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lundi 17 novembre 2014

Antony Marra : Une constellation de phénomènes vitaux




Une constellation de phénomènes vitaux, -organisation, irritabilité, mouvement, croissance, reproduction, adaptation, c'est la définition de la vie dans Le dictionnaire médical des médecins soviétiques. Chercher des définitions dans le dictionnaire, c'est ce que fait Natasha pour fuir ses souvenirs, traumatisée par la guerre en Tchétchénie et par son horrible expérience des réseaux de prostitution en Italie quand elle a voulu fuir son pays.


Tchétchénie 1994 source

Antony Marra explore dans son roman Une constallation de phénomènes vitaux, un pays déchiré par deux guerres depuis 1990. La première de 1994 à 1996 : lorsque la Tchétchénie se déclare état indépendant et souverain et refuse de signer le traité constitutif de la Fédération de Russie, elle est envahie par les troupes russes; la seconde de 1999 à 2009 (mais est-elle totalement terminée?) lorsque des chefs de guerre islamistes tchétchènes radicaux désireux de reconstituer le Caucase islamique en regroupant plusieurs républiques perpètrent des attentats en Russie et mettent à nouveau le feu aux poutres.
Le récit fait des va-et-vient entre les deux guerres avec des retours du passé au présent et du présent au passé. On y voit toute l'horreur des bombardements, la destruction systématique des villes, la pénurie dans les magasins comme dans les hôpitaux, mais aussi les exactions, les crimes de guerre commis par des combattants des deux bords fanatisés, qui n'ont que faire des droits de l'homme. Et entre les deux, la situation désespérée d'un peuple qui, s'il souhaite l'indépendance de son pays, n'adhère pas à l'islamisme vit dans la peur, la précarité

 Nous suivons la vie de ces hommes et de ces femmes pris dans la tourmente, s'attendant à tout moment à être dénoncés, arrêtés, torturés, tués, cherchant à subsister au milieu de cette boucherie. L'écrivain crée de beaux personnages, très forts, devenus hors norme bien malgré eux, tant il faut se transformer, se faire une cuirasse pour continuer à avancer. Il y a Sonja, médecin chef dans un hôpital déserté qui cache Havaa, une petite fille recherchée par les russes qui ont amené son père.  Akhmed, musulman, un homme juste, mauvais médecin mais bon dessinateur, qui a pris Havaa sous son aile et est prêt à se sacrifier pour sauver l'enfant qu'il aime comme un père. Khassan un professeur d'université, auteur d'un traité sur la Tchétchénie, père d'un fils devenu collabo.

Au milieu de cette désespérance, le récit aux fils embrouillés nous réserve bien des surprises : les personnages qui semblent n'avoir aucun rapport entre eux finissent par voir leur route se recouper. Un thème, celui de la  mémoire, de la lutte contre l'oubli, est récurrent car c'est pour les habitants, en effet, une manière de résister, de préserver leur dignité. La soeur de Sonja, Nastasha, dessine, avec le plus de réalisme possible, leur ville détruite sur les murs de l'hôpital  pour donner l'illusion qu'elle est toujours là.  Akhmed, lui, fait le portrait des disparus et l'accrochent aux arbres du village.
Malgré la mort qui rôde, l'écrivain introduit aussi des moments d'humour  : l'infirmière Deshi déteste les hommes et en particulier les médecins depuis qu'elle a été trahie par un oncologue et terrorise Akhmed, le grand costaud.

En résumé un beau livre riche, avec des moments de pure poésie, où l'amour inspire des actes qui redonnent confiance à la nature humaine. Un sujet qui interpelle et qui ne peut laisser indifférent.




Rentrée littéraire 2014 : il s'agit du premier livre d'Antony Marra,


 Merci à Dialogues croisés et aux Editions JC Lattès

mercredi 12 novembre 2014

Graig Davidson : Cataract City





Cataract City de Graig Davidson, c'est Niagara Falls, la ville des chutes. C'est là que vivent Owen et Duncan.

