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dimanche 6 février 2022

Nikos Kokantzis : Gioconda

 

Nikos Kokantzis, né à Thessalonique en 1927, y a étudié la médecine avant de se spécialiser en psychiatrie à Londres où il vécut plusieurs années.
 Et c'est en 1975 que Nikos Kokantzis décide d’écrire l’histoire d'amour qu’il a vécue avec Gioconda en 1943. Une histoire vraie ! C’est son seul ouvrage traduit en français. Il a aussi écrit un recueil : Neuf histoires et un livret et  un recueil de poèmes intitulé Quarteto qui ne sont pas encore traduits.

Gioconda de Nikos Kokantzis est un court roman très dense où l’écrivain raconte son histoire, celle de son amour d’adolescent avec sa jeune voisine, de famille juive, la jolie Gioconda aux yeux gris, si jolie, rieuse, amoureuse, passionnée. Un premier amour entre deux adolescents qui s’éveillent à la sensualité, avec tout ce que cela comporte de sincérité, de don de soi, d’émerveillement, de bonheur mutuel. Somme toute une belle histoire, mais… banale ?
 Hélas, non ! Car nous sommes en 1943 à Thessalonique et la Grèce est occupée par les Allemands qui, comme partout en Europe, restreignent les libertés des juifs et les déportent. Gioconda et toute sa famille sont amenés à Auschwitz. Personne n’en reviendra.

Gioconda n'est plus qu'un rêve. Parfois je me demande si elle a existé, j'interroge mes parents, mes cousins, pour m'assurer que oui. Quelque part en Allemagne de l'Est, des parcelles de ce qu'elle fut subsistent peut-être dans l'écorce d'un arbre, dans une motte de terre. Des gens l'ont peut-être sentie dans une fleur, bue dans leur vin. Les vents qui ont soufflé toutes ces années l'ont peut-être ramenée en Grèce et je l'ai respirée, qui sait, sans le savoir, en une dernière union amoureuse. Les grand yeux gris, les lèvres douces, la peau si lisse, la voix rauque... Le rire, le chagrin, l'amour, tout ce qu'Elle était.

Le récit est haletant, rapide, comme pour refléter à la fois l’entièreté du sentiment amoureux qui exclut les autres, qui balaient les doutes, l’hésitation, et fait vivre les amoureux dans une bulle à part, proche du rêve ; mais aussi l’urgence, comme si la Mort talonnait le jeune couple, comme s’ils savaient déjà que leur temps était compté.

Ces rencontres cachées, hâtives, dans l’inconfort et l’inquiétude, ne duraient jamais  plus d’une demi-heure. Mais dans ce temps si bref se concentraient le plaisir et l’émotion d’heures et de jours entiers qui, nous ne le savions pas encore, allaient donner un sens à notre vie, et remplir le vide laissée par mon amie quand elle serait partie à jamais. Je m’en souviens avec la plus profonde reconnaissance et je prie que le cauchemar des derniers mois de sa vie ait été adouci, ait perdu un peu de son horreur grâce aux souvenirs de ces instants, à la plénitude de notre vie pendant ces derniers mois terrifiants et magiques. Je ne le saurai jamais.


Et pourtant, lorsque la Mort est là sous les traits des soldats allemands qui viennent chercher la famille, celle-ci apparaît policée, sans éclats, sans cris, presque neutre, rendant encore plus violente l’horreur et l’inhumanité de la déportation.

Ils vinrent les chercher par une chaude fin d’après midi. Un grand camion militaire arriva, avec trois soldats allemands et un officier, peu bavards, méthodiques et presque polis. (…) Les soldats les aidèrent à monter, leur passèrent les valises et le paquet, montèrent à leur tour, relevèrent le battant et mirent la chaîne. L’officier se tourna vers mon père et, à notre surprise, le salua militairement en claquant des talons, avant de monter à côté du chauffeur. Le camion démarra, avança jusqu’au coin de notre petite rue, tourna dans l’avenue et disparut à nos yeux..


Un beau récit, tragique, émouvant, qui rappelle, à travers les souvenirs de Nikos Kokantzis, la nécessité de préserver la mémoire pour que les victimes soient sauvées de l’oubli. 

 ***

Zenaïda Serebriakova  est une peintre que j'ai découverte à Moscou à la Galerie Tetriakov. C'est son autoportrait qui orne la couverture de Gioconda.

Moscou : la galerie Tetriakov 

Les trois tableaux Zenaïda Serebriakova dans la galerie Tetriakov


Zenaïda Serebriakova : autoportrait


Zenaida Serebriakova – Le déjeuner des enfants  1914


Zenaida Serebriakova : Les cueilleuses de lavande

6 commentaires:

  1. Belle et triste histoire... La couverture est un tableau d'un musée moscovite!

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  2. Je me souviens de cette lecture, un souvenir fort, sa sensualité, sa violence, toute cette vie et la tragédie, son horreur.

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  3. Toutes ces histoires qui n'ont pas pu être vécues, perdues dans une tragédie, il ne faut pas les oublier en effet, maintenant que ceux qui l'ont vécue disparaissent peu à peu. Très bel autoportrait de cette peintre russe que je ne connaissais pas.

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  4. Ce titre est noté, merci pour ces toiles merveilleuses de Serebriakova !

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  5. Que j'ai aimé ce livre! Publié dans une autre édition sans le tableau

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  6. J'ai l'impression d'en avoir déjà entendu parler. Cette fois, je le note, cela a l'air d'être une belle histoire.

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