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lundi 21 mai 2018

Emile Zola : La débâcle


La débâcle d’Emile Zola paraît en 1892. C’est le dix-neuvième volume des Rougon Macquart qui commence avec le coup d’état de Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, et raconte l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire.
Si Le docteur Pascal est le vingtième et dernier volume des Rougon Macquart et clôt l’histoire de la famille, on peut dire que La débâcle, clôt l’histoire du second empire puisque le roman conte la défaite de l’armée française à Sedan pendant la guerre franco-allemande de 1870, la chute de Napoléon III et l’avènement de la Troisième république le 4 septembre 1870. Le roman se termine avec la Commune  qui règlera le destin des deux personnages principaux, mais je ne vous en dis pas plus.

Le caporal Jean Macquart, dont nous avions fait connaissance dans La Terre et Maurice Levasseur, avocat, sont les deux personnages principaux du roman. Autour d’eux gravitent leurs camarades de combat, la famille et les amis de Maurice. Nous allons suivre pas à pas le combat désastreux qui, sous le commandement d’officiers incompétents, amène l’armée française au fond de la cuvette de Sedan. Un lieu qui deviendra le théâtre de la plus grande boucherie du XIX siècle. Encerclé par les prussiens munis de canons plus puissants que ceux des français, pris au piège, dans l’impossibilité de faire retraite, les soldats français seront décimés.

Emile Zola dresse ici un réquisitoire implacable de la guerre dont il décrit toutes les horreurs, les absurdités et l’inutilité. Rigoureusement documenté, comme toujours, Zola a de plus récolté des témoignages oraux, a suivi pas à pas, lors de son voyage à Sedan, toutes les étapes vécues par l’armée française dans cette marche vers la mort. Il décrit les différents mouvements des troupes sur les ordres d’officiers qui ne connaissent pas le pays, qui se déchirent entre eux et donnent des ordres contradictoires, se révélant incapables de concevoir une stratégie intelligente. La souffrance des soldats est atroce. Peu entraînés, ils ne disposent pas du matériel militaire adéquat. Pire, on ne leur donne pas suffisamment de nourriture et ils doivent marcher et combattre le ventre vide, accumulant les heures sans sommeil, la fatigue, et tout ceci dans la boue, les vêtements rendus encore plus lourds par la pluie !  

Bataille de Sedan source
Je dois avouer que j’ai parfois trouvé fastidieuse la description minutieuse des mouvements de l’armée, des hésitations des chefs, des avancées, des revirements. J’ai essayé de suivre sur la carte mais j’ai fini par abandonner. Mieux vaut se laisser porter par le style de Zola, son ampleur, sa force, lorsqu’il nous plonge au coeur de la tourmente, dans le fracas des obus, le déchirement des chairs, le sang et la douleur. C’est du très grand art, des images fulgurantes, d’une acuité extraordinaire. Et au-dessus de la mêlée l’apparition de l’Empereur à cheval, malade, tel un spectre, conscient qu’il envoie ses soldats à la boucherie pour sauver son trône.
On peut comprendre, après une telle oeuvre (et avant l’affaire Dreyfus), que Zola ne se soit pas fait que des amis dans l’armée et la bourgeoisie française et que, après sa mort, Barrès et Compagnie aient essayé d’interdire à ses cendres l’accès au Panthéon.
Les personnages participent à l’intérêt du roman et lui donne une dimension sociale et politique. Zola oppose Jean, l’homme du peuple illettré, le paysan simple et sans prétentions, à Maurice, le bourgeois cultivé, très imbu de sa position sociale. Entre eux, ennemis de classe à priori, va naître une amitié profonde et sincère. L’un, avec son bon sens populaire, son rationalisme et son expérience de l’armée, va être le protecteur du frêle Maurice, aux nerfs de femme (oui! dixit Zola), en proie à des tourments moraux et philosophiques; Maurice, symbole de la déliquescence de "la race" en comparaison avec la bravoure des soldats de Napoléon Ier, ce qui explique la décadence de la France.
L’amitié est donc possible entre ces deux hommes? Oui, même si plus tard, ils se retrouveront dans des camps opposés.
La soeur de Maurice, Henriette, représente la femme parfaite selon le XIX siècle, dévouée à son frère et son époux et qui, par amour, est toujours prête à se sacrifier. Sylvine et Honoré, ce dernier cousin de Maurice, forment un couple étonnant pour l’époque, dont l’amour triompherait des codes sociaux et moraux si ce n’était la guerre.

