Pages

PAGES

mardi 28 janvier 2014

Mudwoman de Joyce Carol Oates


Mudwoman, le dernier roman de Joyce carol Oates est une grande réussite, un roman puissant et haletant que l'on ne peut lire qu'avec passion.

Mudgirl est une petite fille maltraitée que sa mère, folle, jette dans les marais des Adirondacks. Tandis qu'elle s'enfonce dans la boue, promise à une mort terrible, elle est sauvée par une jeune homme faible d'esprit qui prétend avoir été guidé vers la fillette par le roi des corbeaux. Mudgirl est ensuite placée en famille d'accueil puis adoptée par des quakers qui lui donnent beaucoup d'amour. Mais peut-on guérir d'une telle enfance? Il le semble bien puisque Meredith Neukirchen, brillante philosophe, chercheuse de renom, devient la première femme présidente d'une université prestigieuse malgré le machisme du milieu. Pourtant il va suffire d'un voyage sur les lieux de son enfance pour que le passé resurgisse. Mudgirl n'a jamais cessé d'exister, elle est devenue Mudwoman.

Le personnage de Mudwoman est passionnant, complexe et attachant. Sous cette femme en apparence forte, sous la froideur, se cache un être fragile, naïf, qui croit encore malgré tout à la bonté des hommes, mais aussi très solitaire. Elle doit faire d'immenses efforts pour parvenir à assumer ses fonctions, à avoir des relations avec les autres,  à refouler le passé et l'angoisse qui montent en elle. Elle se fait appeler par ses initiales MR comme si elle voulait se cacher, ne pas s'impliquer en tant qu'être humain, nier sa personnalité, sa féminité aussi. Et d'ailleurs qui est-elle? Elle a porté deux autres noms avant de devenir MR.

Le fait d'adopter son point de vue, par un parti pris de l'auteur, nous pousse à épouser tous ses sentiments, à partager sa tension intérieure, et, en même temps, brouille la narration romanesque dite "normale".
La narration est, en effet, complexe mais très maîtrisée par Oates. L'on passe de la réalité à l'onirisme dans un glissement léger qui ne permet pas d'en saisir les frontières, ce qui est assez rare dans un roman occidental.  En effet, bien souvent le lecteur est dérouté car il ne sait pas si les évènements qui se déroulent sont vrais ou s'ils sont la projection des pensées de Meredith, de ses rêves, de ses cauchemars. Il s'ensuit que nous sommes entraînés avec elle dans une descente aux Enfers, un monde hostile, glacé où survivre demande des efforts. Un monde aussi où l'on perd ses repères, où l'on ne sait plus ce qui est réel ou imaginaire. Un récit haletant.

Les thèmes comme toujours chez cette écrivaine sont nombreux et riches et j'apprécie qu'elle ancre son personnage dans la réalité de l'époque et de son pays, sans que cela paraisse plaqué. Oates présente ses idées politiques généreuses que son personnage partage mais n'est pas libre d'exprimer dans un pays qui se dit pourtant démocrate!

Description du milieu universitaire hostile aux femmes et ostracisme qu'elles subissent au quotidien; il y a peu de temps que les femmes peuvent arriver à un tel poste; guerres intestines entre républicains et démocrates au sein même de l'établissement;  prises de position réactionnaires des républicains qui refusent l'accès de l'université aux boursiers comme ils le refusaient aux juifs, aux noirs et aux femmes il y a peu;  manque de liberté de la présidente d'université qui est soumise au diktat des riches donateurs de l'université et peut à tout moment si elle n'est pas politiquement et socialement "correcte" être destituée. Tout ceci sur fond de conflit menaçant. Nous sommes à la veille de la guerre en Irak, les mensonges politiques troublent les esprits, fomentant la haine et créant une atmosphère délétère, réveillant les actes fascisants.
L'amour, dans ce monde noir, ne semble pas apporter un grand soutien. L'amant "secret" de Mudwoman n'est jamais présent et ne la soutient qu'occasionnellement. Et Mudwoman s'efface devant lui, ne peut laisser cours à ses sentiments : prisonnière? de quoi? de la boue qui n'a jamais cessé de l'étouffer! Elle ne peut répondre entièrement à l'amour de ses parents, peut-être parce que ceux-ci ont essayé de lui faire jouer le rôle de la fillette qu'ils ont perdue avant de l'adopter. Ne lui ont-ils pas donné le nom de leur petite morte? Pourtant l'amour qu'elle porte à son père adoptif et réciproquement donne une lueur d'espoir au dénouement... semble-t-il? Un dénouement qui me paraît pourtant équivoque*.


Un très grand roman au même niveau pour moi que Chutes ou Nous serons les Mulvaney, mes préférés. Un coup de coeur!


* j'aimerais bien discuter du dénouement avec un lecteur du roman. HOU! HOU! il y a quelqu'un?


Lire George ICI

Sylire ICI

Dominique Un avis négatif



23 commentaires:

  1. il est dans ma liste d'envies, j'espère le lire d'ici quelques temps!
    (ps j'ai commencé L'Obèle, j'aime bcp!)
    bonne journée!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mudwoman est décidément un bon roman, à lire absolument! Bonne lecture pour l'Obèle.

