L'invincible Armada |
La légende des siècles, recueil de poèmes écrit par Victor Hugo pendant son exil à Guernesey entre 1855 et 1876, a pour dessein ambitieux de raconter l’histoire de l’humanité de son origine à l’époque moderne et de montrer l’évolution positive de l’homme. Celui-ci, en effet, proche de la bête va se transformer pour accéder au statut d’homme en accédant aux divers degrés de la conscience dans une marche constante vers le Bien. Seule la bonté nous dit Victor Hugo peut sauver l’humanité et la faire parvenir en pleine lumière, dans le rayonnement de la liberté.
Cette évolution pourrait être symbolisée par deux poèmes, l’un au début de La légende du Siècle La Conscience qui voit Caïn après le meurtre de son frère Abel poursuivi par l’oeil de la Conscience sans pouvoir lui échapper.
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.
et Les Pauvres gens, à la fin, où un pêcheur et sa femme accueillent dans leur maison deux enfants orphelins.
Diable ! diable ! dit-il, en se grattant la tête,
Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.
Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait
De souper quelquefois. Comment allons-nous faire ?
Victor Hugo s’appuie sur les textes fondateurs comme la Bible, le Coran, la mythologie antique, les chansons de geste du Moyen-âge… Il ne veut pas faire oeuvre d’historien mais de visionnaire.
Bien entendu j’avais très envie de choisir Les pauvres gens parce que comme tous les élèves (qui ont mon âge actuellement), je l’ai étudié à l’école et je le connais toujours par coeur ou presque! Mais je me suis dit qu’il fallait que j’innove en choisissant une poésie moins connue (peut-être, encore que…!) ; Voici donc un extrait de La rose de l’infante
Dans ce long poème Victor Hugo médite sur la destruction de la flotte espagnole envoyée par Philippe II pour envahir l’Angleterre : L’invincible Armada fut dispersée par une tempête qui assura la victoire des anglais.
Victor Hugo veut montrer que la monarchie absolue est un frein au progrès de l’Humanité mais peut être détruite par le souffle de Dieu.
La rose de l'infante
Diego Vélasquez : L'infante Marguerite |
Il peint d’abord l’infante, une charmante enfant dans un jardin riant :
Elle est toute petite ; une duègne la garde.
Elle tient à la main une rose et regarde.
Quoi ? que regarde-t-elle ? Elle ne sait pas. L'eau ;
Un bassin qu'assombrit le pin et le bouleau ;
Ce qu'elle a devant elle ; un cygne aux ailes blanches,
Le bercement des flots sous la chanson des branches,
Et le profond jardin rayonnant et fleuri.
Tout ce bel ange a l'air dans la neige pétri.
On voit un grand palais comme au fond d'une gloire,
Un parc, de clairs viviers où les biches vont boire,
Et des paons étoilés sous les bois chevelus.
L'innocence est sur elle une blancheur de plus ;
Toutes ses grâces font comme un faisceau qui tremble.
Autour de cette enfant l'herbe est splendide et semble
Pleine de vrais rubis et de diamants fins ;
Un jet de saphirs sort des bouches des dauphins.
Elle se tient au bord de l'eau ; sa fleur l'occupe ;
Sa basquine est en point de Gênes ; sur sa jupe
Une arabesque, errant dans les plis du satin,
Suit les mille détours d'un fil d'or florentin.
La rose épanouie et toute grande ouverte,
Sortant du frais bouton comme d'une urne verte,
Charge la petitesse exquise de sa main ;
Quand l'enfant, allongeant ses lèvres de carmin,
Fronce, en la respirant, sa riante narine,
La magnifique fleur, royale et purpurine,
Cache plus qu'à demi ce visage charmant
Si bien que l'oeil hésite, et qu'on ne sait comment
Distinguer de la fleur ce bel enfant qui joue,
Et si l'on voit la rose ou si l'on voit la joue.
Ses yeux bleus sont plus beaux sous son pur sourcil brun.
En elle tout est joie, enchantement, parfum ;
Quel doux regard, l'azur ! et quel doux nom, Marie !
Tout est rayon ; son oeil éclaire et son nom prie.
Pourtant, devant la vie et sous le firmament,
Pauvre être ! elle se sent très grande vaguement ;
Elle assiste au printemps, à la lumière, à l'ombre,
Au grand soleil couchant horizontal et sombre,
A la magnificence éclatante du soir,
Aux ruisseaux murmurants qu'on entend sans les voir,
Aux champs, à la nature éternelle et sereine,
Avec la gravité d'une petite reine ;
Elle n'a jamais vu l'homme que se courbant ;
Un jour, elle sera duchesse de Brabant ;
Elle gouvernera la Flandre ou la Sardaigne.
Elle est l'infante, elle a cinq ans, elle dédaigne.
Car les enfants des rois sont ainsi ; leurs fronts blancs
Portent un cercle d'ombre, et leurs pas chancelants
Sont des commencements de règne. Elle respire
Sa fleur en attendant qu'on lui cueille un empire ;
Et son regard, déjà royal, dit : C'est à moi.
Il sort d'elle un amour mêlé d'un vague effroi.
Si quelqu'un, la voyant si tremblante et si frêle,
Fût-ce pour la sauver, mettait la main sur elle,
Avant qu'il eût pu faire un pas ou dire un mot,
Il aurait sur le front l'ombre de l'échafaud.
Il décrit ensuite par contraste la figure lugubre du souverain Philippe « morne en son noir pourpoint, la toison d’or au cou » et la puissance de sa flotte, «sur quatre cents vaisseaux quatre-vingt mille épées ».
