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vendredi 26 juillet 2024

Avignon : Festival OFF 2024 : quelques pièces contemporaines : L'os à moelle de Pierre Dac, Nulle autre voix de Maissa Bey, Moman de Jean-Claude Grumberg, Irish Story de Kelly Ruisseau, Boris Vian

 





Pierre Dac : l'os à Moelle




 L’Os à moelle : Pierre Dac 


L’Os à moelle au Festival Off Avignon 2024, au Théâtre Le Petit Chien du 29 juin au 21 juillet 2024 à 16h. Mise en scène : Anne-Marie Lazarini

Interprètes : Cédric Colas, Emmanuelle Galabru, Anne-Marie Lazarini, Michel Ouimet
Durée : 1h
Spectacle à partir de 13 ans

Mon avis :

Créateur du journal humoristique L'os à Moelle en 1930, organe officiel des loufoques, qui eut un immense succès, Pierre Dac qui est juif a quitté la France en 1943 pour rejoindre l'Angleterre où il devient la voix de Radio-Londres et de Les français parlent aux français. Sous l’absurde et le rire, la vision politique de l’accession de Hitler au pouvoir dont il dénonce les dangers qu'il fait courir à la paix et la démocratie dès 1933. Un spectacle intéressant et d’actualité ! Vu une semaine avant les élections !


 Nulle autre voix de Maissa Bey

 


"Elle a tué un homme, son mari. Elle sort de prison, quinze ans après. Mais, après avoir purgé sa peine, a-t-elle vraiment retrouvé la liberté ? Être une femme en Algérie est déjà propice à l’enfermement et au silence. Être une femme condamnée pour avoir ôté la vie d’un homme est au-delà des mots. Un texte sur la violence ordinaire d’une société qui ne pardonne rien aux femmes, sur la violence réelle qu’une femme peut subir dans la honte et la douleur – jusqu’à ce que, parfois, elle commette l’irréparable."

Nulle autre voix

 Arthéphile 16H  durée 1H
Texte Maissa BEY | Adaptation théâtrale et mise en scène Kheireddine LARDJAM | Interprétation Linda CHAÏB et Salah GAOUA | Création lumières Manu COTTIN | Son Thibaut CHAMPAGNE | Chargée de
production Marion GALON
Production COMPAGNIE EL AJOUAD | Coproduction Institut français d’Algérie à Tlemcen | Avec le soutien du Palais de la Culture de Tlemcen.

 

Maïssa Bey

L'écrivaine : " son père, instituteur, mort sous la torture de l’armée française pendant la guerre d’Algérie, Maïssa Bey dit avoir reçu en héritage la langue française, qu’il lui a enseigné avant même qu’elle aille à l’école : « Il m’a transmis cela comme quelque chose de très précieux, car, pour lui, la langue permettait d’aller vers l’autre, de le comprendre ». Elle est l’autrice d’une dizaine de romans, de recueils de poésie et de nouvelles, ainsi que de trois pièces de théâtre, avec toujours en toile de fond cette Algérie natale et plus particulièrement la condition des femmes.
 Dans la lignée, Nulle autre voix, roman percutant, se fait le témoignage bouleversant d’une femme qui soigne les maux avec les mots, après avoir commis l’irréparable aux yeux de la société."
« Mon rapport à la langue française est un rapport d’amour. Je n’ai aucun complexe à écrire et à m’exprimer en français. L’essentiel est de pouvoir dire ce que j’ai à dire, ce que je ressens, mes colères et mes révoltes. Il n’y a pas de différence entre l’intime et l’écrit. » (Jeune Afrique)

Le créateur de la compagnie et  metteur en scène : "Il y a plus de quinze ans, Kheireddine Lardjam a créé la compagnie El Ajouad (les généreux) au Creusot en Bourgogne-Franche-Comté, territoire sur lequel il développe son travail artistique grâce aux soutiens renouvelés en production et diffusion de nombreux lieux nationaux.
La Compagnie El Ajouad aspire à affirmer des orientations fortes, celle d’un théâtre engagé au coeur d’un territoire, celle d’un théâtre d’aujourd’hui pour parler d’aujourd’hui.
C’est pourquoi dans le projet que propose la compagnie El Ajouad une place importante est faite aux auteur.ice.s et aux poète.sse.s vivant.e.s, français et étranger.e.s, à ceux et celles qui nous racontent des histoires d’aujourd’hui."

"La première violence est de s’arroger le droit de disposer de l’autre. Du corps de l’autre. Au nom d’une supériorité légitimée par la naissance, le sexe, l’argent, la position sociale ou encore par des lois humaines ou divines."

Mon avis

Une belle pièce engagée et tragique sur le thème de la femme algérienne (mais pas seulement), sur son droit de décider d'elle-même, d'être maîtresse de son corps, de ne pas entrer dans le moule voulu par la société, d'être indépendante, en un mot d'être libre ! La comédienne Linda Chaïb est incroyable dans ce rôle de colère et de révolte. Elle est accompagnée par la belle voix grave de Salah Gaoua qui chante en arabe des chansons pleines de mélancolie qui exaltent le texte de Maïssa Bey.

 

Moman  de Jean-Claude Grumberg

 

Moman pourquoi les méchants sont méchants ?

"C’est la vie entre une mère et son fils, c’est l’enfance sans père, c’est une histoire pleine de fantômes, c’est un théâtre pour de grands enfants qui aiment leur mère. 
C’est une pièce sur le courage, la résistance à l’adversité.
 Et ça crie, ça pleure, ça chante, entre rêve et réalité, entre humour et gravité, pour le meilleur de l’humanité, entre tendresse et brutalité.
 Que devons-nous à nos mères dans ce que nous sommes devenus ?"

Moman  de Jean-Claude Grumberg Mardi 9 Juillet   10H15 la Scala de Provence

Distribution : Clotilde MOLLET,  Hervé PIERRE
Mise en scène : Hervé PIERRE,  Clotilde MOLLET,  Noémie PIERRE
Musique : Hugo VERCKEN
Décors : Noémie PIERRE
Costumes : Siegrid PETIT IMBERT
Lumières : Nieves SALZMANN

Mon avis

Une belle pièce où Grumberg parle de son propre passé, raconte la vie d’un enfant élevé par une mère seule dans un foyer modeste, les loyers impayés, la peur d’être sans toit, la fatigue, la tristesse souvent, et pourtant, surtout, la tendresse, le dévouement, le courage, l’amour d'une mère pour son enfant. Le spectacle est divisé en deux parties, l'une avec la mère et le fils encore enfant, l'autre avec le fils adulte et sa mère vieillissante. Les deux comédiens Hervé Pierre et Clothilde Mollet endossent, indifféremment, le rôle de la mère et celui de l’enfant.  Ils sont convaincants et font passer tous les sentiments qui agitent les personnages.  Ils nous font rire et nous touchent tour à tour. J’ai beaucoup aimé et ma petite fille (14 ans) aussi. 

 

Irish story de Kelly Ruisseau



Kelly Ruisseau nous raconte l’enquête qu’elle a menée pour tenter de retrouver son grand-père, Peter O’Farrel, né dans les années 30 en Irlande du Sud, parti s’installer en Angleterre dans les années 50 et qui disparaît dans les années 70. En traversant les époques, les frontières géographiques et linguistiques, la comédienne polymorphe propose un voyage au cœur d’une famille, avec ses secrets et ses non-dits et livre une histoire si intime qu’elle en devient universelle, de toute une famille marquée par l’exil.
 

