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jeudi 4 septembre 2014

David Vann : Dernier jour sur terre



David Vann ne fait jamais dans la guimauve! C'est le moins que l'on puisse dire! J'en étais restée à ses Désolations, livre qui m'avait pas mal secouée  et le voilà qui récidive avec une biographie  qui porte le titre bien approprié d'une chanson de Marylin Manson  : Dernier jour sur la terre ou Last day of summer.
Vous jugerez du livre d'après l'incipit qui donne le ton : Après le suicide de mon père, j'ai hérité de toutes ses armes à feu. j'avais treize ans". Cela fait froid dans le dos, non? et ce qui suit encore bien plus!
Car le petit David Vann traumatisé par le suicide du papa décaroche pas mal. Il s'amuse à tirer sur les lampadaires du lotissement  voisin. Il lui arrive même de viser le voisin avec la Magnum 300. Qu'est qui le retient d'appuyer sur la gâchette? Pourquoi a-t-il été échappé à l'irrémédiable et qu'est-ce qui a poussé, au contraire, Steve Kazmierczak, un jeune homme de 27 ans à aller jusqu'au bout, à devenir ce tueur de masse qui tire sur des étudiants de North lllinois University le 14 février 2008?
David Vann mène une enquête approfondie en étudiant les archives transmises par la police, le courrier de Steve et de ses ami(e)s, mais aussi en rencontrant les  professeurs et les familiers de Steve, tous persuadés que celui-ci était un homme intelligent, gentil, incapable de commettre un tel meurtre. Et pourtant, l'enquête de Vann dévoilera les zones obscures du tueur, les haines racistes qui le rongeaient, les angoisses qui l'étouffaient, les Tocs dont il souffrait et sa maladie mentale qui n'a cessé de s'aggraver d'année en année.

Hungry Horse : petite ville du Montana : de Pieter Ten Hoopen (Rencontres d'Arles 2014)
Si David Vann s'intéresse à ce cas, ce n'est pas pour la recherche du sensationnel ou par morbidité. C'est pour jeter un cri d'alarme, pour dénoncer les dysfonctionnements et les aberrations des lois américaines qui permettent à chaque citoyen de s'armer. Il met en cause les mentalités  d'une grande majorité des américains prêts à entrer en guerre si l'on menace de limiter le port d'armes et la responsabilité des parents qui forment leurs enfants aux armes à feu dès leur plus tendre enfance. David Vann a appris à tirer dès sept ans et a eu son premier vrai fusil à l'âge de neuf ans.  Steve est lui aussi initié très jeune et, en cachant sa maladie, il peut se procurer librement toutes les armes et les munitions qu'il souhaite..

"Après la fusillade de NIU, le pouvoir législatif tenta de faire passer une loi qui aurait pu limiter l'achat d'armes à poing à un pistolet par mois, ce qui impliquait tout de même qu'une personne pouvait se procurer douze armes pas an, et même cela n'a pas été voté.. Chaque fois que je roule dans Champaign pour interviewer Jessica, je vois des panneaux en bordure de route qui affirment : les armes sauvent des vies. Si ça ce n'est pas de la manipulation, qu'est-ce qu'on entend alors par "manipulation"?

Pèse aussi dans la balance la maladie mal soignée, la bipolarité de Steve encore accentuée par l'abus des médicaments, par l'impuissance des parents,  par le rejet des autres face à l'étrangeté ou la bizarrerie. Les structures qui sont censées encadrer ces malades mentaux ne sont pas la hauteur et finissent, après les avoir abrutis de médicaments, par les laisser partir sans soin dans la nature! Son passage dans l'armée aggrave encore son état!
Les idéologies de la haine que ce soit celle du nazisme ou du Ku Kux Klank ainsi que les films violents qui aboutissent à une insensibilité et à une accoutumance au Mal jouent aussi un grand rôle  dans la dérive du tueur de masse. On sait que Steve Kazmierczak y était accro!  L'on peut y ajouter ce que David Vann appelle "la honte sexuelle", une homosexualité mal vécue ou un viol dès l'enfance qui génère un comportement déviant. Tous ces facteurs semblent avoir pesé sur Steve et l'ont transformé en monstre.

