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mercredi 29 mai 2024

Herman Melville : Billy Budd

 

Billy Budd est une jeune marin de vingt et un ans, dont la beauté attire l’attention. Ses camarades l’ont surnommé « le Beau Marin » ou encore « Bébé Budd ». Il est embauché d’abord dans la marine marchande où sa bonne humeur et sa belle mine lui attirent toutes les sympathies. Par la suite, il est enrôlé de force dans la marine de guerre sur le bateau le Bellipotent comme l’était grand nombre de jeunes gens à cette époque.

Gabier de misaine, Billy s’efforce d’accepter le changement qui vient d’intervenir dans sa vie sans protester et d’accomplir son travail correctement. Mais il va se heurter à la malveillance affichée du capitaine d’armes, John Claggart. Celui-ci n’a aucune raison d’en vouloir à Billy, et, nous dit Melville, ces sentiments ne sont pas rationnels mais liés à « une dépravation relevant de la nature. »  En fait, « la raison première de sa haine pour Billy, à savoir la remarquable beauté de ce personnage » semble être l’unique motivation de sa conduite.

L’homosexualité refoulée de Claggart qui nie son attirance pour le Beau Marin, prisonnier de sa conception de la virilité et des préjugés de l’époque, est précisée explicitement par ailleurs. Elle fait écho à l’homosexualité de Melville interdite par son éducation puritaine mais qui apparaît dans chacun de ses romans.

« Claggart apparaissait alors comme l’homme de douleurs. Oui, et parfois l’expression mélancolique se nuançait de tendre nostalgie, comme si Claggart aurait pu aimer Billy n’eut été l’interdit du destin ».

Claggart ne peut lutter contre cet amour qu’il juge coupable et qui le mettrait au ban de la société, qu’en cherchant à le nier et à en supprimer l’objet. Claggart est le Mal, le jeune homme représente le Bien, sa jeunesse se pare d’une innocence presque enfantine qui ne lui permet pas de discerner le Mal. Il est donc la victime toute désignée. Son seul défaut est un bégaiement qui l’affecte au cours d’une trop grande émotion. Aussi lorsque Claggart l’accuse injustement de fomenter une mutinerie devant le capitaine Edward Fairfax Vere, ne pouvant se défendre et exprimer son innocence, Billy frappe Claggart de son poing et le tue.

Le contexte historique a une grande importance dans le récit et d'ailleurs Melville y consacre plusieurs chapitres s'étendant, en particulier, sur  le mode de recrutement des marins et sur l'enrôlement forcé. Le drame se déroule au moment de la révolution française pendant l’été de 1797. Les marins anglais, cette année là, déclenchèrent une série de mutineries qui furent sévèrement réprimées. Pourtant le mécontentement couve toujours et les officiers sont à cran. C’est ce qui explique que le sort de Billy Budd accusé de meurtre, même si l’on reconnaît son innocence au sujet de la mutinerie, soit fixé d’avance. Le capitaine Vere, partisan de l’ordre et de la discipline militaire, le condamne à  la pendaison et il est exécuté dès le lever du soleil.
 
 Il y a quelque chose de christique dans la mort du Beau Marin. En mourant, alors qu’il est innocent, ce sont les péchés collectifs qu’il expie et non sa propre faute et, de même que le Christ, il meurt en pardonnant à celui qui l’a condamné : « Que Dieu bénisse le capitaine Vere !», hissé sur la grande vergue, dans une symbolique de la lumière qui l’auréole et le transfigure :

« au même instant le hasard voulut que la toison vaporeuse suspendue bas à l’orient s’imprégnât d’une douce et glorieuse lumière, comme dans une vision mystique la toison de l’Agneau de Dieu, tandis que simultanément, suivi du regard par la masse compacte de visages torturés vers le haut, Billy s’élevait; et, s’élevant recevait en plein le rose de l’aube. »

On pourrait penser que la nouvelle, se terminant par le pardon et cette image du Christ, est finalement optimiste malgré le tragique du propos. C’est ce que je pensais, notant que le calviniste Melville semble dire que son héros est sauvé malgré sa prédestination au malheur, puisqu’il reçoit la promesse de l’aube, condamné par les hommes mais reçu par Dieu.  

