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mercredi 30 septembre 2020

Jack London : Le fils du loup et autres nouvelles

Le fils du loup est un recueil de nouvelles de Jack London dont l’action se situe dans le Grand Nord canadien dans le milieu des chercheurs d’or.

Le fils du loup raconte comment Scruff Mackenzie, malade de solitude, abandonne ses terrains aurifères du cercle polaire, descend le Yukon pour s’établir au campement de Forty Mile. Il a décidé de prendre femme parmi la tribu des Sticks, des indiens réputés, aux yeux des blancs colonisateurs, comme les plus féroces et les plus avides des autochtones. Il veut épouser la fille du chef Thling Tinneh, Zarinska. Il s’empresse d’abord de conquérir le coeur de la belle, offre des cadeaux somptueux au père. Mais les jeunes gens du camp soutenus par le chaman ne le voient pas d’un bon oeil. Les fils du loup, autrement dit les blancs, leur enlèvent les jeunes filles les plus belles, en âge d’être mariées. Mackenzie va alors jouer avec eux une partie serrée au cours de laquelle il ne risque rien de moins que sa peau. Il doit faire preuve pour cela de beaucoup d’habileté, de sang froid et de courage. Il lui faut non seulement montrer qu’il est le meilleur fusil en abattant un moose, se battre en duel singulier avec un colosse, mais aussi être virtuose du langage pour lutter contre le chaman afin de prouver la supériorité des fils du Loup sur les fils du Corbeau. Un combat physique autant que spirituel ! Mais la loi du Loup ne peut que triompher ! London y affirme encore une fois la suprématie des hommes de sa « race » malgré leur fragilité.
Les étoiles dansaient sous la voûte bleu comme toujours en cette période de grands froids, et les esprits du pôle traînaient leurs robes resplendissantes à travers l’étendue céleste; Mackenzie fut, un bref instant impressionné par la sauvagerie de la scène, tandis que son regard parcourait rapidement les deux haies de sapins, pour évaluer le nombre des absents. Il s’attarda sur un nouveau-né tétant par un froid de -40°! Songeant aux délicates personnes de sa race, il ne put réprimer un sourire.

Le grand Silence blanc est un récit qui m’avait marquée quand j’étais enfant, de la même façon que Croc blanc et L’appel de la forêt. Ces moments où Jack London nous fait « entendre » le silence et nous transmet tout ce qu’il a d’angoissant sont des pages d’une force et d’une beauté qui nous laissent admiratifs, gagnés par l'angoisse.
Le grand silence oppressait les voyageurs. Tout au long de l’après midi, ils cheminèrent sans prononcer un mot.
La nature dispose de mille moyens pour rappeler à l’homme qu’il est mortel : le rythme incessant des marées, le déchaînement des tempêtes, les séismes, le roulement terrifiant de l’orage ont à ce titre une grande force de conviction. mais rien n’est plus prodigieux, rien n’est plus stupéfiant que la démonstration inerte du « Grand Silence Blanc ». Tout est immobile; le ciel s’éclaircit et revêt des tons cuivrés; le moindre murmure est ressenti comme une profanation. L’homme devient alors timide et s’effraie de sa propre voix. Il prend conscience qu’il est la seule étincelle de vie dans cette immensité morte; son audace le confond; il réalise qu’il n’est rien de plus qu’un ver de terre et que son existence n’a pas de prix.


L’histoire aussi est puissante et conte comment Mason accompagné de son épouse Ruth enceinte et de son ami Malemute Kid entreprend un voyage en traîneau à travers le désert blanc et comment il mourra écrasé par un sapin. La mort est ici présenté comme une fatalité, cet arbre attendait pour chuter, le passage de Mason. C’est aussi peut-être la volonté de Dieu (même si London est athée), - ou  appelons cela le destin- qui punit l’orgueil de Mason. Celui-ci, cruel envers les chiens de traîneau a un différend avec Malemute Kid qui ne supporte pas de voir maltraiter ces bêtes. Mais il est incapable de reconnaître ses torts et ne s’excusera qu’au moment de mourir.

Les gens de Forty Miles est un récit qui contraste avec les autres. Il met en scène une dispute mémorable entre Bettles et Lon Mac Fane. Ce dernier soutenant que la glace de fond existe et Bettles affirmant le contraire. Ce différend les conduirait à un duel à mort si Malemute Kid ne s’en mêlait pas ! Il  invente un stratagème qui est soutenu par toute la communauté, le père Roubaud en tête, véritable scène de comédie  provoquant rire. 

Magnifique description de cette glace de fond *qui remonte à la surface :
Nous avons donc laissé le canot glisser au ralenti et, penché chacun d’un bord; nous avons sondé les profondeurs de l’eau étincelante.(…)
La glace de fond se formait autour de chaque caillou, de chaque rocher, comme un corail blanc. Je n’étais pas à bout de la merveille. A peine avions-nous franchi les rapides que c’est le fleuve tout entier qui se mit à ressembler à du lait et qu’une multitude de petits cercles parsemèrent la surface, comme ces gouttes de brume qui tombent du ciel au crépuscule. C’est la glace de fond qui montait. Partout où on posait les yeux, à droite et à gauche, c’était le même spectacle. Une étendue de bouillie, couleur d’opale, s’agglutinait à l’écorce de la pirogue, collait aux avirons. Ce fut la première fois que je vis ce prodige. Et je ne le reverrai peut-être jamais plus.


