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dimanche 21 janvier 2024

Henrik Sienkiewicz : Hania


 

Dans la nouvelle de  Henrik Sienkiewicz, Hania, l’écrivain polonais nous transporte à la fin du XIX siècle dans une famille  polonaise noble, propriétaire d’un domaine rural.
Là, vit Henri, l’aîné des enfants, héritier du domaine, qui, en l’absence momentanée de son père, se voit confier la tutelle d’Hania, la petite-fille de Nikolaï, un vieux serviteur, juste avant la mort de celui-ci. Henri adore sa pupille et se sent investi d’une mission, il surveille son éducation, demande qu’elle soit instruite avec ses frère et soeurs et qu’elle soit considérée comme leur égale. Il commande déjà la maisonnée en petit seigneur.

Malgré la pensée de la mort du pauvre Nikolaï, que j’aimais de tout mon cœur, je me sentais fier et presque heureux de mon rôle de tuteur. Me voir ainsi, moi, garçon de seize ans, le soutien d’un être faible et malheureux, cela me relevait à mes propres yeux, et je me sentais plus homme.

 
Henri a pour ami Sélim, dont le père possède des propriétés voisines; ce dernier est d’origine Tatare. Les familles vivent en bon voisinage malgré des religions différentes, chrétienne et musulmane. Les deux amis s’entendent bien et partagent les mêmes jeux, les mêmes activités. Ils partent loin de chez eux pour poursuivre leurs études et après avoir réussi à leurs examens, tous deux reviennent chez leur père.
 Henri aimait déjà sa pupille avant de partir, son amour se décuple en retrouvant Hania qui a grandi et s’est épanouie, devenue une belle jeune fille. Mais il n’ose avouer ses sentiments à quiconque. Et bien sûr, Sélim tombe amoureux lui aussi d’Hania qui lui répond favorablement, le récit s’accélérant et se terminant, avec ses deux exaltés, en drame.
 

Dans cette nouvelle, Henrik Sienkiewicz place dans un cadre idyllique (ou presque), une famille qui s’aime, un père qui admire son fils aîné, un jeune homme, Henri, conscient de ses responsabilités, des nobles qui sont bons et justes avec leurs domestiques et qui en sont aimés, des voisins tolérants,  bref !  une société patriarcale telle que Sienkiewicz la voyait à la fin du XIX siècle et dont il regrettait la disparition progressive. 


Maman tenait dans la maison une petite pharmacie, et soignait elle-même les malades. Lors de l’épidémie de choléra, elle passa des nuits entières dans les cabanes de paysans avec le docteur, s’exposa à de grands dangers, et mon père qui tremblait à cette seule idée, n’osa pourtant s’y opposer et ne put que répéter :
— Que faire ? c’est son devoir !
Mon père lui-même, malgré son apparente sévérité, la démentit souvent ; il abolit les corvées, excusa facilement les coupables, paya les dettes des paysans, fit célébrer les noces et baptiser les enfants, nous enseigna à respecter les gens, à répondre aux saluts des vieillards, et en fit venir parfois pour prendre leurs conseils. Aussi les paysans s’attachèrent-ils à nous et nous prouvèrent-ils par la suite plus d’une fois leur reconnaissance.

 
L’écrivain sait aussi manier l’humour et nous faire rire avec ses portraits de la gouvernante française avec ses papillotes ou du prêtre Ludwig.


 La nouvelle pourrait donner de prime abord l’impression d’être un conte de fées, le noble épousant la servante au-delà de la disparité sociale, si l’auteur ne semait, de ci de là, des indices qui préparent au drame et qui paraissent inquiétants :  Ainsi les deux jeunes gens sont souvent en rivalité, chacun essayant de surpasser l’autre, à cheval, ou à l’épée. Tous deux sont fort orgueilleux, ont un sens de l’honneur chatouilleux. Le père d'Henri, d’ailleurs, ne supporte pas que Sélim soit supérieur à son fils et Henri n’hésite pas à risquer sa vie pour ne pas le décevoir. Peut-être une mère aurait-elle pu comprendre son fils et empêcher le drame ? Mais celle-ci est absente, malade, partie se soigner à l'étranger.
L’écrivain analyse la psychologie des personnages, en particulier,  le caractère d'Henri, son orgueil, son impossibilité d’avouer ses sentiments par peur de la moquerie, ses sautes d’humeur qui peuvent aller jusqu’à la méchanceté, sa jalousie féroce et son égoïsme car il ne peut accepter de savoir Hania heureuse avec un autre. 