 Duncan sort de prison où il a passé huit ans. Son ami d'enfance Owen vient le chercher. Commence alors un récit à deux voix où chacun va raconter son histoire mêlant passé et présent et divers temps intermédiaires. Et ce double récit nous donne à voir ce qu'est la vie dans cette petite ville industrielle de l'Ontario où il y a peu d'avenir pour les enfants qui y naissent. Peu d'avenir et aussi peu d'occasion de s'échapper. La ville, personnage à part entière du roman, exerce une sorte d'attrait négatif, entre amour et répulsion, qui freine l'initiative.

"Il m'était arrivé de haïr cette foutue ville. Le sentiment d'échec omniprésent me donnait la nausée, engendrait l'impression de vivre dans une prison aux murs élastiques.
Je finissais par la trouver sinistre et menaçante. Je n'aurais su dire en quoi précisément -comment une ville pourrait-elle être néfaste?"

Niagara Falls, je l'avais déjà rencontrée dans le grand roman de Joyce Carol Oates Chutes, mais du côté américain. Le fleuve y exerçait un attrait puissant; il y était représenté comme une sorte de Dieu maléfique, une force démesurée. Oates y dénonçait non sans virulence la pollution des quartiers réservés aux ouvriers dont sont responsables des industriels criminels.
Pas plus que JC Oates, Davidson n'a l'intention d'entraîner son lecteur dans une visite touristique de la jolie cité "romantique" des voyages de noces, ni de brosser un tableau pittoresque du lieu. Si l'on y sent la présence du fleuve c'est pour évoquer les jeux d'enfance dans la rivière, où les trafics de contrebande sur les eaux gelés du Niagara en hiver et le bruit constant et obsédant des chutes qui crée un effet hypnotique..
En fait, Graig Davison s'intéresse aux milieux populaires, il nous parle de la dureté de la vie, du travail dans les usines ou les biscuiteries où chaque ouvrier est imprégné de l'odeur du biscuit, une ville où les distractions sont rares et les enfants peu poussés à l'étude. Si Owen, d'un milieu un peu plus aisé, a l'opportunité d'aller à l'université, Duncan, lui, est marqué par le déterminisme de sa classe. Mais tous deux, le hasard, la malchance, l'annihilation de la volonté aidant, vont être des victimes, des prisonniers de Cataract City qui ne laisse pas facilement échapper ses proies. 

"Mon père comparait Cataract City à un réservoir d'air comprimé. La vie y est dure; d'une année à l'autre, les garçons deviennent des hommes, parce qu'ils n'ont pas le choix. La pression s'incruste dans les visages et les corps. On voit des gars de vingt ans aux mains noircies en permanence par la graisse pâteuse qui sert à lubrifier les rotatives de Bisk. Certains sont déjà voûtés à trente ans. A quarante ans, ils ont le front plissé des séquoias. On n'a pas le temps de vieillir ici, on devient vieux avant."

Dans l'enfance, Owen et Duncan sont rapprochés par leur amour du catch et leur admiration pour un catcheur qui les entraînera dans une sombre aventure. Plus tard, chacun évolue dans une sphère différente, à l'université pour Owen puis dans la police; Duncan, lui, nous fait pénétrer dans des milieux interlopes, courses de lévriers, et combats de chiens, rencontres de boxe clandestines, organisées par un truand sans scrupules, l'indien Drinkwater. Tout semble parfois séparer les deux amis mais ils sont toujours réunis dans les moments les plus difficiles de leur vie.
 Il y a des passages très forts, passionnants, dans Cataract City, même si mon intérêt pour le roman a été parfois inégal. Deux récits-clefs, haletants, où l'on ne peut se décrocher de la lecture, encadrent l'action : L'un au début du roman, celle où  les deux enfants sont perdus dans un paysage hostile, dans des tourbières de fin du monde, en proie à la faim, à la soif, menacés par des bêtes sauvages et où ils luttent pour leur survie;  l'autre à la fin du roman, une course-poursuite sauvage des deux personnages alors devenus adultes, une traque implacable sur les traces de Drinkwater, dans les mêmes paysages, cette fois-ci en hiver. Dans les deux cas  la mort joue à cache cache avec les héros, elle habille de sa présence menaçante chaque mot du roman. Si la première scène est un récit d'initiation violent, l'autre encore plus terrible provoquera un déclic pour Duncan. Les deux scènes forment une boucle, un recommencement qui amène pourtant au renouveau.

