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jeudi 13 septembre 2018

Thomas Hardy : Sous la verte feuillée

Quelle joie de pouvoir lire un Thomas Hardy que je ne connaissais pas, réédité cette année 2018 dans l’édition Archipoche. Il semble que Sous la verte feuillée ne soit pas le livre le plus réputé de cet auteur et l’intrigue elle-même est légère, faite de petits riens qui peignent la vie des paysans, leur travail, la simplicité et la joie de vivre de ces villageois, carrier, fermier, cordonnier, forgeron, tous musiciens et chanteurs qui accompagnent le service divin à l’église. Le livre est aussi un hymne à la musique toujours présente et  donne lieu à des grandes discussions assez réjouissantes sur la supériorité des instruments à corde et les mérites respectifs de chacun d’entre eux.

Breughel : Noce paysanne


Ce n’est pas sans raison que Thomas Hardy avait d’abord sous-titré le livre « une peinture rurale de l’école hollandaise ». Comme dans un tableau flamand, il peint les moeurs de la campagne, le parler paysan (respecté dans la traduction française), les coutumes, les mentalités. Les personnages y sont truculents et bien campés, l’écrivain y dresse des portraits un peu caricaturaux mais sans méchanceté et fait revivre le monde rural de son époque avec beaucoup de verve, de malice et d’authenticité.  Autre thème qui s’entrelace au premier, celui de l’amour : le sympathique et naïf Dick Dewy tombe amoureux de la coquette et jolie Fancy, institutrice du village de Mellstock, qui draîne les coeurs et ne sait pas ou ne veut pas décourager ses prétendants…

Certains passages sont savoureux, ainsi celui, par exemple, au cours de laquelle les musiciens vont en délégation chez le pasteur qui veut remplacer leurs violons par un orgue. J’ai beaucoup ri de ce dialogue de comédie. Pourtant il y a une certaine nostalgie dans cette scène car ces amoureux de la musique vont être remerciés et remplacés par l’orgue joué par Fancy, tradition contre modernisme, musique du coeur et du terroir contre musique savante. Et l’on regrette avec eux la fin des traditions campagnardes comme celle où le groupe fait la tournée des maisons pour jouer devant chaque fenêtre pendant la veillée de Noël, une sorte de douceur de vivre en train de disparaître.

De plus, sous l’humour et derrière la légèreté, on sent le regard attentif, lucide et un peu désabusé de Hardy  sur les rapports sociaux et leur hiérarchie. Fancy, fille de fermier, a été élevée comme une demoiselle, a fait de bonnes études et se trouve donc déclassée par rapport à son milieu d’origine. Trop bien éduquée, trop instruite, trop délicate et raffinée pour le monde paysan, elle n’en reste pas moins d’un statut inférieur aux yeux de  la société bourgeoise. Il faut noter par exemple, la cruauté inconsciente des termes employés par le pasteur quand il condescend à la  demander en mariage alors qu’elle n’est pas de son rang : 
«  Vous me comprendrez … si je vous dis honnêtement que j’ai lutté contre mes sentiments, trouvant que je ne devais pas vous aimer. »«  après quelques mois de voyage avec moi vous seriez tout à fait digne de pénétrer dans la société »
Mais loin d’être sensible à ce qui devrait être humiliant pour elle, cette proposition donne à la jeune fille un éblouissement, elle se voit un instant échapper à sa condition, devenir une dame. Aussi quand arrive le dénouement (que je ne vous révèlerai pas ) le lecteur peut se demander si, malgré les apparences, la fin de ce récit est aussi joyeuse que ce qu’elle paraît être.

Beaucoup moins grave et moins tragique que les autres romans de Hardy, Sous la verte feuillée, titre empruntée à une chanson populaire chantée par nos paysans-musiciens, procure un grand plaisir de lecture, une oeuvre pleine de fraîcheur et de gaité écrite par un écrivain proche de la terre.

23 commentaires:

  1. Je ne l'ai pas lu, celui-ci. Il faudrait que je me remette à lire Thomas Hardy. Merci de m'inciter à y réfléchir.
    Bonne journée.

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    1. Il vaut mieux lire un de ses grands romans pour commencer : Tess ou Jude l'obscur, ou Retour au pays natal, Loin de la foule déchaînée...

