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jeudi 13 février 2025

Paul Saint Bris : L’allègement des vernis

 

J’ai vu ce titre L’allègement des vernis de Paul Saint Bris bien souvent dans les blogs et j’ai eu envie de le lire car tout ce qui a trait à la peinture m’intéresse!

 

Vinci La Joconde

 

A l’heure où l’on parle beaucoup de la Joconde et de la saturation du Louvre en terme de visiteurs, l’Etat décide qu’il faut améliorer la rentabilité du musée par tous les moyens ! Pour cela, est nommée à la présidence des relations publiques du musée une jeune cadre dynamique « décomplexée », Daphné qui s’ingénie à rendre l’établissement plus attirant en misant sur le sensationnel, appliquant à l’art les mêmes techniques que dans l’industrie cosmétique et l’hôtellerie dont elle vient !
Pauvre Aurélien, conservateur du département des Peintures du Louvre, section Renaissance !  Déjà, il vit un divorce difficile, maintenant il subit les assauts des jeunes loups publicitaires dans son musée, puis « les stars de la pop" se pressent au Louvre "pour tourner leurs clips, les créateurs de mode pour organiser leur défilé, les géants de la Silicone Valley pour y nouer de fabuleux et juteux partenariats.". Mais ce n'est pas tout,  Daphné suggère que l’on pourrait alléger les vernis de la Joconde qui ont jauni et qui nuisent à la visibilité de l’oeuvre. Quelle publicité pour le Louvre au niveau international ! La presse de tous les pays va s’emparer de l'évènement !  Voilà qui va réveiller, entre autres, les Italiens qui croient dur comme fer que le tableau acheté, pourtant, à Léonard de Vinci par François Premier, leur appartient.

Toucher à la Joconde ! Ceci ne fait pas l’affaire d’Aurélien qui freine (mais en vain) des deux pieds.  Mais puisqu’il ne peut l’éviter, alors il confiera le tableau à son ami Gaetano, un restaurateur italien en qui il a toute confiance. Pauvre Gaetano ! A son tour, il est sous les feux des projecteurs. Comment travailler sereinement alors que la planète s’arrête de tourner à chacun de ses gestes et qu’il est surveillé à chaque moment de l’allègement des vernis ! C'est frustrant pour quelqu’un qui se considère comme un génial créateur ! 

 

Le Gaulois blessé

Il y a aussi un certain Homero, danseur raté, préposé au ménage dans le musée du Louvre, imaginant des chorégraphies sur son autolaveuse autour des statues de Sylène portant Dyonisos ou du Gaulois blessé (il y a des moments assez déjantés ! Je n’aime pas ce terme mais là il convient très bien !). 

 

Vinci : La dame à l'hermine


Quant à la suite et au dénouement, je vous les laisse découvrir, sachant qu’ils ne manquent pas d’humour !

Le livre est intéressant à plusieurs titres et d'abord parce que l'on y rencontre des oeuvres du musée à travers le regard d'Aurélien; celui-ci n'aime pas particulièrement la Joconde et lui préfère La Vierge aux rochers ou la Dame à l'Hermine. Je le comprends, j'ai vu ce dernier tableau à Cracovie et c'est une merveille. Mais ce n'est pas Vinci que le conservateur a choisi pour sujet de thèse mais Andrea del Sarto.

 Et puis, si l’on est novice comme moi, l’on y apprend beaucoup sur les techniques de restauration. Par exemple, le restaurateur Robert Picault a transposé La Charité d’Andrea del Sarto et plus tard, en 1773, le Saint Michel de Raphaël  « du panneau de bois pulvérulent qui lui servait de support, au prix d’une patience infinie, puis il l’a marouflée sur un châssis entoilé d’un coutil au point serré », comme s’il s’agissait d’une décalcomanie,  sauvant ainsi ces oeuvres d’une disparition programmée. ( voir ici)


La charité d'Andrea del Sarto


J'aime bien aussi la vision de l'écrivain sur les Bobos parisiens, les politiques, les publicistes ou les visiteurs narcissiques qui se photographient devant les tableaux. Et serait-ce un  roman à clefs? On y trouve même un portrait d'une ministre de la culture qui ressemble fort à Roselyne Bachelot.  (Mais c'est mon opinion personnelle qui n'engage que moi! ). A travers les personnages d’Aurélien et d'Homero, Paul de Saint Bris dresse un état des lieux assez ironique et désabusé sur les enjeux des lieux muséaux, victimes d’une société où l’art n’est plus ce qui importe, mais ce qu’il faut consommer, et qui sont gérés comme des startups.. 

Il haïssait l’idée que les visiteurs montent quatre à quatre les escaliers parcourent au pas de course la Grande Galerie pour s’agglutiner sur la vitrine de Monna Lisa en négligeant ses malheureux voisins de cimaise, les Véronère, Titien et Bassano. Il détestait ce paradoxe qui faisait de La Joconde à la fois le tableau le plus célèbre au monde et le moins regardé. Il maudissait le fait qu’une fois leur pulsion rassasiée ces mêmes visiteurs ne se retournent pas pour contempler à quelques mètres de leur soeur si fameuse les autres chefs d’oeuvre de Léonard, désespérément seuls malgré leur immense intérêt pictural."

mardi 11 février 2025

Ian Manook : Heimaey

 


«  Quoi ? Vous croyez vraiment que ce pays est un pays de certitudes ? Une île à cheval sur deux plaques tectoniques. Cent trente volcans dont au moins trente systèmes actifs. Certains sous le plus grand glacier d’Europe. Vingt-cinq mille tremblements de terre par an. A quelle certitude voulez-vous vous accrocher ? ».

Le roman policier de Ian Manoook, Heimaey, nous entraîne dans une virée en Islande sur les plus grands sites naturels. Ces merveilles de la nature, le français Jacques Soulniz, amoureux de l’Islande, entreprend de les faire  visiter à sa fille, Rebecca, pour renouer avec elle des liens plutôt distendus. Rebecca, Beckie pour les intimes, est le type même de l’ado « chieuse », « emmerdeuse », et autres joyeusetés, mais néanmoins aimée !
Il cherche à retrouver les impressions et les souvenirs du voyage qu’il a fait lui-même quand il était jeune, en 1973, après l’éruption de Leldfell. L’aventure s’est terminée tragiquement sur la petite île de Heimaey, par la mort de la seule femme qu’il ait jamais vraiment aimée, Abbie, tombée accidentellement d’une falaise. Mais ce passé ne risque-t-il pas de ressurgir ? Ce voyage avec Rebecca, loin d’être idyllique, va provoquer bien des ennuis, révéler bien des dangers, semer des cadavres sur la route, et prendre un tournant tragique quand Rebecca disparaît.

Islande : Ile Heimaey Ici

 

Si le suspense est bien mené mais parfois un peu long, ce que j’ai aimé surtout, ce sont les descriptions de ces paysages dont Ian Manook sait rendre à la fois la beauté, la force tellurique avec ses émanations gazeuses, ses fumerolles, ses coulées de lave solidifiées. « La beauté du diable » écrit Manook à propos de l'Islande.

