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jeudi 9 février 2023

Lisbonne : Musée national d'art ancien MNAA (1) : Le retable de Santa Auta La légende de Saint Ursule

La légende de sainte Ursule : le mariage de Saint Ursule et du prince Conan

 La légende de Sainte Ursule

La légende de Saint Ursule, vierge martyre, et des onze mille vierges, est très répandue au XVI siècle. Il y a plusieurs variantes à cette légende qui date, selon les sources, du III ou V siècle. Le récit rapporté par Voragine dans La légende dorée entre 1261 et 1266 présente Ursule comme la fille d'un roi chrétien breton. Demandée en mariage par un roi d'Angleterre pour son fils, Conan, (parfois Etrée ou Etérée), elle exige qu'il se convertisse au christianisme et pour s'éloigner de son fiancé en attendant le mariage elle effectue, avec onze mille vierges, un pèlerinage de trois ans auprès du pape Cyriaque à Rome. Sur le chemin du retour, elle et ses compagnes sont prisonnières des Huns qui assiégent Cologne. Elle refuse d'épouser leur chef (Attila ?) et d'abjurer sa foi. Elle et ses suivantes  sont massacrées par les Huns. On a retrouvé une sépulture à Cologne au XII siècle que l'on a supposée être celle d'Ursule et de ses compagnes. Le nombre de onze mille gravé sur la tombe semble être une erreur de lecture des chiffres romains : XIMV qui ont été interprétés ainsi : XI . M . V - onze Mille Vierges mais qui pourrait l'être d'une autre manière : XI. Martyres. Vierges.  Mais rien n'atteste de toute façon l'existence de cette sainte.

 Santa Auta,  l'une des onze mille vierges

Le retable de Santa Auta est un polyptyque de cinq peintures à l'huile sur bois de chêne datant d'environ 1520-1525 conçu pour le couvent de Madre de Deus fondé par Dona Leonor, à Xabregas. Il a été peint par un artiste portugais de la Renaissance connu sous le vocable de Maître du rétable de Santa Auta et fait référence à la légende de Saint Ursule. J'ai lu dans un article qu'il avait été attribué, entre autres, à Cristóvão de Figueiredo mais sans authentification. Dona Leonor, la soeur de Manuel 1er, épouse de Jao II, qui vénérait Sainte Ursule avait reçu les reliques de santa Auta, l'une des compagnes de la sainte, envoyée de Cologne par son cousin, Maximilien d’Autriche. 

 Le retable de Santa Auta qui est à présent l’un des joyaux du musée national d’Art antique de Lisbonne présente trois panneaux, dont deux sont peints des deux côtés, avers et revers, cinq peintures, donc, qui narrent la légende de sainte Ursule.
Le panneau central raconte le martyre de Sainte Ursule et des onze mille vierges, l'avers du panneau latéral gauche montre le mariage de Saint Ursule avec le prince païen Conan converti au catholicisme; au revers le départ des reliques de Sainte Auta pour Lisbonne. L' avers du panneau droit montre le pape Cyriaque bénissant Ursule et ses  compagnes et au revers l’arrivée des reliques de Santa Auta à l'église de Madre de Deus.

 L'avers panneau gauche : le mariage d'Ursule et de Conan

 

Le prince Conan  et sainte Ursule

Le prince Conan et Sainte Ursule sont unis par l'évêque Jacques d'Antioche, du moins dans cette version portugaise. Dans d'autres versions, il n'y a pas de mariage. Sa main gantée de rouge bénit l'union des deux souverains. Le luxe des toilettes et des bijoux est remarquable. Au-dessus d'eux un ange consacre la sainteté de cette union et derrière eux  six musiciens noirs, probablement des esclaves, qui ne sont pas rares à la cour du roi Manuel au moment des découvertes des pays d'Afrique, introduisent le son et la musique dans cette célébration princière.

 

Les musiciens noirs (détails)

A côté de Sainte Ursule se tient Sainte Auta et deux autres dames de haut lignage, des suivantes. Comme Ursule, Auta porte une couronne et est habillée somptueusement, ce qui témoigne de son rang élevé. Elle tient une flèche dans la main, symbole de son martyre.   

 

Le mariage de Conan et Sainte Ursule : détail : à gauche Sainte Ursule, à droite Sainte Auta
 

Derrière Conan, trois gentilhommes et un  page qui tient la traîne du prince. Malgré le sujet religieux, le Maître de la légende de Santa Auta a voulu peindre un mariage de cour et la scène encadré de lourdes tentures, de brocarts d'or et de velours, est digne d'une scène de théâtre profane... pour notre plus grand plaisir ! Remarquez le manteau de brocart en soie de sainte Ursule ou celui du prince, avec col, liseré et rabat des manches en hermine.


Le mariage de Conan et Sainte Ursule : détail : gentilhommes et pages

 

L'avers du panneau droit : la bénédiction de Sainte Ursule et de ses compagnes

 

Le maître de Santa Auta MNAA

Dans le panneau droit le pape Cyriaque bénit le prince Conan, Sainte Auta, Sainte Ursule et toutes ses compagnes avant leur départ à Cologne.

 

 Le panneau central du rétable de Sainte Auta

 


Bien qu'il soit central, ce panneau ne raconte pas le début de l'histoire mais la suite, après la mariage d'Ursule et Conan et la bénédiction du pape. 

Dans ce panneau central qu’il faut lire de gauche à droite, on voit qu’une histoire nous est racontée comme dans une BD

Dans la partie gauche du tableau, Ursule part de Rome et s’embarque pour Cologne.  La foule est massée sur le quai. Au premier rang on reconnaît  l'évêque d'Antioche, le pape Cyriarque, la robe rouge d'un cardinal qui accompagnent sainte Ursule dans son voyage. On les retrouvera à l'arrivée.  Ursule monte dans la barque et s'installe auprès du prince Conan et  de Sainte Auta. Le batelier repousse le quai avec le rame. C'est le départ.

