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jeudi 19 mars 2020

Mikhaïl Boulgakov : La garde blanche


Il m’a été très difficile d’entrer dans le roman de Mikhaïl Boulgakov, La garde blanche, tant je suis ignorante de l’histoire de l’Ukraine et aussi parce que l’écrivain parle d’événements précis, pointus, et s’adresse à des lecteurs qui sont dans l’Histoire et n’ont pas besoin d’explication. Et pourtant j’ai persévéré car ce roman, j’avais envie de le lire depuis longtemps pour accroître ma connaissance de l’auteur de Le maître et la Marguerite! Le mois de la littérature des pays de l'Est, initié par Eva, Patrice et Goran m'a donné l'occasion de le découvrir.

Kiev : musée Boulgakov qui fut aussi la maison de l'écrivain et celle des Tourbine

Donc, nous sommes en 1918 à Kiev et nous faisons la connaissance de la famille Tourbine qui ressemble beaucoup à celle de Boulgakov. Le roman est en partie autobiographique : Alexis, le frère aîné, médecin comme Boulgakov, Elena sa soeur mariée à Sergueï Ivanovitch Tahlberg, et leur petit frère Nikolka qui a dix sept ans et toutes ses illusions. Dans la maison vont et viennent la petite servante élevée dans la famille, Aniouta, les amis d’enfance des jeunes Tourbine, le lieutenant Mychlaïevski, surnommé Vitia, Léonid Iourievitch Chervinski, qui sont aussi, parfois, les soupirants éconduits d’Eléna. Les soirées sont encore animées, bruyantes, arrosées mais le temps de l’insouciance, du luxe, de la beauté et la douceur de vivre ne reviendra jamais avec « ses bibliothèques sans égales au monde, chargées de livres qui exhalaient une mystérieuse odeur de chocolat, où l’on retrouvait Natacha Rostova et la Fille du Capitaine, et les tasses en porcelaine dorée, l’argenterie, les portraits, les portières, ces sept pièces poussiéreuses et bourrées d’objets qui avaient vu grandir les jeunes Tourbine. » .
Et il y a dans ce début de siècle, dans la description de cette jeunesse dorée mais finissante un grand parfum de nostalgie et de belles pages fiévreuses, frémissantes d’émotion :

"Depuis longtemps déjà, un vent dévastateur a commencé à souffler du Nord, et il souffle, il siffle sans cesse et sans repos, et plus il va, pire c’est. L’aîné des Tourbine revint dans sa ville natale juste après que le premier choc eut ébranlé les collines qui dominent le Dniepr. Bon, pense-t-il, cela va finir, et alors commencera cette vie qui est décrite dans les livres en chocolat; or, non seulement elle ne commence pas, mais tout alentour devient de plus en plus terrible. Au nord la tourmente de neige tourbillonne et hurle, et ici, on sent le sol trembler et gronder sourdement : la terre inquiète, gémit de toutes ses entrailles. L’année mille neuf cent dix-huit touche à sa fin, et chaque jour qui vient se hérisse de menaces."

l’Hetman Skoropadsky
 Car, nous sommes dans une époque complexe, la deuxième année de la révolution russe. Le  pays est occupé par les allemands appelés à la rescousse par l’Hetman (le chef) de l’Ukraine, Skoropadsky, un aristocrate ukrainien. Cet ancien général de l'armée impériale russe, est arrivé au pouvoir par un coup d'état contre la "Rada", le parlement ukrainien créé en 1917. La ville, qui reçoit les réfugiés russes fuyant la révolution, est assiégée par les bandes armées de Petlioura,  nationaliste ukrainien, socialiste qui lutte à la fois contre l’armée blanche et contre la dictature de l’hetman Skoropadsky; il sera le troisième président de la république ukrainienne. Et puis il y a les armées bolcheviques qui attendent leur heure pour pénétrer dans la cité. Les Tourbine sont des bourgeois lettrés et raffinés, royalistes, ils prennent le parti de l’Hetman qui représente la légitimité pour eux. A l’intérieur de la ville s’affrontent aussi, parmi les habitants de toutes classes sociales, les différentes tendances et idéologies.
Au moment où il faut livrer bataille, Alexis et ses amis s’engagent dans l’armée et le jeune Nilkolka rejoint la garde blanche organisée par le général Dénikine pour tenir tête à l’assiégeant; Hélas! elle se révèle composée de jeunes étudiants qui pour certains ne savent pas encore tenir un fusil. C’est dans ce climat troublé, à la vieille de l’attaque de Petlioura, que l’Hetman, son état major dont fait partie le mari d’Elena, abandonnent lâchement le pays avec leurs alliés allemands, laissant la défense de la ville aux mains d’un poignée d’officiers et de jeunes gens inexpérimentés.

