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mardi 19 septembre 2023

Emile Zola : Pot Bouille

 

Parmi les vingt ouvrages des Rougon Macquart, Pot Bouille (1882) est le dixième. Il est  situé entre Nana (1880) et Au bonheur des dames (1883) qui est la suite de Pot Bouille, roman décrivant la réussite d’Octave Mouret.  

Pot Bouille à l’époque de Zola, désigne péjorativement une cuisine de mauvaise qualité, dans l'acceptation que l’on donne de nos jours au mot tambouille. Et justement c’est cette cuisine-là, au sens figuré, que Zola va nous servir  dans ce livre. 

 


 Octave Mouret

Octave et Marie

Octave Mouret est un des personnages principaux de Pot Bouille. Il arrive à Paris, petit dom Juan de province, bien décidé comme le Rastignac de Balzac à faire fortune par les femmes ! C’est un beau garçon qui a jusqu’alors des conquêtes faciles à son tableau de chasse, grâce à son charme, à ses manières « presque distinguées » de commis de commerce et à sa galanterie envers les dames. Il use et abuse du succès de ses beaux yeux d’or veloutés. Homme à femmes, il professe pourtant, sous ses dehors policés, un mépris profond pour les femmes.

« Il ne savait laquelle choisir, il s’efforçait de garder sa voix tendre, ses gestes câlins. Et, brusquement, accablé, exaspéré, il céda à son fond de brutalité, au dédain féroce qu’il avait de la femme, sous son air d’adoration amoureuse. »

Oui, mais le voilà un peu ridicule dans ce roman, rebuté avec un certain mépris par Valérie, l’épouse de Théophile Vabre, fils cadet du propriétaire, ou repoussé paisiblement par Madame Hédouin, la patronne de Au Bonheur des dames chez qui il travaille.

Quant à ses conquêtes, c’est avec une certaine ironie que Zola malmène son personnage ! Certes, celui-ci arrive à ses fins, et vient à bout, sans gloire mais non sans brutalité, de la passivité et de la résignation de Marie Pichon, femme soumise et sans fortune, qu’il engrosse deux fois au grand dam de son mari, petit employé sans le sou, qui pratique l’abstinence  pour éviter d’avoir trop d'enfants ! Et que dire de la tragi-comédie de sa liaison avec Berthe Josserand, épouse d’Auguste Vabre, le fils aîné du propriétaire ? Adultère qui lui coûte cher, il faut faire des cadeaux à la dame, et qui aboutit à un scandale retentissant après maintes péripéties ridicules et cavalcades dénudées dans les escaliers, commentées par tous les habitants de la maison, bourgeois et domestiques compris, et même par tout le quartier ! Mais, on le verra à la fin du roman, la chance va tourner pour lui !

La maison comme personnage


Si Octave Mouret est l’un des personnages principaux de Pot Bouille, on peut dire qu’il passe presque au second plan derrière la maison bourgeoise dans laquelle il va habiter ! C’est ce grand immeuble qui est réellement le centre du roman et en est même LE personnage à part entière.

 Que se cache-t-il derrière cette belle façade qui respire l’opulence, le calme et semble refléter la probité morale de ceux qui l’habitent ?  Elle se révèle vite comme le luxe de l’escalier en faux marbre, un faux-semblant, une apparence !

"Les panneaux de faux marbre, blancs à bordures roses, montaient régulièrement dans la cage ronde; tandis que la rampe de fonte à bois d’acajou, imitait le vieil argent, avec des épanouissements de feuilles dures. Un tapis rouge, retenu par des tringles de cuivre, couvrait les marches »

« Derrière les belles portes d’acajou luisant, il y avait comme des abîmes d’honnêteté. »

A chaque étage de la maison, sont présentées des familles dont le statut social diminue au fur et à mesure que l’on grimpe les étages, les chambres de bonnes occupant le point le plus élevé ainsi que  le galetas d’un ouvrier puis d’une ouvrière, ces derniers faisant tache dans la maison aux yeux des autres occupants. Et à chaque étage, on découvre des moeurs dissolues, des mesquineries, des scandales avilissants couverts par un abbé en soutane, mondain qui chercher à cacher les frasques de cette « bonne société » pour maintenir l’apparence, lui aussi, - et seulement l’apparence - de la supériorité de l’Eglise et de son emprise sur les âmes.