Mon caractère d’ailleurs était dissimulé et de plus, une grande différence existait entre Sélim et moi : j’étais sentimental, tandis que Sélim ne l’était pas pour un sou. Mon amour ne pouvait être que triste. Chez Sélim, il eût été joyeux. Je cachai donc mon amour à tous, je me trompai moi-même, et effectivement nul ne le remarqua. 

Quant à Sélim, sa propension à tout prendre avec légèreté, en riant, ce qui ne ménage pas l’amour propre de son ami, ses colères qui le rendent semblables à ses ancêtres des steppes, et surtout son caractère impulsif le poussent à des actes irréparables.

Lorsque Sélim demandait quelque chose et regardait quelqu’un, il semblait le pénétrer jusqu’au cœur. Les traits de son visage étaient réguliers, nobles, comme dessinés par un burin d’artiste ; la couleur en était basanée, mais tendre ; les lèvres, un peu saillantes, étaient d’un rouge vif, et les dents comme une rangée de perles.
Quand, par exemple, Sélim se disputait avec un camarade, — et cela arrivait assez fréquemment, — alors cette grâce disparaissait comme un mirage trompeur ; il devenait effrayant : ses yeux se replaçaient de travers et brillaient comme ceux d’un loup ; sur son front rougissaient les veines ; la peau de la figure brunissait, — en lui se réveillait le vrai Tatar, tel que ceux avec qui eurent affaire nos ancêtres. Par bonheur, cela ne durait pas.


Ainsi le "conte de fées" n'en est pas un et avec ce premier amour disparaissent toutes les illusions du jeune homme et une partie de sa jeunesse, ce qui témoigne du pessimisme de l'écrivain.  Mais si  la leçon est amère pour les deux personnages masculins, je dois dire qu’elle l’est plus encore pour Hania, le dénouement de la nouvelle se révélant d’une grande cruauté envers la jeune fille.

Je me suis demandée dans quelle mesure ce récit était autobiographique mais je n'ai pas trouvé de réponses malgré des ressemblances dans l'origine sociale d'Henryk et d'Henri.


 Chez Je lis Je blogue



 

dimanche 30 juillet 2023

Yvonne de Witold Gombrowicz mis en scène par le Théâtre brûler Détruire

Au théâtre de la Factory
 

« Le théâtre comme la peste est une crise qui se dénoue par la mort ou par la guérison. »
Antonin Artaud

Yvonne est laide, empotée, timide, peureuse et ennuyeuse. Et c’est par rébellion contre les lois de la nature qui recommandent aux jeunes gens de n’aimer que les filles séduisantes que le fils du Roi la prend pour fiancée. Par crainte du scandale la famille accepte les fiançailles. Mais la venue d’Yvonne à la cour devient rapidement encombrante. Sa seule présence suffit à faire tomber les masques et révèle peu à peu les monstres endormis en chacun.

A travers la force comique et destructrice du texte de W. Gombrowicz, le Théâtre Brûler Détruire accouche d’un spectacle radical et furieusement joyeux à l'esthétique puissante et ambitieuse. Un spectacle physique grave et brûlant comme une danse passionnelle entre tragédie et burlesque, sauvagerie et tendresse. Un spectacle de troupe débordant de vie, débordant du plateau. C’est l’expérience d’un théâtre cruel et drolatique, une comédie humaine ou irrévérence devient langage visuel. Car si le théâtre est incohérent, idiot, incompréhensible et violent c’est qu’il est le reflet du monde. N'est-ce pas ? Il n’y aurait entre la scène et la salle que la distance d’un objet à son image. Très proche. Vous êtes très proche.

