Pages

PAGES

jeudi 4 février 2016

Fiodor Dostoievsky : Le rêve d’un homme ridicule




Le rêve d’un homme ridicule est une toute petite nouvelle, écrite tardivement, que les inconditionnels de Dostoievsky adorent parce qu’elle contient tous les thèmes chers à l’écrivain développés dans ces grands romans. J’ai lu et étudié Dostoievsky quant j’étais à l’université et je me souviens de mon admiration pour ses oeuvres et pour l’Idiot en particulier. Lointains souvenirs que j’ai ranimés dernièrement par la lecture de Le double, Les nuits blanches et Souvenirs de la maison des morts, dernier lu que j’ai beaucoup apprécié. Et pourtant je n’ai pas aimé Le Rêve de l’homme ridicule.

Le récit

Fiodor Dostoievsky : Tombe du cimetière à Saint Pétersbourg

Le héros de ce livre a toujours été ridicule. Dès l’enfance, il a suscité les moqueries de ses semblables, à tel point que le voilà, adulte, dégoûté de la vie car « tout lui est égal ». Il décide de se suicider et achète un pistolet qu’il tient en réserve pour le jour J.  Enfin, celui-ci arrive. L’homme ridicule rentre chez lui pour mettre son projet en exécution. En chemin, il rencontre une petite fille pauvre et désespérée, qui lui demande de l’aide pour sa mère malade. Notre héros la chasse et rentre chez lui. Mais au moment de se tuer, le souvenir de la fillette revient l’obséder, le remplit de honte et de pitié. Le jeune homme s’endort et fait un rêve. Il arrive sur une planète semblable à la Terre qui semble être le paradis, dans une société ou tout le monde s’aime et connaît le bonheur. Hélas! le héros va introduire le mal dans cet Eden et le corrompre. Quand il le quitte, le malheur, la jalousie, la violence règnent dans ce paradis perdu. Mais l’homme ridicule a découvert la Vérité et va se mettre à prêcher et la révéler à ses semblables pour que notre monde devienne meilleur.

Une belle écriture

 D’abord, notons-le, Fiodor Dostoievsky, c’est toujours une belle écriture à laquelle il est difficile de résister. Les quelques pages, par exemple, qui racontent la rencontre de l’homme ridicule avec la petite fille, dans cette nuit « lugubre » où tout ce qui l’entoure paraît animé d’une grande hostilité à l’encontre du personnage, sont celles d’un grand écrivain et elles fascinent.

Il avait plu toute la journée, et c'était une pluie froide, et la plus lugubre, une pluie, même, qui était comme féroce, je me souviens de ça, pleine d'une hostilité flagrante envers les gens, et là, d'un coup, vers onze heures du soir, la pluie s'est arrêtée, et une humidité terrible a commencé, c'était encore plus humide et plus froid que pendant la pluie, et une espèce de vapeur remontait de tout ça, de chaque pierre dans la rue et de chaque ruelle, si l'on plongeait ses yeux dedans, au plus profond, le plus loin possible, depuis la rue. D'un coup, j'ai eu l'idée que si le gaz s'était éteint partout ç'aurait été plus gai, que le gaz rendait le coeur plus triste, parce qu'il éclairait tout. (…)
Quand j'ai eu cette idée sur le gaz, dans la rue, j'ai regardé le ciel. Le ciel était terriblement obscur, mais on pouvait nettement distinguer les nuages, avec, entre eux, des taches noires insondables. Tout à coup, dans une de ces taches noires, j'ai remarqué une toute petite étoile, et je me suis mis à la regarder fixement. C'était parce que cette toute petite étoile m'avait donné une idée : j'ai décidé de me tuer cette nuit-là.

Une réflexion Philosophique

Ce récit nous entraîne avec Dostoievsky vers une réflexion philosophique qui s’empare du personnage au moment où il sort son revolver pour mettre fin à ses jours.

La détestation de soi attisée par les moqueries de son entourage l’a conduit à considérer que tout était égal. Alors pourquoi la pitié et la honte qu’il a ressenties en refusant d’aider la fillette le détournent-il du suicide? Tout ne lui serait donc pas égal!  C’est une première constatation.

D’autre part, le monde existe-t-il en dehors de la conscience?
S’il se tue « le monde entier, à peine ma conscience sera éteinte, s’éteindra tout de suite comme un spectre, un attribut de ma seule conscience… ». Le monde n’existe pas en dehors de lui. Ce sentiment de honte et de pitié disparaîtra donc avec lui. Alors pourquoi s’en soucier? Mais le fait est qu’il s’en soucie. C’est la seconde constatation.

C’est donc un sentiment de pitié ressenti sous la forme d’une douleur qui peut le ramener à la conscience de sa propre existence - tout ne m’est pas égal-  c’est la honte éprouvée pour un acte méprisable qui fait que le monde redevient signifiant - je ne peux mourir sans avoir résolu ce dilemme-.

Ainsi l’on peut déjà entrevoir ce que sera la conclusion de la nouvelle. Ne serait-ce pas l’amour d’autrui qui donnerait du sens à la vie? C’est ce que son rêve va lui permettre de comprendre : seul l’amour peut sauver l’humanité. Ce message, il est vrai qu’il se retrouve dans toute l’oeuvre de Dostoievsky. L’homme ridicule deviendra donc prêcheur pour porter la parole du Christ : « aimez-vous les uns, les autres » « Aime ton prochain comme toi même ». S’il est toujours ridicule, c’est que l’humanité n’est pas prête à recevoir ce message.

