Pages

PAGES

dimanche 19 janvier 2014

Emile Zola : Thérèse Raquin



Thérèse Raquin est le troisième roman de Emile Zola. Il parut en 1867 avant que l'écrivain n'entreprenne le cycle des Rougon-Macquart et contient déjà toutes ses théories sur le roman naturaliste. Il mène l'étude des personnages par le biais de la science et des lois de l'hérédité. Voilà qui se rapproche tout à fait du déterminisme et Zola en est très conscient quand il déclare :

Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus.

Résumons l'histoire en quelques lignes : Thérèse Raquin, fille d'un capitaine de l'armée française et d'une algérienne est confiée à sa tante lorsque sa mère meurt. Elle épouse son cousin Camille, frêle et maladif, quand elle a 21 ans mais elle ne l'aime pas. Elle devient la maîtresse de Laurent, un peintre qui est reçu par Camille, et bientôt le couple décide de tuer le mari en le noyant au cours d'une promenade en barque. Ils se marient ensuite. Peu à peu, sous les yeux de la mère de Camille, paralysée et muette, mais qui a deviné leur secret, Thérèse et Laurent sont rongés par d'affreux tourments.

Comme d'habitude, le talent d'Emile Zola est plus grand que ses théories sur le roman. Certes le roman est naturaliste,  mais il est aussi bien autre chose et c'est tant mieux car c'est cette complexité qui fait la force de Thérèse Raquin.

Une technique impressionniste

Monet : la Grenouillère

Par moments, les descriptions des bords de la Seine et en particulier de Saint Ouen, le canotage sur le fleuve, évoquent les rendez-vous des peintres impressionnistes et il nous semble échapper à la noirceur et à l'âcreté des noires boutiques parisiennes pour goûter le soleil dans les branches et ses reflets dans l'eau. Nous pénétrons un instant dans un tableau de Monet ou de Renoir, ou une nouvelle de Maupassant!

Ils allaient à Saint-Ouen ou à Asnières, et mangeaient une friture dans un des restaurants du bord de l’eau.(…) Il était midi, la route couverte depoussière, largement éclairée par les rayons du
soleil, avait des blancheurs aveuglantes de neige.L’air brûlait, épaissi et âcre. Thérèse, au bras deCamille, marchait à petits pas, se cachant sous son ombrelle, tandis que son mari s’éventait la face avec un immense mouchoir.

Une technique expressionniste

expresionnisme : décor pour Raskolnikov : André Andrejew

Certaines descriptions de Zola semblent annoncer, avant la lettre, l'expressionnisme allemand! Les effets sont sensiblement les mêmes. Les décors cessent alors d'être réalistes pour devenir angoissants, déformés, comme vus par un esprit torturé. Ils reflètent les troubles mentaux des personnages. Les éclairages et les brusques contrastes entre l'obscurité et la lumière possèdent un sens symbolique. Les choses et les êtres signifient autre chose que ce qu'ils sont et conduisent au malaise.


Le goût du macabre

Laurent, Thérèse et le spectre : illustration du roman : Alméry Lobel-Riche

La violence, la mort dans ses aspects les plus sordides, le trait forcé pour souligner le dégoût, l'horreur, l'abjection sont des traits propres à certaines descriptions de ce livre. La présentation de la morgue dans Zola, plus que réaliste, joue avant tout sur la violence et le goût du macabre. Ainsi lorsque le cadavre de Camille est découvert par Laurent :

 Il avait séjourné quinze jours dans l’eau. Sa face paraissait encore ferme et rigide; les traits s’étaient conservés, la peau avait seulement pris une teinte jaunâtre boueuse. La tête, maigre, osseuse, légèrement tuméfiée, grimaçait; elle se penchait un peu, les cheveux collés aux tempes, les paupières levées, montrant le globe blafard des yeux; les lèvres tordues, tirées vers un des coins de la bouche,avaient un ricanement atroce; un bout de langue noirâtre apparaissait dans la blancheur des dents.

Un roman fantastique

Combat de chats : Goya

 Camille qui de son vivant était un être pâle, sans consistance, prend, en mourant, une importance qu'il n'avait pas. Il commence par hanter l'esprit de ses assassins et se manifeste comme un spectre effrayant attaché à leurs pas. Il  finit par "habiter" le portrait de Camille peint par Laurent. La morsure qu'il a infligée à Laurent au moment où celui-ci le précipitait dans la rivière, semble elle aussi surnaturelle et se rappelle à Laurent en ne lui laissant aucun répit.Thérèse et Laurent sont victimes de terribles hallucinations, cherchant désormais dans "un embrassement horrible" à chasser le cadavre du noyé qui vient se glisser entre eux dans le lit :
En sentant le froid du cadavre, qui, maintenant, devait les séparer à jamais, ils versaient des larmes de sang, ils se demandaient avec angoisse ce qu'ils allaient devenir.

