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dimanche 24 juin 2012

Un livre/ Un jeu : Goethe et Sokourov : Faust


Faust et Méphistophélès par  Eugène Delacroix



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 Réponse à l'énigme  N° 38

Ceux qui ont signé un pacte avec Méphisto sont  :  Dasola, Eeguab, Miriam

  La pièce de théâtre : Faust de  Goethe

Le film : Faust de Sokourov actuellement sur les écrans.







Faust, la pièce de Goethe est parue en 1808. Elle a été suivie d'un Faust II en 1832 qui est la suite de la première pièce et que Goethe a écrit dans sa vieillesse. C'est le Faust I que je présente ici.

Le personnage historique, le docteur Georgius Sabellicus Faustus Junior, alchimiste allemand du XVI siècle accusé de sorcellerie, qui a inspiré la pièce a réellement existé même si sa vie nous est mal connue, déformée par les différentes versions qu'il nous en a été donné.  Voir ICI  
C'est que très tôt, ce personnage a frappé l'imagination des créateurs et a été à l'origine d'oeuvres qui ont répandu sa légende, en particulier la pièce de Christofer Marlowe écrite en 1590. Mais c'est surtout depuis Goethe que le mythe a pris une telle ampleur.


Le sujet de la pièce
 Faust, devenu, vieux, se plaint que la connaissance s'est toujours dérobée à lui alors qu'il a pourtant voué sa vie à l'étude. Il décide de mourir en avalant du poison. Le Diable, Mephistophélès, qui s'est introduit chez lui sous la forme d'un chien noir, lui propose un pacte : il lui fera goûter les plaisirs de la vie mais Faust lui donnera son âme. Faust rencontre Marguerite, fille modeste et vertueuse, qu'il n'a de cesse de séduire. Celle-ci, pour que Faust puisse la rejoindre dans sa chambre, donne un somnifère à sa mère mais celle-ci en meurt.Valentin, le frère de Marguerite, veut venger l'honneur de sa soeur et est tué par Faust avec l'aide de Méphistophélès. Faust s'enfuit avec son diabolique compagnon et parcourt le monde. Apprenant que Marguerite est condamnée à mort pour infanticide, il s'introduit dans la prison pour la sauver mais celle-ci refuse de partir avec lui. Elle meurt.

Lutte entre le corps et l'esprit

Dans le Faust I Goethe a voulu montrer comment l'homme toujours assoiffé de connaissance a peu de prise sur le savoir. Il se voudrait l'égal de Dieu pour expliquer le monde mais ne parvient à accéder qu'à une infime et insignifiante partie de cette explication.

Je le sens, en vain, j'aurais accumulé sur moi tous les trésors de l'esprit humain... lorsque je veux enfin prendre quelque repos, aucune force nouvelle ne jaillit de mon coeur; je ne puis grandir de l'épaisseur d'un cheveu, ni me rapprocher tant soit peu de l'infini.

Vaut-il la peine dans ces conditions de consacrer  sa vie à l'étude, comme l'a fait le docteur Faust, de donner la prééminence à la pensée. Ne vaudrait-il pas mieux se tourner vers l'action? C'est l'éternel dilemme de l'homme, ce duel entre le corps et l'esprit.

Deux âmes, hélas! se partagent mon sein et chacune d'elle veut se séparer de l'autre : l'une, ardente d'amour, s'attache au monde par le moyen des organes du corps; un mouvement entraîne l'autre loin des ténèbres, vers les hautes demeures de nos aïeux!

Athéisme?

La pièce de Goethe  et le film de Soukorov posent des problèmes philosophiques et métaphysiques qui me dépassent et j'avoue que je n'ai pas tout saisi avec une seule lecture du livre et un seul visionnement du film. Il faudrait lire et relire, voir et revoir, analyser, étudier, tant les deux oeuvres sont riches et complexes, semblables et différentes. Je vous livre ce que je crois avoir compris :
Quand Faust commente l'Evangile de Jean : Au commencement était le Verbe, Faust, traducteur du texte grec, commet un blasphème en remplaçant le mot Verbe par : Au commencement était l'action. Première question : Faust est-il athée? On peut se le demander. En récusant le mot Verbe, il refuse Dieu car le Verbe c'est Dieu comme  l'affirme Saint Jean. En prônant l'action, il se prend parti pour l'Humain car l'action c'est l'homme! Pourtant si le personnage de Faust de Goethe est athée, son auteur ne l'est pas! A la mort de Marguerite, le Diable s'exclame  "elle est jugée" et  une voix céleste répond : "elle est sauvée". Dans le Faust II, Faust échappera à la damnation par l'intercession de Marguerite auprès de Dieu.