« Un moment l’abbé Mauduit se retrouva seul, au milieu du salon désert. Il regardait, par la porte grande ouverte, l’écrasement des invités; et, vaincu, il souriait, il jetait une fois encore le manteau de la religion sur cette bourgeoise gâtée, en maître de cérémonie qui drapait le chancre, pour retarder la décomposition finale. Il fallait bien sauver l’ Eglise, puisque Dieu n’avait pas répondu à son cri de désespoir et de misère. »

Par la puissance de son style, Zola fait de  cette maison une entité dotée d’une vie propre, soit qu’elle incarne la dignité apparente de la bourgeoise

« Ce matin-là, le réveil de la maison fut d’une grande dignité bourgeoise. Rien, dans l’escalier, ne gardait la trace des scandales de la nuit, ni les faux marbres qui avaient reflété ce galop d’une femme en chemise, ni la moquette d’où s’était évaporée l’odeur de sa nudité. »

« Alors tout s’abîma, la maison tomba à la solennité des ténèbres, comme anéantie dans la distinction et la décence de son sommeil. »


Soit, au contraire qu’elle dévoile sa face cachée, celle de l’arrière-cour, où  les bonnes vomissent des insultes et révèlent les turpitudes cachées des foyers bourgeois :  

« Et du boyau  noir, monta de nouveau la rancune de la domesticité, au milieu de l’empoisonnement fade du dégel. Il y eut un déballage de linge sale de deux années. Ça consolait de n’être pas bourgeois, quand on voyait les maîtres vivre le nez là-dedans, et s’y plaire, puisqu’ils recommençaient. »

Quant à Julie, la bonne qui doit quitter cette maison, elle répond quand on lui demande si elle en est heureuse : 

"Mon Dieu, mademoiselle, celle-ci ou celle-là, toutes les baraques se ressemblent. Au jour d’aujourd’hui, qui a fait l’une a fait l’autre. C’est cochon et compagnie."

Une violente satire de la bourgeoisie sous l' Empire

BD d'Eric et Simon  Stalner : les personnages

Jamais Zola n’a été aussi virulent, aussi critique. C’est toute la société de l’Empire qu’il fustige, l’hypocrisie, le mensonge qui s’érige en bonne conscience, les tromperies, les adultères, les moeurs corrompues, la bigoterie, le feint amour de Dieu pour se concilier les bonnes grâces de l’église, le conservatisme étroit aussi bien dans le domaine de la morale que de la politique, l’amour de l’argent qui achète tout même les consciences, l’égoïsme,  le  mépris des classes sociales humbles, l’exploitation des ouvriers et des bonnes corvéables à merci, mal nourries, mal  payées.
Personne n’échappe à la satire, voire à la caricature, dans cette si belle maison, les bonnes raillent leurs maîtresses en des termes orduriers et couchent avec les maîtres dans leur chambre sordide, gagné par le gel, l’hiver. Le pire est peut-être ce monsieur Gourd, le concierge, ancien domestique monté en grade, qui est le plus acharné dans son mépris de ceux qui sont maintenant en dessous de lui et qui jette à la rue une ouvrière enceinte et prête à accoucher ! Plus tard, quand celle-ci sera accusé du meurtre de son bébé, on sent toute l’indignation de l’écrivain, qui n’a jamais pu supporter l’injustice, envers une société dure aux humbles.
Quant aux parents, ils vendent leurs filles aux plus offrants, une conception du mariage dépravée qui repose sur l’argent, la fortune du jeune homme, la dot de la fiancée. Et encore ne sont-elles pas toutes comme Berthe et Hortense Josserand, filles à marier, éduquées par une mère âpre au gain, orgueilleuse, tyrannique, qui vit au-dessus de ses moyens, préférant  priver de nourriture sa famille pour paraître en société et qui enseigne à ses filles à piéger le mari potentiel en attisant son désir.

