Pages

PAGES

lundi 28 mars 2022

Kveta Legatova : La Belle de Joza


Eliska achève ses études en chirurgie, à Brno, en Moravie. Elle devient la maîtresse de Richard, son professeur d’université, marié et père de deux enfants, qui l’a prise comme stagiaire à l’hôpital. Jusque-là rien que de banal. Mais nous sommes en guerre et le pays est occupé par les Allemands aussi lorsque Richard lui propose de transmettre du courrier clandestin à des résistants, elle accepte. Bientôt, menacée elle-même par la Gestapo, elle est obligée de fuir. Son ami Slavek lui propose de disparaître en épousant Joza, ( Joseph Janda), un patient qu’elle a soigné à l’hôpital et qui repart dans ses montagnes. Il vit dans un petit village reculé, Zelary, ignoré par la guerre, du moins momentanément. Manifestement Joza  est amoureux d’elle, ébloui par cette jolie et brillante médecin ! Il n’en est pas de même d’Eliska qui le juge laid, frustre, inculte, et pour tout dire un peu demeuré mais elle accepte car elle n’a pas le choix.

La découverte de sa nouvelle vie est d’abord pour Eliska devenue Hanna, une épreuve assez rude.  Se retrouver dans une maison sans eau et sans électricité pour une citadine est assez éprouvant. C’est ainsi qu’était la Lozère quand j’étais enfant, et, effectivement, c’était assez perturbant quand on venait de la ville. Observer les moeurs de la campagne, les femmes battues ou celle en train d’accoucher, abandonnée, toute seule, dans l’étable, les ivrognes du samedi qui se tapent dessus, est un choc. Le paysage aussi est parfois sinistre et lui fait peur surtout quand elle se perd dans la nuit.  On est loin du retour à la Nature idyllique et à l’idéalisation du milieu rural de Giono et pourtant…
Et pourtant, elle découvre aussi beaucoup de points positifs qu’elle ne pourra apprécier qu’en se défaisant peu à peu de ses habitudes de vie et de pensée et de son sentiment de supériorité.
"Le monde de l'âme humaine, avec ses deux pôles irréconciliables, tournait ici comme une roue de moulin".
Et pourtant… contre tout attente un sentiment complexe, va naître entre Eliska-Hannah et Joza. Elle prend conscience que sous l’aspect frustre se cache un homme tendre, attentionné, paisible, qui ne lui fera jamais du mal mais au contraire écartera d’elle tout désagrément. L’amour naît.

"J’effleurai en pensée la question de notre amour réciproque.
« Amour » est le mot le plus mal considéré du vocabulaire.
On peut presque tout nommer ainsi. Toutes les convoitises, les habitudes égoïstes, l’envie, et même la haine et l’arrogance.
Ma relation à Joza méritait un examen.
Elle était indicible. Du moins elle n’était pas simple. C’était de l’amitié, de la tendresse, de la compassion, mais aussi de l’angoisse et du désespoir.
Tout cela formant une soudure infrangible. »


Elle apprend à se satisfaire de plaisirs simples, du contact avec les animaux, le chien Azor, le chat abandonné, le veau nouvellement né, de la contemplation de la Nature.

" Joza me taillait une louche en bois. Son travail était lent, appliqué, propre.
Une louche en bois.

Mon souhait frivole, somptueux, accessible.
Les chercheurs de trésors commettent une funeste erreur en regardant au loin. C’est là le lieu de la perdition.
(…)
Joza, commençais-je d’une voix à peine audible.
Il interrompit son travail et leva la tête.
-Regarde les feuilles.
Il posa la louche et vint s’asseoir à côté de moi.
Les feuilles ne tournoyaient que pour nous deux.
Nous les avons regardées une bonne heure durant."