Je me suis demandé d'où venait parfois cette baisse d'intérêt de ma part. Je me suis aperçue que c'est lorsque Duncan part à la dérive et que nous sont décrits les milieux louches et crapuleux des combats de chiens ou d'hommes. Je pense que mes réticences viennent de mon refus de ces jeux de cirque violents et des personnages qui y participent mais que la qualité du roman n'y est pour rien.. Car les moments très forts, très puissamment décrits, abondent dans ces scènes de combats où tous les coups sont permis, où les parieurs sont avides d'argent et de sang versé. Si j'ai pu continuer ma lecture, c'est parce que Duncan reste toujours humain malgré ce qu'il fait :  s'il est capable du pire, il l'est aussi du meilleur comme lorsqu'il sauve le chien blessé, par exemple, en mettant en péril sa propre vie; il est capable d'amour et d'amitié véritables et de compassion. Et c'est pourquoi, les personnages déchus - qui sont une constante dans l'oeuvre de Graig Davidson-, aussi bas qu'ils soient tombés, finissent toujours par se racheter. Graig Davidson est un écrivain qui croit en l'Homme malgré toutes les erreurs et les faiblesses dont celui-ci fait preuve. Il écrit ici une très belle histoire d'amitié.



Club de lecture Dialogues croisés Librairie Dialogues à Brest
Merci à La librairie Dialogues et aux Editions Albin Michel
Challenge sous contrainte : le nom propre de lieu chez Philippe D

dimanche 9 novembre 2014

Clara Dupont-Monod : Le roi disait que j'étais le diable



Le roi disait que j'étais le diable de Clara Dupont-Monod couvre une courte période historique située entre le mariage d'Aliénor d'Aquitaine (elle a 13 ans) avec Louis VII, roi de France en 1137 et sa séparation d'avec lui, quinze ans plus tard, l'église acceptant de reconnaître la nullité du mariage pour motif de consanguinité (1152). Elle se remarie avec Henri de Plantagenêt. Elle a donc été reine de France et Reine d'Angleterre, mère de Richard Coeur de Lion et de Jean Sans Terre.

Aliénor d'Aquitaine, reine de France puis d'Angleterre
Aliénor d'Aquitaine

Petite-fille de Guillaume IX le Troubadour, Alienor d'Aquitaine a reçu une éducation raffinée, nourrie de poésie et de musique dans cette cour d'Aquitaine où naît, sous la plume des troubadours, le fin Amor, l'idéal de l'amour courtois, témoin d'une civilisation plus portée aux subtilités de l'amour qu'aux contritions religieuses. On le voit bien, la reine est un personnage de légende et occupe une place d'un telle importance pour une femme, au Moyen-âge, qu'elle a inspiré beaucoup d'historiens et de romanciers.
Si Clara Dupont-Monod s'appuie sur des faits historiques précis, elle a choisi de meubler les vides de l'histoire en donnant la parole tour à tour à la reine et au roi pour mieux souligner les divergences profondes des deux personnages. Alienor représente la culture d'oc, poésie, musique, troubadours, contre la culture d'Oil plus austère; la sensualité et les couleurs du Sud contre l'ascétisme et les grisailles du Nord. Si elle est "le diable" pour son mari, elle dira de lui : "j'ai cru épouser un homme, j'ai épousé un moine."

Aliénor d'Aquitaine et Louis VII miniature du XIV siècle
Aliénor d'Aquitaine et Louis VII

Mais que penser maintenant du roman? j'avoue que j'ai eu beaucoup de mal à y entrer et je ne me suis intéressée aux personnages et à leur histoire que tardivement.
En choisissant de présenter les personnages de l'intérieur, par leurs pensées intimes, Clara Dupont-Monod a choisi la difficulté. Etant donné notre éloignement de la période médiévale, il est moins difficile de présenter le Moyen-âge en narrateur extérieur plutôt que de chercher à en rendre les mentalités. En lisant ce roman, je n'ai jamais eu l'impression de rencontrer vraiment des personnages du Moyen-âge.

