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mercredi 18 octobre 2023

David Grann : Les naufragés du Wager


 

En 1739, la Grande-Bretagne et l’Espagne se lancent dans une guerre maritime pour étendre leur Empire respectif et s’approprier les richesses des colonies. C’est ainsi que la Grande Bretagne arme cinq navires confiés au commodore George Anson chargé de doubler le cap Horn en direction des Philippines afin de détruire des navires ennemis, d’affaiblir les possessions espagnoles de l’Amérique du Sud et de s’emparer des richesses d’un galion que l’Espagne envoie deux fois par an du Mexique en Asie. Le Wager est un de ces cinq navires et l’on peut dire que, dès le début, le voyage s’annonce mal puisque l’escouade  prend la mer en 1740 avec des mois de retard rendant impossible le passage du cap Horn avant les grandes tempêtes d’hiver.

Pour écrire ce récit non-fictionnel Les Naufragés du Wager David Grann s’appuie sur les nombreuses archives qui ont documenté ce voyage tragique, journaux de bord des commandants, de leurs seconds mais aussi des membres de l’équipage, témoignages, correspondances, articles parus dans les gazettes de l’époque, compte rendu du procès qui eut lieu à l’issue de la mission, sans compter tous les ouvrages qui ont tenté de comprendre ce qui s’était passé et d’en donner une explication. Mais, conclut l'auteur,  il faut bien avouer que devant tous ces points de vue divergents, la vérité est bien impossible à établir.

 "Aussi, nous avertit-il, au lieu de lisser les dissonances ou d'obscurcir davantage les éléments de preuve, j'ai voulu présenter tous les aspects de cette affaire, en vous laissant le soin de rendre le verdict ultime : le jugement de l'histoire."

Ce travail se présente donc comme une enquête judiciaire qui cherche à éclairer les faits sans influencer notre jugement, un sérieux et impartial travail d'historien. 

John Byron, le grand-père du poète George Byron


 Mais c’est aussi un récit d’aventures car la réalité, parfois, dépasse  la fiction et l’on finit par penser que Robinson Crusoé avait bien de la chance d’être exilé en solitaire sur une île hospitalière, de même que les mutins du  Bounty sur une terre paradisiaque.

David Grann nous présente d’abord les membres de l’expédition, du moins ceux qui ont tenu un rôle important : le Commodore George Anson, le capitaine du Wager, David Cheap, l’enseigne John Byron (l’ancêtre du poète) et ses pairs Henry Cozens et Isaac Morris, le lieutenant Hamilton ainsi que certains hommes de l’équipage qui eurent une influence décisive sur les cours des évènements comme le canonnier John Bulkeley, le charpentier Cumming et bien d’autres. Ils nous apparaissent, dotés d’un passé, d’une famille, d’une personnalité avec leurs qualités et leurs faiblesses, leurs rêves et leurs ambitions. David Grann leur redonne vie tout en respectant scrupuleusement ce que l’on sait des personnages. Certains, les nobles, assez riches pour se faire portraiturer, ont aussi un visage.
Comme des héros de romans, l’écrivain les lance à travers l’Atlantique, livrant bataille, tout canons dehors, décimés par le choléra et le scorbut, bravant les vagues gigantesques du Cap Horn, description que le talent de David Grann rend terrifiante, faisant naufrage sur une île de la Patagonie désormais appelée l’île du Wager. Cette terre désolée, battue par les vagues, toujours recouvertes de sombres nuages, de neige, de gel, sans aucune ressource alimentaire à part quelques rares coquillages est bien ce que l’on peut appeler un enfer sur la terre. Les marins souffrent de faim, de froid, de maladie d’une manière qui semble être au-delà de tout endurance humaine.  Ils survivent grâce à quelques vivres retirées de l’épave mais les relations humaines se dégradent, la solidarité ne fait pas long feu, l’obéissance au capitaine non plus, mutinerie, vols, actes de violence, meurtre, cannibalisme… 

Le capitaine David Cheap
 

Finalement, avec le bois récupéré du Wager, les survivants vont construire des embarcations et s’enfuir,  le groupe des mutins en abandonnant le capitaine et ses alliés qui partiront de leur côté.  Lorsqu’ils reviendront en Angleterre les mutins et le capitaine David Cheap auront à répondre de leurs actes devant un tribunal. Aucun n’est irréprochable ! 


