspire à la pureté, il ne peut l'atteindre.
Carné et son scénariste Prévert ont créé une magnifique histoire d'amour impossible, poétique et lyrique, bien ancrée cependant dans la société de l'époque et où l'on sent tout l'amour de Prévert et de Carné pour les humbles. Les personnages aiment, peuvent prétendre à la pureté, mais le  propos est  tout aussi pessimiste aussi puisqu'ils ne peuvent s'en sortir.

Les lieux  : Le roman se passe à Paris, à Montmartre et les "quais" ne sont qu'une image symbolisant le départ vers un destin inéluctable. Dans le film, les quais sont ceux du Havre. Ils ont une existence concrète mais il sont aussi un symbole comme dans le roman, celui d'un voyage vers la Mort. Dans les deux cas la brume noie les personnages de sa mélancolie et la même misère, la même fatalité pèsent sur eux.

Les personnages :

Jean Rabe et  Marcel Launois, le soldat, deux personnages distincts du livre de Mac Orlan, ne font plus qu'un dans le film de Carné.
Jean Rabe, devenu soldat, déserteur, est incarné par Jean Gabin. Il éprouve un amour pur et désintéressé pour Nelly qui causera involontairement sa perte puisqu'il ira jusqu'à tuer pour la défendre. Dans le roman, au contraire, c'est un asocial, un rêveur qui ne peut conserver un travail très longtemps. C'est un homme incapable d'aimer. S'il propose à Nelly de partager sa chambre, c'est parce qu'elle lui fait pitié mais elle l'irrite, le dérange, son rire l'agace "prodigieusement". Jean Rabe, personnage de Mac Orlan préfigure le destin des hommes  entraînés vers une mort  proche dont il n'ont pas encore conscience, la guerre de 1914.
Le Jean Rabe de Carné-Prévert représente le peuple, sa misère, son exploitation et la haine de la guerre, celle à venir qui s'annonce déjà; nous sommes en 1938. Il vit un amour impossible dont l'aboutissement ne peut-être que la mort.

Chez Carné, à la différence de Mac Orlan, Nelly (Michèle Morgan) est la pupille d'Isabel (Michel Simon) qui n'est pas boucher mais commerçant et vend des images religieuses. La métaphore du livre sur "l'arrière-boutique" est  reprise dans le film et rendue visible par la disposition des lieux, une arrière-boutique au sens propre. Isabel commet un meurtre comme dans le roman. Il est jaloux de Nelly  et essaie d'en faire sa maîtresse (situation qui  n'existe pas dans le livre). Dans le livre, Isabel meurt sur la guillotine, dans le film il est tué par Jean Rabe.



Michel Kraus, le peintre est interprété par Robert Le Vigan; c'est un des personnages que j'aime le plus,  très proche de celui du livre. Prévert, le dialoguiste du film, a conservé le texte poétique de Mac Orlan que Le Vigan dit  superbement.










Dans le film Frédéric, le patron du café devient Panama, un personnage vêtu de blanc, coiffé du chapeau qui lui vaut son nom, guitariste à ses heures, interprété par Edouard Delmont. Le Frédéric de Mac Orlan est coiffé d'un foulard rouge que l'on voit aux pécheurs dans le Sud, vêtu d'un pull en laine rouge, il joue de la Mandorle et du violoncelle.  Mais les deux personnages du livre et du film se ressemblent beaucoup, tous deux viennent en aide aux plus démunis et ne leur demandent rien sur leur passé.




Quart Vittel (Aimos), clochard qui rêve de coucher une nuit dans des draps blancs (et qui parvient à réaliser son rêve) est un personnage à la Prévert. Dans le roman, le Père Gaston a pu servir de modèle mais il n'a pas l'importance accordée à Quart Vittel.
Pierre Brasseur joue le rôle d'un petit truand, Lucien, Il cherche à tuer Isabel qu'il soupçonne du meurtre de son ami Maurice. Il est humilié par Jean Rabe en qui il voit un rival auprès de Nelly. C'est lui qui tuera Rabe pour se venger. Dans le roman, Tonio Biffi cherche lui aussi son copain Norbert mais il n'y a pas de rivalité entre lui et Rabe.




Pour la présentation du film : Voir WENS

Le quai des Brumes Carné-Prévert

10 commentaires:

  1. je n'ai pas lu le livre, c'est le film qui m'a mis sur la voie! merci pour cette analyse détaillée. tes billets sont toujours intéressants, outre le plaisir de jouer!

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  2. Aifelle m'a fait deviner le film... Mais pour le roman ,je ne connaissais pas!

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  3. Un éclairage qui me fera revoir le film différement, et donne envie de se plonger dans le livre pour découvrir l'écriture de Pierre Mc Orlan. Une mine d'or tes informations, merci !

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  4. @ miriam : Merci! Aifelle avait bien aidé, je suppose, en parlant des yeux!
    le plaisir de jouer : A samedi prochain alors!

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  5. @Keisha : C'est vrai! Qui lit Mac Orlan aujourd'hui? Il est presque tombé dans l'oubli. C'est dommage car Le quai des brumes est un beau roman.

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  6. @ lireaujardin : Comme je le disais à Keisha : le livre est à découvrir. Mais c'est le film qui reste dans les mémoires.

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  7. Je suis époustouflée par ton article : incroyable ! Tu as du y passer un temps fou...pour notre plus grand plaisir, je te l'affirme ! J'ai appris plein de choses et même vu le film sous un oeil nouveau (comme beaucoup, je n'ai pas lu le livre).
    Encore bravo et merci pour cette première énigme du samedi (tu as la pression, là !!!)

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  8. @ jeneen : Heureuse que cette première énigme t'ait plu. Nous sommes dans le cas de l'adaptation qui surpasse le livre. Ici, pas parce que le livre est mauvais mais parce que le film flatte plus nos sentiments, est plus populaire au sens noble du terme qui n'exclut pas la qualité, au contraire!. Il faut dire que Mc Orlan est seul devant son oeuvre alors que le film présente la conjugaison d'immenses talents, du réalisateur au dialoguiste (un autre grand poète), aux acteurs qui, même dans les rôles secondaires, sont tous excellents.

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  9. On ignore pourquoi certains auteurs sont au purgatoire comme Mac Orlan, pourtant il a compté en son temps. Je ne crois pas l'avoir lu, à réparer peut-être.

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  10. @ Aifelle: Moi aussi, il faudrait que je le connaisse mieux. Finalement,ce sont les livres adaptés au cinéma qui permettent de le découvrir.

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