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jeudi 8 novembre 2012

Jasper Fforde : L'affaire Jane Eyre



Biographie de l'auteur  

Jasper Fforde vit au pays de Galles. Après avoir travaillé vingt ans dans l'industrie cinématographique, il a choisi de concrétiser son rêve d'enfant : devenir écrivain. Son premier roman, L'Affaire Jane Eyre, situé à la frontière entre le thriller littéraire et le conte fantastique, est devenu un livre culte aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. 

Présentation de l'éditeur

"Dans le monde de Thursday Next, l'héroïne principale de la série littéraire qui porte son nom,  la littérature fait quasiment office de religion. A tel point qu'une brigade spéciale a dû être créée pour s'occuper d'affaires aussi essentielles que traquer les plagiats, découvrir la paternité des pièces de Shakespeare ou arrêter les revendeurs de faux manuscrits. Mais quand on a un père capable de traverser le temps et un oncle à l'origine des plus folles inventions, on a parfois envie d'un peu plus d'aventure. Alors, lorsque Jane Eyre, l'héroïne du livre fétiche de Thursday, est kidnappée par Achéron Hadès, incarnation du mal en personne, la jeune détective décide de prendre les choses en main et de tout tenter pour sauver le roman de Charlotte Brontë d'une fin certaine... " Au croisement du roman policier et de l'uchronie déjantée, Jasper Fforde signe un ouvrage jubilatoire. " Le Monde des livres.


J'avais ce livre depuis longtemps dans ma PAL mais chaque fois que je lisais les premières pages, j'abandonnais, ne parvenant pas à entrer dans ce monde imaginaire. Je trouvais les explications peu claires et pour tout dire rébarbatives, à tort finalement. Ce qui m'a introduit dans le livre, c'est le challenge Thursday Next d'Alice dan le blog Books are my wonderland sur lequel je suis tombé par hasard  et qui dressait la liste de toutes les oeuvres et tous les auteurs que l'on rencontrait dans cette série. Je me suis dit alors qu'un livre qui témoignait d'un si grand amour de la littérature ne pouvait pas être mauvais! Et je l'ai lu! Une fois les première difficultés surmontées pour m'adapter à cet univers pour le moins étrange, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir non tant par l'histoire elle-même, le "thriller"  qui oppose Thursday Next à l'infâme Achéron Hadès, mais pour toutes les allusions à la littérature, l'imagination débridée qui nous projette dans les livres que nous aimons tant, la rencontre des personnages qui sont pour nous des amis de longue date. Que celui qui n'a jamais rêvé de  rencontrer "pour de bon" le Mr  Rochester de Jane  me jette la première pierre! Et puis il y a l'humour : Ainsi en pénétrant dans le livre pour sauver Jane Eyre  nous allons changer le dénouement car, le croyez-vous? Charlotte Bronté n'avait pas écrit la fin que nous connaissons tous!

 J'aime beaucoup, entre autres, les allusions à Shakespeare! Dans l'univers de Jasper Fforde où la littérature est le fondement de la civilisation et où l'on est capable de tuer ou de se faire tuer pour sauver l'héroïne d'un roman en danger, les Baconiens font du porte à porte comme le font les membres d'une secte religeuse pour chercher à vous convaincre! J'apprécie particulièrement cet épisode plein d'humour surtout après avoir moi-même rencontré des Baconiens fanatisés! Mais qu'est-ce qu'un Baconien?

J'entrouvris la porte retenue par une chaînette et aperçus un petit homme en costume de velours avachi. Il brandit une plaque d'identité  écornée et souleva poliment son chapeau avec un sourire nerveux. les Baconiens étaient complètement cinglés, mais, pour la plupart d'entre eux, inoffensifs. Le but de leur existence était de prouver que c'était Francis Bacon et non William Shakespeare qui avait écrit les plus grandes pièces du théâtre anglais. Bacon, pensaient-ils, ne jouissait pas de la reconnaissance qui lui revenait de droit, et ils bataillaient inlassablement pour réparer cette injustice imaginaire.
-Bonsoir dit le Baconien d'un ton enjoué. Puis-je vous prendre quelques minutes de votre temps?
Je répondis lentement
- Si vous pensez me convaincre que Le songe d'une nuit d'été a été écrit par un juriste, c'est que je dois être plus bête que je n'en ai l'air

 Je pense que  si ce livre à un tel succès c'est qu'il nous permet de retrouver ce sentiment enfoui en nous, c'est que la littérature est parfois plus vraie, plus forte que la vie et que les personnages sont  nos amis les plus fidèles!