« An Irish Story :  Une histoire irlandaise est l'histoire d'une enquête, celle que mène Kelly Rivière alias Kelly Ruisseau pour retrouver Peter O'Farrel, son grand-père irlandais qui a mystérieusement disparu dans les années 1970. A-t-il été englouti par une vague géante au large des îles d’Aran ? Est-il parti rejoindre les rangs de l’IRA en tant que chef de l’armée rebelle ? Ou est-il simplement parti acheter des cigarettes en sifflotant, pour ne jamais revenir, comme le raconte la légende familiale ?» https://www.proarti.fr/collect/project/an-irish-story/0
 

Mon avis

Très bon spectacle avec une excellente comédienne qui joue tous les personnages avec humour et justesse.  Bilingue, elle passe du français à l'anglais, imitent tous les accents, titillent les ridicules des uns (les anglais) ou des autres (les Français), hommes, femmes, jeunes et vieux, et nous fait revivre à travers les aventures de ses grands-parents le passé d’une Irlande déchirée et les drames intimes qui ont traversé sa famille. Mon ado a apprécié aussi.

Irish story  
du 29 juin au 10 juillet relâche les 1, 8 juillet
18h20 1h25
SCALA PROVENCE (LA)
Langue principale : français
Public : Tout public à partir de 14 ans


Boris Vian

 


 

 Présentation

Un voyage musical et poétique captivant, Boris Vian apparaît tout à la fois véhément, sarcastique, tendre et immanquablement drôle ! 

Poèmes et chansons interprétés par Frédéric Jacquot et Guillaume Nocture. Des textes abordant les thèmes phares de l’œuvre de Boris Vian. 

Nous montrons ici la dimension intemporelle de ses sujets de prédilection : l’absurdité de la guerre, le mercantilisme des dirigeants, la violence à l’endroit de la jeunesse, la position parfois peu enviable de la femme dans le couple, l’amour et le quotidien tumultueux des rapports amoureux. 

Tour à tour véhément et sarcastique mais aussi tendre et admiratif du beau sexe, toujours enclin à la rigolade. Un moment de joie et de plaisir offert à ceux qui savent réfléchir et s’amuser !

Mon avis 

Quelle agréable soirée passée avec Boris Vian, entre poésie et humour, grâce à Frédéric Jacquot et à Guillaume Nocture et, qui plus est, avec un public amoureux du poète et qui vibre à chaque chanson. Heureuse aussi de voir que ma petite fille apprécie et entre dans l'univers de Boris Vian avec plaisir.

BORIS VIAN à la Scala : Distribution

  • Frédéric Jacquot : Comédien
  • Guillaume Nocture : Comédien
  • Jean-Marie Galey : Metteur en scène
  • Boris Vian : Auteur


jeudi 25 juillet 2024

Avignon Festival 2024 : le XVII siècle : Corneille : Le Menteur, Le Cid

 

Quelle chance, pendant ce festival d’Avignon, de voir réunies, dans deux théâtres différents, la tragi-comédie de Corneille Le Cid qui a bercé mon enfance et celle de tous les élèves de ma génération et la comédie baroque Le Menteur que je ne connaissais pas et que j’ai découvert avec beaucoup de plaisir ! A l’époque on n’étudiait, outre le Cid, que les tragédies de Corneille et les comédies nous étaient inconnues. Il paraît que Le Menteur va être au programme du Bac en 2025.


 Le MENTEUR

 

Dorante, son père et le valet

L’argument

Alors qu’il vient de terminer ses études de droit, Dorante revient à Paris, bien résolu à profiter des plaisirs de la capitale. En compagnie de son valet Cliton, il rencontre deux jeunes coquettes, Lucrèce et Clarice,  aux Tuileries et s’invente une carrière militaire pour les éblouir.  S’ensuit un imbroglio diabolique mêlant : jeunes femmes, père et ami. Faisant fi de l’honneur, des serments d’amitié et d’amour, Dorante s’enferre dans un engrenage de mensonges qui déclenche d’irrésistibles quiproquos. Les jeunes femmes n’étant pas en reste de supercherie, on se demande qui sera le vainqueur de ce jeu de dupes. Ce chef d’œuvre en alexandrins ramène sur la scène le joyeux et brillant Corneille, auteur de L’Illusion comique.


Alexandre Bierry Dorante et son Valet Cliton Benjamin Boyer

Mon avis

L’action de la comédie de Corneille Le Menteur se déroule dans un décor mobile figurant les maisons des jeunes filles qui s’ouvrent pour suggérer de larges espaces comme les jardins des Tuileries et rappellent aussi un castelet, les visages des personnages apparaissant dans le cadre des fenêtres comme des marionnettes. Il faut dire que tous vont bien se laisser mener en bateau par Dorante qui tire les ficelles !

 On y voit un hilarant Dorante (Alexandre Bierry excellent avec un vrai tempérament comique)  se débattre dans des mensonges toujours plus énormes, toujours plus invraisemblables et l’on attend, bien sûr, qu’il s’emmêle les pinceaux et finisse par recevoir le châtiment qu’il mérite ! Et bien non ! Il retombe toujours sur ses pieds. A moins que l’obligation de se marier à la fin de la comédie ne soit une punition ! Pour un séducteur débutant, ce n’est vraiment pas de chance !

Dorante forme avec Cliton (Benjamin Boyer, lui aussi très bon, très amusant) un couple Maître-Valet qui n’est pas sans évoquer celui de Dom Juan et de Sganarelle, avec des ressorts comiques bien rôdés : la stupéfaction et la réprobation de Cliton effaré par les mensonges de Dorante qui paraît souvent en mauvaise posture mais prend de plus en plus d’assurance. Tout va crescendo ! Le reste de la distribution est au diapason.
 A la manière d’une opérette, l’intrigue  est rythmée par des chansons, des musiques légères, entraînantes. La mise en scène de Marion Bierry est vive, enlevée, étourdissante! Un vrai plaisir théâtral !  Une réussite  

LE MENTEUR DE CORNEILLE
GIRASOLE 11H35 durée 1H30

 
Mise en scène : Marion BIERRY
Distribution : Alexandre BIERRY,  Benjamin BOYER,  Brice HILLAIRET,  Marion LAHMER,  Serge NOEL,  Mathilde RIEY ou Maud FORGET
Assistant mise en scène : Denis LEMAITRE
Décor : Nicolas SIRE
Adaptation : Marion BIERRY
Costumes : Virginie HOUDINIERE,  Virginie H.
Création lumière : Laurent CASTAINGT


 Le CID

 


Présentation par la compagnie

Chimène aime Rodrigue et Rodrigue aime Chimène… jusqu’à ce que cet amour ne devienne impossible au regard de l’honneur et que ne s’insinue dans leurs jeunes âmes ce dilemme insondable.
 
Le Cid est un sujet narratif et exalté qui parle avant tout du cœur, dans les sens multiples du terme : il est le siège du courage, mais aussi le lieu dynamique de l’action, des passions, du désespoir. La pièce explore une véritable cartographie de cet organe, épicentre d’une vaste étendue de sentiments, de ce territoire complexe fait de labyrinthes, d’écueils et d’abîmes.
 
Et elle a en son temps emporté celui du public qui a fait savoir, lors de sa création en 1637, que c’était la première fois qu’il ne s’ennuyait pas : actions, suspens, combats, l’histoire est invraisemblable, romanesque et les spectateurs sont plongés dans le feu de l’intrigue.
 