Famille de Kawesquars, les nomades de la Mer,


Un essai passionnant, donc, comme un roman d’aventures mais qui est aussi une réflexion sur la civilisation. Comme dans Sa Majesté des Mouches, l’ouvrage de William Golding, l’on voit qu’elle n’est qu’un vernis qui s’effrite face à l’adversité. L'homme cesse d'obéir aux lois morales de son pays quand il n'y est pas obligé s'il est réduit à la famine et au désespoir. Et l’on se dit que c’est une leçon d’humilité pour l'être humain ! Une leçon pour tous les pays colonialistes aussi, si pénétrés de la supériorité de leur civilisation ! 
Une leçon pour la Grande-Bretagne -car c'est elle qui est visée ici-  et sa prétention à la supériorité sur les autres peuples !  Les marins anglais sont secourus pas un peuple amical et altruiste, les Kawesquars appelés les nomades de la Mer.
 
 ...trois canoës avaient surgi du brouillard... Il y avait à bord plusieurs hommes à la poitrine nue et aux longs cheveux noirs, armés de lances et de frondes. Il pleuvait, un vent du Nord soufflait avec force et Byron, frigorifié, fut frappé par le spectacle de leur nudité. "Leur tenue n'était faite que de quelques morceaux de peaux de bête autour de la taille et d'un vêtement tissé de plumes sur les épaules", rapporta-t-il.
Le feu était allumé dans chaque canoë et les rameurs semblaient indifférents au froid lorsqu'ils manoeuvraient avec adresse au milieu des vagues. Ils étaient accompagnés de plusieurs chiens, "des animaux qui avaient l'air de corneaux", note Byron, qui surveillaient la mer comme des vigies à l'air farouche."
C'était un groupe de Kawesquars signifiant "peuple qui se vêt de peaux". Avec d'autres groupes  indigènes les kawesquars s'étaient installés en Patagonie, en Terre de Feu des milliers d'années plus tôt.
 
Navigateur chevronné, ce peuple, exceptionnellement adapté à ce climat extrême, connaissait les moindres recoins de la côte, les courants, les cheneaux, les récifs, les abris protégés. Ce sont les femmes qui pilotaient et qui plongeaient vers le fond, dans les eaux glaciales, pour pêcher des oursins. Les hommes chassaient le phoque, l'otarie, le lion de mer. Les Kawesquars ne restaient jamais longtemps sur la même place pour éviter d'épuiser les ressources. Leurs chiens leur servent de veilleurs de nuit, de compagnons de chasse, d'animaux domestiques. Les autotchtones apportent de la nourriture aux anglais, leur offrent des moules d'une taille inusitée et, conscients de la situation désespéré des naufragés, reviennent plusieurs fois pour les aider, apportant chaleur humaine et empathie. Loin d'en être reconnaissant, le groupe des mutins les considère comme des inférieurs et devient menaçant envers eux, cherchant à séduire les femmes et à voler les canoës.
 
Les autres naufragés, Byron et ses fidèles, sauvés par des guides incontestablement supérieurs à eux sur le plan de la navigation et de la connaissance de la nature trahissent "leur racisme viscéral". Byron  appelait les  Patagoniens "des  sauvages". Campbell écrivait : "Nous n'osions déplorer aucun manquement dans leur conduite, alors qu'ils se considéraient comme nos maîtres, et que nous étions obligés de nous soumettre à eux en toutes choses. "  
"En effet, le sentiment de supériorité des naufragés étaient chaque jour battu en brèche."
 
Et à cet égard, la séance du procès est un chef d'oeuvre d'hypocrisie que David Grann dénonce avec ironie et délectation. Mais je ne vous en dis pas plus.  Lisez plutôt le livre, il est passionnant !


***


 Participation au challenge des minorités ethniques initié par Ingammic





28 commentaires:

  1. Je ne savais même pas qu'on pouvait faire passer les images du bureau vers le billet? Pour l'instant je n'ai rien vu en composant les miens.
    A propos du livre, bien sûr j'ai envie de le lire. J'attends la bibli!

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    1. J'ai essayé à tout hasard et cela a réussi. mais cela ne résoud pas le problème que je ne comprends pas. Parfois (souvent) blogger m'énerve !

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    2. Et même pour répondre à vos commentaires il faut que mette mon nom et mon URL Il y a vraiment quelque chose qui ne marche pas !

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  2. Je suis très très tentée. J'adore le côté enquête historique, la période traitée est passionnante et le livre est dispo en téléchargement dans ma bibliothèque de quartier.

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  3. Je viens seulement de tilter ! David Grann est aussi l'auteur de "La note américaine", un roman que j'ai beaucoup apprécié

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    1. Et que je ne connais pas mais que j'ai l'intention de lire !