Il est écrit : « Au commencement était le Verbe ! »
Ici déjà j'hésite ! Qui m'aidera à aller plus loin ?
Il m'est impossible de priser si haut le Verbe,
Il faut que je traduise autrement,
Si je suis bien illuminé par l'Esprit.
Il est écrit : Au commencement était la Pensée.
Médite bien sur cette première ligne,
Afin que ta plume n'aille pas trop vite !
Est-ce la Pensée qui crée et produit tout ?
Il faudrait mettre : Au commencement était la Force !
Mais à l'instant même où je transcris ces mots,
Quelque chose m'avertit que je n'en resterai pas là.
L'Esprit me vient en aide ! Je vois soudain la solution
Et j'écris avec assurance : Au commencement était l'Action !
 

Dans le film de Sokourov, Faust est très nettement athée et il l'affirme devant son assistant Vagner. En disséquant des cadavres, il n'a jamais trouvé l'âme; l'homme n'est fait que d'organes et de chair qui se corrompent vite. On pourrait penser que signer un pacte avec le diable prouve l'existence de Dieu aux yeux de Faust. Mais il n'en est rien car le fait que le Mal existe ne signifie pas l'existence du Bien. Contrairement à Goethe, Sokourov refuse l'intervention divine. En ne  donnant aucune limite à la liberté humaine, il se pose lui aussi en athée. Faust nie le Diable, se débarrasse de lui, déchire le contrat et part à la conquête du savoir, marchant vers les plus hautes cimes des montagnes enneigées dans une orgueilleuse solitude.

Le thème de l'amour

Dans sa recherche de jouissance immédiate et superficielle, Faust est pressé de posséder le corps de Marguerite et, dans la pièce comme dans le film, il exige de Méphisto qu'il accède au plus vite à ses désirs. En vain, le Diable essaie-t-il de lui faire comprendre que les petites attentions, l'attente, les préliminaires qui permettent de vaincre la pudeur de la jeune fille, sont le meilleur de la jouissance.  Une fois qu'il a obtenu ce qu'il voulait Faust se désintéresse de sa maîtresse. Mais dans la pièce nous voyons qu'il est sensible à la tragédie que vit Marguerite puis qu'il va jusqu'à la secourir. Dans le film, il est à peine question de la jeune fille pour apprendre aux spectateurs ce qui lui est arrivé. Cela ne détourne pas Faust de sa quête du savoir qui est non seulement solitaire mais brutale et égoïste.



 Faust et Marguerite par le peintre romantique Ary Shafer

Le romantisme de Goethe

Cette pièce se rattache au courant Sturm und Drang (Tempête et passion), inspiré de Jean-Jacques Rousseau et de William Shakespeare. Le Sturm und Drang est un mouvement politique, social, littéraire et artistique qui s'est développé à la fin du XVIII siècle en Allemagne autour de Goethe, Herder, Kingler... Il est caractérisé par son aspiration à la liberté dans un monde dominé par l'absolutisme et par un intérêt nouveau pour la Nature. Il refuse les conventions sociales mais aussi littéraires et se soustrait aux règles classiques aboutissant à des formes littéraires nouvelles. Il est à l'origine du romantisme allemand qui, par la suite, fut une source d'inspiration pour le romantisme français.

Le romantisme de Goethe s'exprime par un style lyrique, ample, qui exalte la Nature. Seule, elle permet à l'homme de se libérer de la pesanteur de son corps :
Oh! que n'ai-je des ailes pour m'élever de la terre et m'élancer ... dans une clarté éternelle.! Je verrais à travers le crépuscule tout un monde silencieux se dérouler à mes pieds, je verrais toutes les hauteurs s'enflammer, toutes les vallées s'obscurcir, et les vagues argentées des fleuves se dorer en s'écroulant.
C'est un beau rêve tant qu'il dure! Mais hélas! le corps n'a point d'ailes pour accompagner le vol rapide de l'esprit

Romantique aussi le fantastique dans lequel baigne l'oeuvre. Faust dans sa fuite autour du monde et sa recherche des jouissances terrestres assiste au sabbat des sorcières. Dans le cours de l'action viennent s'intercaler des passages oniriques : Songe d'une nuit de Sabbat ou Noces d'or d'Obéron et de Titania.  Les personnages de Shakespeare  hantent cette nuit de Walpurgis.

Le romantisme de Goethe, c'est aussi le recours aux chansons populaires, le romantisme allemand recherchant son inspiration dans les contes et les légendes du pays, dans la musique et les chansons du peuple. La légende du roi de Thulé que chante Marguerite en est le plus bel exemple.

Il était un roi de Thulé
A qui son amante fidèle
Légua, comme souvenir d'elle,
Une coupe d'or ciselé.
C'était un trésor plein de charmes
Où son amour se conservait :
A chaque fois qu'il y buvait
Voir  ICI

Les étudiants et les soldats dans les tavernes, Méphisto lui-même, chantent des airs populaires, comme le fameux air de la puce.

 
Une puce : La damnation de Faust Hector Berlioz

Une puce gentille
Chez un prince logeait.
Comme sa propre fille,
Le brave homme l'aimait,
Et, l'histoire assure,
A son tailleur un jour
Lui fit prendre mesure
Pour un habit de cour.
L'insecte, plein de joie
Dès qu'il se vit paré
D'or, de velours, de soie,
Et de crois décoré.
Fit venir de province
Ses frères et ses sœurs
Qui, par ordre du prince,
Devinrent grands seigneurs.
Mais ce qui fut bien pire,
C'est que les gens de cour,
Sans en oser rien dire,
Se grattaient tout le jour.
Cruelle politique !
Ah ! plaignons leur destin,
Et, dès qu'une nous pique,
Écrasons-la soudain!


Cet air sous son apparence légère est aussi une  critique de l'absolutisme. Car le sentiment de liberté qui est l'expression même du romantisme allemand s'exprime souvent dans Faust par une critique virulente de ceux qui détiennent un pouvoir sur les autres mais ne sont que mensonge et corruption. L'église, avide, cupide, n'échappe pas à la satire comme ce prêtre qui prend les bijoux que Faust a donnés à Marguerite, assurant à la jeune fille et sa mère que cela sauvera leur âme. Les jeunes filles subissent la violence des hommes et la société prend de le relais lorsqu'elles sont enceintes, exerçant une telle pression sur elles  qu'elle les pousse à l'infanticide..


Cette pièce, la plus importante du patrimoine littéraire allemand, est universellement connue. Elle a eu plusieurs grands traducteurs dont  Gérard de Nerval alors âgé de 18 ans, dont la traduction a assuré à elle seule le renom; elle a été à l'origine de nombreux opéras dont, en France, La Damnation de Faust de Hector Berlioz  (1846) Le Faust de Gounod (1859). En littérature, elle a inspiré des écrivains du monde entier : pour ne citer que quelques exemples Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde, Marguerite de la nuit de Pierre Mac Orlan, Mon Faust de Paul Valéry, Faust au village de Jean Giono, Docteur Faustus de Thomas Mann, Faust de Fernando Pessoa,  Le Maître et la Marguerite de Mickaïl Boulgakov. Au cinéma, outre la version de Sokourov, celle de Murnau est très belle. Notons aussi La beauté du diable de René Clair avec Gérard Philippe et Michel Simon.



Maria Callas L'air des Bijoux Faust de Gounod




Renée Fleming chante Marguerite au rouet de Frantz Schubert





2 commentaires:

  1. Je ne connais finalement que la version opéra dont j'ai pu voir une belle production l'année dernière, et en lisant cet article, très envie d'en lire plus, merci!

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  2. Oui, c'est aussi par l'opéra que j'ai abordé Faust. J'ai lu la pièce mais je n'ai jamais eu l'occasion de la voir sur scène.

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