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mardi 1 mars 2016

Irène Némirovsky : Les chiens et les loups


Les chiens et les loups (1940) se déroule en Ukraine dans les milieux juifs. La société est divisée en trois « castes » : ceux de la ville du bas, les pauvres juifs, petits artisans, boutiquiers, « la racaille infréquentable » qui porte des guenilles et parle yiddish; la ville moyenne où vivent non sans hiérarchie médecins, avocats, commerçants, petits bourgeois et où coexistent juifs, russes et polonais. Et enfin le ville haute interdite aux juifs sauf à ceux qui possèdent une grande fortune et peuvent se permettre de tout acheter. Les chiens et les loups, c’est cette opposition entre ceux qui réussissent et  dominent et ceux qui sont pauvres et obéissent.

C’est dans la ville moyenne qu’habite la petite Ada Sinner dont le père Israël est un intermédiaire entre la ville moyenne et la haute. Chez elle vivent aussi sa tante, veuve, son cousin Ben et sa cousine Lilla. Au cours d’un pogrom, Ada et  Ben se réfugient dans la ville haute. Ils demandent asile aux cousins Sinner, la branche riche de la famille. Les enfants y sont accueillis avec hauteur mais Ada y fait une rencontre qu’elle n’oubliera pas : son cousin, Harry, enfant délicat, raffiné, richement habillé, qui sera le seul amour de toute sa vie. Elle le retrouvera dans l’exil, à Paris, où la famille est obligée de fuir après la mort de son père. La vie à Paris contraste avec la vie en Ukraine mais elle y est toujours difficile; heureusement Ada est peintre et son travail va lui permettre de s’en sortir.

La description de la vie en Ukraine est passionnante et j’ai trouvé que c’était le moment le plus fort du livre. La ville à plusieurs niveaux comme dans un film de Fritz Lang, la misère, le pogrom dans le ghetto, la fuite des enfants, la découverte de l'inégalité sociale vécue comme un choc, tout est animé d’une vie intense, raconté avec un grand talent. J’ai suivi aussi avec intérêt les tribulations du personnage principal qui est, de plus, entourée de personnages secondaires bien campées. Ada est attachante, intelligente et courageuse. Elle lutte contre les difficultés de l’exil, et ne baisse pas les bras! C’est un beau portrait de femme. Son amour pour Harry semble être sa grande faiblesse. Au départ on peut se demander si elle est attirée par Harry qui n'a pourtant rien d'exceptionnel ou par ce qu’il représente. Mais on voit, plus tard, combien elle est désintéressée et fière, n’acceptant rien de lui.

Ce qui m’a frappée dans la description des milieux juifs par Irène Némirovsky c’est l’incroyable étanchéité qui existe entre les classes sociales, une hiérarchie féroce, un mépris et une dureté pour ceux qui ne réussissent pas, l’importance accordée à l’argent. La valeur de l’homme est déterminée par le fait qu’il a ou n’a pas de fortune. L’écrivaine parle de la race juive et de ses caractéristiques physiques et morales et il en sort un portrait peu flatteur. Si Irène Nemirovsky n’était pas juive elle-même, morte dans un camp de concentration, je dirais qu’elle est antisémite, tant sa critique de la société juive est virulente. Elle appartient pourtant elle aussi a une haute bourgeoisie, dont la fortune est assise sur la finance, et elle aussi a vécu en riche et insouciante jeune fille. Pourtant, elle n'hésite pas à publier des nouvelles dans Gingoire, un journal d'extrême-droite connu pour son antisémitisme. Elle se convertit au catholicisme en 1938 peut-être pour des raisons de prudence en ces temps troublés! Il n’en reste pas moins qu’elle reste hantée par son identité juive dans toute son oeuvre, qu'elle la refuse ou non.

Livre lu dans le cadre du blogoclub de Sylire


19 commentaires:

  1. Ce livre montre une facette de de l'auteure que je n'ai pas encore découverte dans les livres que j'ai lus mais j'ai lu éléments de sa biographie qui font apparaître cette sorte de défiance vis à vis des juifs. Connaissant ce qui s'est passé par la suite pour les juifs, il est certain que cette réaction est choquante aujourd'hui mais à l'époque, on peut imaginer qu'elle critiquait son milieu social sans complaisance et prenait ses distances vis à vis de lui, comme d'autres le font ?

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    1. C'est ce que je me suis demandé? Il est vrai que si nous critiquons notre société, personne ne pense pas que nous sommes racistes. Mais en même temps, parfois, la critique est telle qu'elle semble rejoindre la propagande antisémite nazie de l'époque.

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  2. J'ai lu quelques articles sur son rapport au judaïsme, c'est vrai que ce n'est pas clair. On le ressent moins dans "suite française" !