Le chat lui-même apparaît comme une puissance maléfique, doué de pouvoirs surnaturels. Son regard posé sur les amants semble exercer une surveillance sur les amants :

Le chat tigré, François, était assis sur son derrière, au beau milieu de la chambre. Grave,immobile, il regardait de ses yeux ronds les deux amants. Il semblait les examiner avec soin, sans cligner les paupières, perdu dans une sorte d’extase diabolique.

Le fantôme de Camille et le chat n'ont bien sûr que les pouvoirs que leur prêtent Laurent et Thérèse mais ils n'en poussent pas moins le couple au suicide.

Un roman réaliste

Le passage du Pont Neuf au XIX siècle

Le roman nous présente le Paris de l'époque, la ville mais aussi de la boutique, l'appartement, la vie de ses habitants croqués dans leurs occupations familières, leurs activités, leurs distractions. Il détaille par le menu les particularités d'une habitation et tous les faits et gestes des personnages. Il s'attache à en révéler la misère, l'aspect malsain. 

La description du passage du Pont Neuf en est un exemple  : "une sorte de couloir étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine" Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse'.

Un roman naturaliste

L'analyse des  personnages chez Emile Zola dans le roman naturaliste obéit à trois  clefs :  le tempérament qui souligne l'aspect médical, scientifique de cette analyse, l'hérédité qui en explique la cause et le milieu dans lequel ils évoluent.


 Thérèse Raquin

Thérèse Raquin et la mère de Camille


Le tempérament
Thérèse Raquin a un tempérament nerveux; ce sont les nerfs qui expliquent son détraquement, son glissement progressif vers l'hystérie et la folie.
Thérèse a un corps "robuste" des "souplesses félines"; Elle est tout en énergie et "une passion" dort sous "sa chair assoupie". Cependant son éducation et sa vie morne auprès de sa tante et d'un cousin débile a fait d'elle un être au teint jaune, placide, faussement docile donc une hypocrite.
C'est la jouissance physique qu'elle connaît avec Laurent qui va fissurer cette façade immobile et c'est le crime qui va la conduire à la folie; mais il ne s'agit pas de remords, précise Zola car "l'âme  est parfaitement absente" : c'est "un désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre." 

L'hérédité
Le père de Thérèse était officier à Alger. Sa mère est "une femme indigène d'une grande beauté". C'est ce sang africain qui explique l'ardeur de la jeune fille et ses instincts voluptueux. Quand elle découvre l'amour avec son amant, Zola écrit :  "Le sang de sa mère, ce sang africain qui brûlait ses veines, se mit à couler , à battre furieusement dans son corps maigre, presque vierge encore."

Le milieu et l'éducation
L'influence de son milieu et de son éducation a été déterminante.
 Malgré sa "santé de fer", son corps "robuste" Thérèse fut élevée comme "une enfant chétive". Obligée de partager le lit de son cousin malade ainsi que le médicaments et les tisanes, elle fut contrainte à l'immobilité et au silence. C'est son éducation qui l'a habituée à ne jamais montrer ses sentiments, à dissimuler sa vraie nature pour obéir aux injonctions de sa tante: ne fais pas de bruit, reste tranquille. Plus tard elle prendra goût à l'hypocrisie  et sera heureuse à l'idée d'abuser par ses mensonges sa tante et son mari..
Laurent

Laurent et Thérèse : Ralph Vallone et Simone Signoret

Le tempérament
Laurent lui, possède un tempérament sanguin qui fait de lui "une brute humaine", aux pensées lentes et à  l'esprit épais. Il est soumis "à ses instincts, dominés par ses appétits ": il a "des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables".
Cependant sous l'influence de Thérèse "la nature épaisse et sanguine" de Laurent va se transformer. "Elle avait fait pousser dans ce grand corps, gras et mou, un système nerveux d'une sensibilité étonnante."

Son hérédité
 Laurent est un"un vrai fils de paysan d'allure un peu lourde, le dos bombé, les mouvements lents et précis, l'air tranquille et entêté".
C'est son hérédité qui explique sa prudence, son caractère intéressé et calculateur.

Son milieu
Il a d'abord voulu échapper à son milieu en devenant peintre et il cru trouver dans l'art "un métier de paresseux". Son père en lui envoyant des écus pour financer ses études a développé sa paresse naturelle et ses instincts de jouissance. Plus tard le métier d'employé lui convint très bien : il vivait très bien en brute, il aimait cette besogne au jour le jour, qui ne le fatiguait pas mais endormait son esprit.