Voir le challenge Thursday Next d'Alice ICI






mardi 30 octobre 2012

Shakespeare : Antoine et Cléopâtre


La mort de Cléopâtre de Reginald  Arthur


Je ne connais pas les tragédies historiques de Shakespeare aussi il est temps que je m'y mette! Cette lecture commune avec Maggie, Miriam et Océane est une bonne occasion de découvrir Antoine et Cléopâtre composée en 1608 peu après celle de Jules César dont elle est la suite.
Pour écrire cette tragédie, Shakespeare suit de très près le récit conté dans Les vies parallèles des hommes célèbres de Plutarque, La vie d'Antoine.


Buste de Marc-Antoine

Quelques rappels historiques
Marc-Antoine (83avJC  - 30av. JC) est un général romain qui a fait la guerre des Gaules en - 49  avec Jules César. Celui-ci le fait élire tribun de la plèbe puis consul. A la mort de César, il se retrouve seul à la tête de la République puis  un Triumvirat se met en place avec Marc-Antoine, Auguste et Lépide. Ils se partagent l'Empire, l'Orient étant dévolu à Marc-Antoine. Celui-ci reprend un projet de César,d'attaquer les Parthes mais il a besoin de l'appui de la reine d'Egypte, Cléopâtre. Commence alors entre la reine alors  âgée de 29 ans et Antoine qui à quarante ans,  une liaison qui va durer 10 ans. Il suit la reine à Alexandrie.
Les relations entre Octave et lui s'enveniment; Pour se réconcilier Antoine accepte d'épouser Octavie, la soeur de Auguste mais il retourne auprès de Cléopâtre. Il essuie des échecs en particulier contre les Parthes et les relations se détériorent à nouveau avec Octave qui se sent menacé par l'alliance avec la reine d'Egypte. Antoine, mauvais stratège, perd la bataille navale contre Octave à Actium en -31. Les derniers mois sont assez mal connus. Antoine retourne en Égypte et ne prend pratiquement aucune mesure pour lutter contre l'avancée de plus en plus triomphale de son rival.  Il consume ses forces en banquets, beuveries et fêtes somptueuses sans se soucier de la situation et laisse triompher Octave.  Ceci marque la fin de la République et le début de l'Empire romain pour les historiens.
La situation de l'action dans la pièce

Le dramaturge situe l'action au moment où Antoine retenu à Alexandrie par Cléopâtre va devoir partir à Rome pour se réconcilier avec Octave; ce dernier  a été attaqué par les partisans d'Antoine et par son épouse Fulvie qui meurt à ce moment-là. Antoine part à la rencontre d'Octave et pour se réconcilier épouse sa soeur Octavie.  La pièce s'intéresse donc à la déchéance d'Antoine qui mène une vie d'orgie incessante, à ses échecs guerriers, à son amour pour Cléopâtre. Le dénouement verra la fin tragique des deux amants. À la fausse annonce du suicide de Cléopâtre qui veut échapper à la colère de son amant, Marc Antoine met fin à ses jours en se jetant sur son épée. Mourant, il est transporté par Cléopâtre dans son propre tombeau. Celle-ci est conduite devant Octave, qui la laisse se retirer avec ses servantes, la reine se suicide ensuite en se faisant mordre par un aspic.
La mort de Cléopâtre Claude Vignon

Mon avis :