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  4. Si si tes images sont bien là, en ce moment je rame sur plusieurs blogs avec des contrôles absolument déments grrrrrrr
    J'ai récupéré ce livre car le sujet me tentait beaucoup et la réputation de l'auteur est excellente sur d'autres livres
    Ton article finit de me conforter dans l'envie de lecture et je souris car en te lisant je pensait à Sa majesté les mouches, et toc le titre arrive 5 lignes plus bas, effectivement je trouve la comparaison pertinente eu égard à ton récit

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    1. Oui, le thème est identique et la conclusion la même. David Grann cite d'ailleurs un extrait de ce livre en exergue.
      Mes images sont là parce que je les ai chargées directement de mon bureau dans mon blog. Je ne savais même pas que c'était possible mais la fonction insérer ne marche toujours pas dans blogger.

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  5. Tout ce que j'entends ou lis à son sujet me persuade qu'il s'agit en effet d'un ouvrage passionnant. J'ai donc bien l'intention de le lire, d'autant plus que j'ai adoré La note américaine, du même David Grann..
    Pour blogger, je ne rencontre pas ce souci.. j'importe toujours les images depuis mon PC, sur lequel je les ai préalablement enregistrées. C'est ainsi que tu procèdes aussi d'habitude ?

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    1. Oui, c'est vraiment un livre passionnant comme un. roman et une enquête historique, le mélange des deux étant un régal !

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  6. Je l'ai feuilleté en librairie, mais son côté "pavé" m'a freinée, et j'étais un peu déçue qu'il ne soit pas publié chez Globe comme "La note américaine" que j'ai beaucoup aimé et que je recommande souvent !

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    1. Non le "pavé" n'est pas rebutant car il se lit très aisément. J'aime bien les édition du Sous-sol. Le livre est beau, agréable à lire. Oui, j'ai l'intention de lire La note américaine.

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  7. je ne peux pas t'aider pour les images, en revanche, je suis très tentée par ce livre!

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    1. Tu peux y aller ! Toi qui as lu tant de livres de la rentrée 2023, tu ne seras pas déçue.

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  8. Je lis tellement d'avis positifs sur ce livre que je vais l'emprunter tôt ou tard ou peut-être attendre les pavés de l'été. Comme Dominique, je constate que plusieurs plateformes ont modifié les commentaires et il faut vraiment vouloir en laisser un pour passer tous les filtres à chaque fois !

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    1. C'est un essai qui te plaira. Il est cité plusieurs fois dans les listes des prix littéraires et je comprends pourquoi.

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  9. oh je sais à qui je vais offrir ce roman à mon gendre avocat et marin je suis certaine qu'il le lira avec grand plaisir et ensuite il me le prêtera

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    1. Une bonne stratégie ! faire plaisir en se faisant plaisir !

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  10. J'aime beaucoup les précédents "récits de non fiction " de ce journaliste... Hate de lire celui-là !

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    1. Le seul que j'ai lu pour l'instant mais j'ai vu que ces autres écrits paraissaient aussi très intéressants !

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  11. Mais j'y pense, voici une lecture qui rentre aussi dans le cadre des Minorités ethniques ! Je pique ton lien...

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    1. Oui, c'est vrai, je n'y avais pas pensé ! Du coup j'ai un peu développé le passage sur les nomades de la mer et ajouté une citation.

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  12. Lecture prévue, je trouve d'ailleurs qu'on ne le voit pas suffisamment sur la blogosphère...

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    1. Cela va venir, le bouche à oreille et puis peut-être, bientôt, un prix littéraire ?

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  13. Bonjour Claudialucia, un livre assez passionnant en effet. Très factuel et édifiant. Ce n'était pas une sinécure d'être marin à cette époque. Bonne journée.

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  14. La "guerre de l'oreille de Jenkins" apparaît répondre exclusivement à des préoccupations commerciales (et a coûté la vie à quelques milliers de marins pour rien).
    Ce livre m'a rappelé celui de Sir John Barrow sur les mutins du Bounty (écrit il y a beaucoup plus longtemps, pourtant).
    Je ne croirais au projet d'adaptation de ce livre par Scorsese que lorsque le film sortira au cinéma!
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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  15. J'ai rajouté un lien vers ton billet car les avis sont plutôt rares sur la blogosphère. Le grand oublié de la rentrée littéraire, comme tu dis.:) Il est en revanche bien présent en librairie, souvent avec la mention coup de coeur, et beaucoup emprunté à la bibliothèque. Je pense qu'il a dû se noyer au début dans la rentrée littéraire qui privilégie beaucoup les romans français et les romans purs et durs tout court, mais il commence à être bien repéré. Les lecteurs ne le voient juste pas comme une urgence. Quelle erreur !^^

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