A droite, le paysage est celui de l'estuaire du Tage. A l'arrière plan figurent sept galions et deux caravelles qui rappellent la période historique, fin du XV et début du XVI siècle, et les grandes découvertes maritimes portugaises. Les drapeaux portugais des rois don João II ainsi que les  fanions et  drapeaux avec la sphère armillaire de don Manuel I sont déployés. Nous sommes dans l’âge d’or du pays. De ces nefs partent les embarcations qui transportent les passagers  vers le rivage. Avant même que celle de sainte Ursule et de ses compagnons accoste le massacre a déjà commencé.

La violence se déchaîne. Une femme est  morte, affaissée sur la rive, un cimeterre va s'abattre sur la tête d'une autre. Un des assaillants a saisi l'une d'elle par les cheveux et la tire hors de la barque. Les Vierges sont massacrées par des personnages qui ont tout l’air d’être des Turcs (et non des Huns),  rappelant les conflits du Portugal pour la route du commerce avec les  barbaresques. Derrière et jusque dans le lointain arrivent les autres barques transportant les onze mille vierges.


Le revers du panneau gauche  : le transfert des reliques de Santa Auta

 

L e retable de Sainte Auta  : le transfert des reliques de Santa Auta de Cologne
 
La procession transportant les reliques de Santa Auta part de Cologne dont les fortifications forment l'arrière plan. Des frères sont chargés du reliquaire recouvert d'un drap d'or, suivis par une foule parmi laquelle on distingue un cardinal coiffé de rouge. Sur l'escalier des marins dévotement agenouillés attendent de recevoir l'urne pour la hisser sur le galion. Au  premier plan se dresse Santa Auta tenant un livre dans la main, couronnée d'une auréole et d'une couronne. La pointe de la flèche témoignant de son martyre est fichée dans sa poitrine. Elle a la palme du martyre à la main. Elle est située au-dessus des humains, leur tournant le dos, comme entre ciel et terre, entièrement  coupée des liens terrestres dans son ascension vers la sainteté. Le vêtement de brocart de soie décoré de fils d'or et de fils de perles offre un décor de feuillages entrelacés. De ces manches, amples, aux poignets brodés, émerge un bouillonné de mousseline de soie blanche délicatement noué par des rubans bleus. On le voit la piété ne gêne pas l'élégance !

Le revers du panneau droit : l'arrivée des reliques à Lisbonne

 

L' Arrivée à Lisbonne des reliques de santa Auta  au couvent de la Mère de Dieu
 

Le revers du panneau droit est le pendant du revers du panneau gauche mais dans une symétrie inversée, la foule sort de la ville de Cologne, la procession entre dans la ville de Lisbonne. La Sainte se trouve à droite du panneau, puis sur la gauche. Elle tient la flèche et la palme du martyre de la main droite et un livre de la main gauche. Une chaîne d'or avec un large anneau  enserre sa taille, peut-être un symbole de chasteté ? La châsse est portée dans l'église du couvent de la Mère de Dieu dont on voit la façade ornée des armoiries du roi Jao II et de dona Leonor et d'un médaillon de della Robbia. Le porche trilobé est encadré de colonnes torses. Derrière la silhouette de la sainte, en arrière-plan, apparaissent quatre personnages féminins dont l'un est dona Leonor .

***

 Cet ensemble de tableaux est magnifique, je l'ai adoré. On se laisse prendre par la main pour entrer dans la légende. Les personnages sont très jeunes, presque des enfants, beaux, purs. Le maître du retable de Santa Auta possède l'art du portrait et sa composition donne vie et mouvement au récit. La magnificence des habits, la vivacité des coloris, en font une oeuvre pleine de charme même si elle décrit une histoire tragique.  

Comme tous les peintres qui ont représenté cette légende, le Maître du retable de Santa Auta a adapté la légende à son pays, il s’éloigne quelque fois d’autres versions et a laissé parler son imagination. Il témoigne de la haute société de son temps à Lisbonne, les personnages sont habillés de vêtements du  XVI siècle et rappelle la cour portugaise. Il rappelle aussi l'importance de son pays à une époque où le Portugal étend son empire et où l'or des épices va profiter aux arts  en irriguant la cour des rois portugais.


La sainte Ursule de Vittore Carpaccio


Vittore Carpaccio :  le rêve d'Ursule, un ange lui prédit le martyre

 

De nombreux peintres de la Renaissance ont représenté la légende de Sainte Ursule qui connaissait une dévotion particulière en Europe : le maître de la légende  de Saint Ursule de Cologne, celui de Bruges,  ... mais celui que je connais est Carpaccio, peintre vénitien, au musée de l'Académie, dont le récit se  situe, bien évidemment, dans un décor vénitien.


Vittore Carpaccio : La légende de Saint Ursule Rencontre des fiancés musée de l'Accademia Venise

A suivre :   Lisbonne : Le musée national d'art ancien le MNAA (2) : La renaissance portugaise

5 commentaires:

  1. C'est spectaculaire! Il faut que je retorune à Lisbonne pour voir cel

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    1. Oui, spectaculaire ! Tu y resterais des heures à voir tous les détails et à en savourer la beauté.

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  2. C'est spectaculaire! Il faut que je retourne à Lisbonne pour voir ce tableau de près! Merci pour ce billet merveilleux

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  3. Merci pour tous ces détails! On entre vraiment dans le tableau!

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    1. Oui, on entre dans le tableau. C'est une légende et on te la raconte !

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