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dimanche 1 juin 2014

Maylis de Kerangal : Réparer les vivants



Réparer les vivants :  le titre fait référence à un extrait de Platonov de Tchekhov : Que faire Nicolas? Réparer les vivants et enterrer nos morts. Et le roman de Maylis de Kerangal est bien l'histoire d'une réparation, celle d'une transplantation cardiaque. Il  a obtenu plusieurs prix et des critiques élogieuses voire dithyrambiques de la presse. D'où vient que je ne suis pas arrivée à partager totalement cet enthousiasme collectif?

Certes le roman a des qualités : il nous raconte avec une précision rigoureuse toutes les étapes d'une transplantation cardiaque de la mort accidentelle du jeune surfeur, Simon, à la greffe de la malade qui va recevoir le coeur, Claire. Ce sujet est délicat et pourrait glisser dans le pathos;  les précisions médicales, la chronologie  qui se met en branle à partir du moment où le jeune homme est déclaré en mort cérébrale jusqu'à l'opération chirurgicale, pourrait paraître fastidieuse; il n'en est rien! Maylis de Kerangal sait éviter ces pièges et déroule devant nous 24 heures de cette odyssée médicale en parvenant à nous intéresser. L'auteur a aussi le mérite de poser toutes les questions affectives, religieuses et philosophiques que soulève le don d'organe. Les réactions des parents de Simon, leur réticence, leur hésitation, montrent combien le corps reste étroitement lié à l'âme dans les mentalités, le coeur, en particulier, tenu pour le siège de sentiments.

Là où j'ai un peu achoppé, c'est d'abord sur les personnages; ils n'existent pas vraiment, ils sont des représentants  de l'humanité: les parents, la petite amie, les copains, le médecin, l'infirmier … Ils ne m'ont jamais intéressée en tant qu'être humains. Admettons que ce soit le sujet qui impose cela. L'analyse clinique ne permet pas la vie, l'émotion. Et puis il y a surtout la volonté  de l'écrivain d'écrire non pas au ras du sol, au ras de l'humain, mais au niveau cosmique. Il y a une amplification rendu par le style qui transcende le don des organes et en particulier du coeur pour en faire une Grande Messe, un don religieux. La transplantation se fait épopée, pas étonnant que l'on en arrive au mythe avec la convocation des images du Christ, de la Grèce antique et d'Ulysse.. Un style très travaillé, très esthétique, manquant de simplicité, de silence, de recueillement. Bien sûr, c'est un art maîtrisé, l'écrivaine a du talent dans son domaine… J'admire, mais voilà, cela ne me touche pas parce que, dans le fond, le jeune homme, Simon, il peut mourir, le lecteur n'éprouve rien!

Voir Nadael


Un style qui s'éloigne de l'humain pour prendre une dimension cosmique
La catastrophe s'est propagée sur les éléments, les lieux, les choses, un fléau, comme si tout se conformait à ce qui avait eu lieu ce matin, en arrière des falaises, la camionnette peinturlurée écrasée à pleine vitesse contre le poteau et ce jeune type propulsé tête la première sur le pare-brise, comme si le dehors avait absorbé l'impact de l'accident, en avait englouti les répliques, étouffé les dernières vibrations, comme si l'onde de choc avait diminué d'amplitude, étirée, affaiblie jusqu'à devenir une ligne plate, cette simple ligne qui filait dans l'espace se mêler à toutes les autres, rejoignait les milliards de milliards d'autres lignes qui formaient la violence du monde, cette pelote de tristesse et de ruines, et aussi loin que porte le regard, rien, ni touche de lumière, ni éclat de couleur vive, jaune d'or, rouge carmin, ni chanson échappée d'une fenêtre ouverte, ni odeur de café, parfum de fleurs ou d'épices, rien, pas un enfant aux joues rouges courant après un ballon, pas un cri, pas un seul être vivant pris dans la continuité des jours, occupé aux actes simples, insignifiants, d'un matin d'hiver …. 


Un style épique, l'apparition du mythe
Et les cicatrices en travers de l'abdomen rappellent un coup mortel- la lance au flanc du Christ, le coup d'épée du guerrier, la lame du chevalier. Alors est-ce ce geste de coudre qui a reconduit le chant de l'aède, celui du rhapsode de la Grèce ancienne, est-ce la figure de Simon, sa beauté de jeune homme issu de la vague marine, ses cheveux pleins de sel encore et bouclés comme ceux des compagnons d'Ulysse qui le troublent, est-ce la cicatrice en croix, mais Thomas commence à chanter.