Mais le roman est très bien écrit. On peut même dire que les belles phrases frappées comme des maximes, ciselées, abondent; on peut les collectionner :

"le roi est mon mari. Ce n'est pas un homme de colère mais de mots"

"L'épée, le livre : voilà les objets sacrés disait mon grand père. La première défend la terre, le second chante l'amour."

En parlant de Philippe, frère aîné de Louis qui devait régner : Mais cet idiot mourut fracassée contre les faubourgs de Paris. Un cochon s'est jeté dans les pattes de son cheval. N'est-ce pas un magnifique résumé du royaume de France. Ce sont des porcs qui décident de son destin.

Dans le quartier des boucheries  : Dedans parmi les étals, je devine la mort simple et rapide, donnée sans autre but que celui de manger. La mort utile, la plus belle.
La langue est donc très travaillée mais trop esthétique à mon goût même dans ses descriptions réalistes des quartiers des boucheries et des remugles de la  cité médiévale. Une recherche de la forme qui me détourne des personnages et me laisse froide. Ceux-ci me semblent factices, seulement vecteurs de belles pensées exprimées dans un style impeccable.. 
Je crois que je ne me suis intéressée au récit qu'au moment de la croisade parce qu'il y a alors un souffle épique qui apparaît. On part reconquérir la Terre Sainte comme à une fête, les femmes accompagnent les maris, emportant avec elles tous les objets de luxe pour reproduire le confort de la cour. Et là, oui, la folie de la foule, me paraît rejoindre la chanson de geste, l'épopée, et être à la hauteur de la foi du moyen-âge et de sa démesure.

En bref!! un livre dont je reconnais les qualités d'écriture mais qui n'est pas pour moi.

Merci aux éditions Grasset et à Price Minister



les matchs de la rentrée littéraire Price minister 2014



Voir Liligalipette  qui aime beaucoup ce roman.

LIVRE VOYAGEUR

lundi 3 novembre 2014

RK Narayan : Dans la chambre obscure

Dans la chambre obscure de Narayan Editions Zulma


Ce roman, Dans la chambre obscure,  de l'écrivain indien RK Narayan a été publié en 1938, réédité par les éditions Zulma en Juin 2014.
L'auteur y décrit la vie quotidienne d'une famille, dans le sud des Indes, dans la première partie du XXème siècle, et met l'accent sur le personnage féminin, Saviri, épouse de Ramani et mère d'un garçon, Babu, et de deux fillettes Kamala et Sumati.
 Dans la chambre obscure permet de découvrir la vie quotidienne en Inde, la préparation des repas, le départ à l'école des enfants, les rites religieux, les fêtes traditionnelles. 
Il nous renseigne sur la condition féminine dans la classe aisée. Certes Savitri ne manque de rien, elle a deux domestiques à son service et fait partie de la caste privilégiée des Brahmanes. Mais elle n'a chez elle aucun droit à la parole. Elle doit se soumettre aux ordres et aux désirs de son époux et essuyer ses colères en étant "douce et soumise" ainsi que le veut l'éducation des femmes. Parfois, lasse de ne pas exister, elle s'enferme dans une pièce qu'elle nomme "la chambre obscure" et qui lui permet de se soustraire un instant à ce rôle d'épouse parfaite. Mais l'infidélité de son mari va provoquer une prise de conscience, un séisme qui bouleversera la vie de la jeune femme.
Narayan montre la place de la femme dans la société indienne : elle dépend entièrement de son mari, ne possède rien, n'a rien à soi même pas ses enfants.

" Vous croyez que je vais rester ici? C'est notre faute à nous les femmes, si nous nous trouvons dans cette situation; nous acceptons de vous nourriture, logement , bien-être… Et voilà où nous en sommes! Croyez-vous que je vais rester dans votre maison, respirer l'air que de tout ce qui vous appartient, boire votre eau, manger la nourriture que j'achète avec votre argent?"