Shakespeare s'intéresse  au dilemme entre la passion et la raison, le coeur et la tête. Antoine vit  son amour comme une perte de volonté et un affaiblissement de sa virilité. Sans cesse il se trouve ramené vers cette femme  mais aussi vers une vie de débauche, d'amollissement, alors qu'il sait que son devoir de chef de guerre l'appelle ailleurs.
Pour qu'Antoine n'apparaisse pas comme un être veule et geignard, pour que Cléopâtre soit transfigurée par l'amour il faudrait que le sentiment entre ces deux personnages  soit fervent, sublime, à la manière de Roméo et Juliette.  Or, ce Roméo et cette Juliette sont des amants vieillissants qui n'ont ni le désintéressement ni la pureté de l'amour. Cléopâtre ne cesse de se plaindre, craint de ne plus être aimée, ruse, compose avec l'adversité. On dirait parfois une mégère mal apprivoisée, elle refuse de donner sa confiance à Antoine parce qu'il  trompe sa femme (que ce soit avec elle n'entre pas en ligne de compte!). Elle est présentée comme la séductrice, volontiers vaniteuse et courtisane, cause de l'échec d'Antoine.  Elle est aussi calculatrice, essaie de tirer son épingle du jeu,  subtilise des  bijoux de son trésor qu'elle est censée remettre à Octave, son  vainqueur.   Antoine ne cesse de gémir, d'osciller entre colère et plainte. C'est un être faible. Il n'écoute pas ses conseillers qui sont pourtant prudents et avisés et court à sa perte en acceptant le combat naval à Actium. Il se montre donc peu clairvoyant et peu intelligent.. De plus, il n'accepte pas l'échec et en accuse volontiers Cléopâtre allant même jusqu'à la menacer et l'effrayer assez pour qu'elle se fasse passer pour morte.. Orgueilleux et vain, il ne reconnaît pas ses responsabilités.

Voilà donc ce que j'ai ressenti à la lecture d'Antoine et de Cléopâtre : ce sont des personnages médiocres qui n'ont ni la luminosité de Roméo et Juliette, ni la noirceur et la démesure de Macbeth et lady Macbeth! Et j'ai eu du mal à m'intéresser à eux en dépit des scènes du dénouement qui au niveau dramatique sont évidemment spectaculaires et rendent  un peu de leur grandeur aux personnages.
Mais peut-être, après réflexion, est-ce là le mérite de Shakespeare, celui de ne pas avoir voulu nous peindre des héros admirables mais des êtres humains avec leurs clairs-obscurs, leurs faiblesses, leur mesquinerie, mais aussi une certaine forme de sincérité et de courage?

Et puis bien sûr, il y a la langue de Shakespeare et des moments de pur lyrisme, par exemple, les  accents amoureux de Cléopâtre : 

J'ai rêvé qu'il était un empereur Antoine
Son visage était comme les cieux, et il y avait là
Un soleil et une lune, qui suivaient leur cours, et éclairaient
Le petit O de la terre.
Ses pieds enjambaient l'océan, son bras levé
Couronnait le monde, sa voix avait un chant
Comme toutes les sphères à l'unisson, et cela pour ses amis.
Mais quand il voulait effrayer le monde et l'ébranler,
Il était comme un orage qui gronde.  Pour sa largesse,
Il n'était point d'hiver en elle; c'était l'automne
Qui d'autant plus donnait qu'on y moissonnait: ses plaisirs
Etaient comme le dauphin, ils montraient son échine
Au-dessus des flots où ils vivaient. Sous sa livrée
Marchaient diadèmes et couronnes; les royaumes et les îles étaient
Comme piécettes tombées de sa poche.


Les plaintes poétiques d'Antoine

Antoine
—Tu as vu quelquefois un nuage qui ressemble à un dragon, une vapeur qui nous représente un ours ou un lion, une citadelle avec des tours, un rocher pendant, un mont à double cime, ou un promontoire bleuâtre couronné de forêts qui se balancent sur nos têtes ; tu as vu ces images qui sont les spectacles que nous offre le sombre crépuscule ?


Éros
—Oui, seigneur.


Antoine
—Ce qui nous paraît un coursier est effacé en moins d'une pensée par la séparation des nuages, et se confond avec eux comme l'eau dans l'eau.


Éros
—Oui, seigneur.


Antoine
—Eh bien ! bon serviteur, cher Éros, ton général n'est plus qu'une de ces formes imaginaires. Je suis encore Antoine, mais je ne puis plus garder ce corps visible, mon serviteur.
acte IV scène 14


L'expression de l'amour


Antoine
 - C'est  un amour bien pauvre, celui que l'on peut calculer.
Cléopâtre
- Je veux établir, par une limite, jusqu'à quel point je puis être aimée.
Antoine
- Alors, il te faudra découvrir une nouveau ciel et une nouvelle terre.
acte I scène 1