On voit, au passage, aussi tous les préjugés véhiculés par Zola sur les classes populaires et les femmes africaines!!

Un livre à découvrir!


 Réponse à l'énigme Un livre/un jeu
Le livre : Thérèse Raquin : Emile Zola
Le film : Thérèse Raquin : de Marcel Carné

Aifelle, Asphodèle, Dasola, Dominique, Eeeguab, Keisha, Pierrot Bâton, Syl
Félicitations et merci à tous!

La semaine prochaine, samedi 25 Janvier l'énigme a lieu chez Eeguab.

22 commentaires:

  1. Très beau billet. Je ne soupçonnais pas tous ces aspects (le motif fantastique, le macabre, etc) dans ce qui est quand même une oeuvre de jeunesse. Je lirai ce roman dès que j'aurai fini ma lecture/relecture des Rougon-Macquart.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci! Oui, on ne considère pas Thérèse Raquin comme une oeuvre majeure mais toutes les idées Zola y sont déjà!

      Supprimer
  2. comme la dernière fois avec Hemingway, j'avais trouvé Zola, mais quel roman? je ne les ai pas tous lus, en tout cas pas Thérèse Raquin, à relire

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le style est très caractéristique. En citant le thème de l'adultère, on pouvait être aussi aiguillé vers La Bête Humaine.

      Supprimer
  3. j'avais tout bon pour Zola mais je pensais plutôt à la bête humaine donc autant pour moi
    Je n'ai pas relu T Raquin depuis des lustres

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ce que je disais à Miriam; c'est le roman qui s'en rapproche le plus!

      Supprimer
  4. Je ne suis pas sûre de l'avoir lu, c'est la version cinéma qui s'impose dans mon esprit, mais comme j'ai lu presque tous les Rougon-Macquart (jusqu'à "la terre") je reconnais bien la noirceur de Zola.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, il est tout à fait dans la lignée des Rougon-Macquart.

      Supprimer
  5. Mais quel billet, il a dû te prendre des heures, c'est formidable ! Par contre, je sens le gaz ou le pâté, on m'a oubliée, ouiiin !!! Je vais chouiner toute la soirée, c'est malin !!! Arf, je vous pardonne, ce sont des choses qui arrivent ! Mais que ça ne se reproduise plus ou je vais demander à Wens de ressortir le surin qu'il a soigneusement rangé !!! :D Bises à vous deux, et une de plus au "mordu" !!!^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mes plus plates excuses! je t'ai rajoutée! Le surin de Wens, le mordu ? Ark! mais contre qui?

      Supprimer
  6. Le livre et le film m'ont marqués, j'ai encore les regards accusateurs de la mère de Camille en mémoire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Absolument terrifiant ce regard, aussi bien dans le film de Carné que dans le roman!

      Supprimer
  7. J'adore Zola !! Je n'ai pas encore lu celui-là (et avant de te lire, je n'en connaissais pas l'histoire : bravo) mais ça ne saurait tarder. Je l'ai acheté il y a 10 jours ^^
    Bisouxxx doux et belle journée ¨¨*

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonne lecture! Tu verras l'intrusion du fantastique est assez terrifiant! Ce n'est pas réellement fantastique pour Zola mais plutôt la description clinique d'une maladie nerveuse exacerbée qui entraîne des hallucinations.

      Supprimer
  8. Quel billet ! Ce roman fut ma première lecture de Zola et je n'ai rien oublié. Et il reste mon favori après avoir lu plusieurs volumes des Rougon-Maquart ( pas tous encore )

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi, c'est toujours germinal que je préfère. Mas ma première lecture a été Au bonheur des dames qui paraît plus souriant et optimiste (même s'il y dénonce l'exploitation odieuse des vendeuses d'un grand magasin) quand on ne connaît pas la suite!

      Supprimer
  9. Je ne l'ai pas encore lu, mais je compte le faire cette année, surtout qu'il y a une nouvelle adaptation qui va sortir cette année.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J e ne savais pas pour la nouvelle adaptation. Je vais voir ça avec intérêt.

      Supprimer
  10. Que j'aime tes billets. Ils sont passionnants. Thérèse Raquin est dans ma pal... tu me donnes sacrément envie de le lire!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. merci! Et bien je suis très heureuse de te donner l'envie de le découvrir.

      Supprimer
  11. J'etais contente de lire tous ces details qui me remettent Therese Raqui en memoire. On y reconnait bien toutes les idees de Zola.
    Je crois qu'avec toi je pourrais meme lire des livres que j'ai jure de ne jamais lire... :-)

    RépondreSupprimer
  12. C'est un beau compliment! Je me demande bien quel livre tu as juré de ne jamais lire?

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.