« Depuis longtemps leur mère les avait convaincues de la parfaite infériorité des hommes, dont l’unique rôle devait être d’épouser et de payer » «

« Les trois hivers de chasse à l’homme, les garçons de tous poils, au bras desquels on la jetait, les insuccès de cette offre de son corps, sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs de l’innocence spéculant sur les appétits des niais… »

 Une compassion certaine pour les victimes

Cela n’excuse pas mais fait comprendre le malheur de ces petites bourgeoises mal mariées, et qui cherchent en vain le bonheur hors de leur foyer soit dans les biens matériels, soit dans les bras d’un amant. D’ailleurs, Zola a pour ces femmes adultères qui sont aussi des victimes, une compassion qui s’exprime dans la scène où Marie, ayant pitié de Berthe chassée de sa maison par un mari fou furieux, l’accueille chez elle et où elles pleurent dans les bras l’une de l’autre :

«  C’était une lassitude dernière, une tristesse immense, la fin de tout. Elles ne disaient plus mot, leurs larmes ruisselaient, ruisselaient sans fin dans les ténèbres, au milieu du profond sommeil de la maison, pleine  de décence. »

Cette scène  répond à ceux qui reprochent à Zola son pessimisme et sa noirceur, car son amour pour ceux, malheureux, qui subissent la domination des autres est toujours présente dans ce roman. C’est la cas de Monsieur Josserand qui se tue au travail pour sa femme et ses filles mais n’en reçoit que du mépris ! Ou pour monsieur Duveyrier  aimé ni de sa femme ni de sa maîtresse qui le repoussent. C'est aussi le cas, on l'a vu de l'ouvrière enceinte ou encore  de la femme de ménage, misérable et épuisée, que Monsieur Gourd renvoie puis reprend en en profitant pour lui baisser son salaire.

De plus, à travers la réflexion d’Hortense, Zola dénonce aussi la brutalité courante, admise dans les couples :

Elle préfèrerait recevoir des gifles de son mari que de sa mère, car c’était plus naturel.

Il montre, en décrivant l’horrible accouchement d’Adèle, toute seule, dans sa chambre de bonne, combien les femmes sont toujours les victimes et de quelles souffrances elles paient les amusements des hommes. Une scène d'une puissance terrifiante.

 Des scènes de comédie

Mais il y a aussi de véritables scènes de comédie où  Zola décrit le salon de musique de Clotilde Vabre, épouse Duveyrier, faisant exécuter La bénédiction des poignards par ses amis et voisins devant ses invités résignés  :  

Tout de suite, Clotilde monta une gamme, redescendit; puis les yeux au plafond, avec un expression d'effroi , elle jeta le cri :

"Je tremble"

Et la scène s'engagea, employés et propriétaires, le nez sur leurs parties, dans des poses d'écoliers qui ânonnent une page de grec, juraient qu'ils étaient prêts à délivrer la France. Ce début fut une surprise, car les voix s'étouffaient sous le plafond bas, on ne saisissait qu'un bourdonnement, comme un bruit de charrettes chargées de pavés, dont les vitre tremblaient.

Enfin, une dernière remarque  :  un détail qui fait sourire : l’appartement du second étage est occupé par un écrivain (et sa famille) qui ne se mêle jamais aux autres habitants mais dont on sait qu’il a écrit un livre scandaleux sur les désordres cachés des familles bourgeoises dans un grande maison ! Là,  Zola se fait plaisir.

 Un roman très riche !


LC Avec Myriam

17 commentaires:

  1. Ah Zola ! J'ai une affection particulière pour lui. A l'adolescence, j'ai découvert à travers ses livres que la lecture n'est pas seulement une distraction. Elle amène à la réflexion et à éventuellement à l'engagement. Je n'ai pas lu "Pot Bouille" mais j'ai lu plusieurs volets des "Rougon Macquart". Tu me donnes envie d'y revenir.

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    1. J'ai lu une quinzaine de Rougon Macquart mais, curieusement, pas les premiers. Là, j'ai commencé la lecture de la Fortune des Rougon, les Origines. Si tu veux te joindre à moi ? Ensuite, je saute Au bonheur des dames que Miriam est en train de lire, car je le connais très bien, et je rejoindrai à nouveau Miriam pour la relecture de La joie de vivre.

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    2. J'arrive un peu tard pour vous rejoindre d'autant que j'ai d'autres lectures programmées. Peut-être plus tard, si vous prévoyez de lire d'autres romans de Zola ?

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  2. Un roman assez cruel et qui n'épargne pas grand monde. Lu et relu!

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    1. Oui, je ne l'avais lu qu'une fois et j'ai vraiment apprécié cette relecture !