« Quand Beckie ouvre la portière, le hurlement continu du souffle et l’odeur de soufre bousculent aussitôt tous ses repères. Elle sent jusque dans son corps le grondement de la vapeur sous terre qui siffle soudain comme une turbine en fusant à l’air libre. Son râle rauque résonne dans le sol.
- c’est le cri de Gunna, dit Soulniz en forçant la voix, une sorcière dont le fantôme hantait la lande et qu’un prêtre a réussi à jeter dans la solfatare il y a quatre cents ans. Depuis, elle hurle de fureur d’y être prisonnière. »


Les descriptions du pays permettent de « voir » l’île, de la comprendre, d’en saisir les beautés, les mystères avec son petit peuple invisible, ses trolls que l'on ne doit pas déranger, mais aussi les démesures. 

 Te voilà dans un pays où les routes contournent certains rochers parce que les elfes du Peuple Caché y vivent peut-être et où on découvre encore de nouvelles cascades, et dans le même temps on y chasse la baleine avec des harpons explosifs dont la charge perce l’animal pour y enfoncer un tripode qui se déploie dans son corps et le ferre à mort. Comme quoi on peut aimer quelque chose d’odieux et de généreux à la fois.

Si l'on ne connaît pas le pays, ces pages donnent envie de le découvrir et, si on le connaît, je ne peux que supposer que c'est avec plaisir qu'on refait le voyage !

Les marins n’aiment pas la mer. Ils aiment naviguer, mais ils n’aiment pas la mer. Pour quelques mers d’huile dociles, combien de houles fourbes, de grains, de tempêtes et de vagues scélérates. La mer est une maîtresse trompeuse qui prend les hommes et les bateaux par le ventre - et les engloutit. Les autres  marins du monde disent que le vent sème la tempête, mais les Islandais le savent : C’est du gouffre de la mer que surgit la tempête. De ses entrailles. Du fond vengeur que leurs chaluts raclent et pillent. Les tempêtes sont des vengeances. Des sursauts de bête qu’on assassine. »

Par contre, je n’ai pas trop adhéré aux personnages que je ne trouve pas toujours crédibles au point de vue psychologique. Souzny, par exemple, qui laisse sa fille partir à l’âge de quinze ans, après la mort de sa mère, et ne s’occupe pas d’elle pendant trois ans, tout en la gardant à l’oeil selon son expression, sous prétexte de respecter sa liberté. Cela ne me paraît pas être l'attitude d'un père aimant et responsable. Puis lorsqu’elle a dix-huit ans, il essaie de rattraper le temps perdu ? Je sais bien qu’il n’est pas fûté et, en cela, ce n’est pas un personnage très sympathique, (il cogne avant de réfléchir !) mais je ne peux pas croire à ce comportement. La loi aurait placé l’enfant si le père s’était montré à ce point déficient. Que penser aussi de Galdur qui non seulement participe à un trafic de cocaïne mais encore est assez bête pour voler les trafiquants et fait tuer, involontairement, il est vrai, Arnald, son frère jumeau. Rien, aucun chagrin, pas un regret, à peine un début de réflexion, il continue à vivre, s’amuser comme s’il n’était rien arrivé, et est toujours présenté au cours du récit comme « un gamin », innocent, un peu trop léger, comme s’il avait seulement chapardé des cerises dans l’arbre du voisin. Kornélius est aussi un drôle de flic mais lui, au moins se fait virer de la police, ce qui paraît normal ! Ces invraisemblances psychologiques nuisent à l’intérêt du récit. Vous allez me dire que ce sont des détails ? Peut-être, mais ils m'ont gênée. Et c’est dommage car l'écriture est belle !

dimanche 9 février 2025

Yordan Yovkov : Soirée étoilée

Van  Gogh : Nuit étoilée

 

Yordan Yovkov (1880/1937), écrivain bulgare, considéré comme le maître la nouvelle, connaît bien la ruralité puisque ses parents avaient une ferme, son père étant éleveur. Il s’attache à peindre les paysans et les traditions de sa région natale, La Dobroujda .
Dans cette nouvelle Soirée étoilée pleine de spiritualité et d’une poésie proche de la nature où le ciel et les étoiles occupent une si grande place qu’ils semblent préfigurer l’envol d’une âme, Yordan Yovkov aborde le thème de la mort d’un fillette vue par son frère, le petit Yoshka.

 Le petit Yoshka s'occupait des bœufs qui paissaient. Allongé, il était presque caché dans l'herbe. Son visage, baigné dans la lueur rosée du ciel, était clair et pur, avec de grands yeux bleus comme les fleurs bleues parmi les herbes. Dans ses mains, il tenait un bouquet de fraises rouges qu'il avait cueillies pour sa sœur malade.

Avec un deuxième personnage, Grand-père Sider, un berger, que l’enfant interroge sur les étoiles, la nouvelle se teinte d’un Merveilleux chrétien. L’enfant et le berger semblent appartenir à un conte de Noël dans lequel le ciel expose sa beauté sublimée sous les yeux de l’enfant et du vieil homme. Tous deux ont la simplicité des âmes restés proches de la nature et de Dieu.

« Et cette pile d'étoiles, c'est le berger. Vois son troupeau dispersé dans l'arc-en-ciel - les petites étoiles ; voici une autre étoile plus grande et à côté une plus petite : le berger et son chien. Tu les vois, n'est-ce pas, Yoshka ? Il existe un autre amas de telles étoiles là-bas : il s’agit du Cochon. Mais le berger passe toujours en premier, avant le soc et devant le porcher. Dieu aime les bergers. N'est-ce pas pour cela qu'ils furent les premiers à voir l'enfant Jésus… »

 Soudain l’enfant voit une étoile filante qui paraît s’écraser sur la terre. Quand une étoile tombe, lui dit le grand père, quelqu’un meurt. Or, pendant le récit du vieil homme, le petit garçon a oublié sa soeur à qui il avait pensé toute la journée, aussi est-ce avec crainte, l’esprit troublé, qu’il regagne sa maison. En arrivant, il découvre qu'Angelina est morte.

Yochka, toujours avec le bouquet de fraises rouges à la main, tournait vers le ciel son visage baigné de larmes. Il était ainsi couvert de milliers et de milliers d'étoiles ; mais Yoshka n'entendait plus ces sons calmes qui semblaient venir d’elles sur la terre. Elles se regardaient maintenant timidement et embarrassés, comme si elles s'interrogeaient sur l'amie soudainement disparue - l'âme douce de la petite Angelina. .
 

 


 

jeudi 6 février 2025

Eric-Emmanuel Schmitt : La lumière du Bonheur


 

J’ai pris « en marche » si j’ose dire La traversée dans le temps que propose Eric-Emmanuel Schmitt dans La Lumière du bonheur mais il semble que l’on peut les lire de manière indépendante.
L’écrivain imagine le voyage d’un homme Noam qui se découvre immortel et toujours jeune et qui voyage  à travers les millénaires de la préhistoire à nos jours.

Le premier livre s’intitule Paradis perdus (fin du néolithique et déluge)  

Le second La porte du ciel ( Babel et la civilisation mésopotanienne)

Le troisième Soleil sombre (l’Egypte et Moïse).

Enfin le quatrième La lumière du Bonheur nous amène dans la civilisation grecque au temps de Périclès. J’ai eu plaisir à retrouver et à côtoyer rien moins que Sappho, la Pythie de Delphes, ( Vous aurez du mal à interpréter ses oracles !) Hippocrate, (Mais oui, avec Noam, vous conseillerez Hippocrate pour la rédaction de son fameux serment),  Périclès  et Aspasie, et, bien sûr, Socrate pour ne citer qu’eux… Plaisir à participer aux jeux Olympiques avec Noam, à assister aux représentations de pièces de théâtre, à vivre la démocratie grecque très particulière ( qui, comme on le déplore, ne concerne ni les esclaves ni les femmes ! ) à livrer la guerre aux Perses et à vous confronter aux Dieux…

Le roman d'Eric-Emmanuel Schmitt est donc une manière agréable de revisiter la Grèce antique, l’auteur connaît bien son sujet, des notes en bas de page vous invitent à aller plus loin.