bataille de Bazeilles (source)
J’adore Zola parce que son style me transporte et me touche. Je ne cesserai de noter son habileté à muer le détail en vision épique. Ainsi cette petite corbeille de marguerites située à l’entrée de l’ambulance où l’on opère les blessés et qui se teinte de rouge en recevant les seaux de sang après chaque opération; elle finit par devenir aux yeux du lecteur un océan qui submerge un Monde en train de disparaître.
Zola, grand maître de son art, multiplie les points de vue. J’allais dire les prises de vue - tel un cinéaste - car il a vocation à faire naître des images.. Nous sommes parfois au ras du sol, à rase campagne dans un champ de bataille abandonné :
« Les débris dont le sol était semé disait les épisodes de la lutte. Dans un champ de betteraves des képis épars, semblables à de larges coquelicots, des lambeaux d’uniformes, des épaulettes, des ceinturons, racontaient un contact farouche, un des rares corps à cours du duel d’artillerie qui avait duré douze heures. Mais surtout, ce qu’on heurtait à chaque pas, c’étaient des débris d’armes, de sabres, de baïonnettes, des chassepots, en si grand nombre, qu’ils semblaient être une végétation de la terre, une moisson qui aurait poussé en un jour abominable. »
ou au contraire en hauteur, sur une colline boisée, avec le roi de Prusse, Guillaume, qui contemple le carnage comme s’il s’agissait d’une joyeuse bataille de petits soldats de plomb :
« La Meuse aux lents détours, n’était plus, sous cette lumière frisante, qu’une rivière d’or fin. Et la bataille atroce, souillée de sang, devenait une peinture délicate, vue de si haut, sous l’adieu du soleil; des cavaliers morts, des chevaux éventrés semaient le plateau de Floing de taches gaies; vers la droite du côté de Givonne, les dernières bousculades de la retraite amusaient l’oeil du tourbillon de ces points noirs, courant, se culbutant; tandis que, dans la presqu’île d’Iges, à gauche, une batterie bavaroise, avec ses canons gros comme des allumettes, avait l’air d’un pièce mécanique bien montée, tellement la manoeuvre pouvait se suivre, d’une régularité d’horlogerie. »

La débâcle est donc un grand roman qui, prolixe en détails même les plus infimes, offre aussi une vision d’ensemble grandiose. L’auteur semble s’élever et nous avec lui, au-dessus de ce champ de bataille, pour nous présenter un monde en train de mourir et qui en annonce un autre.


Lecture commune avec 

23 commentaires:

  1. Quel billet ! J'aime aussi ces images, ces scènes, écrites de façon si brillantes qu'on s'en souvient même des années après. Belle lecture commune en tout cas. "La Terre" ne me tente pas du tout, mais si ça peut me permettre de mieux cerner l'un des personnages principaux de ce roman, ça peut me motiver à le lire.

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    1. Oui, on peut se laisser emporter par ce style. J'ai lu La Terre quand j'étais à la fac et je me souviens que je n'avais pas aimé.

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  2. J'ai lu beaucoup de Rougon-Macquart, série découverte grâce à ma prof de 1ère mais je ne suis pas arrivée jusque là.

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    1. Je n'ai jamais essayé de les lire dans l'ordre ! Par exemple, j'ai lu Le docteur Pascal, le dernier donc, mais il y a a encore beaucoup d'autres volumes que je ne connais pas.

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  3. Comme toi j'ai essayé de suivre les déplacements de troupes sur une carte, puis j'ai laissé tomber !! Je te rejoins tout à fait, comme tu as pu le constater en lisant mon billet, sur la dimension épique du récit, et si en effet, en cours de lecture, le détail des mouvements militaires peut paraître fastidieux, ce n'est finalement pas ce qu'on en retient une fois l'ouvrage terminé. Cette LC fut pour moi un véritable plaisir !