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  2. "le parler paysan (respecté dans la traduction française)", je me demande bien à quoi ça ressemble ;-)

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    1. Il y autant de "parler paysan" en France que de région.Je suppose que c'est la même chose en Angleterre. En Lozère pendant très longtemps on parle un patois d'Oc assez semblable, paraît-il, au catalan. mais quand le paysan cévenol parle le français, il emploie certaines formes et certains mots du patois, ce qui donne une langue imagée. Pour La verte feuillée, c'est surtout les formes grammaticales qu'essaie de garder le traducteur et une certaine forme de naïveté dans l'expression.

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  3. Noté ! merci d'attirer notre attention sur lui !

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  4. Moi non plus je ne connais pas ce titre (et la demande en mariage, ça rappelle dans Orgueil et préjugés...)

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    1. Un peu mais le contexte est très différent et les personnages aussi.

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  5. Moi non plus je ne connaissais pas Thomas Hardy, mais c'est typiquement le genre qui me plait. Je note. (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Lis aussi sur la campagne anglaise Retour au pays natal, Loin de la foule déchaînée et Tess d'Uberville.;

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  6. Depuis que j'ai vu cette parution je l'ai noté sur mes achats à venir
    J'aime énormément cet auteur même dans ses romans les moins connus et celui là j'en ignorais même l'existence, c'est très réjouissant

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    1. Oui, les personnages, leurs réactions sont très savoureuses, mais par petites touches, ce qui n'empêche pas la critique de la hiérarchie sociale et du pouvoir de l'argent.

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  7. Ainsi tu n'auras pas "spoilé" la fin du roman... N'es tu jamais tentée de jeter un coup d'oeil aux dernières pages avant d'avoir fini ?
    Telle que tu le présentes je serais tentée de le lire, il y a du Jane Austen dans cet épisode du pasteur se dévouant pour épouser la pauvre Fancy...
    J'ai lu il y a peu un article dans un magazine présentant des traducteurs. Certains n'ont jamais eu d'échange avec l'auteur. Certains racontent la difficulté à traduire en français certains idiomes. Dans sa trilogie sur les universitaires, David Lodge parle des contacts entre un traducteur japonais et l'écrivain. Amélie Nothomb raconte que sa traductrice japonaise a appris le français pour faire le "job".

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    1. Je n'ai pas "dévoilé" mais de toutes façons, l'histoire ne compte pas beaucoup, c'est comme si l'on entrait dans le tableau d'un Breughel du XIX siècle pour faire connaissance des personnages.
      Oui, la scène peut rappeler celle de Jane Austen mais elle est en même temps très différente.;

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  8. J'ai déjà loin de la foule déchaînée dans ma PAL, peut-être pour plus tard celui-là

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    1. "Loin de la foule déchaînée" ressemble un peu pour le personnage féminin et les moeurs des paysans à la Verte Feuillée mais en plus développé.

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  9. Je l'avais repéré pour son côté "positif", mais j'ai l'impression qu'il n'a pas la puissance des autres romans de Hardy. Ton billet me donne quand même envie de lui laisser sa chance une fois "Les Forestiers" et "Le Maître de Casterbridge" lus (en 2034 donc).

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    1. Il n'a pas la gravité de certains de ses romans, en effet, et il est beaucoup plus rapide que Loin de la foule déchaînée auquel il ressemble un peu.

      J'ai lu Les Forestiers mais je ne m'en souviens pas très bien; il y a des années de cela. Par contre je n'ai jamais lu Le maître de Casterbridge et je compte bien le faire.

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  10. Je n'ai pas encore lu celui-ci mais je recommande vivement Les forestiers, là aussi un tableau d'une communauté rurale mais avec un peu plus de tragique (sans atteindre le niveau de Tess). L'écriture de Hardy est toujours superbe.

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    1. Je suis d'accord avec toi. Une écriture superbe et, de plus, c'est un écrivain qui a un talent d'observateur, un art du portrait et beaucoup d'acuité dans sa vision de la société.
      Je relirai Les Forestiers et je te conseille, si ce n'est fait, de lire Retour au pays natal, toutes les qualités susdites, plus le lyrisme, la poésie, le mystère...

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  11. Tu donnes bien envie je Le note pour notre retour

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  12. Le titre est déjà un plaisir en lui-même que ton article ne fait que renforcer. Je le note car tout ce que tu écris me ravit.

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