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  3. je viens de faire un lien avec ton blog. Comme d'habitude ton billet est très complet. Comme je n'avais pas lu Au Bonheur des Dames, je ne me doutais pas de l'importance d'Octave Mouret que j'ai perçu comme un personnage parmi d'autres sans plus. Pas remarqué non plus l'écrivain du deuxième étage!

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    1. Et moi un lien avec le tien ! Octave Mouret, on le rencontre aussi avant Pot Bouille. L'abbé Mouret est son frère. L' écrivain est un détail, un petit plaisir qui se fait Zola, mais qui m'a amusée ! Mais il est sérieux aussi car il montre comment est vu l'écrivain dans cette société bourgeoise si hiérarchisée.

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  4. Bonjour Claudialucia
    Oui, la scène de l'accouchement me rappelle quelque chose, ça a dû me frapper lors de ma lecture des 20 Rougon-Maquart, il y a quelques décennies (je ne les ai pas tous relus depuis!).
    Je ne sais pas combien de pages comporte l'édition reliée en photo, mais je viens en tout cas de découvrir que l'édition Hatier "classiques et Cie / Lycée" de Pot-Bouille fait 642 pages (contre 592 pour le Folio classique): donc, il existe bien au moins une édition en un volume de + de 600 pages pour ce titre...
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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    1. Je l'ai lu sur ma liseuse mais oui, je n'avais pas le nombre de pages, mais la lecture était longue. IL peut donc figurer dans Les épais de l'été !

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  5. Bonjour Claudialucia, je viens de te demander un conseil: je fais partie de deux clubs de lecture ici à Majorque, tous les livres de Zola sont traduits en espagnol, y en a-t-il un parmi les Rougon-Macquart que tu conseillerais pour le proposer ? Parfois le contexte très français rend la lecture compliquée pour des étrangers et j'hésite...

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    1. Evidemment, on a l'embarras du choix mais je pense que Au bonheur des dames est l'un des romans les plus positifs de Zola, celui où il présente un personnage féminin sympathique, intelligent, courageux, et qui a le sens de sa dignité en refusant de tomber dans les bras du patron par vénalité ou amour propre. Zola y adoucit les rapports hommes et femmes en présentant une véritable histoire d'amour sans domination ou mépris. De plus, il peut être compris par tous car il décrit les débuts des grands magasins, le développement du commerce sous l'Empire mais on n'a pas trop besoin de connaître l' Histoire de France de la période en détail si c'est pour des lecteurs étrangers. Juste rappeler le coup d'état de Napoléon III .... Au niveau social il est très intéressant aussi car l'écrivain s'intéresse aux conditions de travail des employés, à l'exploitation capitaliste et propose des solutions dans un sens de justice sociale.
      Après il y a Germinal, mon préféré, sur le travail des mineurs, les luttes sociales très dures, la misère des ouvriers. J'aime beaucoup le style ample, généreux, de Zola dans cette oeuvre qui se hisse au niveau épique.

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    2. Merci beaucoup! Je garde au Bonheur des dames alors qui devrait leur plaire.
      Sinon moi aussi j’aime beaucoup Germinal!
      Bonne soirée

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  6. C'est curieux de voir comme certains de la série restent plus dans la mémoire que d'autres. Celui-ci je m'en souviens bien, mais j'aurais besoin de le relire, j'étais un peu trop jeune pour les apprécier comme je le ferais aujourd'hui. J'ai lu la série dans l'ordre, mais j'ai abandonné au milieu de "la terre" que j'ai trouvé vraiment trop noir et désespérant.

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    1. Je l'ai constaté aussi. Moi aussi, comme toi, je les ai lus très jeune mais il y a ceux que j'ai lus et relus et puis les autres qui ne m'ont laissé que des souvenirs plus ou moins précis.

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  7. C'est l'un de mes favoris (j'en ai lu 17/20) et cette adaptation de Stalner me tente beaucoup.

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    1. J'ai beaucoup apprécié Pot Bouille mais mes préférés, comme je le disais plus haut, restent au bonheur des dames et Germinal.

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  8. je viens de terminer La Joie de Vivre et de rédiger le billet. Il est prévu pour le 27 septembre puisque tu lis si vite, je pense qu'on sera raccord.

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