Par contre, je n’ai pas trop adhéré à ce personnage immortel, Noam et encore moins à Noura, immortelle elle aussi, et à leur relation entre amour et haine. Ils ne sont pas assez, à mon goût, des personnages mais restent des prétextes. Peut-être me manquait-il finalement la lecture des premiers volumes ?

mardi 4 février 2025

Emily St John Mandel : La mer de la tranquillité

 

 

Dans  le roman d'Emily St John Mandel, La mer de la tranquillité, Edwin se promenant les bois de Caiette, au nord de l’île de Vancouver, entend une berceuse interprétée par un violon accompagné d’un bruit non identifiable. Nous sommes en 1912 et le jeune homme qui entend ces sons bizarres, Edwin St John St Andrew, est britannique, fils cadet d’une noble famille descendant de Guillaume le Conquérant, envoyé par son père au Canada. A Caiette, Edwin rencontre aussi un prêtre sorti de nulle part et qui disparaît de même. Des expériences inexplicables qui vont se renouveler à travers les siècles !

En 2020, Mirella voit une vidéo tournée par son amie Vincent quand celle-ci était jeune où le phénomène se reproduit et elle rencontre un journaliste qui semble intéressé par la vidéo. Soudain elle reconnait un homme qu’elle a vu quand elle était enfant, arrêté par la police, et qui a crié son nom Mirella alors qu’elle ne le connaissait pas. En 2203 nous nous retrouvons en train de faire une tournée de promotion d’un livre avec l’écrivaine Olive qui vit dans une colonie lunaire. Il y est question d’une pandémie interplanétaire bien pire que le covid 19 et d'un personnage qui porte la prénom de son héros Gaspery.. Enfin en 2402, les colonies lointaines sont peuplées depuis plus d’un siècle, celles de la lune sont désormais vétustes.  Un certain Gaspery Roberts est envoyé dans l’espace-temps pour remonter les siècles par sa soeur Zoey, physicienne de génie. Il doit enquêter sur les anomalies qui se sont produites mais il a interdiction d’interférer dans la marche du temps.

Nous retrouvons donc les personnages à différentes époques de leur vie et obtenons la réponse à nos questions sur cet étrange phénomène perçu dans les bois et sur bien d’autres choses aussi ! Ainsi, Zoey voudrait avoir la réponse à cette question qui l’angoisse, le monde dans lequel elle vit est-il une simulation? Voilà que vous pensez vivre une vie réelle et vous n’êtes, en fait, qu’une invention, qu’un programme, l’expérimentation d’un informaticien démoniaque. La réponse qui est donnée ne manque pas d’humour !

 Se pose aussi la question morale : Gaspery laissera-t-il le cours du temps se dérouler même si cela implique la mort des êtres qu’il a devant lui ? Est-ce juste ? N’y a-t-il pas un devoir de compassion ? La solidarité humaine ne prévaut-elle pas sur les lois ?
Si le roman est de science-fiction, il ne s’intéresse pas à l’aspect technique mais à l’aspect humain, à la psychologie des personnages, à leur vie, leurs sentiments.

1912 :  Ainsi le personnage d’Edwin, dix-huit ans, est un personnage fragile malgré son côté provocateur. Il ose exprimer en présence de ses parents et des invités ce qu’il pense de l’impérialisme britannique qu’il juge oppressant.
« Guillaume le conquérant, c’était il y a mille ans. Nous devrions quand même être capables de nous montrer un peu plus civilisés que le petit-fils dément d’un pillard viking.
son père prit la parole sur un ton posé :
«  Chacun des privilèges dont tu as bénéficié en ce monde, Edwin, a découlé d’une manière ou d’une autre du fait que tu descends, comme tu l’as exprimé avec tant d’éloquence « du petit-fils dément d’un  pillard viking ».
- Bien sûr, dit Edwin. Ca pourrait être pire. Il leva son verre «  A Guillaume le bâtard ».

 Le personnage d’Olive, écrivaine de roman post-apocalyptique, sent le vécu non seulement dans les questions que lui posent les lecteurs permettant de réfléchir au genre littéraire qu'elle écrit. "Pour ma part,  je suis convaincue que si nous nous tournons vers la fiction post-apocalyptique, ce n'est pas parce que nous sommes attirés par le désastre en soi, mais parce que  nous sommes attirés par ce qui, dans notre esprit, risque fort de se produire. Nous  aspirons à un monde moins technologique."

Mais aussi parce qu’en 2203, désolée de vous le dire, les femmes ne sont pas encore sorties du patriarcat ! Olive qui fait la promotion de son livre trouve toujours sur sa route un imbécile (homme) pour lui reprocher de travailler au lieu d’être près de sa fille ou (femme) pour encenser le père qui est si « gentil » de garder son propre enfant comme si ce n’était pas naturel ! Nul doute qu’Olive ne soit autre qu’Emily St John et que celle-ci ait dû faire face à ce genre d’ânes bâtés !

"J'ai une fille dit Olive

- Quel âge ?

- Cinq ans.

- Qu'est-ce que vous faites ici alors ?

-Eh bien, c'est ce qui me permet  de subvenir à ses besoins" répondit Olive de sa voix la plus suave. Elle fut tentée d'ajouter : " Ducon, je sais que tu ne poserais jamais cette question à un homme..."

 
Je dois dire en conclusion que ce roman est très agréable et m’a donné envie de lire d’autres titres de cette auteure. Il paraît que l'on retrouve ici certains personnages de ses livres antérieurs. Ils sont d'ailleurs attachants, leur histoire est bien contée et les questions soulevées sont intéressantes.

dimanche 2 février 2025

Michael Crummey : Les adversaires

 

 

 

 

 

 

 

Le titre Les adversaires de l’auteur canadien Michael Crummey donne le ton du roman : Il s’agit bien, en effet, d’un combat  impitoyable, celui que mènent  Abe Strapp et la Veuve Caines,  les deux propriétaires d’importantes pêcheries dans le village de Mockebeggar sur l’île de Terre-Neuve et sur la côte. Qu’ils soient frère et soeur ne diminue pas leur haine réciproque ni les coups bas qu’ils sont prêts à porter si l’occasion s’en présente. Le livre s’ouvre sur un chapitre étonnant où la Veuve Caines empêche le mariage de son abruti de frère avec une pauvre fille de quatorze ans et si l’on s’en réjouit pour la petite, on verra bien vite que la Veuve Caine n’est guidée par aucun altruisme.