Mais on ne naît pas "tueur de masse", on le devient et il faut des années pour en arriver à ce point de non retour.  Il est beaucoup plus facile de dire que Steve Kazmierczak était un monstre et que l'on ne pouvait rien faire pour l'éviter. Cela évite de poser les responsabilités. Pourtant Steve a essayé de se suicider à maintes reprises. C'est ce que rappelle David Vann et son livre résonne comme un cri d'alarme un peu désespéré, un avertissement qui semble bien ne pas avoir beaucoup d'échos dans son pays. Un livre marquant.

Il s'avère que je n'ai pas tant de points communs avec Steve. Je ne partage ni son racisme, ni son libertarisme, ni son amour des films d'horreur, sa fascination pour les tueurs en série, le service militaire, la sexualité ambivalente, les rencontres obsessionnelles sur le Net, les prostituées, les médicaments, le passé psychologique troublé, les amis dealers, la mère dérangée, l'intérêt pour les maisons d'arrêt, etc. Mais j'ai hérité  des armes paternelles à treize ans, à l'époque où je débordais d'hormones, où le monde n'avait plus aucune importance à mes yeux depuis que mon père avait porté son arme à sa tête. Je n'avais rien à perdre. Et j'avais été le témoin de beaucoup de violence.



Lire pour en savoir plus l'interview donné au Nouvel Obs par David Vann : "Les américains sont trop débiles..."



Merci à la Librairie dialogues et aux éditions Gallmeister 

Chez Titine


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32 commentaires:

  1. Que dire? Pour nous qui avons vecu 23 ans aux US nous retrouvons nombres de facteurs bien connus. Le port d'armes est de nouveau autorise en AZ... l'Amerique marche a reculons en ce moment... Que dire?

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    1. David Vann est effrondré; il l'explique dans son interview. j'ai bien peur que ce soit une lutte sans espoir!.

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  2. Lecture tres interessante de l'interview de David Vann. Que de realites enoncees mais on sent qu'il est meurtri... et il y a de quoi bien sur. On pourrait en discuter pendant des heures... peut-etre un jour.

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    1. Oui, il ne vit plus aux Etats-Unis d'après ce qu'on nous dit. Pourvu que nous n'arrivions jamais à cela chez nous!

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  3. J'ai lu deux trucs de l'auteur, je crois... et je suis sortie complètement à plat. C'était bien.. mais sérieux, ça me suffit!

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    1. "complètement à plat" l'expression est juste! mais c'est la preuve que c'est un bon écrivain!!

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  4. Ah tu présentes ce livre de façon for tentante, je croyais que c'était un roman.

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    1. Non, ce n'est pas un roman; c'est une enquête sur un fait réel, donc, mais le talent de David Vann fait vivre les personnages.

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  5. toutes ces armes, quelle horreur!

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  6. Ton billet fait froid dans le dos. Une lecture que j'imagine très dure émotionnellement mais c'est tellement nécessaire d'en parler pour faire connaître au plus grand nombre cette réalité aussi atroce soit-elle.

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    1. Oui, je trouve qu'il faut du courage pour en parler et... pour le lire! Ne pas se voiler la face devant la violence, la dénoncer pour la faire reculer! L'interview de David Vann est édifiant à ce sujet.

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  7. Un auteur que je ne peux pas lire, après la lecture de son premier roman j'en suis restée là, je ne supporte pas de genre de récit tous calés sur ce qu'il y a de plus sordide
    bref je n'y arrive pas

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  8. Je n'ai pas réussi à franchir le pas pour lire ses romans ; curieusement un document comme celui-ci me paraît plus abordable. Peut-être parce que j'ai déjà lu sur le sujet et que c'est moins fort émotionnellement qu'un roman. En tout cas c'est l'idée que je m'en fais.

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    1. Je te comprends, c'est dur! Mais j'ai mis le livre en voyageur parce que la lutte de Van Dann est importante et il se retrouve bien isolée dans son pays (qu'il a quitté, d'ailleurs!).

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  9. Bravo pour l'illustration tirée des rencontres d'Arles ! Je suis en pleine digestion de Sukkvan Island lu la semaine dernière après avoir longtemps freiné des quatre fers... J'essayerai de mettre mes idées en ordre pour en parler... mais tout le monde le connaît. Ce document m'intéresse, en tout cas.

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    1. Quand j'ai vu cette expo aux Rencontres, j'ai tout de suite pensé à ce livre de David Vann que je venais de lire. je n'ai pas encore lu Sukwan Island mais il va falloir!

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  10. Ton billet est très intéressant mais je ne suis pas sûre d'avoir envie de me plonger dans un tel livre. D'ailleurs, je n'ai pas réussi à déterminer si c'est un roman ou un essai ?