Le Cid fait aujourd’hui partie de nous et de notre inconscient collectif. Nous avons un rapport presque fusionnel avec ses vers et ses conflits…
 
Frédérique Lazarini en propose une version dynamique, baroque, poignante et profondément méditerranéenne qui fait la part belle aux rites et à l’action, à un personnage féminin, Chimène, affirmé et audacieux, à l’initiation de ces jeunes héros qui embrassent leurs fonctions, conjurant la mort, choisissant l’honneur, défiant l’autorité de l’état et appelant l’amour sans pouvoir jamais en contrôler toute la dimension passionnelle.
Le classique le plus enflammé de notre répertoire théâtral ! 


Le Cid : Arthur Guezennec photo Arthur Enard


Mon avis

J’ai beaucoup aimé cette mise en scène de Frédérique Lazarini car la pièce, enfin débarrassée des règles du théâtre classique du XVII siècle qui l’a toujours entravée, peut être ce qu’elle est réellement,  pleine de bruits et de querelles, bouillonnante sous la fureur des sentiments amoureux et du désespoir,  farouche avec ses combats à l’épée qui ont lieu sur scène,  fière et belliqueuse avec ces guerriers au sens de l’honneur exacerbé qui les pousse à la violence. Si l’on est loin, de nos jours, des idéaux de la société du XVII siècle et de ces thèmes,  le combat entre l’amour et l’honneur, la vengeance, l’on est complètement pris dans ce tourbillon de passions et l’on y adhère sans se poser de questions.
 

Rodrigue et Chimène : photo Arthur Enard

 

Deux surprises au niveau de la conception des personnages :
 

Chimène ( Lara Tavella) que, dans la tragédie classique l’on voit noble, hiératique, solennelle, est ici vue comme une petite fille à peine sortie de l’enfance,  primesautière, amoureuse, rêvant devant sa robe de mariée, semblable à une autre héroïne, la Juliette de 15 ans, fragile, gâtée, rêveuse et gaie. Cette interprétation n’a pas été du goût de tout le monde tant elle tranche avec la tradition mais personnellement j’ai beaucoup aimé. On la voit peu à peu se transformer et mûrir sous le coup du chagrin et du deuil et réclamer vengeance mais toujours éprise, luttant contre sa passion. C’est un parti-pris vraiment intéressant  !

Deuxième surprise : Jusqu’à maintenant j’ai toujours cru que Don Gomes (Cedric Colas qui incarne un comte hautain, orgueilleux et sans pitié) avait été vaincu par le Cid parce que celui-ci était le plus fort au combat. La scène du duel montre que Don Gomes, trop sûr de lui, trop arrogant, a montré de la négligence devant son jeune adversaire et que celui-ci en a justement profité ! Rodrigue l'emporte sur Don Gomes parce que celui-ci l'a sous estimé !

Toute la distribution est parfaite avec un Rodrigue, beau, courageux, ardent en amour et au combat. Arthur Guezennec excelle dans ce rôle. L’amour des jeunes gens ne s’expriment pas platoniquement selon la règle du théâtre classique (de la bienséance), les deux jeunes gens sont emportés dans des embrassements fougueux et l’on ressent le déchirement qui est le leur face à une situation tragique dont ils sont les victimes.

Quelques changements sont intervenus par rapport à la pièce, la suivante Elvire est remplacée par un homme (Guillaume Veyre très convaincant), le personnage de l’infante est supprimé. Par contre le prince dont Don Sanche est le précepteur prend une présence inattendue sous les traits d’une jolie marionnette manipulée avec douceur et tendresse.

 

LE CID DE CORNEILLE

LE CHENE NOIR

Distribution : Cédric COLAS,  Arthur GUEZENNEC,  Philippe LEBAS,  Lara TAVELLA,  Guillaume VEYRE,  Hugo GIVORT
Mise en scène : Frédérique LAZARINI
Marionnette : Félicité CHAUVE
Lumière : Xavier LAZARINI,  François CABANAT
Assistant lumières : Tom PEYRONY
Musiques : François PEYRONY
Costumes : Dominique BOURDE,  Isabelle PASQUIER
Combats : Lionel FERNANDEZ
Scénographie : François CABANAT

mercredi 24 juillet 2024

Avignon : Festival 2024 Le XVIIème siècle : Molière : Les femmes savantes, Le Bourgeois gentilhomme, Le misanthrope

 

 Bélise ( Pauline Paoli) dans Les femmes savantes festival d'Avignon 2024

 

Quand j'amène ma petite-fille (14 ans) au festival de théâtre d'Avignon et même si j'essaie d'aller voir avec elle quelques contemporains, il lui faut des classiques ! Et parmi les classiques, le roi Molière ! Qui a dit que les ados n'aimaient pas Molière ? Amenez-les au théâtre et vous verrez !

Et quand on me demande si je n'en ai pas assez de voir toujours les mêmes pièces, cela me fait rire ! Car vous pouvez assister chaque année à une représentation de L'Avare, Le bourgeois gentilhomme, Tartuffe,  les femmes savantes... peu importe, ce n'est jamais le même ressenti ! Et c'est cela, le spectacle vivant, toujours différent, toujours renouvelé, selon les metteurs en scène, leur inventivité,  les interprétations,  la sensibilité, le brio des comédiens, les transpositions dans des époques différentes, les décors, les lumières, les costumes... Ce que j'aime dans la mise en scène, c'est lorsque, tout en donnant leur lecture personnelle, en nous surprenant et nous touchant, les metteurs en scène savent respecter l'auteur et se mettre au service de la langue. Des idées, de la personnalité, oui, mais du respect !  Ras le bol de ceux à l'égo surdimensionné qui méprisent le texte et l'auteur et se croient supérieurs à lui. Et oui, c'est la mode surtout dans le In !

Il m'arrive même souvent  poussée par ma petite-fille d'aller revoir la pièce deux fois de suite, et même il y a deux ou trois ans, de revoir quatre fois Beaucoup de bruit pour rien car Shakespeare est son deuxième auteur préféré.

LES FEMMES SAVANTES



 Parlons du spectacle des Femmes savantes mis en scène par Jean Hervé Appéré par Comédiens et Compagnie, revu deux fois à quelques jours d'intervalle.

L'Argument

"Henriette qui aime Clitandre se voit contrainte par sa mère, Philaminte, d’épouser Trissotin, un médiocre poète à la mode qui, tout comme Tartuffe, essaie de s’introduire dans la maison pour s’enrichir. Le père, Chrysale, heureusement accompagné de son frère, Ariste, va essayer d’empêcher ce mariage en affrontant les foudres de sa femme, Philaminte, de sa soeur Bélise et de son autre fille, Armande, trois femmes savantes qui essaient de régenter le monde… de leur maisonnée.
 Les Femmes savantes veut offrir un moment de spectacle complet : cruel, tendre, comique, musical, un délicieux projet pour Comédiens & Compagnie qui expérimente depuis 15 ans une certaine idée de la commedia dell’arte, faite de bouts de ficelles et d’imagination."

Présentation par la Compagnie

"Après La Princesse d’Élide, Le Mariage forcé et Le Malade imaginaire, Comédiens & Compagnie et Molière sont de nouveau réunis avec Les Femmes savantes. Cette comédie drôlissime s’en prend aux sots, aux pédants et aux hypocrites. Ce superbe texte en alexandrin s’amuse à dévoiler les sottes lourdeurs d’une société patriarcale contre la naïveté de suffragettes intégristes, la lutte pour le pouvoir… à l’intérieur du cadre familial, l’ennui profond des salons mondains. Une satire incisive de ceux qui savent ou plutôt qui croient savoir et qui cherchent à imposer leur vision du monde. Toute ressemblance avec notre actualité ne peut être qu’accidentelle... 
Encore une fois cette comédie est emblématique de notre savoir-faire, à savoir : présence gestuelle, improvisations raisonnablement dosées, musique et chants, danses et pantomimes avec un respect du texte (le travail sur les alexandrins cherche à trouver la fluidité suffisante pour faire passer le vers avec sa force intrinsèque sans en entraver la justesse, la vérité. Ce travail esquissé dans La Princesse d’Élide dont le premier acte et le début du deuxième étaient en vers, trouve ici son aboutissement) qui n’entrave pas la gaieté communicative de la comédie. Un spectacle pour tous, un spectacle populaire dans le sens noble du terme, accessible, ne rimant pas avec pauvreté ou vulgarité mais nous l’espérons, avec richesse, pour ne pas dire en l’occurrence, préciosité et humanité."