 

Mon avis

"Elle ne parle pas, elle ne dit rien. Mais ne rien dire, ne serait-ce pas sournoisement tout insinuer ? Insupportable. Brûler détruire la mollichonne." C'est par cette phrase que le Théâtre Brûler Détruire présente la pièce du dramaturge polonais Wiltold Gombrowicz et, effectivement, que de force dans ce silence et quel déchaînement de violence il va  provoquer ! Une mention spéciale à la comédienne, Lea Lévy, qui joue le rôle d'Yvonne. Exprimer autant sans dire un mot, quel exploit !

Cette tragédie de l'absurde qui rappelle par certains aspects Ubu Roi et le théâtre de Ionesco dénonce tous les abus de pouvoir, toutes les formes de domination, celles d'un dictateur sur ses sujets, de l'homme sur la femme, du fort sur le faible, du persécuteur sur sa victime, celles de la beauté qui exclut, du groupe qui rejette la différence. Et c'est vrai que nous ne pouvons que nous sentir concernés !

Brûler, détruire, c'est effectivement, ce que fait la troupe de comédiens qui nous entraîne avec eux dans la folie, le grotesque, la cruauté et pourtant nous fait rire !  Une aventure théâtrale surprenante, ahurissante, loufoque, puissante, tragique et pourtant, - pour reprendre les mots du texte ci-dessus -, "furieusement joyeuse "!

Quelle pièce ! Quelle mise en scène  ! Quels comédiens !

La dernière pièce de "mon" Festival vue le 29 Juillet 2023 à 20H 50 ! On ne pouvait finir mieux!

 

FACTORY THEATRE
 
YVONNE
 
D'après WITOLD GOMBROWICZ
Traduction K. Jelenski & G. Serreau
Par le THÉÂTRE BRÛLER DÉTRUIRE
Mise en scène
Chloé Bourhis
Clément Le Roux
Avec
Mélissandre Archimbaud
Quentin Carpentier
Matthieu Gabanelle
Léa Levy
Clément Le Roux
Johann Poels
Création lumière
Thomas Ozeray
Scénographie
Clément Le Roux
Régie lumière
Thomas Ozeray
Régie son
Chloé Bourhis
Production
Théâtre Brûler Détruire
Avec le soutien de la Fabrique des Arts de Carcassonne Agglo.
Avec 7 nominations, Yvonne a remportée 4 prix lors de la cérémonie des Jacques 2023. Meilleur Spectacle 2023, Meilleure Actrice (Léa Levy), Meilleur Acteur (Johann Poels), Meilleure Création Lumière (Thomas Ozeray)
« Une inventivité foisonnante, j’aime la noirceur lumineuse avec laquelle ils éclairent cette pièce, elle est monstrueuse et résonne très fort aujourd’hui. »
Lionel Lingelser, Munstrum Théâtre

mardi 28 mars 2023

Zygmunt Miloszewski : Inestimable.

 

 En quête d’un livre en librairie pour le rendez-vous de la littérature des pays de l’Est, je tombe sur cet auteur polonais que je ne connaissais pas (mais qui connaît bien la France) Zygmunt Miloszewski et ce roman intitulé Inestimable. La critique de Télérama en quatrième de couverture me décide : « Une course-poursuite haletante sur fond de changement climatique ». Allez,  pourquoi pas ? je le prends et voilà  ! Il est lu !

A noter d’abord que ce livre est assez inclassable : un roman d’aventures, d’espionnage médical, de science-fiction, un thriller selon les uns,  un policier ? Un roman tout fou, tout délirant et plein d’humour et qui nous mène par le bout du nez avec des revirements incessants. Quels sont les méchants et les gentils ? Peu importe puisque l’un peut rapidement se révéler l’autre et vice versa.