"Ne les touche pas, ne leur parle pas. Va-t'en si tu veux. Ce sont mes enfants.
Elle hésita un instant.
-Oui, reconnut-elle; c'est vrai, ils sont à vous entièrement. Vous avez payé la sage-femme et l'infirmière, vous avez payé leurs vêtements et leur école. Vous avez raison. Est-ce que je ne disais pas qu'une femme ne possède rien.
"

Nous découvrons aussi, par l'intermédiaire de Saviri, les classes pauvres et leur lutte pour la survie, contre la faim et la misère, mais aussi, la solidarité et l'entraide qui règnent dans ces milieux populaires. 

Ce beau roman qui aborde des sujets audacieux pour son époque n'est jamais démonstratif. Il est écrit dans une langue simple, directe. Il y est question du quotidien, de la banalité de chaque jour, des habitudes qui engluent, qui dénouent les liens de famille. L'écrivain donne une épaisseur aux personnages et il dresse de Saviri un portrait de femme tout en nuances, avec ses faiblesses et ses qualités.  Les derniers pages du roman laissent un goût amer car la fin pessimiste montre bien que la révolte des femmes ne peut aller très loin. Mais Saviri a compris quelque chose : sans instruction, les femmes ne sont rien. Elles doivent faire des études pour s'affranchir des hommes. Peut-être saura-t-elle guider ces filles dans cette voie? Une petite brèche vers l'espoir.

"Quelle différence y-a-t-il entre une une prostituée et une femme mariée? La prostituée change d'hommes, la femme mariée n'en change pas, mais c'est tout, toutes les deux sont entretenues de la même façon. Oui, il faut que Sumati et Kamala étudient à l'Université et deviennent indépendantes. (…)
Celle qui ne pouvait se suffire à elle-même n'avait pas le droit d'exister."


                                             Merci aux éditions Zulma et à Babelio

mardi 9 septembre 2014

Andrea Molesini : le printemps du loup



Ce que j'ai éprouvé en lisant ce roman Le printemps du loup de Andrea Molesini est assez étrange : J'ai d'abord été fascinée par le récit et aussi par l'écriture  puis, peu à peu, j'ai fini par être lassée par le procédé stylistique et j'ai trouvé que l'histoire traînait. 

Le roman raconte l'histoire de deux enfants juifs, Pietro et Dario cachés dans un couvent vénitien, obligés de s'enfuir après dénonciation, poursuivis par les allemands. Ils sont accompagnés d'adultes, deux soeurs juives, Maurizia et Ada, le frère Ernesto, soeur Elvira et aidés par un pêcheur, personnage pittoresque et courageux surnommé Lirlandais. Le récit est raconté par Piero, interrompu par instants par les pages du journal intime de Soeur Elvira que nous apprenons à connaître peu à peu. Mais lorsqu'ils sont sur le point d'être faits prisonniers, Karl, un allemand, les sauve. C'est une fuite éperdue sous la protection de ce déserteur qui dit avoir pris conscience de l'horreur du nazisme. le petit groupe traqué se déplace dans un pays désorganisé, à la fin de la guerre, où fascistes et nazis sentent le vent tourner mais n'en sont pas moins dangereux.

Le récit est raconté par Pietro (10 ans), petit garçon "effronté", plein d'imagination et  à la langue bien pendue, dans un style faussement naïf, où l'on sent à la fois la vision de l'enfance, drôle, fraîche et spontanée, et le regard de l'écrivain qui la sous-tend. 
"On ne juge pas les gens sur les apparences qu'elles m'ont dit. Ca, c'est typique des grands, ils dépensent des sous pour s'habiller, ils se coiffent devant la glace pendant des heures, mais après ils vous expliquent que la beauté, ça compte pour du beurre. On peut toujours courir pour que les grands nous disent la vérité, alors moi, je la cherche tout seul et je suis assez fortiche."

Car, bien sûr, dans ce procédé narratif l'adulte n'est jamais loin de l'enfant et, au début, le charme fonctionne! Et même plutôt bien! Le décalage entre les deux produit un effet amusant ou poétique, en particulier quand Pietro se mêle de théologie ou quand il observe les adultes, s'étonnant de leur raisonnement ou quand il parle de la nature. Le garçon s'exprime dans une langue familière, parfois un peu incorrecte, mais toujours très originale dans laquelle sont introduites des images concrètes, étonnantes, qui ne manquent pas de beauté.
"Pour moi la faim est une bête à double rangée de dents aiguisées qui vous grignote de l'intérieur, d'accord, elle fait moins de bruit que la lune mais vous sentez ses dents une à une, parce qu'elles sont froides comme des perles sur le cou des femmes riches."

