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mercredi 17 octobre 2018

Alexandra Lapierre : Artémisia


Alexandra Lapierre quand elle se lance sur les traces d’Artémisia Gentileschi (1593_1654), peintre italienne du XVIIème siècle, va vivre une aventure qui durera des années. S’installant à Rome, ce qui lui permet de retrouver les lieux où Artemisia a habité, l’écrivaine consulte les archives de Rome, d’abord, où est née l’enfant, puis de Florence et Naples, où l’artiste a vécu et a travaillé et de même en Angleterre. 

Artemisia Gentileschi : auto portrait
C’est dans l’atelier de son père Orazio Gentileschi, peintre célèbre, ami de Le Caravage dont il était aussi le disciple que la petite fille a appris à peindre. Aucune femme à cette époque n’aurait pu s’initier au métier autrement que par l’intermédiaire de sa famille. Employée d’abord comme apprentie, broyant et préparant elle-même les couleurs, elle apprend peu à peu les ficelles de son art, la technique, la couleur, et elle révèle très vite un don et une passion précoces, influencée elle aussi par le Caravagisme. Déjà, sa beauté et son talent lui valent des inimitiés auprès des autres apprentis qui font courir des rumeurs malveillantes sur elle et sur ses moeurs.
Si  l’on connaît bien la vie de la jeune peintre, c’est d’abord à cause du viol qu’elle a subi de la part d’un ami de son père que celui-ci lui avait donné pour professeur de dessin, Agostino Tassi, lui-même bon peintre, maître de Claude Lorrain ..
 
Agostino Tassi : autoportrait
Le procès intenté à Agostino par Orazio, fut d’une violence inouïe pour la jeune fille âgée de dix-huit ans, accusée de mensonge, de prostitution, soumise à la torture qui, à l’époque, si l’on ne se rétractait pas sous l’effet de la douleur, était la preuve qu’on disait vrai. Elle tient bon et elle révèle ainsi un caractère bien trempé en décidant de se battre, de s’imposer comme peintre et de vivre de son travail. La rivalité entre les peintres étant alors féroce, il lui faudra beaucoup de talent, de courage, de pugnacité et de… bons protecteurs pour pouvoir réussir.  Dans sa vie privée, elle s’affranchira du mari choisi par son père, aura des amants tout en s’occupant de ses filles et en répondant aux commandes des mécènes. Elle fut la seule femme à être admise à la fameuse Accademia delle Arti del Disegno de Florence, dont furent membres Michel-Ange, Cellini, Vasari, Le Titien ou Le Tintoret.  Une vie exceptionnelle, on s’en doute, pour une femme même si elle n’est pas la seule peintre de son temps.
C’est ce portrait de femme libre et de peintre de talent qu'Alexandre Lapierre a voulu mettre en avant dans ce roman historique très documenté et où nous croisons bien des personnages célèbres. Mais elle axe aussi son roman sur le thème de la rivalité entre les deux artistes, le père et la fille, Orazio et Artemisia, une sorte d’amour-répulsion qui a duré toute leur vie.
Orazio Gentilschi : La joueuse de Luth
L'un des premiers tableaux d'Artemisia représente Suzanne et les vieillards. Déjà, la jeune fille de dix huit ans affirme sa personnalité en prêtant à Suzanne une expression de répulsion et un geste défensif tout à fait neufs et originaux par rapport au sujet traité jusqu’alors par des peintres masculins.

Artemisia Gentileschi : Suzanne et les vieillards (1610)
L’intérêt du livre d'Alexandra Lapierre est donc aussi, bien sûr, l'analyse des oeuvres de l'artiste.

Artemisia Gentleschi : autoportrait en Allégorie de la peinture (1630)
 Dans cet autoportrait, Artemisia se présente en Allégorie de la peinture ainsi que l'attestent les attributs qu'elle porte, la robe en velours vert et le collier en or avec un crâne pour pendentif, symbole du temps qui passe, fugitif et aussi du temps emprisonné par la peinture. Le portrait est original car elle ne se ne peint pas de face comme la plupart des portraits de l'époque mais en action, en train de peindre. Elle est de trois quart, ne regarde pas le spectateur qui l'indiffère, indépendante, concentrée sur sa toile. Il y a ici une volonté d'affirmer son statut de femme libre qui gagne sa vie et qui est fière de son art.

Artemisia Gentileschi : Muse de la peinture
Artemisia Gentileschi : Judith et Holopherne
Les détracteurs d’Artemisia pensent que son talent est surfait et n’aurait pas la force qu’on lui prête. Pour eux, seuls le viol, le procès, ces éléments romanesques qui attirent l'attention sur elle, lui ont donné sa notoriété. Peut-être ses oeuvres n'ont-elles pas toutes la même valeur, je ne sais, mais ceci doit être vrai pour la plupart des peintres. Par contre, ce qui est sûr, c'est que nombre de ces tableaux ont une grande puissance. Bien sûr, il faut aimer la peinture baroque et apprécier à sa juste valeur tout ce que le Caravage a apporté de neuf à la peinture. Dans les scènes qui empruntent au Caravage, avec ses clairs-obscurs, sa mise en scène théâtrale, son réalisme, Artemisia Gentileschi ne copie pas le maître mais impose son point de vue, sa personnalité et sa passion.