Les femmes savantes  à l'époque du Charleston. Clitandre est vêtu comme Tintin !


 Mon avis :

 Un excellent spectacle où effectivement l'alexandrin, souple, naturel, aisé, s'écoule librement ! Transposé  à l'époque des Années folles, les comédiens sont portés par la musique de Bartok, Ravel, le Jazz et le Charleston... On danse, on chante, on rit, on réfléchit aussi.  Molière condamnerait-il l'éducation des femmes, leur refuserait-il l'accès à l'étude, aux sciences ? 

Mais il n'en est rien, c'est la sottise que Molière réprouve, celle de Trissotin, l'écrivain ridicule et ampoulé,(un Guillaume Collignon loufoque à souhait), celle des trois femmes Philaminte, Bélise et Armande, qui admirent les faux-semblants, la fausse culture et affiche le mépris du corps et de l'amour. Non des femmes savantes mais des femmes snobs dont l'affectation n'a d'égale que la vanité. Armande et Philaminte sont d'ailleurs vêtues en homme comme si elles renonçaient à leur féminité. 

On rit de la lâcheté de Chrysale (Fred Barthoumeyrou), le père, mais on le comprend quand on voit arriver son petit bout de femme furibonde (Ana Isoux) qui en effraierait plus d'un !  Tous les comédiens sont d'ailleurs très bons avec une mention spéciale pour l'interprétation de Bélise (Pauline Paoli) qui croit tous les hommes amoureux d'elle. Cruauté aussi comme toujours dans Molière quand Armande s'aperçoit que son mépris affiché du mariage lui a fait perdre celui qu'elle aimait, Clitandre qui s'est tourné vers sa soeur Henriette.

LES FEMMES SAVANTES MOLIÈRE
https://www.comediensetcompagnie.info/les-femmes-savantes
 18H30 durée 1H40 Espace Alya
Mise en scène de  JEAN HERVÉ APPÉRÉ
7 comédiens et 2 musiciens
Comédiens & Compagnie

FRED BARTHOUMEYROU Chrysale / Julienv 
; VALÉRIE FRANÇAIS  Philaminte
 ; ANA ISOUX Armande / Piano ; 
MÉLANIE LE DUC ou AUDREY SAAD  Henriette 
; STÉPHAN DEBRUYNE ou BORIS BÉNÉZIT Ariste / Martine / Violoncelle
 PAULINE PAOLINI Bélise
;  ANDRÉ FAUQUENOY Clitandre / Vadius
 ; GUILLAUME COLLIGNON Trissotin / Trompette ; 
JONATHAN JOLIN Le Notaire / Clarinette / Percussion

Crédit photo : Castanéa/Nicolas BARBARIN
Direction des chants ANA ISOUX
Pantomimes LiONEL MENARD
Chorégraphie SOPHIE PECOUD
Costumes DELPHINE DESNUS
Lumières EDWIN GARNIER



 LE BOURGEOIS GENTILHOMME 

 


L’argument
 

Riche Bourgeois, M. Jourdain veut acquérir l’éducation des personnes de qualité et s’élever dans le monde au-dessus de sa condition.  Il décide de commander un nouvel habit et  fait venir des maîtres d'armes, de danse, de musique et de philosophie, et se couvre de ridicule
Il fait la cour à Dorimène, une marquise veuve, amenée chez lui par son amant, un comte indélicat qui profite de la sottise de monsieur Jourdain pour lui soutirer de l'argent.
Sa femme et Nicole, sa servante, se moquent de lui, puis s'inquiètent pour Lucile, la fille de monsieur Jourdain  amoureuse de Cléonte que M. Jourdain refuse car il n’est pas noble.

Mon avis

Je crois que l'affiche résume bien la mise en scène, le grain de folie qui secoue cette représentation d'un Bourgeois gentilhomme complètement échevelée et survoltée. Les costumes baroques, magnifiquement colorés, burlesques, originaux, avec les perruques surdimensionnées, échevelées, donnent le ton en conférant aux personnages une dimension à la fois comique et onirique, renforcés par le maquillage outrancier, visage blanc, joues orangées qui rappellent le cirque.

 

Bastien Ossart : Monsieur Jourdain


 Et c'est en même temps très beau, fantaisiste, amusant : Ô ! les frisettes roses de Liwen Liang quand elle est Lucile ou son énorme noeud jaune à pois noirs sur la tête, façon coiffe alsacienne, quand elle est marquise ! Ou encore la citrouille coiffée par Monsieur Jourdain sacré Mamamushi.

 

Liwen Liang : Lucile, la fille de monsieur Jourdain

Nous n'avons pas devant nous des personnages réels mais des personnages surgis d'un esprit en délire et qui évoluent sur la scène dans des pantomimes et des danses, une véritable comédie-ballet (mais sans Lully) comme l'a voulu Molière au son de musiques diverses, opéra, boléro, sacre du printemps. Le personnage du Bourgeois acquiert une certaine démesure dans ses ridicules et son obsession nobiliaire. J'ai aimé que la pièce soit respectueuse du texte mais s'en éloigne parfois en introduisant des variantes, en particulier les deux fables de La Fontaine extrêmement bien dites. Encore un excellent spectacle et très original.

De Molière
Adaptation et mise en scène Bastien OSSART
Compagnie Théâtre Les Pieds Nus
Avec Bastien OSSART, Iana Serena DE FREITAS, Mathilde Guêtre-Rguieg, Benoît MARTINEZ, Nicolas QUELQUEJAY, Liwen LIANG
Costumes Théâtre Les Pieds Nus

Lumières Florian DERVAL


LE MISANTHROPE

 

L'argument

Alceste hait les mondanités et dénonce l'hypocrisie de ses semblables. Son ami Philinte est plus mesuré et représente l'idéal de l'honnête homme du XVII siècle. Alceste critique le sonnet d'Oronte et a un procès sur le dos. Malgré sa misanthropie, il est pourtant fou amoureux de Célimène, jeune et belle veuve, coquette et frivole qui ne correspond pas du tout à ses idées. Il finira par renoncer à la société et à l'amour.

Dans le plus grand respect de l'alexandrin, cette mise en scène transposée dans le monde des réseaux sociaux, des influenceuses et des jet-setters nous montre à quel point l'homme, en 350 ans, n'a pas changé 

  

Le misanthrope : Célimène et ses amis
 

Mon avis

 Et oui, une transposition dans le temps, cette fois-ci dans notre présent avec smartphone, selfie, boîte, alcool, guitare électrique et rock. Et à n'importe quelle époque... Molière ? c'est juste, c'est vrai ! L'hypocrisie, les amitiés superficielles, le vide des relations humaines, les moqueries, la méchanceté voire la cruauté, tout est là !  J'ai bien ri lors de la scène où Oronte (Le Douarec ) lit son sonnet à Alceste (Jean-Charles Chagachbanian) pris au piège de ses propres contradictions. Mais tout ne fait pas rire dans cette pièce où se joue l'une des comédies humaines les plus noires de Molière. Un bon spectacle !