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    1. Une enquête sur une histoire vrai , rien de fictionnel. L'intérêt du livre, ce n'est pas d'éveiller le voyeurisme et ou la morbidité, c'est d'abord de comprendre ce phénomène du tueur de masse, voir comment il se construit, et lutter contre cette violence.
      David Vann lutte contre l'idée de la majorité des américains qui ne veulent pas se remettre en cause; ils pensent que ces tueurs sont des monstres et que l'on ne peut rien faire pour éviter cela. David Vann pense le contraire, on ne naît pas tueur, on le devient. Le tueur de masse est le produit de la société, d'où l'analyse sérieuse, fouillée, passionnante et atterrante à la fois, qu'il nous livre. Il a été très mal accueilli aux Etats-Unis car les américains refusent leur responsabilité et refusent de voter des lois contre les armes à feu.

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    2. Tu résumes tellement bien sa thèse que je pense me passer de le lire lol !

      PS : je t'ai répondu sur mes préférences en matière de Joyce Carol Oates.

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    3. Tu veux dire que j'en ai trop dit! Mais l'enquête qu'il mène ne se résume pas à des faits et c'est la rencontre avec les gens qui est passionnante.
      Je viens lire ce que tu as écrit sur Oates.

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  11. Bonsoir Claudialucia, désolé mais ayant détesté Sukkwan Island, je ne tiens pas à continuer à lire d'autre livre de David Vann, celui-ci compris. Bonne soirée.

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    1. Décidément, il n'a pas de chance ce pauvre David Vann. Tant pis!

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  12. Je garde un souvenir éprouvant de ma lecture de " Désolations ", j'avoue que je vais en rester là même si ton billet est très intéressant.

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    1. Oui, c'est éprouvant car il regarde la vérité en face et la dénonce; Mais c'est passionnant.

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  13. Je suis une grande admiratrice de David Vann, Sukkwan Island et Impurs sont selon moi de très grands romans. Goat Mountain son dernier roman, m'attend déjà sur ma table de chevet d'ailleurs.
    Dernier jour sur terre est sûrement passionnant mais c'est bien dommage de ne pas avoir choisi la forme du roman pour traiter ce fait divers.

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  14. En fait, je n'en ai lu que deux mais j'aime beaucoup David Vann aussi. Il faudra que je continue à le lire. Dernier jour sur terre est une enquête qu'il a faite à la demande de son éditeur mais ce n'est pas plus mal. Il voulait traquer les faits réels et la réalité, de toutes façons, dépasse la fiction et est encore plus terrifiante.

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  15. J'avais lu Sukkwan Island, je n'avais pas aimé plus que ça (trop noir, trop glauque) mais maintenant que je connais l'histoire de l'auteur je comprends bien mieux et le sujet et la noirceur. C'est tout à son honneur d'essayer d'ouvrir les consciences (mais il en faudrait plus que ça je crois bien) au sujet de ce sur-armement des concitoyens américains. Ce que j'ai lu dans ton billet est encore pire que ce je pensais, quand on voit que l'auteur a appris à tiré à 7 ans, c'est difficilement compréhensible... C'est vraiment un thème qui me tient à coeur mais je n'ai pas le courage de m'y lancer en ce moment... J'ai répondu à ta question sur mon blog sur un billet hier ; la cause du rejet de mon Petitdernier est aberrante ; suite à son agression par quatre gamins dans la cour, les élèves de l'école n'avait pas compris qu'il en parle à moi et à son instit, il aurait du souffrir en silence et ne rien dire.... Enfin j'explique ça mieux chez moi, et encore plus dans le premier billet où je parle de ça, celui qui s'intitule "désillusion". En tout cas un grand merci à toi ClaudiaLucia pour ton soutien... ça fait toujours chaud au coeur de voir que l'on ai compris et entendu (ce qui n'est pas le cas avec son école) Bises

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    1. Oui, il en faudrait plus que ça! D'ailleurs il est venu s'installer en Europe, tellement rebutée par cette violence.
      Quant à ton petit garçon, je suis très sensible à ce genre de harcèlement qui risque de blesser si profondément un enfant. La violence peut aussi prendre les formes que tu nous as décrites et faire énormément de mal.

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  16. que l'on es compris ;0)

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    1. Ah! ces fautes d'orthographe qu'on laisse passer (et que l'on ne voit que trop tard!). J'en ai fait une belle chez toi et impossible de la corriger. Ca fait mal!

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