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samedi 11 mai 2024

Céleste Albaret : Monsieur Proust, souvenirs recueillis par Georges Belmont

 

Céleste et Odilon Albaret

Céleste Albaret a été la gouvernante de Proust de 1913 à 1922, année de sa mort et a longtemps refusé de publier ses souvenirs. Enfin, quand elle se décide à l’âge de 82 ans, elle confie le travail d’écriture à l'écrivain Georges Belmont, expliquant qu’elle a lu trop de mensonges, trop d’inexactitudes sur Marcel Proust et qu’elle doit à sa mémoire de rétablir la vérité telle qu’elle s’en souvient. 

" Mais aujourd’hui avant de quitter à mon tour ce monde, l’idée qu’il puisse subsister un doute et un mensonge sur tout ce que j’ai vu et qui est la vérité, m’est devenue si intolérable que je voudrais qu’il soit dit, une fois pour toutes que les pages qui vont suivre, notamment, sont l’exacte vérité de ma mémoire, et que j’ai suffisamment réexaminé , contrôlé, vérifié les faits dans mon souvenir pour avoir la certitude de ma fidélité absolue à la réalité de qui fut. C’est un testament que j’écris ici, non pas un témoignage."

Jeune lozérienne, enfant gâtée d’une famille aimante, Cécile est catapultée à Paris après son mariage avec Odilon Albaret. Celui-ci est chauffeur de taxi et a pour client régulier Marcel Proust. C’est lui qui présente Céleste à Marcel Proust car la jeune femme, loin de sa mère, dans cette grande ville inconnue, souffre du mal du pays. C’est ainsi qu’elle entre au service de l’écrivain, d’abord comme courriériste, puis comme gouvernante qui bientôt sait tout de son maître, de sa maladie, de ses besoins, de son traitement, les fumigations, de ses peurs de la poussière, de l’humidité, de tout ce qui peut provoquer l’asthme ou troubler son travail, lui qui fait doubler sa chambre de liège pour éviter le bruit.

 

La période du camélia

 

Si Marcel Proust eut une période mondaine que Céleste appelle « le temps du camélia » (à la boutonnière), qui satisfaisait son goût et son désir d'être connu et reconnu par la noblesse, elle est désormais bien terminée, remarque Céleste. Après la guerre, il travaille au lit, dormant peu et mangeant de même. Il ne sort plus de sa chambre que pour répondre encore à des invitations nécessaires pour nourrir son livre, entamant une lutte contre la mort pour parvenir à écrire le mot fin qui semble parfois impossible à atteindre. Il y a toujours quelque chose à ajouter, des passages à peaufiner.

Voyez-vous Céleste, je veux que dans la littérature, mon oeuvre représente une cathédrale. Voilà pourquoi ce n’est jamais fini. Même bâtie, il faut toujours l’orner d’une chose ou d’une autre, un vitrail, un chapiteau, une petite chapelle qu’on ouvre, avec sa petite statue dans le coin.

C’est Céleste qui a l’idée des " béquets", ces bandes de papier écrites de la main de Proust, qu’elle colle aux endroits où des rajouts sont nécessaires. Elle écrit aussi sous la dictée ou recopie des passages de l’oeuvre. Marcel Proust reçoit peu et c’est Céleste qui est chargé de filtrer les visiteurs. Il faut même qu’elle insiste pour qu’il reçoive Gaston Gallimard quand il vient lui annoncer qu’il a remporté le prix Goncourt pour A l’ombre des Jeunes filles en fleurs ( en concurrence avec Les Croix de bois de Dorgeles). Elle connaît ses amis et les jugements secrets qu’il porte sur chacun d’entre eux. Elle devient, au chevet de son maître, une prisonnière consentante, dormant aussi peu que lui, toujours là pour intervenir à ses moindres désirs, mais le faisant, elle insiste, parce qu’elle le veut bien et qu’elle en retire du bonheur malgré l’épuisement. 