Abbe est un imbécile, incapable de réfléchir, de se concentrer, incapable de gérer l’entreprise dont il a hérité par son père. Il dilapiderait bien vite sa fortune si son parrain Clinch, le Sacristain de l'église protestante, ne veillait au grain. Abe Strapp est orgueilleux et susceptible, grossier, vulgaire, dépravé, misogyne, violeur,  patron d’une maison close, meurtrier quand il lui plaît. Et c’est pourtant lui qui va devenir juge de paix et dominer par la peur, la menace de la corde et les châtiments physiques tous les habitants de la région. La Veuve Caines est incontestablement intelligente, réfléchie, instruite, artiste, et aussi froide, sèche, égoïste, calculatrice mais elle doit faire avec l’infériorité sociale que lui confère son appartenance au sexe « faible ». C’est peut-être pour cela qu’à la mort de son mari, elle s’habille avec des vêtements masculins, tenue qu’elle ne quittera pas. A la limite, entre deux maux, je  suis sûre que, s’il le fallait, n’importe quel lecteur préfèrerait la Veuve !  Mais le choix serait-il judicieux ? QUI de l’un ou de l’autre va l’emporter ? Qui est le plus dangereux ?

Et puis, il y a les enfants auxquels on s’attache, Seulemonde et sa soeur Bride dont le père est tué par Abe et qui travaillent tous deux chez la Veuve. Le jeune garçon admire la Veuve et lui voue un véritable culte, Bride se méfie d’elle. Lazare, un jeune délinquant qui a eu une enfance malheureuse, découvre l’affection et la foi dans une famille Quaker. Dominique, un petit noir haïtien cherche la liberté.

 



Le roman décrit la vie dans cette île de Terre-Neuve, rythmée par le travail lié à la pêche, le départ des flottilles, leur retour avec les cales pleines de morues, les saloirs, le séchage, la dureté de cette vie et la pauvreté. Le froid intense, la glace paralysent toute vie l’hiver, les tempêtes emportent tout sur leur passage, les épidémies font rage et lorsque la pénurie s’installe, quand la pêche ne donne plus, la misère s’exacerbe. Et ces côtes ne sont pas, de plus, épargnées par les flibustiers assez inénarrables eux aussi ! C’est une époque où les enfants travaillent comme des adultes, où les filles sont mariées à onze ans, où elles meurent en couches à quinze ans.

Tout ceci compose un roman noir, rude, terrible, mais captivant, parfois truculent avec l’installation d’un bordel tenue par une mère maquerelle surnommée L’Abbesse, personnage hors du commun. C’est brillant et passionnant et le dénouement est à l’image de ce qui précède.

vendredi 31 janvier 2025

Todd Strasser : La Vague et Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher...

 

 EN MEMOIRE  :

 Pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la libération d'Auschwitz.

La Vague de Todd Stasser est un roman paru en 1981 adapté d’un téléfilm d’après l’expérience bien réelle menée dans une classe de terminale à l’école de Cubberley à Palo Alto en Californie par un professeur d’Histoire en 1969. En 2008 sortit aussi un film portant le même titre de Dennis Gansel en Allemagne.

Selon le professeur  qui a raconté l’expérience: « Il s’agit de l’évènement le plus  effrayant que j’aie jamais vécue en une salle de classe, »

Ben Ross le professeur charismatique d'un lycée enseigne la seconde guerre mondiale à ses élèves et leur présente un film sur les camps de concentration. Les élèves, bouleversés par les images, s’étonnent qu’aucun allemand n’ait réagi et que tous aient suivi Hitler, adhéré à ses idées.

« Comment  les Allemands ont-ils pu laisser des millions d’êtres humains innocents se faire assassiner? »*

Ben Ross les invite à une expérience :  dans un premier temps il les fait « jouer » à observer une discipline stricte puis à répéter les trois slogans :  La Force par la discipline, la Force par la communauté, la Force par l’action. Il en profite d’ailleurs pour leur faire apprendre leurs leçons ! Au début, les jeunes gens  s’amusent mais peu à peu ils se piquent au jeu et ceci d’autant plus qu’une énergie nouvelle les anime, un sentiment de force, de pouvoir, une solidarité inédite naît entre eux de cette expérience.

« Les élèves sentaient une nouvelle fois monter en eux l’impression de puissance et d’unité qui les avait envahis la veille » « 

Bientôt, le professeur leur fait adopter un logo, une vague, et un geste qui ressemble à celui exécuté par Musk pendant la cérémonie d’investiture de Trump.

"Rappelez-vous, au sein de la Vague, vous êtes tous égaux. Personne n’est plus important ou plus populaire que les autres, et personne ne doit se sentir exclu du groupe."

Robert, l'un des élèves, souffre-douleur de la classe est l’un des plus enthousiastes dès le début. Désormais il fait partie du groupe car tous sont solidaires.  Serait-ce un des effets positifs de cet engouement ?

"Si tu étudies les personnes qui rejoignent les sectes, tu verras qu’il s’agit presque toujours de gens mal dans leur peau et dans leur vie. Pour eux, la secte est une façon de changer, de recommencer à zéro, comme une renaissance ".

Mais tous les adhérents de la Vague ne sont pas des exclus, loin de là :  L’équipe de foot, les élèves des autres classes viennent rejoindre le groupe, des cartes de membre sont distribués, portant le logo de ralliement.

« La Vague n’était plus une simple idée, ni même un jeu. Mais un mouvement qui avait pris corps grâce à ses élèves. C’étaient eux la Vague, et Ben comprit qu’ils pouvaient agir seuls, sans lui, s’ils le voulaient. »

Et bientôt il y un glissement vers l’intolérance. Ceux qui ne veulent pas adhérer à la Vague sont rejetés,  harcelés par les autres et même frappés. Laurie et David ainsi que les membres de la rédaction du journal  du lycée cherchent pourtant à résister et vont avertir le professeur que le mouvement prend de l’ampleur et risque de conduire au désastre.

"Ben commençait à comprendre à quel point sa « petite expérience » s’avérait bien plus sérieuse que ce qu’il avait imaginé. Ils étaient prêts à lui faire une  confiance aveugle, à le laisser décider à leur place sans hésiter une seconde - ce constat l’effrayait. Si le destin des hommes était de suivre un chef, raison de plus pour que les élèves retiennent cette leçon : Il faut toujours tout remettre en question, ne jamais faire confiance aveuglément à quelqu’un. Autrement…"

 Lui-même s’est laissé prendre un moment à ce jeu, il est si agréable d’être écouté, respecté, obéi, d’avoir un tel pouvoir sur ses élèves … mais c’est au détriment de la liberté individuelle et de la réflexion. Il lui faut alors tout arrêter et faire comprendre la leçon aux enfants.

Vous aurez appris que nous sommes tous responsables de nos propres actes et que nous devons toujours réfléchir sur ce que nous faisons plutôt que de suivre un chef aveuglément; et pour le restant de vos jours, jamais au grand jamais, vous ne permettrez à un groupe de vous dépossédez de vos libertés individuelles ».

 La vague est  un témoignage romancé à partir des écrits du professeur et du téléfilm. Ce n'est pas un grand texte littéraire mais une démonstration. Il est simple à lire et je pense qu'il constituerait une bonne base de lecture pour des élèves de 4 ième et 3 ième d'autant plus qu'il parle de l'univers scolaire. Pour ceux de la seconde à la terminale les oeuvres de Jorge Semprun, Primo Levi, sur ce sujet, sont évidemment plus complexes et plus littéraires.

La mort est mon métier de Robert Merle est aussi un livre riche et passionnant qui vient corroborer la démonstration de La Vague

"Il a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait ça sont des allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s'écrier avec horreur, comme un prêtre que j'ai connu : "Mais c'est le démon ! mais c'est le Mal !"
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l'opinion populaire.
"Qu'on ne s'y trompe pas : Rudolf Lang n'était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l'échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs "mérites" portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat, bref en homme de devoir : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux.

 https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/06/gitta-sereny-au-fon-des-tenebres-un.html

 

 

Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher ...