  Une réflexion métaphysique

Mais c’est avec l’utopie que cela s’est gâché pour moi. Avant d’en arriver au message « aime ton prochain comme toi-même » l’écrivain fait revivre dans son Utopie, le mythe de l’Eden, celui de la bonté originelle de l’homme liée à son ignorance primitive qui le détourne du mal.
" Oh! tout de suite, dès que je vis leur visage, je compris tout, oui tout! C’était une terre qui n’était pas encore souillée par le péché originel, n’y vivaient que des hommes qui n’avaient pas encore péché, ils vivaient dans un paradis semblable à celui dans lesquels avaient vécu, d’après toutes les légendes de l’humanité, nos ancêtres pécheurs, avec cette différence qu’ici, la terre était partout  un seul et même paradis! "
Dans cette utopie, effectivement les hommes ne connaissent pas « cette sensualité cruelle qui touche presque tout le monde sur notre terre »  mais  « il y avait de l’amour et des enfants naissaient ». Voilà qui est vite expédié! On se demande bien si les femmes y sont pour quelque chose.

Comme dans la Bible, c’est la découverte de la sensualité qui met fin au bonheur des humains. Il  est à noter que cette fois-ci ce n’est pas une femme qui en responsable mais un homme. De plus, l’accès à la connaissance et à la science, entraîne le malheur. Si l’on ne peut qu'être d’accord avec le message d’amour délivré par la nouvelle, par contre cette seconde partie qui reprend le thème de la chute liée au péché, souillure que l’homme doit effacer pour atteindre la rédemption ne me touche pas du tout. Et pourtant elle est au centre de l’oeuvre de l’écrivain marqué par le christianisme. Je ne peux adhérer à l'idée de la bonté originelle de l'homme, je ne peux penser que la connaissance lui est néfaste. Je vois la science comme un progrès, et non comme un obstacle au bonheur. Et dans tous les cas, je pense que l'être humain a le droit d'accéder à la connaissance même si celle-ci introduit doute et tourment. Je suis donc à des années lumière des croyances métaphysiques de Dostoievsky.

L'Idiot

Le prince Muichkine dans l'Idiot : Gérard Philippe

  Alors pourquoi ai-je tant aimé L'Idiot? C'est que dans les grands romans de Dostoievsky, les personnages sont des êtres de chair et d'os.  Le personnage de l'idiot, le prince Muichkine, incapable de faire le mal, à l'égal du Christ, est le frère de l'homme ridicule. Il représente la bonté originelle mais que peut-il, face à la société corrompue, sinon chercher à rendre ceux qui l'entourent meilleurs? C'est un personnage complexe, attachant avec ses souffrances, ses peurs et ses doutes, c'est un être vivant et non une idée abstraite. Tout le contraire du personnage de la nouvelle. S'il est le Christ, il est plus Homme que Dieu. On se sent proche de lui et c'est ce que j'aime.  De plus, le  roman est abordable par tous ses aspects, métaphysique, réaliste, politique et social, et l'écrivain ne s'en tient pas qu'à un seul thème. Il foisonne d'idées. Et c’est pourquoi, pour en revenir à la nouvelle Le rêve de l'homme ridicule, je n’ai pas aimé cette seconde partie trop démonstrative malgré les qualités littéraires évidentes.


8 commentaires:

  1. ah tu n'as pas beaucoup aimé ? j'en garde un souvenir très très fort mais il faut dire que je l'ai vu au théâtre et non pas lu, je crois que c'est très différent, en plus l'acteur Gérard Guillaumat était magnifique
    C'est un grand souvenir de Théâtre pour moi
    Il est vrai que Dostoïevski n'est pas toujours très sympathique avec ses opinions entachées d'antisémitisme de son temps, de parfois une religiosité pleurnicharde qui agace et qui énervait beaucoup Nabokov ou aujourd'hui Dominique Fernandez, je fait l'impasse là dessus pour tout le reste
    As tu lu l'éternel mari ? c'est excellent

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, j'ai lu une critique sur la pièce et j'ai l'impression que, au théâtre, c'était particulièrement réussi. Là, j'ai fait comme Nabokov, la religiosité de l'utopie m'a gonflée! Et puis il avait déjà tout dit avec L'idiot! Alors pourquoi se répéter dans une nouvelle qui ne permet pas de développer le thème et donc d'être au niveau du roman. Mais il y a de nombreux lecteurs qui aiment cette oeuvre.

      Supprimer
    2. Dostoïevski courrait en permanence après l'argent, ceci explique peut être cela

      Supprimer
    3. C'est vrai, il a toujours manquer d'argent! Mais je ne me permettrai pas de dire que c'est alimentaire!

      Supprimer
  2. Je te rassure, je n'ai pas beaucoup aimé non plus. Et pourtant Dostoïevski est un de mes écrivains préférés. Sans doute pour les mêmes raisons que toi: il y manque des êtres de chair et de sang, une véritable incarnation (avec tous les sens que ce mot peut avoir chez cet auteur).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ouf! cela me rassure! Oui, tout à fait d'accord. On reste vraiment sur sa faim.

      Supprimer
  3. Jamais lu ce récit, il faut que je le trouve et je reviendrai lire ton billet d'un autre oeil.
    Comme toi, j'aime beaucoup "L'Idiot". Quand j'étais en rhétorique, une compagne de classe avait déjà choisi "Crime et châtiment" pour son exposé sur la littérature étrangère, et comme j'avais fort envie de lire Dostoïevski tout de même, mon professeur m'a suggéré "L'Idiot".

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'idiot,effectivement, c'est un grand livre! Je peux t'envoyer l'homme ridicule.

      Supprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.