Le récit de la bataille racontée à niveau d’hommes, que ce soit par Alexis fuyant pour sauver sa vie dans les rues de Kiev, que ce soit par Nikolkla qui dans sa jeunesse enthousiaste et naïve n’hésite pas à risquer sa vie, est passionnante. Pas d’actions d’éclat, beaucoup de lâcheté à côté d’actes courageux et absurdes qui paraissent désespérés. Certains passages sont remarquables dans ce récit comme lorsque Nikolkla va chercher un ami officier massacré par les partisans de Petlioura à la morgue où s’entassent les cadavres du sol au plafond, véritable descente aux Enfers, hallucinante; ou comme dans cette scène cruelle où un juif est lapidé par un nationaliste, ou encore lorsque Alexis se réfugie dans une immense maison un peu irréelle où une jeune femme le cache.
Ce roman paru en 1926 a été interdit par le pouvoir soviétique. Pourtant lorsque Boulgakov adapte le roman à la scène, Staline non seulement n'arrête pas les représentations mais va voir la pièce quinze fois. Et finalement, cela ne m’étonne pas. En effet, si les personnages sont des bourgeois, royalistes, anti-révolutionnaires, le roman décrit aussi - et c’est une vérité historique-  la lâcheté des opposants au régime soviétique, l’Hetman Skoropadsky, les officiers supérieurs de l'armée blanche fuyant lamentablement le pays attaqué, abandonnant la population sans défense au danger.  Finalement, ils n’étaient pas très glorieux, les ennemis de Staline !



Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov (1891-1940) exerça tout d’abord comme médecin durant la Première Guerre mondiale, la Révolution russe et la guerre civile russe. À partir de 1920, il se consacra au journalisme et à la littérature. Il fut confronté, tout au long de sa carrière, aux difficultés de la censure soviétique.

Mort jeune à l’âge de quarante-huit ans, Boulgakov a écrit pour le théâtre et l’opéra, mais il est surtout réputé pour ses œuvres de fiction, ses romans, tels que, La Garde blanche (1925), Le Roman de monsieur de Molière (achevé en 1933, publié en URSS, de manière expurgée, en 1962 et de manière intégrale en 1989), ou encore Cœur de chien (1925, publié en URSS en 1987). voir ici 








6 commentaires:

  1. Ce n'est pas le plus connu des livres de Boulgakov, mais le contexte de la guerre civile m'attire beaucoup. Je note ce titre, comme ta participation au Mois de l'Europe de l'Est. As-tu lu le Roman de Monsieur Molière et si oui, qu'en as-tu pensé ? (il attend son heure sur mes étagères)

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  2. Le roman de Mr Molière est agréable à lire ; ce qui est intéressant c'est la mise en abyme de la vie de Boulgakov et de celle de Molière face à un pouvoir dictatorial.
    Pas un chef d'oeuvre mais intéressant. Par contre la pièce de théâtre adaptée du roman que j'ai vue au festival d'Avignon était insupportable !

    https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2017/07/mikhail-boulgakov-le-roman-de-monsieur.html

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  3. Moi aussi, je me dis que ça va être dur de rentrer dans ces romans car j'ai peu de connaissances sur ces pays aussi...

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  4. J'ai beaucoup aimé ce roman et les récits qui le complètent dans la Pléiade. Boulgakov a un ton et une place bien à lui dans la littérature russe.

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  5. Lu le Maître et Marguerite avec beaucoup de plaisir je note celui-ci

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  6. Je l'ai lu il y a une quarantaine d'années ; je ne peux plus en dire grand chose et à l'époque, je ne pense pas que je l'ai apprécié à sa juste valeur. Une relecture s'imposerait pour avoir vraiment une idée.

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