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    1. Oui, mieux valait laisser tomber; la reconstitution est tellement précise, tellement minutieuse que l'on s'y perd. Mais au moins l'on sait que historiquement c'est sérieux !
      J'ai éprouvé la même chose pour la Commune quand il explique tous les mouvements de troupes avec la même minutie mais par contre quand il d'écrit l'incendie de Paris cela redevient grandiose ! Oui, un plaisir de retrouver nos classiques !

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  4. J'ai tout lu, mais il y a longtemps. Je prévoyais une relecture, et dans l'ordre, mais... ça passe moins bien.

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    1. En fait, j'ai compté hier soir combien de livres je n'avais pas lu sur les 20; il y en a quatre. Il faudra que je comble cette lacune. Mais comme toi, j'ai lu certains d'entre eux, il y a fort longtemps ! Ceux que j'ai relus, souvent plusieurs fois, sont mes préférés et/ou ceux que j'ai fait étudier en classe : Germinal, Le Bonheur des dames, La faute de l'abbé Mouret, L'assommoir, Thérèse Raquin, la bête humaine.
      Comme tout auteur Zola a des tics stylistiques, si tu les lis dans l'ordre et d'affilée, alors, cela doit lasser. Ce serait dommage car il donne à la littérature française des pages splendides.

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  5. J'ai lu les Rougon-Macquart dans l'ordre, mais j'ai calé à "la Terre", il me semble même que je ne suis pas allée au bout tellement je l'ai trouvé épouvantablement sombre. Je ne crois pas que j'aurai le courage de m'y replonger un jour.

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    1. Zola est sombre et dans La Terre, il est parfaitement désespérant. C'est l'impression que j'avais eu quand j'ai eu à l'étudier en première année universitaire ! Je m'en souviens comme d'une lecture peu agréable !

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    2. Aifelle, tu devrais lire le volume suivant Le Rêve ! Après La Terre, on croit ... rêver !

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    3. D'accord ! j'y penserai :-)

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  6. Je repensais justement l'autre jour à Zola alors que j'époussetais la bibliothèque et que je remettais en place les Rougon Macquart. Comme vous, j'ai toujours été époustouflé par le style de Zola, net et précis. J'ai hélas peu de souvenirs de ce 19° volume. Mais quand donc pourrais-je relire tous les Rougon Macquart ?
    Bonne journée.

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    1. Les relire tous ? Mieux vaut peut-être en relire un ou deux en savourant le style.

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  7. Je ne lis pas de classiques mais Zola est un des rares auteurs que j'appréciais mais que je n'arrive pas à relire pour autant. J'envie toujours celles et ceux qui s'y replongent.
    En tout cas, beau billet, merci.

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    1. Dans les classiques, il y a d'autres auteurs que Zola. Je suis sûre que tu pourrais en trouver qui te plaisent. ?

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  8. Ce titre-là fait partie de ceux qu'il me reste à découvrir parmi les Rougon-Macquart de Zola. Je les fais durer un peu mais son tour viendra sûrement bientôt !

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  9. je ne connais pas ce texte, quel bel article!

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  10. Quel plaisir de lire plusieurs chroniques sur le même livre, on obtient à chaque fois un éclairage différent en fonction de la sensibilité du lecteur, c'est formidable ! Je suis bien d'accord avec toi sur le côté fastidieux des mouvements de troupe ; moi qui adorait me plonger dans les Rougon-Macquart à travers les descriptions des premières pages, j'ai eu un peu peur. Mais rapidement, cela s'évacue et l'on retient beaucoup d'images fortes, notamment dans la seconde partie. Merci pour les jolis exemples et la mention de la corbeille de marguerites.

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  11. Je pensais avoir "tout lu", mais après avoir pris connaissance de ton article je me pose des questions : celui-ci ne me rappelle pas grand-chose. Une bonne occasion de retrouver Zola et comme tu le dis son style magnifique.

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  12. JE ne l'ai pas encore lu ce lui-là mais j'ai laissé mon cycle des Rougon en plan, il faut que je le reprenne.

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