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    1. Dans la suite française, c'est toute la population française et, en particulier, les classes de la haute bourgeoisie qu'elle passe à la moulinette.

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  3. Irène Nemirovsky n'est pas tendre en général avec ses personnages, juifs ou non, riches ou pauvres. Dans ses nouvelles aussi elle dissèque "l'être juif" qui devait en effet la hanter. Je sais qu'elle publiait dans Gringoire car elle était à court d'argent tout le temps et acceptait n'importe quelle publication... En tout cas je trouve que c'est une romancière très intéressante, riche et complexe. J'ai bien envie de lire "les chiens et les loups" ! Moi j'ai lu un petit roman d'elle, purement français, qui se passe dans le Morvan !

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    1. Oui, c'est une écrivaine intéressante et qui a du talent. Je viens te lire pour savoir quel est ce petit roman.

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  4. j'aime ses livres mais le personnage ne m'est pas sympathique, ses filles ont souffert et pas seulement de sa disparition mais aussi de son peu d'amour pour elles
    je ne savais pas qu'elle avait publié dans Gringoire : le comble !

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    1. Oui, le comble! Le manque d'argent n'excuse pas tout pour Gringoire! Il paraît qu'elle aussi a souffert du désamour de sa mère. Moi aussi j'aime l'écrivaine.

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    2. En fait je pense qu'elle a placé l'écriture au centre de sa vie pour exorciser les démons de son enfance : le fait de ne pas avoir été aimée, d'être une exilée, une personne différente... L'antisémitisme était culturellement assez présent dans les années 30 et je crois qu'elle n'est pas la seule juive de son époque à avoir dit du mal des juifs (ce qui est le comble, on est bien d'accord).

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    3. Oui, l'écriture comme un règlement de compte envers sa mère et envers ce qu'elle n'aime pas dans les milieux juifs argentés. Elle connaît bien! Mais j'ai l'impression qu'elle n'est tendre envers personne! La peinture des français au moment de l'exode est assez féroce dans Une suite française! C'est assez pessismiste et pourtant elle peut avoir le sens de l'humour, noir aussi!

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  5. Il semblerait qu'elle détestait profondément sa mère et son milieu et que l'on retrouve ces deux constantes dans tous ses romans. J'en ai lu trois ou quatre, mais pas celui-ci.

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    1. Oui, je n'ai lu que deux romans d'elle mais c'est vrai que certaines constantes se révèlent déjà dans les deux!

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  6. Je ne connaissais pas ce titre!Mais j'ai lu Suite française et Le bal, TB! (proust aussi tire à vue sur les juifs, et pourtant...)

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    1. Bien envie de lire Le bal aussi! Quant à Proust, c'est vrai aussi et pourtant!

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  7. Pour avoir connu quelqu'un de ce milieu là (haute bourgeoisie riche d'origine juive) j'ai interprété les quelques romans de Némirovski que j'ai lus, davantage comme une critique sociale que raciale, même si l'identité juive la taraude quelque part, mais on a l'impression qu'elle ne sait pas quoi en faire. Je pense aussi qu'il est très difficile d'appréhender la réalité des années 30 pour nous qui savons ce qui s'est ensuite passé et qui était inimaginable à l'époque. Némirosvki est de toute façon une auteure complexe qui a souffert du manque d'attention de ses proches, ce qui était fréquent alors, et qu'elle a semblé avoir reproduit avec ses filles. Ses personnages sont en général très égoïstes et, comme tu le dis, je trouve aussi que son oeuvre est pessimiste.

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    1. Je pense que tu as raison, c'est une critique sociale. Je vois qu'elle est devenue catholique en 1938, mais quand elle écrit Une suite française dans les années 40, elle est très satirique envers les bonnes dames catholiques de la haute société et dénonce l'hypocrisie, la componction, le ridicule.

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  8. Mon commentaire est parti ! Je disais... Que j'aimais la plume de l'auteur. Je note ce titre. Cette histoire me rappelle un téléfilm.

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  9. Depuis que j'ai lu le bal du même auteur, j'ai bien envie de découvrir d'autres romans... Celui-ci est noté ! Il y a la même férocité envers la bourgeoisie juive dans le bal. Du coup, ça donne aussi d'en savoir plus sur la vie de cet auteur qui n'est pas banale : elle a beaucoup et a eu des rapports complexes avec ses parents... Enfin, je préfère quand même lire ses romans...

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  10. J'ai très envie de le lire. Je ne connais d'elle que Suite Française, mais déjà j'avais été bouleversée par son écriture. Encore un sujet qui demande de la subtilité et un regard particulier. C'est vrai qu'avec elle on peut basculer entre tendresse et cruauté, avec style.

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