      Supprimer
  2. Oui oui, je l'ai lu! (un Oates terminé, il y avait longtemps... ^_^) Oui, la fin est un peu porteuse d'espoir, à mon idée, elle se décide enfin à réagir! (je n'ai plus mon exemplaire, je l'ai donné!)
    Je suis d'accord, Oates choisit cette façon de raconter, c'est bien fait, mais... ça m'énerve! On est trop dans la tête de Mudwoman, et que c'est parfois longuet!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi, ça ne m'énerve pas mais ça m'égare et aussi ça m'angoisse, me fait ressentir une impression d'urgence. Et je trouve que c'est du grand art de la part de l'écrivain de te faire vivre aussi intensément.
      Quand elle va chez son père il me semble qu'elle va mieux, qu'elle a réglé beaucoup de ses problèmes par rapport à sa mère, à son statut de présidente et même avec son amant. Mais... comment comprends-tu la fin, quand elle est agressée et qu'elle fait marche arrière avec sa voiture?

      A partir de là, attention au spoiler si quelqu'un lit ce commentaire : a-t-elle écrasé sciemment, froidement, l'agresseur?

      Supprimer
    2. C'est ce que j'ai compris, en tout cas (j'ai fini le livre hier) ! Pour moi, ça ne relève pas de l'imaginaire (j'ai vu que c'est ainsi que Dominique l'interprète), elle le fait et ça donne à réfléchir sur ce qu'elle est capable de faire "en vrai"...

      Supprimer
  3. je ne suis pas le public qu'il te faut, je l'ai sur ma liseuse et il m'est tombé des mains à deux reprises, je ne suis pas certaine d'essayer une troisième fois

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y a des livres que nous aimons ensemble et d'autres absolument pas! Donc Mudwoman fait parti de ces livres et Oates aussi, en général, non?

      Supprimer
  4. Je ne suis vraiment pas fan d'Oates, mais le thème de celui-ci pourrait me tenter .. on verra.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas fan de Oates? Dommage! Oui, tu verras si tu le lis et tu nous diras mais ce n'est jamais rose dans Oates, pour ne pas dire que c'est noir, noir, noir!

      Supprimer
  5. Bon, tu n'es pas la première que je lis à propos de ce titre pour qui c'est un gros coup de coeur.... Il va décidément me falloir découvrir Oates très prochainement car je n'ai lu d'elle que ses fictions façon dix-neuvième siècle et ce n'est définitivement pas représentatif de son œuvre visiblement !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un écrivain extrêmement prolixe et divers mais j'aime beaucoup ses livres qui sont ancrés dans la réalité actuelle.(Mais les autres aussi remarque!)

      Supprimer
  6. J'aime beaucoup cet auteur, mais j'en ai déjà un dans ma PAL (si on peut dire ça d'un livre qui est dans ma liseuse) et il s'agit des fameux Mulvaney, alors je reste raisonnable, je lirai celui-ci plus tard !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, alors lis les Mulvaney! Tu verras, c'est un excellent livre!

      Supprimer
  7. Je l'ai achevé il y a trois jours. Ne suis pas aussi enthousiaste que toi! j'ai trouvé l'écriture un peu... maniérée. Je 'arrive pas à croire à Mudwoman présidente d'université!
    Mais ses enfances et adolescence et certains de ses rêves me paraissent justes.

    Pour le dénouement : après son agression je ne crois pas du tout à l'accident mortel.
    Je trouve que c'est une bonne chose qu'elle ait retrouvé son père adoptif ( la relation est forte et positive) mais pas qu'elle veuille aller vivre avec l'autre type. ça ne va pas marcher...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Donc tu n'as pas trop aimé à l'inverse de moi!
      Ainsi la fin serait encore une projection de ses pensées; On ne sait jamais trop ce qui est vrai ou pas dans ce roman ; Il me semble que le retour auprès de son père a permis de l'apaiser, elle se sent aimée et comprise. Quant au retour de l'amant "secret" , c'est une situation bien connue : le vieux mari ou amant qui revient se faire soigner auprès de celle qui l'a toujours aimé! Que ce soit juste , ça c'est une autre chose!

      Supprimer
  8. Bonjour Claudialucia, je compte bien lire ce roman mais pas tout de suite, j'en ai tellement d'autres avant mais je l'ai noté car je pense qu'il va me plaire et ton billet fait envie. Bonne journée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'espère que tu aimeras. Oates est un auteur qui ne plaît pas à tout le monde,ce qu'elle écrit est tellement dur et désespéré. C'est aussi un écrivain assez engagé sur la plan politique.

      Supprimer
  9. Je n'ai lu qu'un livre d'Oates : Fille noire, fille blanche. J'avais trouvé cela sombre... mais tu me tentes avec celui-ci.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est toujours sombre chez Oates! Je n'ai pas lu Fille noire Fille blanche. Tu as aimé?

      Supprimer
  10. Je n'ai pas lu cet auteur mais j'ai déjà eu envie. J'ai peur que ça vole un peu trop haut pour moi et de ne pas tout suivre...

    RépondreSupprimer
  11. Mais non, quelle drôle d'idée! Ce n'est pas difficile à lire mais par contre Oates n'est pas réjouissante! Encore qu'il y a encore pire que Mudwoman, la fille tatouée par exemple! Tu pourrais lire Chutes!

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.