"Je sais que la mort est faite de fruits froids entre les murs des maisons quand il pleut de la pluie. Des fruits froids comme des yeux de chat. Des fruits dans les buissons noirs aux feuilles brillantes de pluie, même quand la lune repart en emportant son bruit."

Et vraiment j'aime beaucoup! Pourtant, par la suite, le style et les images ne se renouvellent pas. Si l'arrivée du loup, cette bête imaginaire qui permet à Pietro de résister à la peur était une belle trouvaille au début, la répétition en devient lassante comme celle de la poule de Dario. Et le procédé stylistique, cette fausse naïveté dont les effets sont trop répétitifs, finit par être irritant.
De plus la disproportion entre les écrits d'Elvira qui apparaît peu et le récit du petit garçon qui est omniprésent se fait au détriment du personnage de la jeune femme qui devient un peu secondaire et  est moins intéressante.
Enfin, si l'on ajoute que j'ai trouvé le secret de l'allemand assez décevant, on peut comprendre comment ce roman commencé dans l'enthousiasme m'a déçue.




samedi 6 septembre 2014

Annabel Lyon : Aristote, mon père




Je viens de lire le roman de l'écrivaine canadienne, Annabel Lyon, intitulé : Aristote, mon père. C'est la suite, - même si l'on peut le lire indépendamment- , de Le juste milieu  où l'on rencontre déjà Aristote, sa fille Pythias et sa concubine Herpyllis. Mais je n'ai pas lu ce dernier et voilà qui répond un peu à une première frustration : j'aurais aimé que le roman approfondisse le portrait d' Aristote et  et développe sa  philosophie mais.. cela a dû être fait dans le roman précédent.
  
En fait, Aristote, mon père, raconte la fin de vie du philosophe et comme le titre l'indique donne la place primordiale à sa fille Pythias dite Pytho.
L'auteure a pris pour point de départ un passage du testament d'Aristote qui concerne sa fille : Lorsque ma fille aura l'âge requis, on la donnera en mariage à Nicanor. Mais à la mort d'Aristote, qu'adviendra-t-il de Pythias si Nicanor, son cousin parti à la guerre, ne revient pas?

Aristote, macédonien, qui a été le professeur d'Alexandre, vit à Athènes où il a créé son école Le Lycée. Il jouit d'une grande renommée, réunit tous les grands esprits de la ville chez lui et se préoccupe de l'instruction de sa fille Pythias. Celle-ci est intelligente, curieuse, a soif d'apprendre et se révèle une élève brillante qui connaît toute l'oeuvre de son père et est capable de tenir tête dans les discussions aux plus grands savants. Mais elle est de sexe féminin et la société grecque voit d'un mauvais oeil une fille accéder au savoir.  Quand celle-ci devient femme, le père adopte un lointain cousin, Jason, surnommé Myrmex, "petite fourmi", qui lui a été envoyé par la famille. Sans jamais cessé d'aimer Pytho, il va l'écarter des études et reporter son attention sur le garçon..
Cependant les Athéniens, vaincus par Alexandre et plein de rancoeur contre les Macédoniens, le considéreront toujours comme un étranger, lui et sa famille. Aussi à la mort de l'empereur, Aristote est obligé de quitter la ville sous les huées et les jets de pierres des Athéniens. C'est l'exil qui se terminera par la mort d'Aristote et c'est aussi  la fin de la première partie.  Les deux autres parties sont consacrées aux épreuves subies par Pythias, laissée seule, sans argent, dans un univers hostile aux femmes où, en l'absence de mariage, elle ne peut emprunter que trois voies : Prêtresse, sage femme et prostituée. Je vous laisse découvrir ce qu'il advient d'elle.