La comtesse de Greffulhe, l'un des modèles de la comtesse de Guermantes

Céleste Albaret parle avec intelligence de l’oeuvre de Marcel Proust qu’elle connaît à la perfection. Ainsi, elle fait connaissance de nombreux personnages qui occupent la scène mondaine de l'époque, soit que Marcel Proust les reçoive chez lui, soit qu'il l'envoie porter des billets chez eux, le baron de Montesquiou, Jacques Rivière directeur de la RNF,  l'actrice Réjane, les Daudet, la mère et ses fils Léon et Lucien, Albert Le Cuziat, tenancier d'un maison pour hommes, la comtesse de Noailles, Reynaldo Hahn, madame Straus, veuve de Georges Bizet et la mère de Jacques Bizet, ami de lycée de Marcel Proust...

Mais aux questions des spécialistes sur les clés des personnages, elle répond :

Quand il me déclarait qu’il voyait son oeuvre comme une cathédrale dans la littérature, cela signifiait qu’il estimait qu’elle resterait debout aussi longtemps que les grandes églises qu’il aimait tant - et alors qu’est-ce que cela pouvait faire que son personnage de la duchesse de Guermantes, par exemple, soit pris pour une part à la comtesse Greffulhe ou pour une autre à Mme Straus - et à la comtesse de Chevigné, et pour le reste à dix autres ? Dans cent ans, quelle importance cela aurait-il qu’on le sache, et qui se souviendrait encore de ces dames ? Mais la duchesse de Guermantes et les autres personnages eux, seraient toujours vivants dans ses livres et devant les yeux des nouvelles générations de lecteurs.

 

Madame Straus  :

Et elle constate quant au sens de son oeuvre  :

"Il y avait un monde qu’il avait connu, toute une société et un mode de vie qui s’effritaient et tombaient peu à peu par pans entiers dans un autre monde qui se refaisait. Il l’avait vu; je suis sûre qu’il avait eu la perspective dès les début. Il avait vu la chute de ce monde, bien avant de la connaître. C’est cela qu’il a voulu décrire, un moraliste, avec tous les ressorts humains, toutes les beautés, mais aussi tous les ridicules. Il était terrible dans ses jugements. Oui, il a prédit la chute- voilà ce qu’il faut lire dans son oeuvre.  Si l’on ne sait pas y lire cela, c’est qu’on n’y a rien compris."

Céleste est enterrée au cimetière de Montfort-l'Amaury aux côtés de son mari et de sa sœur, Marie Gineste, qui fut également pendant quelques années au service de Marcel Proust.

 Comment a été accueilli le "testament" de Céleste Albaret ?  Je lis dans Wikipédia : « Traduit en plusieurs langues, Monsieur Proust connaîtra un grand succès public, mais sera mal accueilli en France par certains critiques, spécialistes de Marcel Proust, qui lui reprocheront d'avoir exagéré son intimité avec l'auteur, ne pouvant admettre qu'il ait passé tant de temps à se confier à « une servante inculte ». »

Je ne sais pas quel imbécile a écrit cette ineptie mais il serait digne de figurer dans un des portraits caricaturaux de Marcel Proust, tant il traduit de sotte suffisance, de snobisme et préjugés de classe. Ce qui témoigne de « l’intimité » de Marcel Proust et de Céleste, par exemple ?  C’est ce poème qu’il a écrit pour elle sous forme de plaisanterie :

"Grande, fine, belle et maigre,
Tantôt lasse, tantôt allègre,
Charmant les princes comme la pègre,
Lançant à Marcel un mot aigre,
Lui rendant pour le miel le vinaigre,
Spirituelle, agile, intègre,
Telle est la nièce de Nègre. »


 et  cette dédicace qu’il écrivit, en mai 1921, sur le feuillet de garde d’un exemplaire réunissant Le Côté de Guermantes II et Sodome et Gomorrhe I :