Sylire et Lisa

26 commentaires:

  1. Enfin un avis nuancé parmi le concert d'éloges ! Avec un sujet comme celui-ci, je me serais moi aussi attendue à plus de profondeur dans les sentiments humains et à un récit très touchant. C'est dommage ... Je ne vais plus être aussi pressée de le lire maintenant ( ce qui soulage grandement mon programme lecture, merci Claudialucia ! ^^)

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    1. Oui mais je suis la seule au monde a avoir ressenti cela!

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  2. Je comprends ton point de vue mais j'ai ressenti de l'émotion, j'ai même versé une larme à la fin, juste quand Simon meurt vraiment. J'aime profondément ce roman et cette plume.

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    1. Tu n'es pas la seule à aimer. Les louanges sont unanimes. Moi c'est un style qui ne me permet pas d'entrer dans l'histoire. Je reste extérieure, j'analyse .

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  3. Je l'ai ressentie aussi, cette émotion, et ai été satisfaite qu'elle ne soit pas intensifiée par le texte... et j'ai vraiment beaucoup aimé l'écriture.

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    1. Intensisifié, non! C'est sûr que ce n'est pas le but de l'écrivain.

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  4. je passe, je suis allergique aux hopitaux

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    1. Moi c'est justement l'hôpital qui m'a plu, J'ai été intéressée par les différentes étapes du don d'organe , de l'opération, le côté clinique, documentaire du livre.

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  5. Tu dois être le premier billet un peu nuancé que je lis ; je suis comme Miriam, de toute façon je ne le lirai pas.

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  6. J'aime beaucoup ton billet, bien que nos avis soient différents. Je comprends ce que tu n'as pas aimé dans ce roman. C'est intéressant qu'il y ait des avis divergents.

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    1. Oui, c'est vrai, c'est intéressant et le blogoclub est une manière de confronter des points de vue.

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  7. Manu a un avis encore moins enthousiaste!

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  8. je fais partie de ceux qui ont bcp aimé, mais je comprends tes arguments!
    bonne journée!

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  9. Il ne me tentait déjà pas avant (un sujet bien trop douloureux...) mais après la lecture de ton billet encore moins ;0) Peut-être que justement le sujet est trop dur pour faire une place à l'émotion, ça deviendrait juste insupportable à lire...

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    1. Oui sûrement, la froideur permet de ne pas tomber dans le pathos. Mais ce style me fatigue, si j'ose dire!

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  10. Merci pour le lien vers mon billet. Je suis une inconditionnelle de Maylis de Kerangal, j'aime ses mots, la manière dont elle joue avec. Quant à l'émotion, elle est venue jusqu'à moi... mais je comprends ce qui t'a manqué. Son écriture est singulière, je ne sais pas si "une écriture bleue" se dit... c'est l'impression que j'ai quand je lis cette auteur, il y a une froideur, une dureté, de l'analyse, de la décortication, une rigueur... en tout cas en surface. A priori pas très chaleureux...

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    1. Original cette manière de donner des couleurs au style ! je suis d'accord avec toi mais il y autre chose qui ne me plaît pas et c'est un côté artificiel, trop pose, un manque de simplicité.

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  11. Je lis beaucoup de critiques très louangeuses sur ce roman, mais je ne suis pas sûre d'avoir très envie de le lire... Peut-être trop tôt pour moi. Il faudra attendre, en fait.
    Bonne journée.

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  12. J’ai tellement entendu parler de ce livre, notamment chez Nadael. Un sujet bien délicat… Les sentiments son survolés, si je comprends bien. Il t’a déçu. Merci de m’avoir mieux éclairée…
    Bonne journée (en passant, c’est ensemble, avec Malika, qu’on lira « Quand nous étions orphelins », en septembre) :-)

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    1. Oui,Nadale est enthousiaste! d'accord pour septembre mais si vous préférez Juin, je peux être des vôtres à partir du 16 Juin.

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  13. Il est vrai que j'en ai beaucoup entendu parler et que je comptais le lire un jour ou l'autre, ne serait-ce que pour connaître l'auteure.

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  14. Tout comme toi, l'écriture trop travaillée de l'auteure m'a laissée sur le quai et je n'ai pas été touchée.

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