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dimanche 20 novembre 2022

Marieke Lucas Rijneveld : Qui sème le vent

 



Il faut avoir le coeur bien accroché pour lire Qui sème le vent, le livre de Marieke Lucas Rijneveld, jeune écrivaine présentée comme « la nouvelle sensation européenne ».

La narratrice a dix ans, au début de l’histoire, lorsque son frère aîné, Matthis, se noie en patinant sur un lac gelé. Au chagrin ressenti, s’ajoute une sentiment de culpabilité car la fillette se sent responsable de sa mort, sentiment que partagent les parents de Matthis qui se considèrent comme fautifs devant Dieu et voient dans cette mort un châtiment divin.
Nous sommes au Pays-Bas, dans un famille très religieuse, pratiquant un protestantisme rigide (on lave au savon la bouche des enfants qui profèrent des gros mots !) et on cite la Bible à tout propos.
La pratique intégriste (ou passéiste?) de la religion, les conditions de vie dans la ferme, le manque d’hygiène qui y règne, me paraissent un peu archaïques pour un pays comme celui-ci, aussi j’ai été étonnée de constater que le récit avait lieu dans les années 2000. Je le pensais antérieur mais il semble que ce soit une région pauvre. Parka dit de son village qu’il est « moisi et misérable » et elle aimerait passer de "l'autre côté".

Après la mort de Matthis, la fillette, en retrait, observe ce qui se passe autour d’elle. La famille se délite, le père et la mère deviennent étrangers l’un à l’autre, voire hostiles, et se replient sur eux-mêmes, incapables de montrer de l’amour à leurs autres enfants. Le travail de la ferme les accapare et elle a l’impression que le soin des vaches passe avant eux, comme "un cas de force majeure", et occupe tout le temps disponible ! Son frère Obbe, extrêmement perturbé, exerce sa cruauté sur les animaux et bientôt sur ses semblables, jouant à des jeux pervers. Hanna, sa petite soeur, trouve dans la masturbation un exutoire à son angoisse. Quant à la narratrice, Parka, enveloppée dans son vêtement qu’elle ne veut plus quitter, comme un rempart contre le monde extérieur, elle glisse peu à peu dans le désespoir.

Ce n’est pas seulement la noirceur de l’histoire qui a rendu ma lecture pénible. C’est l’insistance sur des détails triviaux et largement commentés que l’on évoque rarement dans un roman : Parka mange ses crottes de nez (description), elle est constipée et ne nous épargne rien (description) de son calvaire. Tous ces détails parfois sordides, cette insistance, cette précision réaliste, créent un malaise désagréable chez le lecteur, le rendent à la fois voyeur et acteur de ces scènes. D'où la gêne ressentie mais elles ont assez de force pour lui faire partager le mal-être de la petite fille. Son esprit est malade, son corps aussi. Et au final, la détresse de l’enfant nous touche; ainsi lorsqu’elle parle à ses crapauds :

"Or, pour être franche, illustres crapauds, il me semble qu’on s’est enterrés, même si on est en été. Embourbés jusqu’au cou et personne pour nous tirer de là. Au fait, vous avez un Dieu, vous ? Un Dieu qui pardonne ou un Dieu qui mémorise tout ? Je ne sais plus quel genre de Dieu on a. Peut-être est-il en vacances à moins qu’il ne soit aussi enterré. En tout cas, il est pas souvent au boulot."

Parka a son franc parler et surtout, contrairement à son éducation religieuse et peut-être à cause d’elle, elle s’intéresse beaucoup à la sexualité. Evidemment, vivant dans une ferme, elle est bien au courant de tout ce qui touche à la reproduction sans tout comprendre pourtant.  Le sexe des petits angelots qui ornent le sapin de Noël la passionne, celui de son petit voisin aussi.

"La biroute du voisin était un peu flasque au toucher, comme les paupiettes farcies de viande hachée que grand-mère me demande certains dimanches, de rouler sur le plan de travail préalablement parsemé d’herbes aromatiques."

Mais elle en parle malgré tout comme une enfant avec des détails crus et naïfs qui ne manquent pas d’humour. Par la suite, elle s’angoisse car elle a peur d’être une pédophile.
 De même, elle élève des crapauds pour qu’ils s’accouplent, ce qui entraînerait,  espère-t-elle,  comme une relation de cause à effet, l’accouplement de ses parents et la fin de leur malheur.

Le style est dérangeant et même provocateur, on a l’impression que l’écrivaine veut nous plonger dans l’enfer que vivent tous les membres de cette famille, nous enterrer, nous embourber pour reprendre les expressions de Parka. Et elle y parvient totalement. Alors pourquoi continuer ma lecture ? Parce qu’il y a ici un réel talent d’écriture. Inventive, imagée, pittoresque, elle ne ne ressemble à rien d’autre. C’est un style qui paraît naïf mais qui est très savant, très travaillé, précis, avec des comparaisons et des images frappantes.

"On peut comparer les silences qui suscitent de la gêne au fumier sec qui reste collé aux semelles même si on les racle sur le gratte-pieds : on ne sait quoi en faire."