« À ma chère Céleste, à ma fidèle amie de huit années, mais en réalité si unie à ma pensée que je dirai plus vrai en l’appelant mon amie de toujours, ne pouvant plus imaginer que je ne l’ai pas toujours connue, connaissant son passé d’enfant gâtée dans ses caprices d’aujourd’hui, à Céleste croix de guerre car elle a supporté gothas et berthas, à Céleste qui a supporté la croix de mon humeur à Céleste croix d’honneur. Son ami Marcel. »

Une vraie, une réelle amitié malgré la différence sociale !  Et le résultat est un livre prenant, plein d’émotions, sincère, qui ne tourne pas à l'hagiographie mais est extrêmement positif, on s'en doute !  Et qui nous fait revivre l’écrivain comme nul biographe ne peut le faire, dans les moindres détails de sa vie intime, de ses habitudes, de sa maladie, de sa lutte épuisante pour finir son oeuvre, au plus près de sa création et ceci avec un respect, une admiration, un amour inconditionnels et, ce qui ne gâte rien, une connaissance de l’oeuvre qu’elle a vu naître et à laquelle elle participé à sa façon. 



LC Avec Fanja : Céleste, Bien sûr monsieur Proust

 

8 commentaires:

  1. Il me semble avoir lu ce livre il y a fort longtemps!

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  2. j'ai entendu la voix de cette femme qui a tant compté pour Proust. C'est incroyable tout ce qu'on publie autour de cet auteur que tout le monde a l'air d'apprécier, ce n'était pas le cas quand j'étais jeune.

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  3. j'ai ce livre dans ma bibliothèque depuis très longtemps, aujourd'hui j'ai choisi de l'écouter plutôt que de relire
    je te conseille les podcasts sur Radio France France culture des heures sélectionnées de sa parole dont belmont a fait ensuite le livre
    C'est drôle parfois très émouvant et vraiment passionnant

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  4. miriam panigel11 mai 2024 à 16:27

    je le lirai en juillet, il est à la campagne, je me tiens à ce que j'ai décidé, l'oeuvre d'abord, les commentaires ensuite

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  5. En te lisant, je retrouve bien la plupart des souvenirs de Céleste retranscrits dans la BD de Chloé Cruchaudet que j'ai lue, entre autres les béquets et la scène mondaine de l'époque que je n'ai pas évoqués, mais tout y était bien présent. S'agissant d'une adaptation de ses propos recueillis à diverses sources, dont celle que tu as lue, c'est sûrement moins complet, détaillé et éclairant sur leur relation, mais ça m'a déjà donné un très bon aperçu. Je trouve ça aussi choquant le doute émis sur l'intimité de leurs liens sous prétexte qu'elle n'était qu'une servante inculte. J'avais lu aussi ce passage dans Wikipédia parce que j'étais tellement fascinée par cette histoire que je voulais creuser un peu plus loin, glaner davantage d'informations, déterminer la part du vrai et du fictif. Je suis aussi tombée sur quelques archives de l'INA dont celle-ci : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i08042540/celeste-albaret-et-le-travail-de-proust.
    Bref, une belle découverte que cette Céleste et l'histoire de sa relation avec Proust !

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  6. Ce bon vieux mépris de classe, si répandu en France et encore plus dans le milieu littéraire. Il y a pas mal d'années, j'avais écouté une série d'émissions sur Céleste à France-Culture, c'était passionnant.

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  7. Des souvenirs que j'ai lus avec grand plaisir, surtout pour les détails concrets de la manière dont vivait Proust.

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  8. J'ai cheminé toute la matinée en compagnie de Céleste Albaret grâce à un podcast de RadioFrance génial. Et comme il y a encore deux épisodes je continuerai demain. Je vous le conseille! Celeste Albaret chez monsieur Proust dans la Grande Traversée France Culture.

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