 A la santé de l’homme sur la piste, rassemble tous ces hommes à Forty Miles pour la fête de Noël. Au centre du récit, un homme poursuivi par la police montée canadienne, et que Malemute Kid aide à s’enfuir parce qu’il sait que c’est un homme bien.
Enfin la dernière nouvelle de ce recueil intitulée Le privilège du prêtre montre comment le père Roubaud dissuade Grace Betham, une femme maltraitée par son mari, de fuir avec un autre homme qu’elle aime. Le prêtre a ensuite des problèmes de conscience d’avoir renvoyé Grace à cette brute qui la rend malheureuse. Jack London prend ici partie pour la femme et dénonce l’hypocrisie de la morale chrétienne et l’injustice d’une société qui ne permet pas à la femme d’avoir des possessions en main propre et l’attribue à son mari, la rendant pour toujours dépendante de celui-ci !
« A elle le travail ! A lui les honneurs et l’avantage ! La loi du Nord ne reconnaissait pas à une femme le droit de posséder un ruisseau, un banc de rocher ou de quartz et de l’entourer d’une clôture. »

Dans toutes ces nouvelles, London fait preuve d’une grande virtuosité :  en narrateur, il sait tenir en haleine ses lecteurs dans des récits terribles et palpitants ; en connaisseur de la nature humaine, il dresse des portraits saisissants de ces hommes rudes et connaît les rouages qui régissent l’âme humaine; en poète, il nous fait ressentir le froid, la solitude, le silence oppressant mais aussi la beauté de ces pays sauvages où la vie n’est qu’un combat incessant.

Des personnages récurrents : une comédie humaine à la London
A travers toutes ces nouvelles, le lecteur rencontre des personnages récurrents. Soit, ils font partie intégrante du récit, soit ils y tiennent un rôle secondaire ou ils ne sont présents que  par les renseignements que donnent d’eux les autres personnages. C’est ainsi que nous apprenons ce qu’ils deviennent. Mamelute Kid  occupe la première place parmi eux : Indien, amis des blancs, ayant pris beaucoup de leurs coutumes, c’est un homme fort, un géant honnête, sage et  bon.
Dans la nouvelle Le Grand Silence blanc, Mason meurt en demandant à  son ami, Malmlute Kid, de prendre soin de Ruth, sa femme enceinte,  et de l’envoyer, elle et son enfant, aux Etats-Unis avec l’or qu’il a récolté. Nous apprenons dans Le fils du loup que cette même Ruth qui est la soeur de Zarinska,  épouse de Mackenzie, a eu un fils comme le souhaitait Mason et que Malemute Kid a tenu sa parole.  Mais c’est dans un autre récit  A la santé de l’homme sur la piste, que les hommes rassemblés à Forty Miles pour la fête de  Noël, écoute  Malemute Kid raconter le mariage mouvementé de Mason et de Ruth, union célébrée par le père Roubaud.  Sitka Charley, un indien  que l’on voit dans Les gens de Forty Miles est aussi un personnage récurrent important. C’est lui qui raconte la mort de sa femme Passuk, dans la nouvelle  Une femme de cran et il joue un rôle principal dans le récit La sagesse de la piste. Mais il y aussi des personnages plus secondaires comme Bettles dit Boit sans soif  ou Jim Belden ou l’anglais Stanley Prince, Louis Savoy, canadien français, le père Roubaud, jésuite français …
Ainsi, ces personnages récurrents relient les récits entre eux et créent un riche tissu humain qui donne une vision globale de la vie et de la société cosmopolite de ce monde de chercheurs d’or, de trappeurs,  d'ingénieurs, d'aventuriers venus de tous les pays, de langues, de religions, de mentalités et d’éducations différentes. De plus, pour le lecteur, ils deviennent des connaissances voire des amis qu’il  est heureux de retrouver au cours de ces récits qui paraissent indépendants mais ne le sont pas  !
 

* Le terme de glace de fond désigne tout type de glace immergée, attachée ou ancrée au fond, quel que soit son mode de formation. La glace de fond peut se former en milieu océanique ou en eau douce. 

 



9 commentaires:

  1. Ah mais c'est peut-être pas mal, j'essaierai de me procurer le recueil. Oui, tu fais éclaireuse pour nous !

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  2. Tu me donnes envie de retrouver Jack London : et en plus, j'ai un recueil de nouvelles dans ma PAL, ce ne sera pas trop difficile !

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    1. Cherche les personnages récurrents de ces nouvelles qui se répondent. C'est vraiment intéressant !

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  3. "A la santé de l’homme sur la piste", tel que tu le résumes, me fait penser aux Hauts de Hurlevent, le destin et les biens des femmes passant aux mains de leurs maris au gré des mariages et des héritages

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    1. Les lois qui faisaient de la femme une éternelle mineure sous la coupe de son père puis de son mari sont vraies dans tous les pays occidentaux y compris en France !

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  4. Moi aussi j'aime ces nouvelles du Grand Nord, mais en ce moment la rentrée littéraire m'offre tellement de tentations que je fais une pause dans le challenge, j'espère que tu me pardonneras

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  5. Je n'ai rien à te pardonner et, au contraire, je te comprends. Moi aussi je fais face à beaucoup de tentations ! Qui plus est, quand il s'agit de Jack London, tu es une de celles qui a le plus lu ! Tu as bien "travaillé"!

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