 

Martin Niemöller


* J'espère que le professeur d’histoire a tout de même expliqué à ses élèves qu’il y a  eu des opposants au régime hitlérien et que ce sont eux, qui, dans les années 1930, ont été envoyés les premiers dans les camps de concentration. C’est d’ailleurs ce que nous dit le texte du pasteur de l’église protestante, Martin Niemöller.
"Martin Niemöller passa 8 ans en camp de concentration sur ordre de Hitler auquel il s'était opposé à partir de 1934. Ancien officier nationaliste de sous-marin allemand durant la Grande Guerre, devenu pasteur par refus de tuer des innocents, il est au début attiré par les thèses du parti nazi mais réalise très vite la perversion du national-socialisme et organise, avec Dietrich Bonhöffer, la dissidence anti-régime et la résistance d'une partie de l'église allemande. Arrêté en 1937 et enfermé à Sachshausen puis Dachau, il sera libéré par les Américains en avril 1945." (wikipédia)


Quand ils sont venus chercher les communistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas communiste.


Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas syndicaliste.


Quand il sont venus chercher les sociaux-démocrates, 

je n'ai rien dit,

 je n'étais pas social-démocrate.

 

Quand ils sont venus chercher les Juifs, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas juif.
 

Puis, quand ils sont venus me chercher, 

il ne restait plus personne

 pour protester.

 

mercredi 29 janvier 2025

Jorge Semprun : Le grand voyage

 

 

 EN MEMOIRE

Nathalie  propose du 27 Janvier au 3 février d’écrire un billet sur les camps de concentration en mémoire des quatre-vingts ans de la libération du camp dAuschwitz : voir Ici

 

Jorge Semprun

 

Dans Le grand voyage paru en 1963, Jorge Semprun, le grand écrivain espagnol exilé en France en 1940, résistant communiste, arrêté en septembre 1943, raconte son voyage dans les wagons plombés et son expérience des camps de concentration à Buckenwald. A son retour d’Allemagne, il a senti qu’essayer d’écrire sur cette terrible époque attentait à sa santé mentale. Ce n’est que longtemps après qu’il trouve la force d'écrire et de dire toute l’horreur des camps et, pour la première fois, seize ans après, il révèle le sort des enfants juifs polonais arrivés au camp « dans le froid de l’hiver qui a été le plus froid de cette guerre-là. »

« Un jour dans un de ces wagons, où il y avait des survivants, quand on a écarté l’entassement des cadavres gelés, collés souvent les uns aux autres par leurs vêtements raides, on a découvert un groupe d’enfants juifs… Les SS se sont déployés en arc de cercle et ils ont poussé devant eux, sur la grande avenue, cette quinzaine d’enfants juifs. Ils ont lâché les chiens et ils se sont mis à taper sur les enfants pour les faire courir, pour faire démarrer cette chasse à courre sur la grande avenue, cette chasse qu’ils avaient inventée, ou qu’on leur avait demandé d’organiser, et les enfants juifs se sont mis à courir, sous les coups de matraque, houspillés par les chiens sautant autour d’eux, les mordant aux jambes, sans aboyer, ni grogner, c’étaient des chiens dressés, les enfants se sont mis à courir sur la grande avenue, vers la porte du camp. Et les enfants couraient, avec leurs grandes casquettes à longue visière, enfoncées jusqu’aux oreilles, et leurs jambes bougeaient de façon maladroite comme au cinéma quand on projette des films muets, comme dans les cauchemars ou l’on court de toutes ses force sans avancer d’un pas, et cette chose qui vous suit et qui va vous rattraper, elle vous rattrape, et vous vous réveillez avec des sueurs froides, et cette chose, cette meute de chiens et de SS qui courait derrière les enfants juifs, eut bientôt englouti les plus faibles d’entre eux, ceux qui n’avaient que huit ans, peut-être, ceux qui n’avaient plus la force de bouger, qui restaient piétinés, matraqués par terre, et qui restaient étendus au long de l’avenue, jalonnant de leurs corps maigres, disloqués, la progression de cette chasse à courre, de cette meute  qui déferlait sur eux. Et il n’en resta bientôt plus que deux, un grand et un petit, ayant perdu leurs casquettes dans leur course éperdue, leurs yeux brillaient comme des éclats de glace dans leurs visages gris, et le plus petit commençait à perdre du terrain, les SS hurlaient derrière eux et les chiens ont commencé à hurler, l’odeur du sang les affolait, et alors le plus grand des enfants a ralenti sa course pour prendre la main du plus petit qui trébuchait déjà, et ils ont fait encore quelques mètres, ensemble, la main droite de l’aîné serrant la main gauche du petit, droit devant eux, jusqu’au moment où les coups de matraques les ont abattus, ensemble, face contre terre, leurs mains serrées à tout jamais. »

 

Voir aussi :

Jorge Semprun :  Le fer rouge de la mémoire

Jorge Semprun et Baudelaire dans Quel beau dimanche !  Ô mort , vieux capitaine...

Jorge Semprun : L'écriture et la vie

 

Voir Nathalie  : En Mémoire  et Prises de vue clandestine dans les camps nazis de Christophe Cognet


 Voir Sandrine : Vivre avec une étoile de Jiri Weil

Patrice : Vivre avec une étoile de Jiri Weil

 

 

mardi 28 janvier 2025

Robert Desnos Le dernier Poème et Louis Aragon/Jean Ferrat : Complainte de Robert le diable

Ombres et brouillard : Photographie d'Aurélia Frey
  
 
 
EN MÉMOIRE 

En 2012, j'ai publié ce poème de Desnos que je vous fais redécouvrir à l'occasion des quatre-vingts ans de l'anniversaire de la libération d'Auschwitz. Il est important de commémorer cet évènement à une époque ou les partis d'obédience nazie sont plus forts que jamais en Europe et encouragés par les dirigeants des Etats-Unis.
Je complète ce billet avec le si beau poème d'Aragon Complainte de Robert le diable chanté par Jean Ferrat.


Le dernier poème
 
 
Robert Desnos
 
 
Robert Desnos, poète résistant, est arrêté par la Gestapo le 22 février 1944 et amené à Compiègne. De là, il est envoyé d'abord à Auschwitz puis à Buchenwald et à Floha, en Saxe.  Au moment de l'arrivée des troupes alliées, il est déplacé vers Terezine dans l'ancienne Tchécoslovaquie. Une marche de 200 km à pied dans la neige, des jours de souffrance et de désespoir pour ces hommes affaiblis, sous-alimentés, malades, que l'on achève en cours de route s'ils ne parviennent pas à suivre...
Quand les alliés arrivent à  Terezine, Desnos est atteint du typhus. Il est transporté à l'hôpital militaire installé par les russes pour accueillir les malades. Ceux-ci font appel à des étudiants de la faculté de médecine de Prague pour enrayer l'épidémie.
C'est ainsi qu'un jeune tchèque, Joseph Stuna, lit dans les registres que Robert Desnos est parmi les prisonniers. Epris de poésie française, admirateur du surréalisme et de Robert Desnos, le jeune homme cherche le poète et croit le reconnaître dans les traits émaciés d'un malade et comme on demande à ce dernier s'il connaît le poète français Robert Desnos, il répond :

- Oui!  Robert Desnos, poète français, c'est moi !