Mais dans la préface, le traducteur Daniel Orme explique que de nombreux critiques s'interrogent sur le sens de cette nouvelle. Certains considèrent  le récit de Melville comme une parodie ironique et que c'est ainsi qu'il faudrait prendre la dernière phrase de Billy Budd, "Que Dieu bénisse le capitaine Vere".  La nouvelle témoignerait alors du rejet de la loi militaire qui n'hésite pas à sacrifier un innocent et d'une condamnation sans appel du capitaine Verre. Daniel Orme pense que c'est aller trop loin dans  l'interprétation de la pensée de Melville, petit-fils du Major Thomas Melville, qui n'a jamais cessé de respecter l'ordre militaire.
 
Pourtant, Rictor Norton va beaucoup plus loin dans son étude : "Herman Melville", Gay History and Literature, 9 janvier 2000. 

Il analyse l’entretien « secret » qui a lieu entre Billy Budd et le capitaine Vere avant la pendaison, l’auteur pose cette question : « Que s’est-il passé dans le placard du capitaine Vere ? » et il conclut  :

"Cela se termine par le triomphe stérile de l’autorépression. Le « Que Dieu bénisse le capitaine Vere » de Billy est plein de l'ironie la plus amère. Au moment où il prononce cette bénédiction, à laquelle fait écho l'équipage du navire, "le capitaine Vere, soit par maîtrise de soi stoïque, soit par une sorte de paralysie momentanée provoquée par un choc émotionnel, se tenait droit, rigide comme un mousquet, dans le râtelier de l'armure du navire". - c'est-à-dire : il devient un pénis en érection. La bénédiction et l'exécution sont suivies d'un très court chapitre intitulé "Une digression", dans lequel le commissaire de bord et le chirurgien ne parviennent pas à expliquer l'étrange absence du "spasme musculaire" dans le corps pendu de Billy, un "spasme" qui est " plus ou moins invariable dans ces cas-là. ». On se demande combien de lecteurs de Melville se rendent compte que ce dont il est question est de l'orgasme et de l'éjaculation qui se produisent habituellement lorsqu'un homme est pendu - une des raisons pour lesquelles les réformateurs estimaient que les pendaisons publiques étaient obscènes."

Billy Bud nous dit-on est l'une de des nouvelles les plus discutées, les plus controversées de Melville. Les interprétations qui en ont été données sont souvent complexes et contradictoires.

A vous de vous faire une idée en la lisant ! 




LC avec Keisha

Autre LC sur Melville prévu avec Fanja à une date non arrêtée


7 commentaires:

  1. Sans vouloir me lancer dans les essais d'interprétation, je lirais bien cette nouvelle, pour le contexte historique (et le défi maritime !). De plus, je connais peu Melville, je n'ai lu que Bartleby.

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  2. Dans les commentaires que j'ai lu sur ce roman qui m'a beaucoup plu il est fait mention d'une possible homosexualité du marin mais effectivement même si l'on peut y penser en lisant ce n'est pas décisif mais l'époque de l'écriture y est peut être pour quelque chose

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  3. je crois que je n'irai pas plus loin que la lecture de ton billet pour me faire une opinion !

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  4. je connais peu cet auteur aussi, merci pour ton billet!

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  5. je connais peu cet auteur aussi, merci pour ton billet!

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  6. Tu as bien dressé le tableau dans ton billet. Je peux presque dire que j'ai lu Billy Budd maintenant.^^ Bon, moi c'est Moby Dick qui m'attend. Je fais tout pour maintenir le cap. Je devrais l'atteindre d'ici juillet.:)

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  7. Décidément quel auteur passionnant ! Je ne connais pas ce texte, que j'ai très envie de lire. Ce que tu en dis me rappelle Benito Cereno, une nouvelle à l'interprétation impossible et contradictoire... C'est vraiment passionnant.

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