 

LE MISANTHROPE MOLIERE

LES LUCIOLES 15H50  Durée 1h55 - Dès 10 ans

 Compagnie Le Douarec

Mise en scène de Thomas Le Douarec 

Comédiens : Valérian Béhar-Bonnet, Jean-Charles Chagachbanian, Caroline Devismes, Jules Fabre, Thomas Le Douarec, Théo Lima, Philippe Maymat, Jeanne Pajon, Justine Vultaggio




Nous avons revu aussi une pièce vue l'année dernière Le malade imaginaire en La majeur déjà commentée  Et les Trois Molière .






vendredi 5 juillet 2024

Marcel Proust : A l'ombre des jeunes filles en fleurs : Livres 2 et 3 Les personnages nouveaux

 

Dans ces deux livres de A l'ombre des jeunes filles en fleurs, j'ai enfin rencontré des personnages célèbres de la Recherche !

Saint Loup
 
Van Dongen : Robert de Saint Loup

"Je vis, grand, mince, le cou dégagé, la tête haute et fièrement portée, passer un jeune homme aux yeux pénétrants et dont la peau était aussi blonde et les cheveux aussi dorés que s’ils avaient absorbé tous les rayons du soleil. Vêtu d’une étoffe souple et blanchâtre comme je n’aurais jamais cru qu’un homme eût osé en porter, et dont la minceur n’évoquait pas moins que le frais de la salle à manger, la chaleur et le beau temps du dehors, il marchait vite. Ses yeux, de l’un desquels tombait à tout moment un monocle, étaient de la couleur de la mer. "

A Balbec, Marcel va rencontrer le marquis Robert de Saint Loup, un jeune homme d'une grande beauté et d'une rare élégance. Il est fils du comte et de la comtesse de Marsantes, le neveu, par sa mère, du Baron Charlus et de la duchesse de Guermantes.

 Si celui-ci paraît dédaigneux de prime abord, il va devenir bien vite son ami dès qu’il aura fait la connaissance de Marcel et découvert sa culture et son amour de la littérature. « Ce jeune homme qui avait l’air d’un aristocrate et d’un sportsman dédaigneux n’avait d’estime et de curiosité que pour les choses de l’esprit… »

 C’est un admirateur de Nietsche et de Proudhon. D’ailleurs  la grand-mère  de Marcel  qui l'aime bien lui offre des lettres manuscrites de Proudhon.

« Dès les premiers jours, Saint-Loup fit la conquête de ma grand’mère, non seulement par la bonté incessante qu’il s’ingéniait à nous témoigner à tous deux, mais par le naturel qu’il y mettait comme en toutes choses. Or, le naturel — sans doute parce que, sous l’art de l’homme, il laisse sentir la nature — était la qualité que ma grand’mère préférait à toutes… "

 Certainement sous l’influence de sa maîtresse, Rachel, une actrice dont la famille du jeune homme réprouve l’influence, il est républicain.  Il a du mépris pour l’aristocratie ce qui lui vaut la réprobation de Françoise qui se sent royaliste.  Pourtant, elle reproche à Saint Loup de rudoyer son cocher malgré ses idées républicaines. Mais, répond Saint Loup à Marcel qui lui en fait la remarque, c'est parce qu'il considère le domestique comme son égal qu'il peut lui parler sur ce ton. L'ingénuité du jeune homme fait sourire car on ne peut que se demander ce qui se passerait si le cocher employait le même ton en s'adressant à son maître !

« Elle retira aussitôt son estime à Saint-Loup, mais bientôt après la lui rendit, ayant réfléchi qu’il ne pouvait pas, étant le marquis de Saint-Loup, être républicain, qu’il faisait seulement semblant, par intérêt, car avec le gouvernement qu’on avait, cela pouvait lui rapporter gros. »

Or, explique Marcel, Saint Loup était au contraire d’une sincérité et d’un désintéressement absolus et d’une grande pureté morale. Il est aussi très fidèle en amour et en amitié, « ne rencontrant pas d’autre part en lui l’impossibilité qui existait par exemple en moi de trouver sa nourriture spirituelle autre part qu’en soi-même, le rendait vraiment capable, autant que moi incapable, d’amitié. »

Ce n’est pas la seule fois que le narrateur exprime cette idée. La présence des autres le dérange souvent car ils le distraient de ses pensées et le détournent de la réflexion et de l’introspection. Il se suffit à lui-même, l’amitié n’est pas pour lui.

 

 Le baron Charlus
 
Le comte de Montesquiou, l'un des modèles du Baron Charlus
 

"Je tournai la tête et j’aperçus un homme d’une quarantaine d’années, très grand et assez gros, avec des moustaches très noires, et qui, tout en frappant nerveusement son pantalon avec une badine, fixait sur moi des yeux dilatés par l’attention."

Marcel aperçoit pour la première fois le baron Charlus devant le casino à côté du Grand Hôtel. Malgré l’intérêt que le Baron Charlus lui manifeste, ce dernier feindra ensuite l’indifférence envers le jeune Marcel.

« Il cambrait sa taille d’un air de bravade, pinçait les lèvres, relevait ses moustaches et dans son regard ajustait quelque chose d’indifférent, de dur, de presque insultant. Si bien que la singularité de son expression me le faisait prendre tantôt pour un voleur et tantôt pour un aliéné. »

Le baron Charlus, Palamède XV de Guermantes, est le frère cadet du duc de Guermantes. Il est le neveu de madame de Villeparisis et l’oncle de Saint Loup. C’est un dandy, extrêmement préoccupé de son image, donc extrêmement élégant, d’une élégance qui passe par la simplicité et la sobriété. Plein de préjugés aristocratiques, il est présenté comme un homme imbu de lui-même. Il est pourtant très fin, intelligent et cultivé et aime l’art.

« Possédant, comme descendant des ducs de Nemours et des princes de Lamballe, des archives, des meubles, des tapisseries, des portraits faits pour ses aïeux par Raphaël, par Vélasquez, par Boucher, pouvant dire justement qu’il visitait un musée et une incomparable bibliothèque rien qu’en parcourant ses souvenirs de famille, il plaçait au contraire au rang d’où son neveu l’avait fait déchoir tout l’héritage de l’aristocratie »

Et puis, et c’est là qu’il gagne définitivement le coeur de la grand-mère, il est très fin et il disserte sur madame de Sévigné avec intelligence et sensibilité  :

« Mme de Sévigné a été en somme moins à plaindre que d’autres. Elle a passé une grande partie de sa vie auprès de celle qu’elle aimait.
— Tu oublies que ce n’était pas de l’amour, c’était de sa fille qu’il s’agissait.
— Mais l’important dans la vie n’est pas ce qu’on aime, reprit-il d’un ton compétent, péremptoire et presque tranchant, c’est d’aimer. Ce que ressentait Mme de Sévigné pour sa fille peut prétendre beaucoup plus justement ressembler à la passion que Racine a dépeinte dans Andromaque ou dans Phèdre, que les banales relations que le jeune Sévigné avait avec ses maîtresses. »


Il est l’objet d’une gaffe monumentale de Bloch que Marcel cite pour montrer l’impolitesse voire la grossièreté de son ami. Ce qui est vrai d’un point de vue strictement social mais réjouissant  pour le lecteur ! Bloch, au moins, est franc et sincère même s’il est sans gêne et n'est pas obséquieux envers la noblesse ! J'avoue que lorsqu’il parle de "la binette"  du baron Charlus, «  qui, excusez-moi, m’a fait gondoler un bon moment », je me suis bien "gondolée" aussi ! 