Le 8 juin 1945, Robert Desnos s'éteint. Il devra à la poésie, ce langage universel, de ne pas mourir seul, inconnu, et d'avoir autour de lui des amis pour le soutenir.

On a retrouvé dans la poche de son vêtement un poème qui a pendant longtemps été considéré comme le dernier, dédié à sa femme Youki. Or, il n'en est rien. Le poème a été écrit en 1926 et dédicacé à la Mystérieuse, une autre que Youki. Voir le petit monde de Youki.

Mais le poème, devenu légende, n'a rien perdu de sa beauté.


         Le Dernier poème

J'ai rêvé tellement fort de toi,

J'ai tellement marché, tellement parlé,

Tellement aimé ton ombre,

Qu'il ne me reste plus rien de toi.

Il  me reste d'être l'ombre parmi les ombres

D'être cent fois plus ombre que l'ombre

D'être l'ombre qui viendra et reviendra

dans ta vie ensoleillée.

 
Lire aussi :  le livre de André Bessières : destination Auschwitz avec Robert Desnos

 

Louis Aragon : Complainte de Robert le diable


Doisneau : Paris : les Halles

Robert Desnos est né dans le quartier Saint Merry, près des Halles, sa mère était fille du propriétaire  d'une rôtisserie, son père était mandataire en volaille et en gibier, d'où l'importance donné à ce lieu dans le poème d'Aragon. Quand il rejoint les surréalistes, Robert Desnos s'essaye à l'écriture automatique et au langage hypnotique. Il devient le prophète du groupe qui compte Breton, Aragon, Eluard, Soupault, Vitrac... et ses visions souvent déréglées, exaltées, violentes, sont teintées de sang comme, nous dit Aragon,  s'il avait vu le destin qui l'attendait lui et les millions de victimes des camps de concentration. Il est aussi le poète de Paris et de la nuit.


Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval
Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t'escortait dans les Halles

Parmi les diables chargés de chair tu noyais
Je ne sais quels chagrins Ou bien quels blue devils
Tu traînais au bal derrière l'Hôtel-de-Ville
Dans les ombres koscher d'un Quatorze-Juillet

Tu avais en ces jours ces accents de gageüre
Que j'entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d'avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure

Tu parcourais la vie avec des yeux royaux
Quand je t'ai rencontré revenant du Maroc
C'était un temps maudit peuplé de gens baroques
Qui jouaient dans la brumes à des jeux déloyaux

Debout sous un porche avec un cornet de frites
Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d'Amphitrite

Énorme et palpitant d'une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l'écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées

Et c'est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu'à l'épuisement de la nuit ton domaine

Tu te hâtes plus tard le long des quais Robert
Quand Paris se défarde et peu à peu s'éteint
Au geste machinal que fait dans le matin
L'homme bleu qui s'en va mouchant les réverbères

Oh la Gare de l'Est et le premier croissant
Le café noir qu'on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants

La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Coeur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarissage

Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s'assied de clocher en clocher

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux
Qu'explique seulement l'avenir qu'ils reflètent
Sans cela d'où pourrait leur venir ô poète
Ce bleu qu'ils ont en eux et qui dément les cieux
 





Voir le billet de Nathalie intitulé Mémoire : C'est elle qui recueillera vos liens.
 
 

lundi 27 janvier 2025

Tolstoï : La matinée d’un seigneur

 


Dans la nouvelle  La matinée d’un seigneur de Léon Tosltoï, le jeune Nekhludov, dix-neuf ans, étudiant en troisième année à l’université, revient dans son domaine après la mort de son père et décide d’abandonner ses études pour se consacrer à remettre en ordre  ses affaires. Il est jeune, idéaliste et voit son travail comme une vocation, c’est ce qu’il écrit à sa tante :

« J’ai découvert que le mal principal tient à la situation plus que miséreuse des paysans, et c’est un mal qu’on ne peut y remédier que par le travail et la persévérance (…) N’est-ce pas mon devoir le plus sacré de me vouer au bonheur de ces sept cents âmes dont j’aurai à rendre compte à Dieu ? » 

 

Tolstoï labourant de Illia Repine

Une fois sa décision prise, le jeune Barin se consacre entièrement à sa « vocation ». Un an après,  Tolstoï  décrit la journée du jeune homme qui visite ses serfs pour leur apporter des secours. Et la description qu’il nous donne de la vie des paysans et des difficultés du maître est d’une terrible ironie. D’une famille à l’autre c’est le constat d’une misère telle qu’il est impossible d’en venir à bout ni de la soulager.
Il se heurte tour à tour à la méfiance des paysans vis à vis du seigneur et de sa toute puissance, à leur mentalité qui leur fait refuser tout ce qui est nouveau. S’il veut que leurs enfants aillent à l’école qu’il a aménagée pour eux, ses serfs le supplient de ne pas les priver de leur main d’oeuvre, s’il veut  envoyer une femme malade à l’hôpital pour se faire soigner elle n’a pas le temps, les enfants, les bêtes à nourrir, les  travaux de ferme, elle ne peut s’absenter. Les serfs refusent aussi de s’installer dans les maisons en dur qu’il a fait construire pour eux et qui ressemblent disent-ils à des prisons. Certains sont travailleurs et intelligents mais leur terre est argileuse et ne produit pas et le maître constate qu’il existe une sorte de cercle vicieux :  les paysans les plus pauvres ne peuvent fumer leur terre parce qu’ils n’ont pas de bétail mais s’ils en avaient ils ne pourraient pas nourrir leurs bêtes parce que la terre n’est pas assez riche ni assez étendue. De plus, comme le dit l’un d’entre eux au Barin, « ce n’est pas le fumier qui produit le blé mais Dieu » et si Dieu ne veut pas, on ne peut rien faire. D’autres mieux partagés ont de la bonne terre mais sont paresseux, boivent, n’entretiennent pas la propriété, s’abandonnent à leur sort. Le maître se heurte à l’immobilisme et la résignation. Ainsi lorsqu’il reproche son inertie à l’un de ses paysans, celui-ci se tait et toute son attitude semble dire :

«  Je sais, je sais, ce n’est pas la première fois que j’entends cela. Eh bien ! Frappez-moi s’il le faut je le supporterai ». Il semblait désireux que le maître cessât de parler et le frappât au plus vite, et même qu’il frappât avec force ses joues bouffies, mais qu'il le laissât tranquille le plus tôt possible."

La mère de ce dernier supplie même le barin d’envoyer son fils qui refuse de travailler à l’armée  : « Punis-le, envoie-le comme soldat, ce sera la fin, je n’ai plus de force avec celui-là ! »

Pourtant la misère est terrible, les serfs ne mangent pas à leur faim, le pain manque souvent, les habitations sont infestées, branlantes :

« Nekhludov entra dans l’isba. Les murs rugueux, enfumés d’un côté étaient couverts de guenilles et de loques, et de l’autre, absolument grouillants de cafards rougeâtres qui pullulaient près des icônes et du banc. Au milieu du plafond de cette petite isba de six archines, noire et puante, il y avait un grand trou, et bien qu’il y eût des étais en deux endroits, le plafond était tellement affaissé qu’il semblait menacer incessamment d’un effondrement. »

On y retrouve aussi Semione Doutlov qu’on a déjà vu dans la nouvelle Polikouchka. C’est l’exemple du paysan riche mais qui refuse par avarice d’étendre son exploitation, de louer des terres, d’acheter des bois, ce qui profiterait à toute la communauté. Il préfère l’argent gagné plus facilement en faisant du roulage, transport de marchandises qu’il confie à ses fils et neveu.