Giacomo Antonio Moro : Philippe II d'Espagne |
Mais Victor Hugo se garde bien de décrire la fin de l’Invincible Armada. Il va procéder par une métaphore, celle du bassin balayé par le vent. Ainsi nous retournons à la petite infante qui va avoir la preuve des limites du pouvoir royal.
Pierre-Joseph Redouté, Rosa Xcentifolia (rosier cent-feuilles) |
Cependant, sur le bord du bassin, en silence,
L'infante tient toujours sa rose gravement,
Et, doux ange aux yeux bleus, la baise par moment.
Soudain un souffle d'air, une de ces haleines
Que le soir frémissant jette à travers les plaines,
Tumultueux zéphyr effleurant l'horizon,
Trouble l'eau, fait frémir les joncs, met un frisson
Dans les lointains massifs de myrte et d'asphodèle,
Vient jusqu'au bel enfant tranquille, et, d'un coup d'aile,
Rapide, et secouant même l'arbre voisin,
Effeuille brusquement la fleur dans le bassin.
Et l'infante n'a plus dans la main qu'une épine.
Elle se penche, et voit sur l'eau cette ruine ;
Elle ne comprend pas ; qu'est-ce donc ? Elle a peur ;
Et la voilà qui cherche au ciel avec stupeur
Cette brise qui n'a pas craint de lui déplaire.
Que faire ? le bassin semble plein de colère ;
Lui, si clair tout à l'heure, il est noir maintenant ;
Il a des vagues ; c'est une mer bouillonnant ;
Toute la pauvre rose est éparse sur l'onde ;
Ses cent feuilles, que noie et roule l'eau profonde,
Tournoyant, naufrageant, s'en vont de tous côtés
Sur mille petits flots par la brise irrités ;
On croit voir dans un gouffre une flotte qui sombre.
" Madame, dit la duègne avec sa face d'ombre
A la petite fille étonnée et rêvant,
Tout sur terre appartient aux princes, hors le vent. "
L'infante tient toujours sa rose gravement,
Et, doux ange aux yeux bleus, la baise par moment.
Soudain un souffle d'air, une de ces haleines
Que le soir frémissant jette à travers les plaines,
Tumultueux zéphyr effleurant l'horizon,
Trouble l'eau, fait frémir les joncs, met un frisson
Dans les lointains massifs de myrte et d'asphodèle,
Vient jusqu'au bel enfant tranquille, et, d'un coup d'aile,
Rapide, et secouant même l'arbre voisin,
Effeuille brusquement la fleur dans le bassin.
Et l'infante n'a plus dans la main qu'une épine.
Elle se penche, et voit sur l'eau cette ruine ;
Elle ne comprend pas ; qu'est-ce donc ? Elle a peur ;
Et la voilà qui cherche au ciel avec stupeur
Cette brise qui n'a pas craint de lui déplaire.
Que faire ? le bassin semble plein de colère ;
Lui, si clair tout à l'heure, il est noir maintenant ;
Il a des vagues ; c'est une mer bouillonnant ;
Toute la pauvre rose est éparse sur l'onde ;
Ses cent feuilles, que noie et roule l'eau profonde,
Tournoyant, naufrageant, s'en vont de tous côtés
Sur mille petits flots par la brise irrités ;
On croit voir dans un gouffre une flotte qui sombre.
" Madame, dit la duègne avec sa face d'ombre
A la petite fille étonnée et rêvant,
Tout sur terre appartient aux princes, hors le vent. "
Cette LC est partagée avec : Laure, Une comète, Margotte, Océane.
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On a beau dire,Victor, c'est du solide. Bon voyage à Stockholm où, à trois mois près, j'aurais pu vous croiser. Ce sera pour moi aux tous premiers jours de cet automne.
RépondreSupprimerTu as bien raison, c'est du solide! Automne? Ce sera un tout autre Stockholm que celui que j'ai vu! Beaucoup de charme aussi : j'imagine les parcs et les beaux arbres aux couleurs flamboyantes. Mais il fera nuit tôt!
SupprimerComme Eeguab je me dit que l'on a beau brocarder Hugo il reste qu'il est un maitre de la langue le plus souvent
RépondreSupprimerJe connais par coeur comme toi bon nombre de ses poèmes dont de longs passages de la Légende : Aymerie de Narbonne Comte Palatin......mais je connaissais très mal cette infante et c'est une jolie découverte
Bon voyage par avance
Oui, on a tort de ne pas faire assez étudier Hugo! C'est vrai qu'il reste un maître de la langue!
SupprimerAaaah cette histoire de Cain, j'ai appris cela par coeur quand j'étaie en cinquième. Toute une époque. Le début de la petite infante, aussi, très connu. Hugo fait partie des meubles!
RépondreSupprimerJe confirme qu'en théâtre ça tient la route, j'ai vu Lucrèce Borgia cette année, très fort!
Je suis d'accord; Au théâtre cela tient la route mais à condition que ce soit brillant au niveau des acteurs!
SupprimerSuperbe poème ! Il vient en écho avec l'expo Velázquez, que je suis retournée voir récemment. J'ai posté ma participation, avec Booz Endormi : http://danslessouliersdoceane.hautetfort.com/archive/2015/06/09/booz-endormi-5637206.html
RépondreSupprimerBonne fin de semaine à toi !
Je ne crois pas être venue te voir. Mon voyage à Stockholm m'a déboussolée; je répare cette erreur.
SupprimerC'est aussi l'un des poèmes de La légende des siècle qui m'a le plus marqué.
RépondreSupprimerL'infante? Moi cela reste Les pauvres gens et Caïn m'avait impressionnée!
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