"De près, les verrues des crapauds ressemblent à des câpres. Boutons de fleurs verdâtres que je trouve dégueulasses. Quand on en fait péter une en la pinçant entre le pouce et l’index, une substance aigre en sort pareille à celle des glandes à venin de ces batraciens."

 Et certains passages sont même très beaux et témoignent d'une observation pleine de finesse et de poésie :

 Alignés les arbres penchent la tête du côté de ma chambre, pareils à un  groupe de conseillers presbytéraux qui écoutent aux fenêtres.

C’est sûr que l’écrivaine a du talent, de la personnalité, mais, cela est sûr aussi, elle n’est pas là pour nous faire plaisir !


 

16 commentaires:

  1. Je n'ai pas le coeur assez bien accroché pour me lancer dans cette lecture ! tu as eu du courage d'aller jusqu'au bout.

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  2. c'est à cet auteur qu'on avait demandé de faire la traduction du poème d'Amanda Gorman (de l'inauguration Biden) mais elle s'est retirée après le tintouin dû au fait que des voix s'étaient élevées pour protester et exiger que ce soit une femme noire qui traduise le poème d'une femme noire...
    Et oui, il y a aux Pays-Bas des régions où les gens vivent cette sorte de protestantisme "extrême", qui refusent le darwinisme etc etc...

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    1. Effectivement, comme elle est blanche, elle ne peut pas traduire une femme noire. Je trouve cela ridicule et exécrable et pour tout dire idiot ! Du racisme, en fait ! Comme si la couleur de la peau empêchait de comprendre l'autre, comme si tous des êtres humains n'étaient pas semblables !
      Je pensais que cet obscurantisme était réservé aux Etats-Unis !

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  3. Hé bien, je passe sans regret, les descriptions qui ont pour but de mettre le lecteur mal à l'aise, ce n'est pas trop ma tasse de thé !

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  4. J'ai beaucoup souffert ! Mais comme je le dis dans mon billet, elle a de grandes qualités d'écriture.

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  5. dommage pour la découverte de sa plume, je crains le côté trop dur aussi !

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    1. Je ne sais pas si je l'aurais lu sachant combien j'allais être mal.

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  6. Heureusement que tu parles des détails crus ( constipation etc...), je sais que je ne lirai pas ce roman à cause de ça et des autres détails que tu as ajoutés :-(

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    1. Oui, c'est assez difficile de lire un livre qui te donne envie de fuir !

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  7. Tu poses là une question essentielle: dans quelle mesure un auteur peut-il nous mener dans l'horreur, la terreur, le dégoût etc. sans que pour autant on abandonne la lecture ? Tu l'as poursuivie mais ne le recommandes pas, c'est évident. Marieke s'est fiche-t-elle d'être lue?

    J'ai repensé à Tom Lanoye "La lange de ma mère" (il est belge, néerlandophone) où des détails crus, par exemple sur la nourriture qui restait dans la prothèse dentaire de sa mère, m'avaient frappée.

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    1. pas "lange" mais "langue"
      bien sûr,...tu as compris, pardon.

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  8. Merci d'avoir réagi, et nous sommes bien d'accord sur le fait qu'un auteur a le droit d'écrire ce qu'il veut, comme il veut (dans nos démocraties occidentales), et on célèbre le fait qu'il puisse le faire, cent fois oui!
    Là où je me pose parfois des questions pour certains auteurs c'est sur le lien qu'il y a entre écrire et publier, donc vouloir être lu, vendre. Je parle en général.
    Sinon bien d'accord aussi sur le fait qu'il serait indigne qu'un auteur se censure pour intéresser, plaire.
    Ceci dit, je suis allée lire plusieurs articles sur cette jeune personne, puis j'ai relu ton billet. Et j'ai commandé le roman !
    merci !

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  9. C'est certain que tout écrivain écrit pour être lu. Il n'existe que parce qu'il a des lecteurs. Ceci dit, il peut rester sincère et honnête et ne pas faire de compromissions pour obtenir le succès. Je suis curieuse de savoir ce que tu vas en penser.

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  10. Bonjour Claudia, je reviens après avoir lu ce roman, et je te remercie. J'ai été happée et entraînée jusqu’à la fin.
    Te dire d'abord que je connais bien les Polders hollandais, étant née à Anvers, tout près des Pays-Bas où nous allions souvent. Paysages, nourritures me sont familiers. Par contre l'ambiance tellement religieuse m'a surprise.
    Je me suis dit en lisant que ce ne pouvait être que du vécu, romancé, mais basé sur une forte réalité de l'auteure.
    Il me semble que je n'ai jamais rien lu d'aussi fort et si vrai sur les atermoiements de cette époque de la pré-adolescence.
    La pauvreté extrême où le père ramène de la boulangeries les invendus, parfois moisis, la saleté oui, mais aussi l'extrême propreté à l'intérieur où la mère balaie 3 fois par jour.
    L'imagination très, trop fertile de la jeune fille, ce récit fait de comparaisons, de références à d'autres choses similaires, de petits détails réalistes ou rêvés...bref, je l'ai trouvé très dur mais magnifique.
    Bonne pause au Portugal !


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