Disons tout de suite que mon avis est mitigé sur ce roman.
 La première partie,  à Athènes, celle de l'accession de Pytho au savoir m'a intéressée. j'aurais aimé, cependant, plus de détails sur les méthodes pédagogiques d'Aristote et sur ce qu'il enseignait, j'aurais voulu que l'érudition de Pythias soit plus apparente moins anecdotique même si les embryons d'idées qu'elle présente sont intéressants :
- J'ai appris des choses sur le changement dans l'espace, le temps, la substance. J'ai appris des choses sur le mouvement. J'ai appris des choses sur l'être éternel et parfait, celui que papa appelle le moteur immobile

- Sur Dieu, intervient Krios.

-Sur Dieu comme nécessité métaphysique, dis-je. Lointain, détaché, perdu dans la contemplation

-Vous l'avez vraiment encouragée à s'épanouir dit Krios à mon père

- Ca commence à devenir un problème, rétorque papa.


Mais l'auteure décrit bien la civilisation grecque. Elle nous fait part de nombreux détails qui nous éclairent sur les rites religieux et funèbres, sur la vie quotidienne, le marché, la nourriture, sur la condition féminine, les règles, le mariage et surtout elle essaie avec succès de faire revivre les mentalités. Elle décrit la place qu'occupe la femme dans la société et son infériorité déclarée par rapport aux hommes.n Ainsi, on voit comment Herpyllis, la concubine d'Aristote, qui lui a donné un fils Nicomaque, n'est pas reconnue et conserve son statut de servante, d'inférieure, non aux yeux d'Aristote, mais de la bonne société. On comprend alors combien, malgré ses limites, Aristote était un homme éclairé et ouvert pour l'époque.
j'ai pourtant moins apprécié les deux autres parties du roman sur les tribulations de Pythias après la mort de son père. D'abord qu'est devenue son érudition? En quoi la fille d'Aristote est-elle différente de n'importe quelle jeune fille tombée dans l'indigence? L'histoire m'a paru alors décousue tant au point de vue du style que du récit, rapide et parfois peu convaincante. De plus je ne comprends pas Pytho, Mirmex est très antipahique et sa psychologie est à peine esquissée. Les autres personnages, Herpillys,  Nicomar, les esclaves disparaissent. Et je n'ai eu aucune empathie envers ceux qui restaient. J'ai donc été déçue par cet aspect du roman.

En résumé, le livre présente des moments intéressants qui sont liés à la vision historique que nous donne l'auteure mais j'ai moins adhéré à l'aspect fictionnel et l'analyse des personnages m'a paru insuffisante.. 





Merci à la librairie dialogues et aux Editions Quai Voltaire

jeudi 4 septembre 2014

David Vann : Dernier jour sur terre



David Vann ne fait jamais dans la guimauve! C'est le moins que l'on puisse dire! J'en étais restée à ses Désolations, livre qui m'avait pas mal secouée  et le voilà qui récidive avec une biographie  qui porte le titre bien approprié d'une chanson de Marylin Manson  : Dernier jour sur la terre ou Last day of summer.
Vous jugerez du livre d'après l'incipit qui donne le ton : Après le suicide de mon père, j'ai hérité de toutes ses armes à feu. j'avais treize ans". Cela fait froid dans le dos, non? et ce qui suit encore bien plus!
Car le petit David Vann traumatisé par le suicide du papa décaroche pas mal. Il s'amuse à tirer sur les lampadaires du lotissement  voisin. Il lui arrive même de viser le voisin avec la Magnum 300. Qu'est qui le retient d'appuyer sur la gâchette? Pourquoi a-t-il été échappé à l'irrémédiable et qu'est-ce qui a poussé, au contraire, Steve Kazmierczak, un jeune homme de 27 ans à aller jusqu'au bout, à devenir ce tueur de masse qui tire sur des étudiants de North lllinois University le 14 février 2008?
David Vann mène une enquête approfondie en étudiant les archives transmises par la police, le courrier de Steve et de ses ami(e)s, mais aussi en rencontrant les  professeurs et les familiers de Steve, tous persuadés que celui-ci était un homme intelligent, gentil, incapable de commettre un tel meurtre. Et pourtant, l'enquête de Vann dévoilera les zones obscures du tueur, les haines racistes qui le rongeaient, les angoisses qui l'étouffaient, les Tocs dont il souffrait et sa maladie mentale qui n'a cessé de s'aggraver d'année en année.