Elle se lie d’amitié aussi avec les familles voisines qui l’entourent et même l’adoptent comme une des leurs. Et surtout, la jeune femme cultivée, instruite, s’aperçoit qu’elle peut apprendre beaucoup des autres, de Zéna qui l’initie à la cuisine, aux travaux manuels auxquels elle prend un réel plaisir, de Lucka, la guérisseuse, une vieille femme à priori assez revêche, qui lui apprend beaucoup sur son métier et qui a acquis par empirisme une supériorité sur elle grâce à sa sagacité et à un sens de l’observation particulièrement aiguisé. Tous ses préjugés sociaux tombent et lorsqu’elle revient à la ville, c’est elle qui passe par folle quand elle fait part de sa nouvelle vision des choses

« Plus tard, j’appris en lisant mes dossiers que j’avais traité mes collègues des pseudo-savants et que je leur avais donné en exemple une villageoise qu’ils n’avaient jamais vue de leur vie. Je les avais aussi accusés de mépriser un homme qu’ils ne connaissaient pas non plus, leur avait reproché leur fatuité et leur manque de respect pour l’humanité, sans même expliquer ce que j’entendais pas là et j’avais rappelé à certains qu’ils n’avaient réussi son examen qu’avec justesse. »

Ce petit livre, rapide et court est un grand plaisir de lecture. On se sent concerné et ému par les personnages et leur histoire en le lisant !  La fin est empreinte de mélancolie. Un belle découverte !


Kveta Legatova source

Kveta Legátová, de son vrai nom Vera Hofmanova, est née en Moravie en 1919. Elle étudie le tchèque et l’allemand à Brno avant la guerre, puis les maths et la physique. Devenue enseignante, elle est affectée dans des zones de montagnes par les autorités communistes, qui voient en elle un « cas problématique ». Au lycée, elle écrit déjà de courtes pièces radiophoniques et poursuit cette activité jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, mais c’est avec la parution de La Belle de Joza (Noir sur Blanc, 2008) et de Ceux de Želary (Prix national tchèque de littérature) que Kveta Legátová connaît un succès foudroyant


Aifelle       Marilyn     Kathel


13 commentaires:

  1. Ah toi aussi tu nous le conseilles. Décidément il faut que je le lise.

    RépondreSupprimer
  2. Encore un titre que je note...pour 2023, je crois!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme toi, je note tous ces beaux titres car on ne peut tout lire ce mois-ci mais cela donne envie.

      Supprimer
  3. Merci pour ton billet, c'est toujours un vrai plaisir de retrouver ce livre chroniqué et les avis vont toujours dans le même sens. Le livre "Ceux de Zelary" est également disponible chez "Noir sur blanc", il attend toujours sur ma PAL !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai que je n'ai vu aucune critique négative !

      Supprimer
  4. Entièrement d'accord avec ta conclusion, c'est un grand plaisir de lecture. Si Maryline ne l'avait pas lu récemment, je serais passée à côté et ça aurait été dommage.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu vois, on se rend des services entre blogueuses !

      Supprimer
  5. Ton billet confirme ce que j'en ai lu par ailleurs, ce titre est noté.
    Beaucoup de retours à la ligne dans les extraits que tu cites, est-ce ainsi dans tout le texte ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non,ce n'est pas toujours ainsi. Là, il s'agit d'une part d'une réflexion intérieure (sur l'amour), d'autre part, d'extraits suivis d'un dialogue.

      Supprimer
  6. Un grand plaisir de lecture, tu as raison. Et une belle émotion, une lecture qui reste. Merci pour le lien.

    RépondreSupprimer
  7. Je découvre et note avec enthousiasme donc.
    Pour moi ton blog et quelques autres sont indispensables car mes lectures d'ici, les clubs de lecture sont bien plus orientées vers tout ce qui est hispanique, je dirais inévitablement.
    Alors grand merci !

    RépondreSupprimer
  8. Je l'ai lu un peu par hasard, un excellent souvenir de lecture. Je suis ravie de voir plusieurs billets dessus.

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.