 

Sophie, Maria, Alexandre Tolstoï et les enfants de paysans

Pauvre Nekhludov ! Tout le monde se moque de lui et il en éprouve de la honte.  Non seulement il ne parvient pas à réaliser ses rêves mais, en plus, il est presque ruiné et il est considéré comme un imbécile par ses voisins et ses paysans. Et voilà ce que lui dit sa vieille nourrice : «  Excuse-moi, mon petit père … Tu as déjà donné tant de libertés aux paysans que personne ne craint plus rien; est-ce ainsi que font les maîtres ? Il n’y a rien de bon ici, tu te perds toi-même et le peuple se gâte. » 

 
Bien sûr, Tolstoï évoque ici sa propre expérience. Il avait créé une école et c’est sa femme Sophie et deux de ses filles qui faisaient la classe aux enfants. Quand il voulut affranchir ses serfs en 1856 et leur donner des terres, ceux-ci refusèrent, pensant qu’il voulait les escroquer.

 

dimanche 26 janvier 2025

Léon Tolstoï : L'histoire d'un pauvre homme ou Polikouchka

 

 

 

L’Histoire d’un pauvre homme de Léon Tosltoï est paru en 1860 sous le titre de Polikouchka. Une conversation entre la Barina, propriétaire du village, et son intendant nous apprend que celle-ci doit choisir trois recrues parmi ses serfs pour l’armée impériale.

« Ce jour-là, il s’agissait du recrutement. Le domaine devait trois hommes. Deux étaient désignés d’emblée, par la force des choses, par la réunion de certaines conditions de famille à la fois morales et économiques ; pour ceux-là, il n’y avait plus à hésiter ni à discuter : le mir, la barinia et l’opinion publique étaient d’accord sur ce point. C’était le troisième qui faisait l’objet de la discussion. Le gérant ne voulait pas qu’on touchât à aucun des trois Doutlov ; il eût préféré qu’on prît à la place le dvorovi chef de famille, Polikouchka, un garnement mal famé, surpris trois fois volant des sacs, des guides et du foin. » 
Les serfs constituaient la plus grande partie de l’armée et c’est, en effet, au seigneur qu’incombait ce choix qui n’était pas sans conséquence pour ceux qui étaient recrutés.  A l’origine, le service durait vingt cinq ans, le serf y était misérable, affamé, soumis à une discipline terrible. C’était une sorte de mort civile. Il ne revoyait plus sa femme qui, bien souvent était obligée de se prostituer pour vivre, ni  ses enfants, il perdait ses droits et ses biens s’il en avait, et lorsqu’il était libéré -s'il ne mourrait pas avant-, il n’avait comme recours que la mendicité. C’est pourquoi, bien souvent, le seigneur choisissait des hommes dont il était mécontent et en profitait pour se débarrasser des fortes têtes. C’était devenu un moyen de punition.
 

La Barina hésite, elle ne veut pas de mal aux Doutlov mais elle ne veut pas sacrifier Polikouchka qu’elle a converti elle-même et qui lui a promis d’être honnête :  sauver une âme, la ramener à Dieu, ce dont elle n’est pas peu fière ! Elle décide donc de laisser à l’assemblée rurale, le Mir, le soin de trancher. C’est Illyouchka, le neveu de la famille Doutlov qui est tiré au sort.
Pendant ce temps, la Barina met Polikouchka à l’épreuve en l’envoyant à la ville chercher une forte somme d’argent que lui doit un marchand, en charge au serviteur de lui ramener la somme intacte. Elle lui fait confiance.

Polikouchka va-t-il réussir son épreuve ? Le neveu va-t-il échapper à l’armée ? Je ne vous en dis pas plus mais sachez que l’histoire est tragique et que le dénouement est particulièrement cruel. Tolstoï décrit la vie russe, la pauvreté incommensurable des serfs et les mentalités. La nouvelle présente une critique sociale assez appuyée : la Barina pourrait racheter le serf mais cela ne lui vient pas à l’esprit malgré l’étalage de bons sentiments et le vieux paysan, le riche Semione Doutlov, pourrait faire de même pour son neveu bien qu’il prétende être pauvre mais il est trop avare. Tolstoï insiste bien sur ce point et réunit dans une même critique la maîtresse et le paysan, tous deux hypocrites et égoïstes. On lit le récit en état d’urgence tant on est angoissé de savoir ce qui va arriver. Une nouvelle très forte.  Du Tolstoï ! What else ?


Voir Keisha Ici

 

Chez Je lis je blogue

 

samedi 25 janvier 2025

Yordan Yovkov : Un compagnon


 

Un compagnon, nouvelle de Yordan Yovkov, raconte l’histoire d’un cheval gris vendu à l’armée et qui devient le cheval du capitaine pendant les guerres balkaniques. Si l’officier se préoccupe peu de son cheval, ses soldats sont très gentils avec lui et il finit par s’habituer à la vie militaire. C’est un animal paisible, doux, obéissant. Mais peu à peu il devient aveugle. Il est alors affecté à la tâche de porteur d’eau, ce dont il s’acquitte avec docilité malgré la peur de ne pas savoir où il se trouve. Un jour, il tombe dans une tranchée dont les soldats le tirent. Le capitaine suggère qu’on le tue. Les soldats lui demandent de l’épargner et de le leur donner. Après une trève, la guerre reprend et le capitaine est gravement blessé. On le hisse alors sur le dos du cheval, lui-même blessé, et celui-ci le ramène à l’arrière où il est soigné. Une fois guéri, le capitaine demande des nouvelles du cheval et on lui apprend qu’il est mort.

Cette courte nouvelle paraît si simple quand on la résume que l’on se demande pourquoi le lecteur ressent une telle tristesse mêlée pourtant de douceur après la lecture.
C’est que Un compagnon est écrit d’une manière simple, sobre, sans grands effets dramatiques, un peu comme la vie du cheval gris, une vie de dévouement et de travail, mais en même temps il nous fait partager les sentiments de l’animal, ses craintes, ses aspirations. L’on sent passer dans ce récit toute la tendresse de l’écrivain pour les êtres humbles mais qui font jusqu’au bout leur longue et lourde tâche. Même le plus modeste nous dit l’auteur, même un vieux cheval aveugle, a un rôle à jouer, ici, sauver la vie du capitaine. Il y a de la grandeur dans sa modestie.

On pense, non pour le style mais pour le personnage à la servante de Un coeur simple de Flaubert. Et puis aussi, comme il s’agit d’un cheval, à Coco de Maupassant mais la ressemblance s’arrête là. Coco montre  la bassesse et la cruauté d'un jeune paysan qui laisse mourir de faim le vieux cheval. Dans Un compagnon, au contraire, le cheval gris est entouré de soins et d’affection par les soldats. Si le capitaine ne s’intéresse pas sa monture, c’est qu’il est jeune, toujours occupé par sa mission, s’il veut le tuer quand il tombe dans la tranchée c’est pour qu’il ne souffre plus. Pourtant, lorsqu’il apprend la mort du cheval après avoir été sauvé par lui, il n’est pas insensible et son attitude réfléchie et pensive montre qu’il a intégré la leçon.

"Le capitaine ne dit rien mais frémit. Ce fut comme si toutes ses blessures, de nouveau le faisaient souffrir. Puis il mit ses mains sous la nuque et resta ainsi, pensif, le regard dans le vague."