J’aimerais presque Bloch s’il n’était lui-même aussi suffisant ! On apprend ici que le jeune homme veut être écrivain et qu’il poursuivra ses études et aura l’agrégation.

"À propos, demanda-t-il à Saint-Loup, quand nous fûmes dehors (et je tremblai car je compris bien vite que c’était de M. de Charlus que Bloch parlait sur ce ton ironique), quel était cet excellent fantoche en costume sombre que je vous ai vu promener avant-hier matin sur la plage ? — C’est mon oncle », répondit Saint-Loup piqué. Malheureusement, une « gaffe » était bien loin de paraître à Bloch chose à éviter. Il se tordit de rire : « Tous mes compliments, j’aurais dû le deviner, il a un excellent chic, et une impayable bobine de gaga de la plus haute lignée. — Vous vous trompez du tout au tout, il est très intelligent, riposta Saint-Loup furieux. — Je le regrette car alors il est moins complet. "

A la fin du livre 2 de A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel rapporte cette scène étonnante où Charlus descend du piédestal sur lequel il s’est placé. Celui-ci s’adresse à Marcel d’une manière familière et avec un ricanement vulgaire  : 

"— Mais on s’en fiche bien de sa vieille grand’mère, hein ? petite fripouille !
— Comment, monsieur, je l’adore !
— Monsieur, me dit-il en s’éloignant d’un pas et avec un air glacial, vous êtes encore jeune, vous devriez en profiter pour apprendre deux choses : la première c’est de vous abstenir d’exprimer des sentiments trop naturels pour n’être pas sous-entendus ; la seconde c’est de ne pas partir en guerre pour répondre aux choses qu’on vous dit avant d’avoir pénétré leur signification. Si vous aviez pris cette précaution, il y a un instant, vous vous seriez évité d’avoir l’air de parler à tort et à travers comme un sourd et d’ajouter par là un second ridicule à celui d’avoir des ancres brodées sur votre costume de bain. Je vous ai prêté un livre de Bergotte dont j’ai besoin. Faites-le-moi rapporter dans une heure par ce maître d’hôtel au prénom risible et mal porté, qui, je suppose, n’est pas couché à cette heure-ci."

 
Si l’on sait que le Baron Charlus est homosexuel et surtout aime un peu trop les jeunes garçons, on comprend mieux cette scène, la colère du baron et l’on sourit de la naïveté de Marcel.
Pourtant les confidences que fait le Baron Charlus à Marcel l’éclaire d’un autre jour et montre qu’il s’agit d’un homme qui souffre de devoir cacher ses sentiments et de l’interdiction et l’opprobre qui pèsent sur l’homosexualité.

«  Je m’efforce de tout comprendre et je me garde de rien condamner. En somme ne vous plaignez pas trop, je ne dirai pas que ces tristesses ne sont pas pénibles, je sais ce qu’on peut souffrir pour des choses que les autres ne comprendraient pas. Mais du moins vous avez bien placé votre affection dans votre grand’mère. Vous la voyez beaucoup. Et puis c’est une tendresse permise, je veux dire une tendresse payée de retour. Il y en a tant dont on ne peut pas dire cela !"

Eltsir

Claude Monet étude marine

 "L’effort qu’Elstir faisait pour se dépouiller en présence de la réalité de toutes les notions de son intelligence était d’autant plus admirable que cet homme qui, avant de peindre, se faisait ignorant, oubliait tout par probité, car ce qu’on sait n’est pas à soi, avait justement une intelligence exceptionnellement cultivée. "

Le  peintre Eltsir a pour modèles, Whisler mais aussi Monet, Manet… En regardant ses oeuvres, Marcel Proust donne une définition de la peinture impressionniste très juste et passionnante.

« Mais j’y pouvais discerner que le charme de chacune consistait en une sorte de métamorphose des choses représentées, analogue à celle qu’en poésie on nomme métaphore, et que si Dieu le Père avait créé les choses en les nommant, c’est en leur ôtant leur nom, ou en leur en donnant un autre qu’Elstir les recréait. Les noms qui désignent les choses répondent toujours à une notion de l’intelligence, étrangère à nos impressions véritables, et qui nous force à éliminer d’elles tout ce qui ne se rapporte pas à cette notion. »

 
et il précise : 


Claude Monet : falaise d'Etretat

« Mais les rares moments où l’on voit la nature telle qu’elle est, poétiquement, c’était de ceux-là qu’était faite l’œuvre d’Elstir. Une de ses métaphores les plus fréquentes dans les marines qu’il avait près de lui en ce moment était justement celle qui, comparant la terre à la mer, supprimait entre elles toute démarcation. C’était cette comparaison, tacitement et inlassablement répétée dans une même toile, qui y introduisait cette multiforme et puissante unité, cause, parfois non clairement aperçue par eux, de l’enthousiasme qu’excitait chez certains amateurs la peinture d’Elstir. »


Les jeunes filles en fleurs

 

 Sargent : deux femmes

Ce n’est que tardivement dans le roman qui leur est consacré qu’arrivent les jeunes filles en fleurs. Nous ne les découvrons que dans le livre 3. Là aussi, Marcel les voit arriver sur la digue devant le Grand Hôtel, lieu de toutes les rencontres. Ce n’est tout d’abord pas au fleurs qu’elles lui font penser mais à des oiseaux bavards, toujours en mouvement.

« Seul, je restai simplement devant le Grand-Hôtel à attendre le moment d’aller retrouver ma grand’mère, quand, presque encore à l’extrémité de la digue où elles faisaient mouvoir une tache singulière, je vis s’avancer cinq ou six fillettes, aussi différentes, par l’aspect et par les façons, de toutes les personnes auxquelles on était accoutumé à Balbec, qu’aurait pu l’être, débarquée on ne sait d’où, une bande de mouettes qui exécute à pas comptés sur la plage, — les retardataires rattrapant les autres en voletant — une promenade dont le but semble aussi obscur aux baigneurs qu’elles ne paraissent pas voir, que clairement déterminé pour leur esprit d’oiseaux. » Plus tard, on on les verra « piaillant comme des oiseaux qui s’assemblent au moment de s’envoler. »

Ce qui frappe Marcel dans ce groupe de jeunes filles, c’est d’abord leur beauté et leur allure sportive, elles poussent leur bicyclette, tiennent des clubs de golf et portent des vêtements de sport. On sait l’importance du vêtement pour Marcel (son admiration pour madame Swann). Son éducation conformiste et collet monté lui fait trouver ces jeunes filles mal habillées et comme l’habit est pour lui un indice social, il les catalogue bien vite comme d’un niveau inférieur.
 Leur assurance, leur indépendance, leur façon de se moquer du qu’en-dira-t-on, de se comporter avec insolence voire avec impolitesse, (l’une d’elle saute par dessus la tête d’un vieillard assis), le fait se méprendre  sur elles.  Il ne peut croire à l’innocence de jeunes filles qui ne se comportent pas selon les principes stricts de la bonne société autrement dit les règles de son éducation ! Marcel, en effet, ne remet pas en cause l’étroitesse d'esprit de sa propre classe sociale. C’est ce qui lui vaudra une déconvenue cuisante quand, la croyant légère et avertie, il cherche à embrasser Albertine qui l’a invité dans sa chambre pour jouer. Marcel a été (mal) éduqué par Bloch qui lui a dit que toutes les femmes étaient à prendre et qui l’a initié aux maisons de passe.

Au début toutes ces jeunes filles forment un bloc indistinct qui ne se distingue que par les couleurs, des yeux noirs, des yeux verts, « des joues roses avec ce teint cuivrée qui évoque l’idée d’un géranium ». Elles ne s’individualiseront que lorsque Marcel fera leur connaissance grâce au peintre Eltsir. 

"Et ainsi l’espoir du plaisir que je retrouverais avec une jeune fille nouvelle venant d’une autre jeune fille par qui je l’avais connue, la plus récente était alors comme une de ces variétés de roses qu’on obtient grâce à une rose d’une autre espèce. Et remontant de corolle en corolle dans cette chaîne de fleurs, le plaisir d’en connaître une différente me faisait retourner vers celle à qui je la devais, avec une reconnaissance mêlée d’autant de désir que mon espoir nouveau. Bientôt je passai toutes mes journées avec ces jeunes filles."

Camélia et oiseau estampe japonais

 

Et ces jeunes filles, c’est en artiste et plus précisément en peintre que Marcel les regarde et en amoureux des fleurs.

"Entre ceux de mes amies la coloration mettait une séparation plus profonde encore, non pas tant par la beauté variée des tons qu’elle leur fournissait, si opposés que je prenais devant Rosemonde — inondée d’un rose soufré sur lequel réagissait encore la lumière verdâtre des yeux — et devant Andrée — dont les joues blanches recevaient tant d’austère distinction de ses cheveux noirs — le même genre de plaisir que si j’avais regardé tour à tour un géranium au bord de la mer ensoleillée et un camélia dans la nuit ; (…) Ainsi en prenant connaissance des visages, nous les mesurons bien, mais en peintres, non en arpenteurs."

Marcel hésite entre chacune d’entre elles. Son choix se porte d’abord sur Albertine, repoussé, il se tourne alors vers Andrée à qui il a si largement vanté les charmes d’Albertine que ...  on peut dire que Marcel est passablement maladroit dans ses amours ! Il est attirée aussi par Gisèle et ses yeux bleus mais celle-ci part à Paris pour passer un examen et par Rosemonde. En fait, Marcel est incapable d’aimer, il l’a dit, c'est une "vélléité d'aimer" qui le guide :

« .Ma plus grande tristesse n’aurait pas été d’être abandonné par celle de ces jeunes filles que je préférais, mais j’aurais aussitôt préféré, parce que j’aurais fixé sur elle la somme de tristesse et de rêve qui flottait indistinctement entre toutes, celle qui m’eût abandonné. Encore dans ce cas est-ce toutes ses amies, aux yeux desquelles j’eusse bientôt perdu tout prestige, que j’eusse, en celle-là, inconsciemment regrettées, leur ayant avoué cette sorte d’amour collectif qu’ont l’homme politique ou l’acteur pour le public dont ils ne se consolent pas d’être délaissés après en avoir eu toutes les faveurs. Même celles que je n’avais pu obtenir d’Albertine, je les espérais tout d’un coup de telle qui m’avait quitté le soir en me disant un mot, en me jetant un regard ambigus, grâce auxquels c’était vers celle-là que, pour une journée, se tournait mon désir. »

 

Aurélia Frey : coquelicot

Mais même pour ces jeunes filles en fleurs, le Temps et la mort s’invitent et font irruption  dans le beau spectacle qu'offre ces jeunes filles.
 

"Hélas ! dans la fleur la plus fraîche on peut distinguer les points imperceptibles qui pour l’esprit averti dessinent déjà ce qui sera, par la dessiccation ou la fructification des chairs aujourd’hui en fleur, la forme immuable et déjà prédestinée de la graine."  

« Comme sur un plant où les fleurs mûrissent à des époques différentes, je les avais vues, en de vieilles dames, sur cette plage de Balbec, ces dures graines, ces mous tubercules, que mes amies seraient un jour. Mais qu’importait ? en ce moment c’était la saison des fleurs."
 

Enfin, la saison d’été se termine au Grand Hôtel. Les clients partent les uns après les autres. Les amies de Marcel s'en vont aussi. Le froid commence à s’installer. Bientôt ce sera le tour du jeune homme et de sa grand-mère.
 

 


 

jeudi 4 juillet 2024

Marcel Proust : A l'ombre des jeunes filles en fleurs : Livre 2 et 3 Les personnages retrouvés




Enfin, dans le livre 2 des jeunes filles en fleurs, c’est le départ pour Balbec ! Et là, je retrouve des personnages de Du côté de chez Swann que j’aime, qui sont vivants, sympathiques et intéressants et d’une grande vérité, - ce qui ne veut pas dire qu’ils soient parfaits - et je rencontre des personnages nouveaux  que j’attendais avec impatience sachant qu'ils font partie des grands figures proustiennes.


Les personnages retrouvés
 
 
 La grand mère :

James Abbott Whistler : arrangement en gris et noir

Toujours aussi aimante envers Marcel qui le lui rend bien, c’est un personnage positif. Ainsi elle ne se laisse pas impressionner, contrairement à son petit-fils, par le snobisme des occupants du grand Hôtel. Elle est absolument imperméable à la prétention, au désir de paraître, au mépris de classe qui animent toute cette coterie de bourgeois huppés et de nobles prétentieux qui jugent les gens selon leur fortune, leur titre, ou leur fréquentation des classes dirigeantes. C'est une femme simple, droite, intelligente et cultivée qui n'a pas besoin du jugement d'autrui pour régler sa vie.

C’est ainsi que, paradoxalement- étant donné l'outrecuidance du baron Charlus - elle  l'apprécie malgré ses préjugés aristocratiques car elle n’a pas de jalousie ni même d’envie envers la noblesse

Ma grand-mère, « contente de son sort et ne regrettant nullement de ne pas vivre dans une société plus brillante, ne se servait que de son intelligence pour observer les travers de M. de Charlus, elle parlait de l’oncle de Saint-Loup avec cette bienveillance détachée, souriante, presque sympathique, par laquelle nous récompensons l’objet de notre observation désintéressée du plaisir qu’elle nous procure.. »

Et même si parfois Marcel nous amuse à ses dépens, c’est toujours, avec respect et tendresse. Ainsi, j’adore sa façon de voyager sur les traces de madame de Sévigné pour qui elle a une fervente admiration, (je ne comprends  que trop bien ce genre de plaisir littéraire qui décuple le bonheur du voyage !) et la réaction du père de Proust me fait sourire.


« Ma grand’mère concevait naturellement notre départ d’une façon un peu différente et, toujours aussi désireuse qu’autrefois de donner aux présents qu’on me faisait un caractère artistique, avait voulu pour m’offrir de ce voyage une « épreuve » en partie ancienne, que nous refissions moitié en chemin de fer, moitié en voiture le trajet qu’avait suivi M me de Sévigné quand elle était allée de Paris à « L’Orient » en passant par Chaulnes et par « le Pont Audemer ». Mais ma grand’mère avait été obligée de renoncer à ce projet, sur la défense de mon père, qui savait, quand elle organisait un déplacement en vue de lui faire rendre tout le profit intellectuel qu’il pouvait comporter, combien on pouvait pronostiquer de trains manqués, de bagages perdus, de maux de gorge et de contraventions. «

A plusieurs reprises, on voit qu’elle réprouve l’alcool mais par amour pour son petit-fils, elle finit par l’accepter  puisqu’il s’agit de sa santé.

  Quand j’eus expliqué mon malaise à ma grand’mère, elle eut un air si désolé, si bon, en répondant : « Mais alors, va vite chercher de la bière ou une liqueur, si cela doit te faire du bien », que je me jetai sur elle et la couvris de baisers. »

Françoise

 

Jean Baptiste Chardin

Françoise est aussi du voyage pour mon plus grand plaisir car c'est un personnage si vrai avec ses défauts et ses qualités, son franc parler. C’est dans ce livre que se trouve la phrase suivante à propos de laquelle Annie Ernaux a affirmé que Proust méprisait le peuple et le considérait comme inférieur, ce qui a provoqué une polémique entre admirateurs et détracteurs de Proust ou d’Annie Ernaux

« On n’aurait pu parler de pensée à propos de Françoise. Elle ne savait rien, dans ce sens total où ne rien savoir équivaut à ne rien comprendre, sauf les rares vérités que le cœur est capable d’atteindre directement. Le monde immense des idées n’existait pas pour elle. Mais devant la clarté de son regard, devant les lignes délicates de ce nez, de ces lèvres, devant tous ces témoignages absents de tant d’êtres cultivés chez qui ils eussent signifié la distinction suprême, le noble détachement d’un esprit d’élite, on était troublé comme devant le regard intelligent et bon d’un chien à qui on sait pourtant que sont étrangères toutes les conceptions des hommes, et on pouvait se demander s’il n’y a pas parmi ces autres humbles frères, les paysans, des êtres qui sont comme les hommes supérieurs du monde des simples d’esprit, ou plutôt qui, condamnés par une injuste destinée à vivre parmi les simples d’esprit, privés de lumière, mais qui pourtant, plus naturellement, plus essentiellement apparentés aux natures d’élite que ne le sont la plupart des gens instruits, sont comme des membres dispersés, égarés, privés de raison, de la famille sainte, des parents, restés en enfance, des plus hautes intelligences, et auxquels — comme il apparaît dans la lueur impossible à méconnaître de leurs yeux où pourtant elle ne s’applique à rien — il n’a manqué, pour avoir du talent, que du savoir. »

N’étant pas une spécialiste de Proust, je n’ose pas vraiment prendre position mais je comprends que certains termes puissent paraître injurieux : «  on n’aurait pu parler de pensée » « le regard d’un chien » « le monde immense des idées n’existait pas pour elle ».
Pourtant, il ne faut pas occulter les autres termes  positifs la clarté de son regard intelligent et bon; …devant tous ces témoignages absents de tant d’êtres cultivés chez qui ils eussent signifié la distinction suprême, le noble détachement d’un esprit d’élite. Je pense donc que Proust veut seulment ici déplorer  que les hasards de la naissance, "une injuste destinée", privent tant de personnes du savoir qui permettrait de révéler leur intelligence supérieure. Ce qui est honorable de sa part. Mais peut-être Marcel Proust, dans la sphère sociale qu’il occupe, ignore-t-il tout simplement que le peuple, sans posséder le savoir, du moins à cette époque, peut aussi accéder au monde des idées et de la pensée même s’il aborde les choses intellectuelles différemment.
Un autre portrait de Françoise fait  justice de son goût, de son sens artistique (pas seulement en cuisine) et de son savoir-faire
« … (Maman) admirait Françoise, lui faisait compliment d’un chapeau et d’un manteau qu’elle ne reconnaissait pas, bien qu’ils eussent jadis excité son horreur quand elle les avait vus neufs sur ma grand’tante, l’un avec l’immense oiseau qui le surmontait, l’autre chargé de dessins affreux et de jais. Mais le manteau étant hors d’usage, Françoise l’avait fait retourner et exhibait un envers de drap uni d’un beau ton. Quant à l’oiseau, il y avait longtemps que, cassé, il avait été mis au rancart. Et, de même qu’il est quelquefois troublant de rencontrer les raffinements vers lesquels les artistes les plus conscients s’efforcent, dans une chanson populaire, à la façade de quelque maison de paysan qui fait épanouir au-dessus de la porte une rose blanche ou soufrée juste à la place qu’il fallait — de même le nœud de velours, la coque de ruban qui eussent ravi dans un portrait de Chardin ou de Whistler, Françoise les avait placés avec un goût infaillible et naïf sur le chapeau devenu charmant. »

Block

 

Albert Bloch

J’avais apprécié et ri franchement dans Du côté de chez Swann de l’attitude et du vocabulaire de Bloch, l’ami de Marcel. Là, nous pénétrons dans sa famille et nous faisons connaissance de ses soeurs qui, admiratives du grand frère, s’expriment de la même manière comique.
"La cadette demanda à son frère du ton le plus sérieux du monde car elle croyait qu’il n’existait pas au monde pour désigner les gens de talent d’autres expressions que celles qu’il employait : « Est-ce un coco vraiment étonnant, ce Bergotte ? Est-il de la catégorie des grands bonshommes, des cocos comme Villiers ou Catulle ?
Quant à Bloch il est toujours aussi érudit et potache : 

" Saint-Loup au casque d’airain, dit Bloch, reprenez un peu de ce canard aux cuisses lourdes de graisse sur lesquelles l’illustre sacrificateur des volailles a répandu de nombreuses libations de vin rouge."
 
Et Marcel dresse du père un portrait satirique,  reconnaissant ses qualités, la culture, l’intelligence, l’affection envers ses enfants mais découvrant ses ridicules, la suffisance, l’avarice…

Toutefois, les passages qui parlent de Bloch ne m’ont pas amusée cette fois-ci car ils s’accompagnent d’une condescendance envers celui-ci de la part du jeune Marcel qui m’a mise mal à l’aise.  Condescendance sociale, il a honte de saluer les soeurs « des fillasses mal élevées », snobisme, il ne tient pas à ce que Bloch vienne à l'Hôtel, mais aussi, parfois, relents d’antisémitisme ?  C'est la question que l'on peut se poser. Certes, je sais que la mère de Proust est juive même si lui est catholique comme son père, je sais que sa mère et lui étaient dreyfusards alors que son père et son grand-père étaient antidreyfusards. Mais lorsque Marcel parle des « juifs de Balbec » , il écrit : « or cette colonie était plus pittoresque qu’agréable». Et il ajoute que la ségrégation dans laquelle ils sont  tenus par la société est imputable aux juifs eux-mêmes, qui ne saluent pas la population et cultivent leurs différences. En quelque sorte, si les juifs ne sont pas admis, c’est de leur faute.
 "De sorte qu’il est probable que ce milieu devait renfermer comme tout autre, peut-être plus que tout autre, beaucoup d’agréments, de qualités et de vertus. Mais pour les éprouver, il eût fallu y pénétrer. Or, il ne plaisait pas, il le sentait, il voyait là la preuve d’un antisémitisme contre lequel il faisait front en une phalange compacte et close où personne d’ailleurs ne songeait à se frayer un chemin."

Cabourg : Le grand Hôtel

 

Cabourg : Le Grand Hôtel

Cabourg: Le Grand Hôtel On déroule le tapis rouge pendant le festival du film romantique

 

Pendant mon voyage en Normandie, j'ai voulu voir le Grand Hôtel de Cabourg, évidemment !  Et voici les fenêtres de l'aquarium !


Cabourg : La salle à manger du Grand Hôtel: "L' aquarium"

 

 "Et le soir ils ne dînaient pas à l’hôtel où les sources électriques faisant sourdre à flots la lumière dans la grande salle à manger, celle-ci devenait comme un immense et merveilleux aquarium devant la paroi de verre duquel la population ouvrière de Balbec, les pêcheurs et aussi les familles de petits bourgeois, invisibles dans l’ombre, s’écrasaient au vitrage pour apercevoir, lentement balancée dans des remous d’or, la vie luxueuse de ces gens, aussi extraordinaire pour les pauvres que celle de poissons et de mollusques étranges (une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger)." (voir le jeudi avec Marcel Proust Ici)







A l'ombre des jeunes filles en fleurs  : Livre 2 et 3 : Les personnages nouveaux (suite)