Artemisia Gentileschi : Judith et Holopherne (1611_1612)
Son tableau le plus célèbre bref, celui de Judith et Holopherne sur un thème récurrent pour l’époque innove par rapport aux tableaux contemporains sur ce thème. Bien sûr, le fait qu'Artemisia se soit peinte sous les traits de Judith et ait représenté Holopherne sous les traits de son violeur ajoute à l’intérêt que l’on porte au tableau qui devient ainsi une représentation de la vengeance, une sorte de catharsis.  Mais il est certain que la violence et le réalisme de la mise en scène, les sentiments qui émanent de ses personnages prouvent qu’il ne s’agit pas d’une pâle imitation du grand Maître.

Le Caravage : Judith et Holopherne (1598)
Artemisia Gentileschi  : Holopherne et Judith  1620
Le réalisme de la scène du Caravage avec le cou tordu d'Holopherne et le flot de sang qui jaillit avait saisi et horrifié les admirateurs du maître.
Mais si l'on compare les tableaux du Caravage et ceux de Gentileschi sur ce même thème, l'on s'aperçoit que Le Caravage peint Judith comme une femme relativement frêle, qui agit seule, n'a pas besoin de l'aide de sa servante et présente une expression un peu ennuyée voire dégoûtée mais sans passion.
 Alors que la Judith d'Artemisia sait qu'il lui faut de la force pour tuer Holpherne-Agostino, elle l'empoigne vigoureusement, on sent qu'elle pèse sur lui, que tous les muscles de ses bras sont bandés; c'est une maîtresse-femme mais elle a appelé sa servante à la rescousse et  toutes les deux ne sont pas de trop pour parvenir à leur fin. Ce n'est pas un acte facile. Le visage d'Artemisia-Judith est animé d'une farouche détermination, surtout dans le deuxième tableau, et d'un sentiment de vengeance implacable,comme si elle égorgeait un porc et non un homme. Le sang coule sur le drap qui est maculé de grosses traînées rouges et noirâtres.  Une vraie boucherie !

16 commentaires:

  1. Elle a peint plusieurs tableaux sur le même thème, alors? Impressionnant

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    1. Oui, plusieurs, en effet, les peintres peignaient sur commande et les acheteurs imposaient les thèmes souvent religieux et souvent pour les églises.

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  2. J'ai lu la biographie de Fanny Stevenson par la même A. Lapierre. Un enthousiasme qui peut lasser mais c'était très intéressant.

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    1. Fanny Stevenson, je ne la connais que de nom. Il parait que vient de sortir la correspondance d'Artemisia.

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  3. une oeuvre restée longtemps ignorée et je me souviens de mon intérêt pour cette bio

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    1. Oui son oeuvre est tombée dans l'oubli mais il semble que Le Caravage a eu aussi une période d'oubli

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  4. Je n'ai pas eu l'occasion de lire Alexandra Lapierre ; le thème de celui-ci pourrait m'intéresser, autant pour la peinture que pour la personnalité d'Artemisia.

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  5. Je connais hélas très peu ce peintre et je le regrette. Trop de peintres femmes n'ont pas encore reçu la reconnaissance qu'elles méritent. Je note le litre du livre, merci.

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  6. Ton billet ravive le souvenir de sa biographie illustrée d'Artemisia (en hors-série Découvertes Gallimard) qui m'avait fait forte impression. On n'est pas près d'oublier le nom de cette artiste quand on découvre sa vie et son oeuvre.

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  7. Ca a l'air passionnant ! Je vais essayer de trouver du temps pour le lire

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  8. Bonjour Claudialucia, une femme et une artiste fascinante qui a su trouver sa place dans un monde d'homme. Moi, j'ai entendu parler d'Artemisia pour la première fois grâce à un film Artemisa d'Agnès Merlet (2007) avec Valentina Cervi et Michel Serrault qui jouait le père. Bonne après-midi.

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  9. J'ai lu ce livre et en garde un bon souvenir. Une belle façon d'en savoir plus sur cette artiste à la vie passionnante et sur son oeuvre jusqu'à peu plutôt tombée dans l'oubli comme pas mal de ses consoeurs.

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  10. J'ai découvert cette peintre au hasard d'une visite de musée il y a maintenant plus de 20 ans en Italie. Et, à la différence de ses détracteurs (Un brin misogyne quand même, non?... on nous fait le même coup avec George Sand), je trouve qu'elle fait partie des artistes les plus importants de son époque.

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  11. je l'avais lu il y a qqs années à l'occasion d'une expo à Paris, un sacré destin!

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  12. Plus sanglant que le Caravage (tu vas le voir à Malte)! Je note le titre, le roman et surtout Artémisia m'interessent

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