Difficile aussi de le résumer sans déflorer le sujet. Je note cependant que le personnage récurrent Zofia Lorentz, spécialiste d’Art, éminente directrice du musée national de Varsovie (plus pour longtemps !) a déjà fait des apparitions dans des romans précédents (que je n’ai pas lus). Ici, elle part à la recherche des artefacts perdus des Aïnous dans l’île Sakhaline, au coeur de la Caverne du Songe bleu. Ne serait-ce que le nom et les aventures qu’elle y vit en font un roman à la Indiana Jones mais… ce n’est qu’une infime partie d’un tout et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on voyage sans cesse dans ce roman, de la Pologne à la Sibérie à Paris jusqu’à Abidjan, perdu au milieu de la taïga Sibérienne ou des tempêtes de l’Altlantique ! Sofia est accompagné du scientifique Bogdan Smuga dont on comprend vite que ce n’est ni l’art, ni la passion ethnologique qui le guident. Alors, un trésor ?  la richesse ?  le Pouvoir ? Encore moins ! Autour des ces personnages centraux fourmillent une nuée d’individus plus ou moins probables dont certains hautement en couleurs;  et de beaux personnages secondaires inattendus, surprenants, le Père André, qui parle de la foi et de Dieu en se mettant à la portée de tous et un autre que j’aime beaucoup, le vieux Martin Meller, le canadien de Sudbury, le seul "loup de mer de l’Ontario "!

Je dis tout cela et je n’ai pas encore rien dit  ! Revenons au terme de science-fiction mais pas si fiction que cela, hélas ! On peut même dire que l’on est en plein dedans : le réchauffement climatique avec les conséquences tragiques qui mèneront à l’extinction de l’humanité. En effet, comme le remarque Zygmunt Miloszewski, ce n’est pas la planète qui est menacée, c’est nous ! Elle ? Elle continuera à tourner bien longtemps après que nous aurons disparu ! 

Alors, si l’on trouvait un élixir pour remédier au Mal ? Et là, on est presque dans le conte de fées sauf que non, c’est scientifique !  Mais si le remède était pire que le Mal ? ou pas mieux ? Car la science a ses limites et ses fanatismes surtout si elle est sans conscience et l’on ne peut faire le bien -ou ce que l’on croit être le bien- des gens sans leur consentement.  C'est ce qu'affirme le mari de Zofia :

 « Et puis, je suis un humaniste, je crois que l’Histoire nous enseigne l’existence. Chaque fois que quelqu’un a tenté de changer le monde pour le bien de l’humanité, ça s’est mal terminé, même si au début, ça allait dans le bon sens. Songe à l’Empire romain, à l’Eglise catholique, à Lénine ou à Napoléon. »

L’écrivain en profite pour dénoncer l’âpreté, la malhonnêteté, des grands trusts pharmaceutiques et la dépendance des chercheurs financés par ces multinationales toutes puissantes. D’une manière plus générale, il critique le cynisme des Riches, ceux qui, responsables bien souvent des catastrophes climatiques, construisent pour eux et leurs semblables, des abris souterrains qui leur permettront de survivre après le cataclysme qui aura eu raison de la vie sur terre. Et oui, nous sommes dans la réalité !

Pour ma part, j’ai eu un début un peu hésitant car le récit paraît décousu dans les premiers chapitres et,  parfois, j'ai ressenti quelques longueurs. Mais ce n’est qu’une impression car tout se tient et tout se met en place au fur et à mesure. Le roman propose des réflexions intéressantes et qui nous concernent tous, sur la morale scientifique, les rapports de force qui interagissent sur la planète et nous transforment obligatoirement en perdants et en pions sur un échiquier truqué. Nous nous croyons libres dans un monde où tous nos gestes sont espionnés et analysés. Et puis j’ai adoré l’humour. Ah! cette chasse à l’ours hilarante en pleine taïga ou encore le repêchage de Zofia en plein océan, l’invraisemblance, le rocambolesque et la démesure faisant partie des ressorts comiques ! Enfin, pour ce roman, on peut  dire : Sérieux, s'abstenir ! ...  et pourtant, c'est sérieux, car au-delà du rire et par le biais de la fiction,  c'est bien du devenir de l'humanité dont il est question !