Yordan Yovkov (1880-1937)


Yordan Yovkov est un écrivain bulgare considéré comme le grand maître de la nouvelle en Bulgarie à l'égal de Maupassant pour la France et de Tchekhov pour la Russie. Thomas Mann a inclus Le péché d’Ivan Béline dans son anthologie des meilleures nouvelles du monde.  Yovkov a été professeur dans sa région de Dobroujda où son père fut éleveur et qui inspira nombre de ses textes. Il est l'auteur de huit recueils de nouvelles,  deux romans, quatre pièces de théâtre et est traduit en trente langues. C'est un auteur encore peu connu en France.

 

 


 

jeudi 23 janvier 2025

David Park : Voyage en territoire inconnu

 

Dans Voyage en territoire inconnu de l'écrivain irlandais David Park, Tom part de Belfast pour aller chercher Luke, son fils, en Angleterre, à l’université de Sunderland, car le trafic aérien est paralysé par une vague de froid polaire à trois jours de Noël. Il est hors de question de laisser Luke seul et malade dans sa colocation déserte. Sa femme Lorna et sa fille l’attendront à la maison. C’est sur des routes enneigées et verglacées que Tom se lance dans ce long périple, traversée en ferry jusqu’à l’Ecosse puis direction vers l’Est jusqu’en Angleterre. Ce voyage à travers des régions rendues méconnaissables par la neige, territoire inconnu qui semble tout droit sorti d’un cauchemar, est aussi un voyage intérieur, où Tom resté seul face à ses pensées et ses regrets.

"Je pénètre en territoire gelé, bien que je ne puisse dire à quel pays il appartient. (…) Tout est caché même les secrets que je serre fort pour les empêcher de trouver la lumière; le monde s’étend si loin à l’infini que je ne peux le réduire à un seul cadre, et si je plisse les yeux, c’est seulement pour me protéger des rafales de neige." 

 
 Tom affronte une fois encore ses angoisses de père, ressasse ses défaillances, tourne et retourne son sentiment de culpabilité, "the strange land » de la paternité, avec toutes ses questions angoissantes, qu’ai je-fait, qu’aurais-je dû faire ?  Pourquoi ? Où est mon erreur ?, les relations de père à fils mais aussi du fils qu’il a été envers son père. Et dans ces longues heures de route, se joue tout simplement la question du courage nécessaire pour affronter la vie, de la tentation de céder,  la question de la vie et de la mort. Où trouver la force de continuer quand l’ordre des choses a été rompue ?

"Toute chose doit avoir un but et je dois découvrir le mien, ou alors céder aux exhortations de ce territoire gelé, m’abandonner à la fatigue et poser la tête sur son doux oreiller de neige."

Quelques rencontres viennent rompre la solitude et apporter une touche humaine, chaleureuse bien qu’éphèmère, Agnès, la vieille dame partie faire des courses, qu’il raccompagne et qui lui donne un chocolat pour son fils, Rosemary, victime d’un accident qu’il assiste en attendant les secours. Et peu à peu au cours du voyage, par bribes, se dévoile la tragédie qui a frappé la famille.
Si l’ensemble baigne dans une sorte de tristesse voilée, étouffée, semblable aux paysages estompés par la neige, il y a ces moments de bonheur partagés quand les enfants sont tout petits et cette idée, si vraie, si juste, que tout parent doit avoir un jour expérimenté, « cette impression  de voir le monde pour la première fois. Le voir à travers des yeux d’enfants. » Et il n'est pas étonnant qu'il soit souvent question de regard dans le roman puisque Tom est photographe.

 

L'ange du Nord de Antony Gormley à Gateshead

Il y a de très beaux passages qui apportent du réconfort, comme la visite à l’ange dominant la ville de ses grandes ailes déployées, qui, pour Tom et bien qu’il ait perdu la foi, est une promesse d’espoir, de rédemption.

 « … photographier l’ange. Je veux saisir sa dimension, sa puissance, l’envergure des ses ailes, je veux emporter cette image partout où j’irai dans l’avenir. ». 

Et si son métier, en dehors de la photographie alimentaire qui parfois l'ennuie, est pour lui un moyen de s’exprimer, la somme de tout ce qu’il a vu, qu’il a lu, qu’il a éprouvé, il faut pourtant comme le lui demande Lorna à la naissance de son fils, qu’il accepte de regarder son fils avec ses yeux, non à travers un appareil photographique : « Avec mes yeux. Uniquement avec les yeux. Un petit garçon qui franchit les pierres du guet, les paupières fermées. Un garçon qui manque me bousculer dans sa hâte à entrer dans le salon le matin de Noël. Ses cadeaux pour sa mère et son père, emballés n’importe comment- une paire de gants en laine pour moi, du parfum pour Lorna… ». C'est le regard de l'amour enfin dépouillé de  culpabilité.

Un très beau livre, à la fois sobre et plein d’émotion. 


Voir Kathel : ICI

mardi 21 janvier 2025

Sarah Penner : La petite boutique aux poisons

 

 

La petite boutique aux poisons de Sarah Penner. Voilà le genre de lecture facile destinée aux esprits fatigués et qui ont envie de se divertir avec ce polar historique. Divertir ? Ouep ! En un  sens … mais je conseille tout de même à ces messieurs de se méfier ! Car nous allons rencontrer une empoisonneuse Nella  bientôt secondée par une admiratrice et disciple Eliza (12 ans). Une femme bien sous tout rapports puisque sa loi n° 1 est de ne jamais s’attaquer aux femmes et d’aider celles-ci à se débarrasser des maris gênants, croqueurs de dot,  infidèles, violents, désagréables ! Bref ! Une entreprise qui travaille pour le bien public et féminin ! Nous sommes en 1791 dans l'arrière-boutique obscure d’un quartier de Londres non moins obscur en train de manipuler de mystérieuses fioles gravées d’un écusson représentant un ours et avis aux maris ! Tenez-vous bien !

De nos jours, à Londres, Caroline venue des Etats-Unis est désemparée. Elle et son mari s’apprêtaient à faire ce voyage pour célébrer leur anniversaire de mariage lorsque Caroline apprend qu’il lui est infidèle. Elle part seule et se retrouve dans la capitale sans grande envie de visiter la ville, trop malheureuse pour cela. C’est le moment de faire le point et de s’apercevoir qu’elle a sacrifié tout ce qui était important pour elle en se mariant !
C’est alors qu’un homme l’aborde pour lui proposer une séance de mudlarking dans les boues de la Tamise à marée basse :
« Il fut un temps où les fouilleurs qu'on appelle mudlarks, récoltaient les pièces, des bijoux, des céramiques, pour ensuite les vendre. C'est de ça que parlent les romans de l'époque victorienne. Les gamins des rues récupéraient ce qu'ils pouvaient pour essayer d'acheter un bout de pain. Mais aujourd'hui, nous ne sommes là que pour le plaisir. Vous pouvez conserver ce que vous trouvez, c'est la règle.

Et Caroline trouve… devinez ? Et oui, une fiole avec un petit ours gravé. Dès lors elle mène une enquête qui lui permet de remonter dans le temps sur les traces de l’empoisonneuse et de découvrir son histoire. Je ne vous en dis pas plus si ce n’est que, non, Caroline n’empoisonnera pas son mari, il est assez bête pour s’empoisonner tout seul !

Un livre agréable  et divertissant  qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux !