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mardi 30 octobre 2012

Shakespeare : Antoine et Cléopâtre


La mort de Cléopâtre de Reginald  Arthur


Je ne connais pas les tragédies historiques de Shakespeare aussi il est temps que je m'y mette! Cette lecture commune avec Maggie, Miriam et Océane est une bonne occasion de découvrir Antoine et Cléopâtre composée en 1608 peu après celle de Jules César dont elle est la suite.
Pour écrire cette tragédie, Shakespeare suit de très près le récit conté dans Les vies parallèles des hommes célèbres de Plutarque, La vie d'Antoine.


Buste de Marc-Antoine

Quelques rappels historiques
Marc-Antoine (83avJC  - 30av. JC) est un général romain qui a fait la guerre des Gaules en - 49  avec Jules César. Celui-ci le fait élire tribun de la plèbe puis consul. A la mort de César, il se retrouve seul à la tête de la République puis  un Triumvirat se met en place avec Marc-Antoine, Auguste et Lépide. Ils se partagent l'Empire, l'Orient étant dévolu à Marc-Antoine. Celui-ci reprend un projet de César,d'attaquer les Parthes mais il a besoin de l'appui de la reine d'Egypte, Cléopâtre. Commence alors entre la reine alors  âgée de 29 ans et Antoine qui à quarante ans,  une liaison qui va durer 10 ans. Il suit la reine à Alexandrie.
Les relations entre Octave et lui s'enveniment; Pour se réconcilier Antoine accepte d'épouser Octavie, la soeur de Auguste mais il retourne auprès de Cléopâtre. Il essuie des échecs en particulier contre les Parthes et les relations se détériorent à nouveau avec Octave qui se sent menacé par l'alliance avec la reine d'Egypte. Antoine, mauvais stratège, perd la bataille navale contre Octave à Actium en -31. Les derniers mois sont assez mal connus. Antoine retourne en Égypte et ne prend pratiquement aucune mesure pour lutter contre l'avancée de plus en plus triomphale de son rival.  Il consume ses forces en banquets, beuveries et fêtes somptueuses sans se soucier de la situation et laisse triompher Octave.  Ceci marque la fin de la République et le début de l'Empire romain pour les historiens.
La situation de l'action dans la pièce

Le dramaturge situe l'action au moment où Antoine retenu à Alexandrie par Cléopâtre va devoir partir à Rome pour se réconcilier avec Octave; ce dernier  a été attaqué par les partisans d'Antoine et par son épouse Fulvie qui meurt à ce moment-là. Antoine part à la rencontre d'Octave et pour se réconcilier épouse sa soeur Octavie.  La pièce s'intéresse donc à la déchéance d'Antoine qui mène une vie d'orgie incessante, à ses échecs guerriers, à son amour pour Cléopâtre. Le dénouement verra la fin tragique des deux amants. À la fausse annonce du suicide de Cléopâtre qui veut échapper à la colère de son amant, Marc Antoine met fin à ses jours en se jetant sur son épée. Mourant, il est transporté par Cléopâtre dans son propre tombeau. Celle-ci est conduite devant Octave, qui la laisse se retirer avec ses servantes, la reine se suicide ensuite en se faisant mordre par un aspic.
La mort de Cléopâtre Claude Vignon

Mon avis :

Shakespeare s'intéresse  au dilemme entre la passion et la raison, le coeur et la tête. Antoine vit  son amour comme une perte de volonté et un affaiblissement de sa virilité. Sans cesse il se trouve ramené vers cette femme  mais aussi vers une vie de débauche, d'amollissement, alors qu'il sait que son devoir de chef de guerre l'appelle ailleurs.
Pour qu'Antoine n'apparaisse pas comme un être veule et geignard, pour que Cléopâtre soit transfigurée par l'amour il faudrait que le sentiment entre ces deux personnages  soit fervent, sublime, à la manière de Roméo et Juliette.  Or, ce Roméo et cette Juliette sont des amants vieillissants qui n'ont ni le désintéressement ni la pureté de l'amour. Cléopâtre ne cesse de se plaindre, craint de ne plus être aimée, ruse, compose avec l'adversité. On dirait parfois une mégère mal apprivoisée, elle refuse de donner sa confiance à Antoine parce qu'il  trompe sa femme (que ce soit avec elle n'entre pas en ligne de compte!). Elle est présentée comme la séductrice, volontiers vaniteuse et courtisane, cause de l'échec d'Antoine.  Elle est aussi calculatrice, essaie de tirer son épingle du jeu,  subtilise des  bijoux de son trésor qu'elle est censée remettre à Octave, son  vainqueur.   Antoine ne cesse de gémir, d'osciller entre colère et plainte. C'est un être faible. Il n'écoute pas ses conseillers qui sont pourtant prudents et avisés et court à sa perte en acceptant le combat naval à Actium. Il se montre donc peu clairvoyant et peu intelligent.. De plus, il n'accepte pas l'échec et en accuse volontiers Cléopâtre allant même jusqu'à la menacer et l'effrayer assez pour qu'elle se fasse passer pour morte.. Orgueilleux et vain, il ne reconnaît pas ses responsabilités.

Voilà donc ce que j'ai ressenti à la lecture d'Antoine et de Cléopâtre : ce sont des personnages médiocres qui n'ont ni la luminosité de Roméo et Juliette, ni la noirceur et la démesure de Macbeth et lady Macbeth! Et j'ai eu du mal à m'intéresser à eux en dépit des scènes du dénouement qui au niveau dramatique sont évidemment spectaculaires et rendent  un peu de leur grandeur aux personnages.
Mais peut-être, après réflexion, est-ce là le mérite de Shakespeare, celui de ne pas avoir voulu nous peindre des héros admirables mais des êtres humains avec leurs clairs-obscurs, leurs faiblesses, leur mesquinerie, mais aussi une certaine forme de sincérité et de courage?

Et puis bien sûr, il y a la langue de Shakespeare et des moments de pur lyrisme, par exemple, les  accents amoureux de Cléopâtre : 

J'ai rêvé qu'il était un empereur Antoine
Son visage était comme les cieux, et il y avait là
Un soleil et une lune, qui suivaient leur cours, et éclairaient
Le petit O de la terre.
Ses pieds enjambaient l'océan, son bras levé
Couronnait le monde, sa voix avait un chant
Comme toutes les sphères à l'unisson, et cela pour ses amis.
Mais quand il voulait effrayer le monde et l'ébranler,
Il était comme un orage qui gronde.  Pour sa largesse,
Il n'était point d'hiver en elle; c'était l'automne
Qui d'autant plus donnait qu'on y moissonnait: ses plaisirs
Etaient comme le dauphin, ils montraient son échine
Au-dessus des flots où ils vivaient. Sous sa livrée
Marchaient diadèmes et couronnes; les royaumes et les îles étaient
Comme piécettes tombées de sa poche.


Les plaintes poétiques d'Antoine

Antoine
—Tu as vu quelquefois un nuage qui ressemble à un dragon, une vapeur qui nous représente un ours ou un lion, une citadelle avec des tours, un rocher pendant, un mont à double cime, ou un promontoire bleuâtre couronné de forêts qui se balancent sur nos têtes ; tu as vu ces images qui sont les spectacles que nous offre le sombre crépuscule ?


Éros
—Oui, seigneur.


Antoine
—Ce qui nous paraît un coursier est effacé en moins d'une pensée par la séparation des nuages, et se confond avec eux comme l'eau dans l'eau.


Éros
—Oui, seigneur.


Antoine
—Eh bien ! bon serviteur, cher Éros, ton général n'est plus qu'une de ces formes imaginaires. Je suis encore Antoine, mais je ne puis plus garder ce corps visible, mon serviteur.
acte IV scène 14


L'expression de l'amour


Antoine
 - C'est  un amour bien pauvre, celui que l'on peut calculer.
Cléopâtre
- Je veux établir, par une limite, jusqu'à quel point je puis être aimée.
Antoine
- Alors, il te faudra découvrir une nouveau ciel et une nouvelle terre.
acte I scène 1




8 commentaires:

  1. Entendu hier à la radio une réplique de "Jules César" j'ai eu la même envie que toi de lire ( et pas du tout relire) les tragédies de Shakespeare
    je vais lire ton billet et celui de Maggie avec attention

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  2. Tiens, on a eu un peu près la même impression... J'ai été déçu mais je n'avais pas lu de pièces historiques donc elle diffère de ce que je connais. PS : tu as bien de mettre ces beaux extraits... J'ai hésité et finalement, je ne l'ai aps fait.

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  3. Honte à moi! je viens tout juste de commencer j'en suis à la deuxième
    scène! je lirai ton billet quand je serai un peu plus avancée, je veux me garder des surprises.

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  4. @ dominique : Moi aussi je n'ai jamais eu l'occasion de lire les tragédies historiques.. Peut-être parce que, à priori, cela ne m'attirait pas alors que j'aime énormément toutes les autres tragédies!

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  5. @ miriam : pas de panique!nous attendrons!

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  6. J'ai adoré le relire pour cette lecture commune, (mon billet est en ligne là : http://danslessouliersdoceane.hautetfort.com/archive/2012/10/29/antoine-et-cleopatre.html )
    Comme je disais chez Maggie, j'ai beaucoup d'indulgences pour les chicaneries de vieux amants que nous montrent Antoine et Cléopâtre, et le parallèle avec l'empire moderne qui se dessine en même temps que le destin se brise, est très intéressant !

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  7. @ Océane : oui, je pense que l'on ne peut faire le tour d'une pièce de Shakespeare en une seule fois. Mon avis ne peut être que superficiel. j'ai laissé de côté d'autres aspects de l'oeuvre! A relire donc! Mais il faut dire que les deux vieux amants sont assez mesquins!

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