Hungry Horse : petite ville du Montana : de Pieter Ten Hoopen (Rencontres d'Arles 2014)
Si David Vann s'intéresse à ce cas, ce n'est pas pour la recherche du sensationnel ou par morbidité. C'est pour jeter un cri d'alarme, pour dénoncer les dysfonctionnements et les aberrations des lois américaines qui permettent à chaque citoyen de s'armer. Il met en cause les mentalités  d'une grande majorité des américains prêts à entrer en guerre si l'on menace de limiter le port d'armes et la responsabilité des parents qui forment leurs enfants aux armes à feu dès leur plus tendre enfance. David Vann a appris à tirer dès sept ans et a eu son premier vrai fusil à l'âge de neuf ans.  Steve est lui aussi initié très jeune et, en cachant sa maladie, il peut se procurer librement toutes les armes et les munitions qu'il souhaite..

"Après la fusillade de NIU, le pouvoir législatif tenta de faire passer une loi qui aurait pu limiter l'achat d'armes à poing à un pistolet par mois, ce qui impliquait tout de même qu'une personne pouvait se procurer douze armes pas an, et même cela n'a pas été voté.. Chaque fois que je roule dans Champaign pour interviewer Jessica, je vois des panneaux en bordure de route qui affirment : les armes sauvent des vies. Si ça ce n'est pas de la manipulation, qu'est-ce qu'on entend alors par "manipulation"?

Pèse aussi dans la balance la maladie mal soignée, la bipolarité de Steve encore accentuée par l'abus des médicaments, par l'impuissance des parents,  par le rejet des autres face à l'étrangeté ou la bizarrerie. Les structures qui sont censées encadrer ces malades mentaux ne sont pas la hauteur et finissent, après les avoir abrutis de médicaments, par les laisser partir sans soin dans la nature! Son passage dans l'armée aggrave encore son état!
Les idéologies de la haine que ce soit celle du nazisme ou du Ku Kux Klank ainsi que les films violents qui aboutissent à une insensibilité et à une accoutumance au Mal jouent aussi un grand rôle  dans la dérive du tueur de masse. On sait que Steve Kazmierczak y était accro!  L'on peut y ajouter ce que David Vann appelle "la honte sexuelle", une homosexualité mal vécue ou un viol dès l'enfance qui génère un comportement déviant. Tous ces facteurs semblent avoir pesé sur Steve et l'ont transformé en monstre.

Mais on ne naît pas "tueur de masse", on le devient et il faut des années pour en arriver à ce point de non retour.  Il est beaucoup plus facile de dire que Steve Kazmierczak était un monstre et que l'on ne pouvait rien faire pour l'éviter. Cela évite de poser les responsabilités. Pourtant Steve a essayé de se suicider à maintes reprises. C'est ce que rappelle David Vann et son livre résonne comme un cri d'alarme un peu désespéré, un avertissement qui semble bien ne pas avoir beaucoup d'échos dans son pays. Un livre marquant.

Il s'avère que je n'ai pas tant de points communs avec Steve. Je ne partage ni son racisme, ni son libertarisme, ni son amour des films d'horreur, sa fascination pour les tueurs en série, le service militaire, la sexualité ambivalente, les rencontres obsessionnelles sur le Net, les prostituées, les médicaments, le passé psychologique troublé, les amis dealers, la mère dérangée, l'intérêt pour les maisons d'arrêt, etc. Mais j'ai hérité  des armes paternelles à treize ans, à l'époque où je débordais d'hormones, où le monde n'avait plus aucune importance à mes yeux depuis que mon père avait porté son arme à sa tête. Je n'avais rien à perdre. Et j'avais été le témoin de beaucoup de violence.



Lire pour en savoir plus l'interview donné au Nouvel Obs par David Vann : "Les américains sont trop débiles..."



Merci à la Librairie dialogues et aux éditions Gallmeister 

Chez Titine


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